(Ce que j’aime avec l’écriture, parfois, c’est que je commence un texte pour dire une chose, puis je me perds en digressions jusqu’à finir en disant autre chose que ce que j’avais prévu, parfois même le contraire, et c’est mon propre texte qui finit par modifier mon opinion. J’espère ne pas trop égarer le lecteur ici par la tortuosité de ce cheminement mental)
Les étudiants que je fréquente aujourd’hui me semblent se distinguer de ceux que j’ai connu au cours des deux décennies précédentes de par l’importance de leur engagement politique : féminisme, remise en cause des rôles genrés, antispécisme, végétarisme, veganisme, écologie,… Cet engagement, très présent à la lecture des mémoires de fin de cycle (Licence ou Master), fait mentir ceux pour qui les créateurs sont forcément des égoïstes plus ou moins autocentrés qui placent les questions esthétiques au dessus de tout enjeu politique ou social. Malgré leur engagement, ces étudiants restent toujours bien des artistes, des auteurs, des créateurs, en tout cas des personnes qui réfléchissent en leur nom, en tant qu’individus soucieux de développer une pensée qui n’appartient qu’à eux. Il s’agit d’un engagement politique non-politicien, pas forcément lié à un cadre associatif ou partisan, parfois même non-collectif (du moins hors d’Internet), comme s’il s’agissait d’abord de se construire une éthique personnelle, de trouver sa voie. Peut-être que les étudiants des générations précédentes avaient le même genre de préoccupations, mais ce qui est neuf, c’est en tout cas qu’elles sont revendiquées publiquement et souvent intégrées à la production plastique.
La montée en puissance de l’engagement politique non-politicien dit « sociétal » ne se limite évidemment ni aux étudiants en art ni à leur génération et est très prégnante sur les réseaux sociaux, où elle est à mon avis souvent moins fertile, plus maladroite, et peut prendre la forme pénible d’hallalis, de pression de groupe, d’opprobre et d’injonctions plus ou moins pontifiantes ou brutales. Beaucoup trop de personnes qui se sentent pourtant dans le camp de la justice (et peut-être est-ce le problème) remplacent la pédagogie par le catéchisme, l’insulte ou les thought terminating clichés, et le font en suivant des modes : tel mot devient subitement interdit, telle notion dont personne n’avait entendu parler deux mois plus tôt devient un prétexte à rendre honteux, telle maladresse (utilisation d’un juron étymologiquement misogyne, recours au mauvais pronom pour désigner une personne transsexuelle, etc.) devient un crime impardonnable1. Le pire dans la pression qu’imposent les « social justice warriors » (ces personnes qui traquent la faute sur les réseaux sociaux), c’est qu’elle n’a d’effet que sur ceux qui sont touchés par leur opinion, c’est à dire ceux qui sont d’accord avec eux, leurs camarades d’engagement politique, qui sont donc leurs victimes du fait même qu’elles sont sensibles à leur avis. Les vrais méchants, eux, se moquent bien de savoir qu’on ne les aime pas, et certains semblent même tirer une jouissance particulière du fait d’être détestés.
Personnellement je suis mitigé vis à vis de la vision du monde que véhiculent certains moralisateurs, un monde de cristal où chacun est censé se définir comme victime de quelqu’un d’autre ou sinon, à s’autoflageller plus ou moins hypocritement pour sa qualité de bourreau, où il faut ménager chaque susceptibilité comme si les gens étaient en sucre, où il faut se sentir coupable d’avoir lu un jour à ses enfants un conte de fées politiquement douteux2, où on ne peut créer, penser, qu’en vertu de sa communauté de rattachement officielle3, où le fait d’apprécier une culture dans laquelle on n’est pas né et de l’utiliser (reprendre un motif de tissu africain ou japonais quand nos ancêtres viennent du Poitou, par exemple) s’appelle de « l’appropriation culturelle » et est assimilé au pillage d’antiquités, imposant à chacun d’accepter la catégorie étanche dans laquelle on l’enferme, ce qui, en toute logique, fait du métissage l’état le plus problématique de tous — ce qui peut heurter la sensibilité des vieux comme moi (qui eux aussi ont un cœur) qui se sentent mus par un vieil idéal universaliste, internationaliste, humaniste, et qui restent marqués par les années 1980 et leur célébration de l’«impureté» du métissage : Actuel, Zoulou, World music, Nova, etc.
Le succès du vocabulaire et des concepts issus des pratiques militantes étasuniennes est assez étrange, car si effectivement cette tradition est d’une grande vigueur et théoriquement bien étayée, il ne faut pas négliger le fait qu’elle répond à un autre contexte et à une autre histoire que les nôtres, et surtout, il faut bien admettre que ses effets ne sont pas toujours très probants, car malgré un travail universitaire de haut niveau sur toutes ces questions et d’autres, les États-Unis de deux-mille dix-sept ne sont pas un pays parfait. Leur dirigeant est Donald Trump, qui est soutenu par une droite bigote et raciste ; un noir sur trois a connu ou connaîtra la prison ; la ségrégation raciale n’est pas abolie dans certains États du Sud (juste inhibée par la constitution, mais de plus en plus réactivée par l’usage dans le milieu scolaire !) ; le taux d’homicides volontaires est celui de pays du tiers-monde ; enfin, la condition féminine est en recul depuis vingt ans. Il est surprenant que nous tenions tant à importer strictement un modèle qui s’avère si contre-productif. J’imagine que ce modèle étasunien d’engagement politique a quelque chose de suffisamment séduisant (iconographie, concepts clairs), suffisamment désirable pour donner envie d’être repris ici.
J’ai emprunté à ma fille un exemplaire du fanzine féministe de l’école des Arts décoratifs de Paris, qui contient des bandes dessinées et des illustrations souvent intéressantes, mais aussi un échange issu de la page Facebook du fanzine au sujet de Riad Sattouf. Au terme de cette conversation, qui est reproduite sans commentaires, l’auteur de l’Arabe du Futur et des Cahiers d’Esther est rhabillé pour l’hiver, se voyant accusé d’être un personnage douteux véhiculant plus ou moins à son insu un discours sexiste, raciste et islamophobe. C’est un peu dur, si l’on songe que Riad Sattouf est sans contestation l’auteur masculin de sa génération qui développe (et depuis le début des années 2000 !) la réflexion la plus fine sur la question de la virilité, et que l’honnêteté, la précision et l’humanité de sa démarche de remémoration d’une enfance entre Proche-Orient et Bretagne, rendent un peu absurde l’accusation de racisme. Ce n’est pas être raciste que de raconter que dans le fin fond de la campagne syrienne au début des années 1980, on a vécu parmi des gens pouvaient avoir des mentalités un brin rétrogrades. Mais voilà, il ne faudrait pas le dire, car les Syriens qui tentent d’échapper à la guerre aujourd’hui sont des victimes, et pour qu’il y ait un « bien » et un « mal », une victime doit être idéale, et si l’on est pauvre, on ne peut être que parfait.
Le rapport entre pauvreté et vertu4 n’est pas une nouveauté, c’est une notion fondamentale du christianisme (parmi d’autres religions), abondamment utilisée comme outil de consolation : le riche profite de ses biens ? Certes, mais patientez, patientez, au jour du jugement5, il ira en enfer et vous au paradis. C’est aussi, depuis deux mille ans, un outil de contrôle : le pauvre ne doit pas se plaindre, il doit plutôt prier pour son seigneur qui ira en enfer et grâce à qui il ira au paradis.
On utilise aujourd’hui encore des qualificatifs moraux pour décrire sa condition matérielle : modeste, humble. Plus généralement, la souffrance acceptée est glorifiée par le christianisme. Cette forme de lot de consolation a continué d’avoir du succès au XIXe siècle, qui a perpétué la notion du « pauvre vertueux » alors que les idées matérialistes rendaient absurdes ou en tout cas très incertaines les promesses d’une réparation post-mortem, et que les bouleversements sociaux nés de l’industrialisation (exode des campagnes vers les villes et désorganisation des structures sociales traditionnelles, accroissement de la population, précarité économique) ont favorisé plus que jamais la misère des uns et la fortune des autres. C’est dans ce contexte qu’ont été institutionnalisés les livrets de l’ouvrier, le contrôle des vagabonds et des nomades, la police moderne (avec notamment l’anthropométrie), et, que, dans les fictions, s’est cristallisée une dichotomie fondamentale entre la figure de ce qu’on pourrait appeler le « pauvre méritant » et de ce qu’on pourrait nommer le « pauvre crasseux ». Le pauvre méritant ne boit pas, il est poli, honnête, obéissant, patriote, il évite les mauvaises fréquentations et il ne réclame rien, la gratitude de son patron est sa récompense, et si on lui dit d’aller étriper et se faire étriper à la baïonnette dans des tranchées, il y va, car c’est son devoir. Le pauvre crasseux, lui, est alcoolique, négligent dans son travail, malhonnête et revendicateur. Le pauvre crasseux peut être corrigé à coup de fouet — comme chez la comtesse de Ségur par exemple —, et la moindre de ses fautes est d’une gravité absolue. C’est ce genre de vision des choses, toujours en vigueur, qui a permis l’an passé à un juge de condamner à trois mois de prison ferme un homme qui avait volé une bûche de fromage de chèvre dans un supermarché : un euro volé par un pauvre est plus grave que des millions volés par un grand bourgeois, car derrière cet euro se cache le spectre d’une remise en cause de l’ordre social.
Cette vision est toujours en vigueur, mais elle est concurrencée — peut-être par saine réaction — par l’idée qu’une victime d’injustice (racisme, par exemple) est nécessairement une bonne personne, quoi qu’elle fasse. Comme un enfant mineur ou une personne victime de handicap mental, elle n’est pas exactement comptable de ses actes.
Cette manière de voir a plus d’un inconvénient à mon sens. D’abord, elle déresponsabilise et infantilise les personnes, ce qui donne à celui qui se fait juge du bien et du mal une position de surplomb pour le moins condescendante. Ensuite, au delà des bonnes intentions qui la motivent, cette manière de voir est très fragile, car elle force ceux qui s’y accrochent à adopter des positions intenables : une moralité à plusieurs vitesses (une personne estampillée victime se voit pardonner les oppressions dont elle se rend à son tour coupable) ou une forme de déni de réalité qui transforme l’énonciation de vérités objectives en une arme politique pour les forces réactionnaires, ce qui est tout de même un comble.
Pour moi, mais peut-être suis-je paradoxalement idéaliste en le disant, comprendre le réel et chercher la vérité est plus fidèle arme du progrès, et je vais tenter de l’illustrer à l’aide de l’histoire d’Eugène Süe.
Eugène Süe
Sous la restauration, le jeune écrivain Eugène Süe, issu de la très grande bourgeoisie (il était filleul de l’impératrice Joséphine), faisait une carrière d’écrivain mondain, produisant des romans maritimes et exotiques, historiques ou moraux. Il multipliait les conquêtes féminines parmi la bonne société parisienne et, pour tenir un tel train de vie, dilapidait la fortune héritée de son père. Les romans d’Eugène Süe publiés à cette époque, même s’ils ont reçu un bon accueil en leur temps et conservent toujours une bonne réputation ne sont pourtant pas ceux qui l’auront fait passer à la postérité. Au début des années 1840, son ami Prosper-Parfait Goubaux lui soumet un défi : raconter l’existence du peuple et non plus de superficielles histoires d’aristocrates. Süe éconduit l’idée en disant : « je n’aime pas ce qui est sale et qui sent mauvais ». Mais il finit par tenter la chose : il se vêt d’une blouse et se rend dans une taverne crasseuse. Là, il assiste à une rixe, dont il rédige le récit sitôt rentré chez lui. Assez satisfait de ses premiers chapitres, il les propose à son éditeur, qui lui demande de publier son roman en feuilleton dans la presse, ce qu’il fait dans Le Journal des débats, très important quotidien conservateur.
Süe intitule son récit Les Mystères de Paris. L’introduction donne le ton : il veut montrer à quel point le peuple est vil et répugnant :
Un tapis-franc, en argot de vol et de meurtre, signifie un estaminet ou un cabaret du plus bas étage. Un repris de justice qui, dans cette langue immonde, s’appelle un ogre, ou une femme de même dégradation qui s’appelle une ogresse, tiennent ordinairement ces tavernes, hantées par le rebut de la population parisienne : forçats libérés, escrocs, voleurs, assassins y abondent. Un crime a-t-il été commis, la police jette, si cela se peut dire, son filet dans cette fange ; presque toujours elle y prend les coupables. Ce début annonce au lecteur qu’il doit assister à de sinistres scènes ; s’il y consent, il pénétrera dans des régions horribles, inconnues ; des types hideux, effrayants, fourmilleront dans ces cloaques impurs comme les reptiles dans les marais.
Le succès est fulgurant. Le pays tout entier se passionne pour les destins de Fleur-de-Marie, du Chourineur, du Maître-d’école, de la Louve, de Cécily, de la Chouette et de l’immense galerie d’assassins, de prostituées et de souteneurs qui animent le roman. C’est aussi dans ce roman que l’on trouve monsieur et madame Pipelet, des concierges pittoresques qui ne tarderont pas à devenir un nom commun : « pipelette ». Ceux qui n’achètent pas le journal font la queue pour le louer à la demi-heure, et ceux qui ne savent pas lire se font raconter les péripéties du jour par ceux qui les ont lues. Un jour, le récit s’interrompt car l’auteur est en prison pour dettes… Le président du conseil, le Maréchal Soult, ne supportant pas cette interruption, intervient aussitôt pour faire gracier Süe. Le nombre de chapitres du roman ne cesse d’augmenter.
Le personnage principal, Rodolphe, est un peu l’alter-ego d’Eugène Süe : c’est un prince de sang qui, entre deux bals, se déguise en ouvrier et adopte un parler populaire pour aller vivre dans les bas-fonds parisiens et y redresser des torts. J’aime dire que Les Mystères de Paris est une des sources du personnage de Batman6, et ce n’est pas absurde puisque le roman a été traduit, largement diffusé et massivement imité dans de nombreux pays.
Au fur et à mesure de son travail, Eugène Süe change de regard sur le peuple, il le trouve pittoresque, prête des excuses, à ceux qu’il avait d’abord entrepris de faire détester à ses lecteurs, leur permet, parfois, de se racheter. Tout au long de la publication (1842-1843), Süe reçoit des lettres naïves de lecteurs qui imaginent que Rodolphe existe bel et bien et peut les aider. Et c’est un peu ce qui se produit, car le romancier se convertit peu à peu au socialisme et utilise la tribune que lui offre chaque jour le Journal des débats pour donner son avis sur la misère et l’injustice, entre deux aventures de ses héros. Certains disent que la Révolution de 1848 doit beaucoup à la prise de conscience sociale produite par Les Mystères de Paris. Deux ans plus tard, Eugène Süe est élu député socialiste de la Seine, Le coup d’État de Napoléon III le forcera à quitter la France pour toujours l’année suivante.
Je vois au moins trois morales à cette histoire. La première est que les choses ne tournent pas toujours comme on les avait prévues, et qu’un projet réactionnaire peut se transformer en une prise de conscience progressiste. La seconde, c’est que le rapport entre fiction et réalité est quelque chose de complexe et de surprenant : chacun agit sur l’autre, chacun nourrit l’autre. Une fiction peut même agir sur son propre auteur et changer radicalement le destin de ce dernier lorsqu’il se met à croire lui-même à ce qu’il écrit. Du reste, pour qu’un récit fonctionne, pour que ses personnages soient consistants et les situations crédibles il faut sans doute qu’à un certain niveau, son auteur en soit lui aussi dupe. La troisième morale que j’en tire, et qui nous ramène à l’introduction de ce billet, c’est que la justice, le progrès, le bien-agir, n’ont rien à perdre à être confrontés à la vérité, à la complexité ou même à la laideur du monde. Et au contraire, rien n’est plus inquiétant pour ceux que l’on veut rallier à ses vues que de sembler incapable de voir ce que l’on a devant soi lorsque cela ne colle pas idéalement à ses opinions politiques. L’aveuglement, le déni, est le reproche redondant que font bien souvent ceux qui se définissent comme « de droite » à ceux qui se disent « de gauche », et la force de la famille « de droite » est effectivement de ne pas lutter contre sa propre perception — ce qui n’empêche pas cette perception d’être soumise à toutes sortes de biais qui la rendent erronée : étroitesse du bout de lorgnette, préjugés divers — mais au moins ils ne se font pas violence pour que ce qu’ils voient colle à ce qu’ils croient. En ce sens, il est peut être logique de dire que ce que l’on nomme « la gauche » est plus souvent, ou en tout cas plus volontairement idéologue que « la droite », car si les deux bords s’abusent, c’est volontairement et en fonction d’une théorie que la gauche le fait. La théorie est quelque chose d’utile pour comprendre et analyser ce que l’on ne peut percevoir depuis son point de vue singulier, pour aller au delà des apparences, au delà des clichés, pour échapper à la fausse image du réel que nous imposent volontairement ou non les médias de flux7, ou même pour inventer un futur qui n’a jamais existé. Mais le défaut de la théorie, c’est de se mettre à y croire, d’en déduire une représentation dogmatique du monde, ou de se mettre à croire que ce qui est vrai est ce que l’on a décidé de croire8. J’aime beaucoup la fiction, qui a l’honnêteté de ne pas se confondre avec le réel mais qui ne s’interdit ni de s’en nourrir ni de l’alimenter.
- Dans le registre, je me souviens d’une bande dessinée sur le blog Tu mourras moins bête dans laquelle il était question de l’afflux sanguin dans le vagin d’une femme sexuellement stimulée… Aussitôt quelqu’un est venu faire remarquer en commentaire qu’une telle description stigmatisait les femmes transgenre, qui sont nées sans vagin. Je trouve cette prévenance assez curieuse, car je doute que les femmes transgenres (assignées hommes à la naissance, comme on dit) ignore que la plupart des femmes disposent d’organes génitaux différents des leurs. Je me demande si cette apparente bienveillance envers un groupe effectivement maltraité n’est pas juste un prétexte à exercer une forme de culpabilisation à peu de frais. [↩]
- Se poser la question de savoir si La Belle au bois dormant véhicule bien une philosophie douteuse du consentement sexuel ne manque pas de pertinence et permet de déconstruire un comportement général. Il me semble dommage en revanche de ne proposer comme réponse que l’interdiction, et d’oublier que les contes, s’ils ont bien une morale, ne sont pas des modes d’emploi comportementaux, du moins pas de manière littérale. [↩]
- Je pense par exemple à l’acteur Eddie Redmayne, qui avait été vivement critiqué pour avoir interprété une personne transgenre sans l’être lui-même dans A Danish Girl, ou à Zoe Saldana, blâmée d’avoir interprété la chanteuse Nina Simone dans un biopic, non parce que ce rôle « glamourisait » la jazzwoman — ce qui me semble pour le coup effectivement problématique, Nina Simone ayant été une femme au physique assez commun tandis que Zoe Saldana correspond aux canons actuels de grande beauté —, mais à cause de ses origines ethniques, puisque Saldana, dont la famille est dominicaine, est afro-caribéenne et non afro-américaine : noire, mais pas assez, ou pas assez purement ! La polémique a été assez forte pour que le film ne puisse pas sortir en salles/ On peut comprendre ce souci de ne pas laisser n’importe quel acteur s’emparer de n’importe quel rôle si l’on se souvient de tristes caricatures racistes telles que le voisin japonais (Mickey Rooney) de l’héroïne du Breakfast at Tiffany’s de Blake Edwards (un exemple entre mille, mais qui ruine ce qui serait un chef d’œuvre sinon), ou lorsqu’on se demande s’il était utile de dépenser tant d’énergie en effets spéciaux pour faire de Charlize Theron une femme au physique banal dans Monster, alors que par définition les personnes au physique banal ne manquent pas, etc., etc. Mais la réponse à toutes ces questions ne peut pas être trop dogmatique. Le métier d’acteur ne consiste pas à n’interpréter que son propre rôle et c’est heureux ! De nombreux acteurs revendiquent le fait d’obtenir des rôles qui s’appuient non sur ce qui est censé être leur état mais sur leur seul talent, comme par exemple Peter Dinklage, qui a réussi à s’imposer en tant qu’acteur et non seulement pour jouer les personnes atteintes de nanisme. Enfin, on peut aussi prendre en compte l’intention qui se trouve derrière le jeu de l’acteur. [↩]
- Au passage, rappelons que le mot vertu vient du latin vir, le principe masculin, qui donne les mots virilité et virtuel. [↩]
- De nombreuses représentations médiévales de l’Apocalypse insistent sur le fait que des souverains seront châtiés, par exemple. Les têtes couronnées que l’on y voit châtiées ne sont pas des personnes précises en général mais leur représentation sert à affirmer que la fortune temporelle ne met personne à l’abri de la colère divine. [↩]
- L’autre source que je propose pour le personnage de Batman est Spring heeled Jack, légende urbaine britannique de la même époque, un homme qui terrorise les gens grâce à ses bonds extravagants et son apparence diabolique, qui deviendra plus tard le héros de romans à un sou (penny dreadful). Romans dans lesquels Jack, qui était au départ un malfaiteur, devient peu à peu à peu un justicier. [↩]
- La psychologie sociale a par exemple vérifié que si on regarde une chaîne d’information en continu, les nouvelles que l’on voit passer plusieurs fois nous semblent plus importantes que ce qu’elles sont en réalité, notre perception est altérée par la redondance. [↩]
- Un cas intéressant est celui des actuels défenseurs de la théorie d’une Terre plate, qui au fond savent sans doute très bien que la Terre sphérique est une réalité objective étayée par la théorie, par la pratique, comme par l’observation, mais qui revendiquent que l’on prenne au sérieux leur observation de l’apparente linéarité de l’horizon, Ce qu’ils demandent, à mon avis, c’est que l’on croie en leur existence à eux. [↩]