(article du 16/02/2011, originellement publié sur Owni. J’y prenais la défense de Christian Jacob, qui n’est pourtant pas ma tasse de thé en politique mais dont je trouvais injuste qu’on l’accuse d’allusions antisémites. J’aurais pu dire la même chose, en mars 2013, du traitement fait à Jean-Luc Mélenchon après une phrase mal transcrite par l’AFP qui, de la même manière, avait été présentée par certains comme une allusion antisémite)
Les faits : sur Radio J (une radio communautaires juive à Paris), le président du groupe parlementaire UMP à l’Assemblée nationale, Christian Jacob, a déclaré à propos de la candidature de Dominique Strauss-Kahn :
« Ce n’est pas l’image de la France, l’image de la France rurale, l’image de la France des terroirs et des territoires, celle qu’on aime bien, celle à laquelle je suis attaché ».
Un certain nombre de représentants socialistes sont alors tombés sur le râble du député, considérant que cette phrase cachait des arrières-pensées antisémites.
L’historien Serge Klarsfeld, pourtant généralement assez prudent dans les comparaisons historiques, s’est autorisé à rapprocher la phrase de Christian Jacob d’une réflexion faite par Xavier Vallat, futur commissaire général aux questions juives sous le gouvernement de Vichy, qui avait dit à Léon Blum en 1936 : « Votre arrivée au pouvoir marque incontestablement une date historique. Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain va être gouverné par un juif. » Christophe Cambadélis s’est permis la même comparaison et Pierre Moscovici a rappelé la devise pétainiste : « La terre ne ment pas. »
En l’absence de contexte particulier (on ne sait pas ce que Christian Jacob a dit avant ou après et, pour ma part, j’ignore si ce monsieur a un passif particulier dans le registre), il est difficile de comprendre comment tant de gens sont parvenus à imaginer que Christian Jacob ait pu sciemment chercher à faire de l’œil aux électeurs antisémites, ce qui serait infiniment plus coûteux que rémunérateur, politiquement parlant.
Il me semble évident que, si Christian Jacob n’aime pas Dominique Strauss-Kahn, c’est surtout parce que ce dernier appartient au parti concurrent et qu’il est jugé crédible dans le domaine de l’économie, ce qui est rare pour les personnalités réputées de gauche. Il est bien possible que Christian Jacob voie surtout Dominique Strauss-Kahn comme un haut fonctionnaire international, ce qu’il est, et un Parisien, ce qu’il est aussi (tandis que Christian Jacob est un authentique paysan, enfin il l’a été), mais s’il n’aime pas DSK et qu’il ressent le besoin de le dire, c’est évidemment parce qu’il appartient à la concurrence. Du reste, rappeler que Strauss-Kahn est, de par ses fonctions, bien loin de la France, est la ligne actuelle de ses détracteurs et, notamment, de l’UMP.
L’importance de la réaction contre Christian Jacob fait émerger des questions de civilisation intéressantes. La culture juive de France (mais pas celle de nombreux pays de l’Est ou d’Israël) est essentiellement urbaine, et inversement, les campagnes sont réputées chrétiennes et conservatrices. Je trouve amusant que le député pris à partie s’appelle Christian Jacob, puisque « Christian » est un prénom dérivé du christianisme, et que Jacob est le nom d’un patriarche de la Torah – Hugues Serraf, en commentaire à un article deSlate sur le sujet, parie d’ailleurs que beaucoup de gens pensent que Christian Jacob est juif.
Même si l’histoire justifie, et pour longtemps, une hyper-vigilance vis-à-vis des indices d’antisémitisme, je trouve la polémique ridicule, et pourtant, Zeus sait que je ne me sens pas particulièrement d’atomes crochus avec les personnalités haut-placées à l’UMP comme ce monsieur Jacob.
Ce qui m’intéresse, et que je trouve triste finalement, c’est la détestation des paysans qui transparaît dans cette affaire. Serge Klarsfeld, par exemple, a dit ceci :
« Dans une France qui n’est plus rurale, ni antisémite, nombreux sont les noms et les personnalités qui ne s’identifient pas à la France de Jean Giono et de Philippe Pétain, à commencer par le président de la République et le secrétaire général de l’UMP ».
Je ne suis pas sûr de ce que veut dire Klarsfeld à propos de Sarkozy et Copé, mais l’association entre « rural » et « antisémite », présentée comme allant de soi, est plutôt désagréable à lire, surtout de la part de quelqu’un de valeur. Quand à prétendre que la France n’est « plus rurale » ? C’est curieux, c’est dérangeant, c’est faux, mais il est bien possible que des millions de Français urbains soient persuadés que la campagne est une affaire classée.
Dans un article au second degré écrit sur Slate, Laurent Sagalovitsch affirme que Christian Jacob n’est pas antisémite et que « La France, ça se mérite. La France, ça se respire. Ça se hume. Un Français devant le postérieur d’une vache, ça pleure toutes les larmes de son cul. Un Français devant une église robuste comme un trois quarts gascon ça s’agenouille et ça remercie Le Seigneur Tout-Puissant, à s’en faire péter les cordes vocales, de l’avoir fait naître dans cette contrée bénie des dieux. » C’est du « second degré », comme on dit, mais il trahit chez son auteur une vision assez terrible de la France rurale : simplette, idiote, bigote, et donc antisémite… Ailleurs il se moque des vaches ahuries et des lignes de chemin de fer mal entretenues.
Mais voilà, la France rurale, si maltraitée, si méprisée du pouvoir jacobin, si délaissée (il ne reste que trois ou quatre gares SNCF pour tout le bucolique – et socialiste ! – département du Gers, par exemple), elle existe bien toujours. Elle produit ce que nous mangeons, ce qui nous fait vivre, elle construit le paysage, elle a fait la gastronomie française, qu’il n’est pas exagéré de présenter comme une des plus riches au monde, et pourtant elle crève à petit feu empoisonnée par les ententes entre distributeurs, par la concurrence des serres d’Almeria, par les pesticides et par le désespoir.
L’agriculture n’est pas un mauvais souvenir que l’on doit chasser, un fantôme à exorciser, c’est un des sujets les plus importants du siècle qui commence, c’est un trésor menacé que l’on doit absolument protéger. La première chose à faire serait peut-être de ne pas insulter l’intelligence des paysans : on peut aimer ses champs sans être pour autant nostalgique du Pétainisme.