Archives de catégorie : démocratie

La mode comme outil de lutte contre l’obscurantisme et comme moyen pour sauver l’éducation nationale

(L’été on a le burkini, et pour la rentrée, eh bien on a l’abaya, cette robe plus ou moins bédouine dont les éditorialistes se battent pour décider si oui ou non elle a un air musulman)

Les journalistes qui tiennent à donner leur opinion sur la signification culturelle et religieuse de ce vêtement le font en bonne intelligence avec nos responsables politiques, qui ne veulent sans doute pas rééditer le fiasco de l’an passé : on n’avait alors fait que parler des problèmes d’effectifs de l’éducation nationale, laquelle avait été contrainte à recruter ses professeurs après un entretien de quelques minutes, voire aucun entretien, comme c’est arrivé à mon fils, qui s’est inscrit par curiosité, et qui a reçu une réponse enthousiaste et positive sans avoir rencontré quiconque, et ce pour une matière autre que celle qu’il a étudiée1. Parler des deux-cent-quatre-vingt-dix-huit adolescentes qui se sont présentées en abaya à la rentrée (dont soixante-sept, qui ne devaient rien avoir prévu en dessous, ont refusé de les enlever) est moins déprimant que de se poser des questions sur les milliers (milliers !) de postes d’enseignement qui ne sont toujours pas pourvus à l’instant où j’écris — et ce malgré l’évolution démographique qui fait baisser chaque année les effectifs de plusieurs dizaines de milliers d’élèves, et malgré le bourrage des classes, puisqu’on sait que la France est le pays développé où le nombre d’élèves par classe est le plus élevé.
J’imagine que j’ai l’air de dire que l’abaya est juste un prétexte cynique pour éviter de parler de la dérive de l’éducation nationale, et quelque part je crois que c’est juste, mais je crois aussi qu’il serait un peu court de limiter la question à ça.

Un classique de l’iconographie des articles sur l’abaya : montrer des personnes qui les portent… Et qui portent aussi un hijab. J’ai du mal à ne pas croire qu’il s’agit d’une manœuvre sciemment confusionniste. La photo a été prise à Niort en 2018 et n’a visiblement aucun rapport avec le contexte scolaire. On pourrait tout à fait faire la même chose avec les chaussures de sport en disant que Nike et Adidas sont des marque halal, puisque les femmes qui portent le voile portent souvent des chaussures de sport (c’est en tout cas la statistique que je fais dans ma banlieue !).

Déjà, faisons le point sur le débat lui-même. Quand je lis ou j’écoute les gens qui s’excitent sur le sujet (et jusques à quelques personnalités absolument estimables, telle Sophia Aram), je suis frappé par une contradiction : leur défense de l’interdiction de tel ou tel vêtement est motivée par leur constat qu’il y a des pays où on contrôle le corps des femmes en leur imposant tel ou tel vêtement. Il me semble assez évident que dès lors qu’on impose ou qu’on proscrit un vêtement ici ou là-bas, il y a bel et bien une forme de contrôle, ce n’est donc pas exactement le contrôle, en soi, qui est le problème, mais plutôt qui contrôle. Bien entendu, je ne vais pas comparer l’attitude des proviseurs et les bravades de collégiennes en France avec le courage des iraniennes qui risquent la prison et parfois bien pire de la part de la police et de la justice, pour avoir osé libérer leurs cheveux, mais je suis désolé de le redire : le contraire du vêtement imposé ne peut pas être un autre vêtement imposé. Le contraire du vêtement imposé, c’est la liberté de s’habiller comme on veut.
Tout le monde peut comprendre ce que j’écris ici je pense, et bien entendu le calcul des gens qui veulent interdire tel ou tel vêtement réputé anti-laïque va au delà : ils pensent que la liberté dont certaines entendent jouir leur est en réalité imposée par la pression du quartier ou de l’imam du coin. Et ils considèrent qu’il existe une fourbe lame de fond de l’Islam politique qui s’impose, mètre par mètre, dans l’espace public français (et mondial), et qu’un de ses outils signalétiques préférés est le vêtement, et tout particulièrement le vêtement féminin. Et ce n’est pas faux, l’uniforme a toujours eu le double usage d’indiquer une fonction (et de faire passer la fonction au dessus de l’individu qui le porte), d’une part, et de produire un effet de groupe, de permettre à un collectif de se reconnaître, de se montrer, de s’affirmer. Qui dit uniforme, dit brigade, dit armée. Ce n’est pas irrationnel de s’en inquiéter, mais il faut se demander à quel moment le souci se transforme en panique, et à partir de quel moment on n’est pas en train de nourrir la menace dont on croit se défendre, ne serait-ce qu’en lui donnant l’importance qu’elle réclame : il n’est écrit nulle part qu’on est forcé de tomber dans tous les pièges !
Je rappelle que depuis l’affaire des « foulards de Creil », en 1989, les efforts de l’auto-proclamé « camp laïque » (Elisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut,…) n’ont abouti qu’à transformer une provocation localisée, une bête affaire de respect du règlement intérieur, en un phénomène national.
Quoi qu’il en soit, si le hijab est un signe assez clair d’adhésion à une pratique religieuse, l’abaya n’est jamais qu’une robe, et le sens qu’on lui prête changera forcément selon ce que l’on sait ou croit savoir de la personne qui la porte. S’il s’agit de Mlle Marie-Eugénie de Bonnefamille, de Versailles, qui rentre avec papa et maman de ses vacances à Casa où elle a acheté une belle robe brodée sur un marché pittoresque pour touristes, c’est un souvenir exotique, un semi-déguisement élégant et un vêtement confortable en temps de canicule. S’il s’agit d’une jeune femme résidente d’une cité de Seine-Saint-Denis qui a un prénom arabe et un patronyme maghrébin, ce sera jugé religieux par le proviseur qui attend à l’entrée de l’école, même si la personne qui porte la robe le fait juste parce qu’elle aime ledit vêtement. Et même si c’est une robe Gucci hors de prix, comme avec ce gentil piège posé par Cécile Duflot sur Twitter :

La semaine dernière, une jeune femme se plaignait de s’être vue refuser l’accès au lycée non pas à cause de sa robe, mais parce qu’elle portait une tunique à l’air oriental. Des journalistes de BFM lui demandaient si son but n’était pas de « cacher ses formes », formule qui désormais signifie « être soupçonnable de sympathie envers Daech », alors que dans d’autres contextes, c’est juste un prétexte à articles de magazines féminins (« quelle robe pour cacher ses formes quand vous avez une morphologie en O ? »). Au passage, croire qu’il suffit qu’un vêtement soit ample pour dissimuler la morphologie de la personne qui le porte est d’une grande ignorance.
Une autre jeune femme « musulmane d’apparence », comme disait l’autre, s’est vue interdire de rentrée pour avoir porté un kimono. Je suis sûr que mes deux filles sont déjà allées à l’école en kimono. L’aînée, désormais, vend ce genre de vêtements2. Mais elle s’appellent « Lafargue », pas « Lahbib ». Et mon petit doigt me dit que ça change tout. On aura du mal à faire passer ça pour autre chose qu’une injustice.
Rappelons-nous enfin que le sujet même de l’adolescence, en tant qu’étape de la vie, c’est de trouver où placer le curseur entre affirmation individuelle et conformité à un groupe, que quand on est adolescent, on se cache3 parfois, on se sur-montre parfois (ah, ce jour où je suis arrivé au collège en m’étant volontairement rasé la tête pour ma constituer une crête punk approximative !), on se donne une contenance en adhérant à un mouvement musical ou pourquoi pas à une religion ou un syndicat lycéen, on se crée une personnalité en se rebellant contre l’autorité, en adhérant à une autorité, en étant cynique, en clopant (franchement plus grave que l’abaya), en rejetant le monde des darons,…
C’est sans fin. Avec les faux-positifs, les vains chipotages (à partir de quelle ampleur la manche d’une robe devient-elle « obscurantiste » ?), la réponse mécanique à des provocations punkoïdes, le jeu de cache-cache (le bandana…), les autorités scolaires ne peuvent que se ridiculiser (en mesurant la longueur des robes à l’entrée de l’établissement, comme à l’époque yéyé !) ou sombrer dans des impasses logiques qui ne lancent in fine qu’un seul et unique message (sans que ce soit forcément intentionnel) : « les arabes, dehors ! ».
Et même sans aller jusque là, ils envoient un message assez confus sur la nature de la laïcité comme sur celle du féminisme. Laisser accroire que les droits humains, la démocratie, le féminisme et la laïcité sont des marques déposées par le monde occidental est une imposture mortifère : ces valeurs n’existent que par ceux qui les font vivre. Par charité, je ne reviendrai pas sur l’instrumentalisation obscène de la mémoire de Samuel Paty.

Je reprocherais leur hypocrisie aux gens qui affirment interdire un vêtement à d’autres gens dans le but de les émanciper. L’émancipation par l’interdiction est une absurdité logique complète, et il vaudrait mieux enfin assumer qu’il ne s’est jamais agi d’autre chose que d’une forme de concurrence, la question n’étant pas de contrôler ou non les corps mais de décider qui les contrôle.
En éducation, chaque fois que l’on sévit, que l’on s’énerve, c’est le signe qu’on est débordé. Ceux qui ont été parents doivent comprendre ce que je veux dire : la véritable autorité s’impose sans autoritarisme, la fermeté des principes s’impose sans surjouer l’intransigeance, et, ajouterai-je en vil anarchiste, les limites de la liberté n’ont de valeur que si l’on se les donne volontairement, si on se les impose parce que le raisonnement, l’expérience, l’éthique personnelle, nous ont prouvé leur valeur.
Mais même si on ne comprend pas bien l’intérêt de la liberté d’autrui aussi bien qu’on comprend la valeur de sa propre liberté, il faut être conscient que les règles imposées n’ont d’utilité organique que si elles sont claires. Et « l’abaya », visiblement, ça ne veut pas dire grand chose : il en existe plein de modèles — on est loin de l’affreux niqab synthétique noir —, et puis aucune interprétation d’aucun hadith ne fait de l’abaya un vêtement plus essentiellement musulman qu’un survêtement de sport, une chemise de nuit ou une robe folklorique de villageoise européenne. Bien sûr, il existe des pays où l’abaya est un vêtement imposé aux femmes, et il n’est pas du tout impossible ‒ c’est même probable — que parmi les jeunes femmes qui tiennent à arborer ce vêtement il s’en trouve beaucoup pour lui donner un sens religieux, ou plutôt, pour manifester leur engagement religieux. So what. Un peu de sang-froid. Je me demande si le sens de ce vêtement, porté par certaines, n’a pas un sens plus culturel que religieux, si ça n’est pas une manière de revendiquer son origine : « vous ne voulez pas nous voir, eh ben on est là ».

Je ne suis pas connu comme un spécialiste du vêtement, alors je suis allé rechercher des images d’abayas sur un site de fast-fashion tristement célèbre. Je note une grande variété de coupes, de motifs,… Je ne sais pas si je peux distinguer la gandoura du caftan, le burnou de la djellaba, la chemise de nuit de la robe un peu mémère… Est-ce que les « videurs » placés à l’entrée des écoles seront plus pointus que moi dans le domaine ?

Je crois que le problème de la séquence « abaya » est surtout celui de l’école (on y revient !), symboliquement décrédibilisée par sa tutelle4, mais à qui on demande de gérer tous les malheurs de la France : l’emploi ; l’incivilité ; l’intégration de français de troisième génération ; la poussée de l’Islam ; la ghettoïsation des quartiers ; l’inégalité entre les citoyens ; la perte du sentiment de citoyenneté5… Et s’il reste un peu de temps, on lui demande d’instruire.
Comme rien ne semble fonctionner, on brandit la menace de l’autorité, on se dit qu’on réglera tout en imposant un uniforme aux écoliers, en supprimant les allocations familiales aux parents des gamins à problèmes, en « revenant aux fondamentaux », quoique ça veuille dire, en refusant l’innovation pédagogique, en ajoutant des heures de corvée administrative et du temps de présence sur site aux enseignants, en raccourcissant les vacances, en imposant l’étude aux écoliers des quartiers difficiles… enfin bref, si l’on excepte les punitions corporelles, à peu près toutes les démonstrations de force imaginables ont été proposées. Et pour se défausser, les gouvernements affirment, grands nombres à l’appui, que jamais l’école n’a coûté aussi cher aux français. Persuadé pour ma part que la plupart des députés seraient incapables de poser une règle de trois (l’absurdité du tour que prennent les débats liés aux questions techniciennes écologiques le prouve constamment) ou que leur connaissance de l’Histoire est pour le moins approximative, bien qu’ils soient tous allés à l’école, je suis d’accord : l’instruction nationale n’a pas été un très bon investissement, et ce depuis longtemps, sauf si on se souvient de son utilité première : enfermer les enfants aux heures où leurs parents sont à l’usine (mais y’a plus d’usines !).

Comme on n’y croit plus, qu’on ne sait plus comment sauver l’école, et comme on n’a pas le temps de chercher à comprendre ce qui ne peut plus fonctionner comme avant, comme on n’a pas le temps de bien travailler — à la décharge des politiciens, je suis forcé de constater que le travail de fond n’a jamais été récompensé en termes de votes —, eh bien on montre sa fermeté en interdisant une robe.
Piteux.

  1. Ne vous inquiétez pas pour mon fils : il a finalement renoncé à devenir enseignant contractuel bouche-trou, voyant les conditions proposées et sachant que l’institution maltraite au moins autant ses agents que ses usagers. []
  2. J’en profite pour faire la publicité de la brocanta japonaise de ma fille, qui s’appelle Tanpopo. []
  3. J’ai lu que les collégiens ou lycéens de l’année du covid avaient été nombreux à apprécier le masque ou la visio-conférence. []
  4. Quand le ministère de l’éducation nationale a annoncé que les professeurs contractuels allaient être recrutés en catastrophe et de manière catastrophique, il s’est tiré une balle dans le pied, rendant douteux les futurs enseignants avant même leur prise de fonction — et je dis ça bien que persuadé que le fait d’être un bon enseignant est loin de n’être qu’une question de formation et de concours : recruter des amateurs, pourquoi pas, mais communiquer de cette manière a été une vraie erreur. []
  5. Au passage, s’indigner de la « montée du communautarisme » quand on regroupe des populations sur critères sociaux voire ethniques, qu’on les enclave, qu’on dégrade les services publics de leurs quartiers et qu’on les renvoie à leurs origines en permanence, on produit exactement ce qu’on dénonce. []

Experts et profanes

Il y a quelques jours, Yann LeCun s’est moqué du complexe de supériorité d’Éric Sadin, philosophe médiatique qui s’est fait une spécialité de distiller un discours technocritique alarmiste. Yann LeCun, récipiendaire du Prix Turing et directeur de la recherche chez Méta/Facebook est une personnalité proéminente du domaine de l’Intelligence artificielle, dont le bond technologique récent lui doit beaucoup.

Ici, LeCun n’égratigne pas que Sadin, mais aussi une certaine fatuité intellectuelle française, ce qu’il s’autorise en tant que français lui-même. Il s’est par la suite justifié sur cette saillie qui a fait grincer bien des dents (mal brossées, bien sûr, on connaît la réputation des français) : « It is a joke directed at a category of philosophers that much of the world associates primarily with French schools of thought: philosophers who are angry at aspects of the world they dislike and who view their ideological opponents as intellectually inferior ».

Il faut dire que Yann LeCun répondait ici à l’invention par Éric Sadin du néologisme « Yannlecunisation », ici employé comme synonyme du mot « crétinisation ». On pouvait imaginer plus pacifique prémisse à un échange intellectuel de la part de Sadin !

Régulièrement, Éric Sadin explique devoir renoncer à des table-rondes médiatiques au sujet de l’Intelligence artificielle car on veut lui y imposer la présence d’experts du domaine. Il faut dire que ses opinions s’appuient sur un socle largement spéculatif, qui ne tiendrait pas nécessairement le choc face à des personnes disposant d’une connaissance de l’état de l’art effectif de l’Intelligence artificielle.
En fait, il aimerait qu’aucun expert ne soit jamais invité :

Il est tellement convaincu de l’importance de son propre tweet qu’il le retweete !

La chose ne manque pas de sel lorsque des scientifiques tels que l’ami David Monniaux notent qu’une chaîne du service public peut organiser un débat entre six participants autour de l’Intelligence artificielle sans s’imposer d’y faire figurer une seule personne spécialiste du domaine :

La question me semble très compliquée. Et en même temps assez simple.
Il est d’une part évident, d’un point de vue démocratique, disons, que tout le monde doit avoir le droit de se constituer une opinion et de l’exprimer. Y compris les profanes. Et y compris les gens qui savent de quoi ils parlent.
Il me semble tout aussi évident que l’on n’est pas forcé, et qu’on est même parfois mal avisé, de vouloir avoir une opinion tranchée sur des questions que l’on ne connaît qu’en surface, par préjugé ou par ouï-dire. Mais la psychologie sociale l’a observé : moins on en sait et plus on est sûr de soi.
Rappelons cette belle pensée :

Science is the belief in the ignorance of the experts.

Richard Feynman


D’un autre côté, les experts peuvent avoir eux aussi des torts et des biais. Le plus évident, mais peut-être pas le plus fondé, est le soupçon qu’ils soient juges et parties : si votre vie professionnelle dépend d’un certain domaine d’activité, le succès économique de ce domaine est votre intérêt direct. On sait le rapport fondamental qu’entretient le monde technologique à sa propre légende, à son storytelling, à ses fantasmes (dont le chercheur en IA est cependant moins dupe que les gens qui signent des tribunes alarmistes sur le sujet). Plus embêtant, les experts peuvent se trouver engagés dans des guerres de territoire (financements, statut universitaire, concurrence industrielle…) qui échapperont généralement aux journalistes et a fortiori au public candide.
Enfin, quand on plane à 20 000 pieds, on n’a pas toujours l’envie ni même la capacité de s’adresser à ceux qui sont au sol. C’est un problème bien connu dans l’enseignement supérieur, où certains immenses scientifiques peuvent manquer de pédagogie lorsqu’on les place face à des étudiants en début de cursus.

Reste que c’est souvent de l’échange entre personnes aux niveaux d’expérience et de connaissances diverses que sont susceptibles d’émerger de bonnes réponses aux grandes questions.

Oui, j’enfonce un peu les portes ouvertes.

Manès et les manuels

Je n’ai vraiment rien à reprocher à Manès Nadel, je trouve au contraire enthousiasmant de voir un adolescent aussi engagé, fougueux et éloquent, et ma foi, s’il y a parfois des naïvetés dans son discours, elles sont le privilège même de son âge. Je doute avoir été aussi brillant, intelligent et passionné à quinze ou seize ans. Et je trouve assez beau, dans le monde actuel, de croire encore en quelque chose et de croire pouvoir agir sur l’avenir. À l’inverse, je juge un peu piteux les adultes qui insultent les Manès Nadel et les Greta Thunberg, qui voient en eux d’affreux petits robots téléguidés par des parents irresponsables, et qui radotent en nous racontant qu’eux, au même âge, s’intéressaient plutôt à la drague qu’à la politique, etc. Laissez les gens avoir les seize ans qu’ils veulent !

Bien sûr, si je regarde derrière l’épaule du jeune syndicaliste lycéen et que j’essaie d’imaginer son avenir en vertu de mon expérience — ça c’est le privilège de mon âge à moi —, je lui imagine un destin semblable à tous ceux qui ont avant lui été très actifs dans des mouvements lycéens ou étudiants : il deviendra un Manuel Valls, un Nicolas Sarkozy, un Julien Dray, enfin un professionnel de la politique, formé dès sa jeunesse à prendre la parole de manière péremptoire et autoritaire, qui saura ensuite continuer de le faire au service de ses idées puis, à mesure qu’il faudra se faire élire, au service de n’importe quel discours. Et lorsqu’il acceptera de devenir ministre pour la présidente Marie-Pauline Maréchal-Bardella ou pour le président Eudes-enguerrand Sarkozy, il expliquera qu’il ne trahit en rien ses idéaux et qu’au contraire ce sont ses anciens camarades de lutte qui ont perdu le sens, qui ne sont pas constructifs, qui ont des méthodes et une vision archaïques, et blablablablabla.

Mais peut-être que ça ne se passera pas ainsi, ne soyons pas fatalistes, ne soyons pas déterministes, toute personne a, après tout, le droit d’échapper à son propre cliché !
Et c’est bien la question aujourd’hui, car j’ai eu un peu de mal à souscrire à la fin de ce tweet :

Bien entendu, que l’école dysfonctionne n’est pas une bonne chose, même si j’ai peu d’avis sur ce que doit être le troisième trimestre normal d’une classe de terminale. Ce qui me heurte, évidemment, c’est de lire que les lycéens victimes d’un manque de cours vont être envoyés « dans des filières technologiques condamnant leur avenir ».
Peut-être parce que je suis moi-même issu d’une filière technologique, ce que je considère comme une excellente chose à bien des égards, je n’ai pas pu m’empêcher de répondre :

Mais ma réponse n’a pas reçu de réponse, et ce n’est pas étonnant, car le tweet de départ a écopé d’un déluge de réponses, parfois assez agressives (« petit merdeux », « p’tit con », « petit bourgeois »), émanant de gens qui pointaient le mépris de classe, mais aussi des réponses bienveillantes qui se contentaient d’affirmer qu’il était faux de dire que les filières technologiques condamnent l’avenir de ceux qui y sont envoyés, et ceci à grand renfort de témoignages personnels.
Je sais d’expérience qu’il est assez violent de recevoir d’un coup des milliers de tweets de contradicteurs, et qu’il est matériellement impossible d’y répondre correctement, et je ne peux pas reprocher au jeune homme de l’avoir mal fait, mais voici ce qu’il a écrit :

Un peu insultant pour tous ceux qui avaient pris la peine d’être un peu pédagogues ou amicaux (« d’habitude je suis d’accord avec toi mais… » ; « on t’adore Manès mais là tu dis une connerie » ; etc.) et qui se retrouvent assimilés à des « cyberharceleurs » de « la droite macroniste ». On voit en tout cas le germe du politicien : au lieu de demander qu’on l’excuse d’avoir formulé sa pensée un peu vite, il « persiste et signe », ce n’est pas lui qui s’est mal exprimé, c’est nous qui avons mal compris, ce qui au passage ne l’empêche pas de reformuler légèrement le propos : cette fois il parle des élèves envoyés dans le technique contre leur gré. Ce rattrapage est bienvenu, même si c’est un peu un tour de passe-passe, mais je tique malgré tout sur la forme :

Je t’en donnerai, moi, de la droite macroniste ! Enfin je ne veux pas en faire trop au sujet de Manès Nadel, car justement ce n’est pas lui le sujet, et je ne peux évidemment que souscrire à la question des gens « orientés » (comme on disait de mon temps) contre leur gré dans des filières qui ne les intéressent pas.
En lecteur d’Ivan Illich, pour qui l’école l’école ne servait que fortuitement à apprendre1, je me dis malgré tout que les gens qui ne sont « envoyés » nulle part, ceux qui restent dans la filière générale, ne sont pas forcément volontaires non plus. Ils sont là où ils sont un peu par défaut. En « S » parce que « ça mène à tout », même s’ils ne s’intéressent pas aux sciences et comptent sur les compensations et la chance pour passer leur bac de justesse ; en « L » parce que ça a l’air plus facile, et tant pis s’ils n’ouvrent jamais un livre. Leur situation est-elle vraiment bonne pour ce qu’ils vont apprendre, retenir, ou juste pour des raisons symboliques extérieures ? Quoi qu’il en soit, je plains les collègues enseignants du secondaire qui se retrouvent face à un public qui ne s’intéresse pas à ce dont on lui parle, que ça soit dans la filière générale ou non.

Ce qui m’a fait réagir, c’est que quelqu’un qui se considère comme membre du camp du progrès social se fasse le relais de deux poncifs bien installés dans les consciences françaises. Le premier de ces poncifs date de l’ancien régime, et c’est l’idée aristocratique (et désormais bourgeoise puisque les bourgeois à leur tour ont rejeté leur origine) que ce qui est technique, ce qui est manuel, est méprisable. En France, il est moins honteux d’être rentier que d’être plombier. Il est moins honteux de profiter que de travailler. Et les professions immédiatement indispensables à la société ou à l’économie sont moins valorisées que celles dont l’utilité est moins immédiate2, et même moins valorisée que les professions parasites3.

vu sur Internet

Le second cliché délétère, et auto-réalisateur, c’est cette idée là encore très française, que toute la vie d’une personne se joue pendant son parcours scolaire. Que rater un trimestre, perdre une année, être envoyé dans une filière dévalorisée, sont en quelque sorte des marques d’infamie que l’on va porter sa vie entière, irrémédiablement. Or ce n’est vrai que tant que tout le monde y croit et tant que le système le valide et l’entretient4. Le fait qu’il ne soit pas facile administrativement de reprendre des études, de changer de secteur d’activité, par exemple, c’est un choix, pas une fatalité. Même le discours actuel sur les retraites présente chaque personne comme éternellement membre d’un corps professionnel précis. Et ces choix technocratiques ne font que pérenniser une réalité bien plus dérangeante, qui est que le parcours d’une personne est moins déterminé par l’école qu’il ne l’est bien avant, parfois même avant de naître, par notre milieu d’extraction, par le quartier où nous vivons. Il est assez beau et très positif que les enseignants croient au pouvoir de l’éducation (et parfois du reste ça marche, on peut grâce à l’école vivre une existence meilleure que prévu), mais cela fait reposer sur eux une charge trop lourde et pourrit leurs rapports avec l’opinion, avec les parents, avec les élèves, et avec une institution scolaire un peu dépassée.
On peut apprendre l’orthographe ou la trigonométrie une fois adulte, on peut comprendre à quarante ans un livre qui nous ennuyés au lycée. On peut apprendre et progresser tout au long de son existence. Et d’un point de vue rationnel, on n’a même que ça : notre futur n’est pas écrit, contrairement à notre passé.

Ayant à la fois un tropisme scandinave5 et ayant pu profiter d’une université volontairement accueillante pour les non-bacheliers, je crois sincèrement que l’idée que chacun ait sa chance n’est pas qu’un conte véhiculé par les politiciens ultra-libéraux pour faire passer les privilèges volés pour le fruit d’une forme d’excellence, c’est aussi une chose que chacun de nous peut participer à rendre vrai, notamment en évitant de plaquer des clichés déterministes sur ceux qui n’ont pas eu le parcours le plus droit et le plus banal.

  1. Lire : Une Société sans école (1970) ou La Convivialité (1973). L’un et l’autre ont vieilli, mais restent diablement intéressants ! []
  2. Un chercheur en physique fondamentale apporte beaucoup au monde, mais s’il arrête de travailler une semaine, on s’en rendra moins compte que dans le cas d’un éboueur. []
  3. Parasites au sens où leur activité est consacrée à profiter du travail d’autrui. Mais rappelons que, comme dans la nature, les parasites ont souvent une utilité malgré tout. []
  4. Au passage, je dois noter trois problèmes véritables de l’enseignement techniques. Le premier, c’est ce dont on parle : il est brandi comme une punition, et non comme l’opportunité d’apprendre. Le second, c’est qu’il manque parfois un peu de moyens pour être en phase avec l’actualité des métiers (mais ça dépend énormément des métiers). Le troisième, c’est que les formations sont presque toutes fortement genrées, et le déséquilibre sexuel, notamment dans les filières jugées masculines, crée une ambiance particulière. []
  5. Mes oncles ont tous fini leur carrière dans des métiers du tertiaire, alors que l’un a été marin avant l’âge qu’a Nadel Manès, un autre était réparateur automobile si je me souviens, et le troisième, sportif : je ne crois pas qu’ils se soient considérés comme « transfuges », qu’ils aient eu honte d’avoir un père artisan… leur vie professionnelle et leurs préoccupations ont évolué avec l’âge… Il semble en tout cas qu’en Norvège, changer de monde professionnel ne soit pas une bizarrerie. []

Back to the future

Dans ma ville, je suis tombé sur ce panneau publicitaire qui annonce comme grande et belle nouvelle un retour aux prix des années 2000. Les références iconographiques sont un peu approximatives : un dégradé bleu-violet un peu crépusculaire, un horizon lumineux, un damier en perspective, le mot « années » écrit avec une typo « néon », autant de détails qui nous ramènent plutôt aux années 1980, ou bien à leur ricochet des années 2010, l’esthétique Synthwave/Vaporwave.
La Game Boy Color et le téléphone cellulaire Nokia 3310 qui sont évoqués sont pour leur part tout à fait typiques de l’année 2000, même si le style des dessins ne l’est pas forcément. Le slogan, enfin, nous promet que nous pouvons revenir, pour une durée limitée, à un passé mythique, celui où le menu Big Mac valait 6 euros.

Utiliser les années 2000 comme référence est étrange, car si le prix d’un menu était sans doute moins cher à l’époque qu’aujourd’hui (je ne mange pas dans ces restaurants-là, je n’en ai aucune idée !), notre rapport à l’argent du début des années 2000 est un peu confus puisque c’est le moment de la transition entre euros et francs (2002-2005). Au delà de ça, les années 2000 sont aussi la période d’une certaine désillusion face à l’avenir : en France, l’extrême-droite parvient pour la première fois au second tour de l’élection présidentielle, et géopolitiquement, les attentats du 11 septembre et les guerres menées par George Bush au Moyen-Orient, ou encore la seconde intifada en Israël/Palestine (pour ne parler que des conflits auxquels on a été attentifs ici) nous ont rappelé que la fin de la Guerre Froide n’était certainement pas, pour reprendre le mot célèbre de Francis Fukuyama, « la fin de l’Histoire ». Les années 2000 sont celles d’un monde qui patine, qui s’embourbe dans le repli identitaire, qui voit s’éloigner les promesses de progrès humain, de loisirs et de prospérité partagée que l’on avait faites à ma génération et aux précédentes sous le label « an 2000 ». En l’an 2000 il n’y aurait plus de guerres, ; en l’an 2000 l’Humanité serait unie ; en l’an 2000 on allait vivre centenaires ; en l’an 2000 les machines travailleraient pour nous.

Juste derrière le panneau d’affichage photographié plus haut, on trouve un panneau « libre-expression » situé perpendiculairement, où les associations et les organisations politiques ou syndicales, notamment, viennent coller leurs affiches. Dans ce cadre, suivant l’actualité de la réforme des retraites bien sûr, le parti « France Insoumise » a produit les deux affiches que voici :

Je dois dire que j’ai été saisi par la parenté chromatique : slogans en jaune et en blanc sur des fonds dégradés bleu-violet.
On me dira à raison que ces couleurs ne sont pas inattendues sur les affiches de ce groupe politique puisqu’elles correspondent à la très officielle charte graphique de la France Insoumise depuis la dernière élection présidentielle (avant cela, les couleurs de base étaient un bleu un peu turquoise et un orangé « rouille »).

Mais tout de même, cette parenté chromatique entre les deux campagnes de communication m’interpelle. Je ne vois pas comment étayer sérieusement cette intuition, qui n’est que l’ébauche d’une amorce d’entame de début de réflexion, mais je me demande vraiment si il n’y a pas aussi, si absurde que cela puisse paraître, une parenté dans le message, et donc, une parenté dans la cible desdits messages, car le citoyen votant-manifestant est, après tout, aussi un client-consommant, et si McDonald’s et la France Insoumise ont a priori des buts très différents, il est possible que les gens à qui ils s’adressent soient pour partie les mêmes.
Et si, donc, ces choix esthétiques exprimaient effectivement l’envie d’un retour en arrière, non pas un retour à un âge d’or mythique, mais à une époque moins cynique, qui croyait que l’avenir ne se résumait pas à la morne gestion d’un déclin ?

À propos de la réécriture des livres de Roald Dahl

Je vais commencer de péremptoirement et synthétiquement en disant ceci : altérer les textes de Roald Dahl pour éviter toute notion qui risquerait d’offenser ses lecteurs est idiot.
Je ne cours pas un risque énorme en écrivant ça, car je n’ai pas vu grand monde en France prendre la défense de cette manœuvre due à l’éditeur Puffin (le label jeunesse de Penguin books) et à la Roald Dahl Story Company.
Et à présent, la version longue.

Bien entendu, toute œuvre peut véhiculer un vocabulaire problématique ou devenu problématique1, ou des représentations plus ou moins venimeuses. Par exemple, dans Charlie et la Chocolaterie, l’obésité morbide du petit allemand Augustus Gloop est clairement reliée à son caractère d’enfant-roi, qui refuse d’apprendre et de travailler, et qui, encouragé par sa mère, considère que sa seule vocation est la gloutonnerie. Dans l’idée de l’auteur il s’agissait évidemment de sanctionner le consumérisme et la passivité. Or on sait désormais que l’obésité n’est pas une question de moralité, qu’on n’arrange rien en la traitant comme un défaut de caractère, comme un manque de volonté face aux excès, etc., qu’il y a des facteurs génétiques, psychologiques, endocriniens, des questions de flore intestinale ou de diététique, et que tout cela crée une authentique souffrance sociale, en sus des problèmes de santé qui en résultent souvent. Et que les œuvres qui culpabilisent l’obésité renforcent sans doute cette souffrance sociale. Il faudrait demander à des personnes souffrant d’obésité morbide comment elles reçoivent de telles représentations, mais je n’ai aucun mal à imaginer qu’elles puissent éprouver de la peine ou se sentir stigmatisées, même si ce n’est sans doute qu’une goutte d’eau dans l’océan de micro-agressions qu’elles subissent.
De même, parler de sorcières qui ne pensent qu’à tuer les enfants et dont la caractéristique principale est l’absence de cheveux peut faire de la peine aux femmes qui souffrent d’alopécie à la suite d’un empoisonnement, d’une chimiothérapie ou autres causes, et renforce même un cliché dérangeant sur les femmes qu’on a persécutées en tant que sorcières au Moyen-âge et à la Renaissance, et qu’on accusait souvent de sacrifices d’enfants.
Le mot « Crazy », aussi, pose le problème de la perception des troubles psychiatriques ; le mot « Queer » (bizarre) a désormais pris un sens revendicatif pour la communauté LGBTQ (le Q signifiant Queer) ; etc.

La beauté ou la laideur sont des réalités bien injustes, mais Roald Dahl nous console en nous disant que la beauté et la laideur intérieures rayonnent à l’extérieur, ce qu’illustre ici très efficacement Quentin Blake. Comme le disait un ami sur Facebook, on se demande comment une telle page pourra être édulcorée par des sensitivity readers qui pourchassent des notions injustes telles que « beau » ou « laid ».

Bref, peut-être que la littérature de Roald Dahl est problématique à d’innombrables égards. Mais si c’est le cas, la solution n’est pas de changer un mot sur deux, d’en réécrire des pans entiers2, de modifier les illustrations de Quentin Blake3, et tout ça sous l’autorité d’un comité de sensitivity readers bien intentionnés. La solution, c’est de publier autre chose. C’est de publier des auteurs actuels, avec leur sensibilité actuelle, et qui soient eux-mêmes soucieux de savoir ce que des personnes victimes de stéréotypes divers ressentiront à la lecture de leurs textes. La pratique du « sensitivity reading », si elle est réclamée par des auteurs, est une forme de collaboration éditoriale qui d’une certaine manière a toujours existé4. Mais si l’auteur ne participe pas au processus, alors on est bel et bien dans une forme de censure, mais plus grave encore, dans une réécriture du passé. Et à ce compte-là, autant écrire autre chose plutôt que de faire perdre tout relief à une œuvre existante. Pour celui dont on parle, chuchoter n’est guère moins blessant qu’insulter.
Évidemment, s’il s’agit juste de changer un mot parce qu’il est clairement devenu impossible à lire pour les lecteurs actuels, et qu’il trahit même la pensée d’un auteur qui ignorait que le mot qu’il a choisi serait un jour un épithète raciste, on peut discuter. Mais s’il s’agit de tout changer, alors autant laisser tomber, ou autant demander à d’autres auteurs — de vrais auteurs, pas des commissaires politiques —, de proposer leur propre version du récit, comme on le fait régulièrement avec les mythologies antiques ou avec les histoires de super-héros.
Et puisqu’il existe une abondante littérature jeunesse, je dirais aux parents que si des livres leur semblent véhiculer des choses problématiques, alors il faut en offrir d’autres à leurs enfants !

Au passage, comme j’ai mauvais esprit, je me demande toujours si ce genre d’opération tapageuse (« nouvelle traduction », « version réécrite ») ne constitue pas de la part des éditeurs historiques et des ayant-droits un moyen rusé pour relancer les années de copyright sur une œuvre dont l’auteur est décédé. Je m’explique : Roald Dahl étant décédé en 1990, ses œuvres entreront dans le domaine public, selon le droit britannique, en 2060 (1990+70 ans). Mais la Roald Dahl Story Company, qui gère les droits de Roald Dahl et qui vient d’être acquise par Netflix, peut signer les textes réécrits en tant que personne morale (l’auteur n’est plus une personne physique), et faire courir leur copyright jusqu’en 2143 ! (2023+120 ans, la durée du copyright pour les sociétés dans le droit étasunien). Plus de 80 ans de gagnés !

Le « no angel » fait notamment référence à l’antisémitisme revendiqué de Roald Dahl, mais aussi à un point plus personnel pour Rushdie : au moment de l’affaire des Versets sataniques, l’auteur de James et la pêche géante avait traité Salman Rushdie de provocateur et d’opportuniste. Trois décennies, plusieurs attentats (sur des traducteurs, éditeurs, défenseurs divers) et un œil en moins plus tard, Salman Rushdie défend pourtant les livres de Roald Dahl contre leur réécriture. On peut saluer la qualité du geste de la part de quelqu’un qui serait particulièrement fondé à garder une forme de rancune envers Roald Dahl.

Il reste une question plus générale liée à la littérature même. Chaque période, chaque champ culturel, a sa sensibilité propre, c’est une évidence, et les représentations que produit chaque époque, chaque milieu, sont liées à cette sensibilité. Personne n’aurait l’idée, dans un livre destiné à la jeunesse aujourd’hui, de montrer un petit gitan espagnol qui fume des cigarettes et gagne sa vie en chantant dans les rues et en nettoyant le sang des vêtements d’un toréador. Mais j’ai eu un tel livre !
Les lecteurs ne sont pas si bêtes, ceci dit, leur lecture fonde peut-être leur sensibilité, en partie, mais c’est aussi leur sensibilité, la sensibilité de l’époque, les références familiales, qui font qu’ils auront conscience du décalage culturel et temporel, qu’ils sauront transposer le récit, l’expurger mentalement de détails parasites, en se disant que l’époque devait être différente. Ce sera même l’occasion d’apprendre ou de comprendre un peu d’Histoire des mentalités — et nul besoin d’être un lecteur aguerri, pour cela, car les enfants ne sont pas bêtes… Et surtout, leur intelligence de lecteurs ne peut être fondée que sur le fait d’avoir lu des choses qu’il a fallu comprendre, transposer, des choses qui les ont poussés à se poser des questions.
Creusons encore plus loin la question : dans les récits qui nous ont marqué, et particulièrement les contes — le genre dont relève la littérature de Roald Dahl —, ne sont-ce pas les détails qui nous ont inquiétés, dérangés, dégoûtés, effrayés, dont nous nous souvenons le plus vivement ? Le conte de Peau d’âne, dans lequel un père cherche à épouser sa propre fille, est sans aucun doute assez dérangeant5, mais en faire une nouvelle version expurgée de toute notion d’inceste serait absurde, puisque cet élément est central dans le récit (et à aucun moment une banalisation de l’inceste !). On peut en dire autant de milliers d’autres contes. Est-ce que tout lecteur doit être traité comme incapable de recul envers un récit, un auteur ? Est-ce qu’une littérature peut vraiment ne rien remuer, ne provoquer ni bon ni mauvais sentiment ? Ne produire ni interrogations, ni circonspection ? Est-ce qu’une littérature, en essayant d’être parfaitement et idéalement correcte, en s’imposant de ne véhiculer que de bons sentiments, n’en devient pas une forme plate de propagande idéologique ? Propagande du bon côté de la force aujourd’hui, mais quelle différence de méthode lorsque cette propagande véhicule l’idéologie d’un régime nationaliste ou bigot6 ?…

  1. À commencer par tous les mots décrivant des phénotypes liés à une origine ethniques, qui sont parfois aussi devenus des injures, pas besoin de donner d’exemples je pense ! []
  2. Dans The Witches, par exemple, « You can’t go round pulling the hair of every lady you meet, even if she is wearing gloves. Just you try it and see what happens » devient : “Besides, there are plenty of other reasons why women might wear wigs and there is certainly nothing wrong with that.” []
  3. J’ai lu que ça faisait partie des changements, mais je n’ai pas vu d’exemples. []
  4. Par exemple quand l’éditeur Hetzel a proposé à Jules Verne que le capitaine Nemo ne soit pas un polonais russophobe mais un indien anglophobe, ou quand Joseph Medill Patterson a suggéré à Harold Gray de changer le sexe du petit orphelin dont il voulait raconter les aventures, qui est donc devenu Little Orphan Annie. []
  5. Personnellement je n’ai pas lu Peau d’âne à mes filles ! []
  6. Même perpétrés au nom d’une grande et belle cause, une oppression reste une oppression, un outrage reste un outrage, et n’oublions jamais que « les méchants » se considèrent rarement tels, et ont au contraire souvent le sentiment d’être du côté de la justice, de la raison, de la vérité. []

Soupe aux croûton

Deux jeunes femmes ont jeté de la soupe à la tomate sur un Van Gogh et ont collé leurs mains avec de la super-glue sur les cimaises de la National Gallery, et tout cela afin d’attirer notre attention sur 1. les menaces subies par la nature du fait notamment du réchauffement climatique, 2. le fait que des gens n’ont même pas de quoi se payer une boite de soupe à la tomate. Et enfin 3. le fait que nous nous indignons plus facilement pour le destin d’un tableau que pour la fin du monde.

Fun fact : Just Stop Oil s’attaque à la National Gallery alors même qu’un autre collectif, Art not Oil, a obtenu la fin de partenariats financiers entre les compagnies pétrolières et de nombreuses institutions culturelles : Tate, la Royal Shakespeare Company, la National Portrait Gallery (dont le prix du portrait était doté depuis trente ans par BP), le Southbank Centre, les National Galleries écossaises, etc. et même… la National Gallery de Londres. Bref, le musée n’est pas vraiment récompensé de son souci, peut-être tardif mais apparemment réel, pour les questions environnementales !

Bonne nouvelle, le tableau était protégé par une vitre, on a eu peur pour rien, ha ha ha on vous a bien eus, très drôle, allez, arrêtez de faire cette tête, on faisait semblant, c’était pour rire. Bon, bien sûr, un coup d’éponge ne suffira pas, le verre va devoir être démonté afin de vérifier l’état du cadre et l’éventuelle infiltration de matière organique entre la surface de la peinture et la vitre, puis remonté. Mais il faut bien que le personnel des musées s’occupe.

Bon. J’ai déjà évoqué ce mode d’action du collectif Just Stop Oil dans un précédent article, je ne vais pas y revenir, ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est la réception de cette action (la plus médiatisée à ce jour je pense) et les arguments donnés.
Tout d’abord, ma propre réception : je trouve ça bête. Je trouve ça bête parce que le lien symbolique entre la cause défendue et le résultat me semblent assez peu évidents et maîtrisés. Je viens de retourner voir mon commentaire sur Facebook, il était assez court : « Pfff… ». Notez, s’il faut situer mon point de vue, que je me soucie fortement d’écologie, et que c’est même ma motivation principale pour voter depuis deux bonnes décennies, mais aussi que je me soucie de création artistique, ma profession étant même précisément d’accompagner des talents artistiques. Je ne me sens donc pas concerné par une quelconque mise en balance qui opposerait l’Art à la préservation de la Nature, je crois qu’il n’y a à aucun moment de raisons de choisir l’un contre l’autre. Et je demande à entendre ce que diront des réfugiés pakistanais dont la maison a été emportée par une inondation lorsqu’on leur expliquera qu’on s’occupe d’eux à Londres en jetant de la soupe sur un Van Gogh.

Van Gogh a fait de nombreuses versions de ses tournesols. C’est celle-ci que l’on peut voir à la National Gallery de Londres. Beaucoup de gens parlent du prix de cette peinture, qui serait de 84 millions de dollars, nombre indécent bien sûr, mais le tableau ayant été acquis comme donation par le musée il y a un siècle, il n’a jamais valu ce prix, n’a pas coûté une telle somme au contribuable britannique, et fait partie d’un trésor commun à tous les citoyens du pays…

Bien sûr, je comprends en partie le geste : il est absurde et dérisoire, parce qu’il résulte d’une forme de désespoir, parce que rien ne marche. Pendant les années 1970 et 1980, on pouvait accuser les services de relations publiques de l’industrie pétrolière et de l’industrie automobile d’avoir habilement masqué une réalité pourtant connue de longue date (je relisais L’Autre côté du rêve, d’Ursula Le Guin, publié en 1972, l’autrice y évoquait largement le réchauffement climatique lié à l’activité humaine, et c’est loin d’être l’unique occurrence à l’époque), mais depuis une décennie ou deux, tout a changé, les scientifiques climatosceptiques ont vu leurs arguments largement démontés, et leur honneur réduit à néant lorsque l’on a constaté des cas indiscutables de corruption. Aujourd’hui, ce n’est plus le manque d’information qui explique l’inaction, c’est bien plus grave que ça, c’est l’impossibilité à penser des solutions, car nous vivons dans un monde bouché : nous sommes captifs de nos habitudes de consommation, nous sommes conscients de notre incapacité à adopter des comportements individuels qui aient un effet parmi sept milliards d’autres humains (j’y pense et puis j’oublie, c’est la vie c’est la vie), et nous sommes souvent conscients de l’indécence qu’il y a, depuis les pays développés, à demander à ceux qui accèdent à la consommation et au confort de faire les efforts que nous n’avons jamais faits nous-mêmes et continuerons de ne pas faire.

Dans la série The Good Place (attention je raconte la fin), le Paradis est vide, tous les trépassés sont envoyés en Enfer, car avec la complexité de notre monde, personne ne peut dire qu’il ne fait rien de mal : nous polluons, nous exploitons, nous tuons. Nos esclaves ne sont pas dans notre maison, ils fabriquent nos vêtements en Thaïlande ou au Cambodge ; nos guerres ne se déroulent pas sous nos yeux mais pour notre confort (pétrole pour l’automobile, coltan pour le téléphone mobile,…) ; nos déchets ne sont pas dans notre jardin mais envoyés en Inde ou en Afrique ; etc.

Le monde est d’une complexité impossible à embrasser, même mentalement, l’état de la planète est déjà largement dégradé et le resterait encore des siècles même si demain on corrigeait radicalement notre mode de vie. Même les plus expéditifs « y’a qu’à » sonnent faux dès qu’on étudie bien la question : le Nucléaire produit des déchets et l’uranium est en quantité finie ; le solaire ou l’éolien posent d’immenses problèmes de conservation de l’énergie, de rendement, de maintenance et de fabrication des équipements ; supprimer les pièces jointes des e-mails ne change en vérité rien à la consommation électrique d’Internet ; etc. Tout ce que nous savons, ce n’est plus que nous ne savons rien, c’est que nous ne savons pas quoi faire. Dans ce cadre, un geste gratuit, désespéré, peut se comprendre. Mais comme le militantisme repose sur l’illusion d’être utile, ce n’est pas dit comme ça par les organisateurs. C’est revanche assumé par beaucoup de ceux qui les défendent : « S’adresser au cerveau, ça fait cinquante ans qu’on essaie, et qu’on s’entend dire qu’on est des illuminés. Quoi qu’on fasse on nous dit que c’est inutile, donc face au désespoir, autant faire des choses dénuées de sens, à défaut d’être utile, ça défoule ! » (je résume et condense plusieurs choses lues).

J’ai aussi eu droit à des procès d’intention : « vous pensez qu’un tableau est plus précieux que la planète ». Ben non. Si en brûlant toute l’œuvre de Vincent Van Gogh on était sûr de sauver la planète, il n’y aurait pas à réfléchir, je serais le premier à parcourir les musées avec une hache. Mais je sais, et tout le monde sait, que ça ne changera rien, qu’un tel sacrifice n’a pas d’utilité et que ce n’est pas parce qu’il y a des tableaux dans les musées que le monde se meurt.
Pour avoir dit ça, je me suis fait appeler « boomer » (les baby-boomers, en démographie, ce sont plutôt mes parents mais passons) « qui a profité et qui ne veut pas assumer les conséquences » (ah, si vous le dites !), « qui est indifférent à l’état de la planète » (certainement pas !) et qui « ne propose rien de mieux [que de jeter de la tomate sur un vieux tableau] ». Sur le tout dernier point, je plaide coupable, je ne fais rien mais je remarque que des personnes qui ne font pas rien ont elles aussi exprimé leurs doutes sur la forme de l’action militante, ainsi François Gemenne, politologue spécialiste des questions politiques consécutives aux effets du réchauffement climatique, qui s’est fendu d’une suite de tweets désespérés dont je retiens cette citation : « (…) deux jeunes activistes ont décidé que tout ça ne servait à rien, et que pour alerter l’opinion publique et la presse, c’était plus efficace de jeter de la soupe sur un tableau (…) Leur ‘performance’ a surtout conduit à aliéner une bonne partie du public à la cause du climat. Un public indécis que nous essayons de convaincre depuis des années. Jamais je n’ai reçu une telle gifle en pleine figure. Jamais je n’ai ressenti un tel mépris pour mon travail ».

La flotte grecque n’arrive pas à se rendre à Troie car les vents lui sont défavorables, par la faute du roi Agamemnon qui a un jour froissé la déesse Artémis. Pour apaiser cette dernière, il se résout à sacrifier ce qu’il a de plus cher ou à peu près : la vie de sa fille Iphigénie.

Je me demande s’il n’y a pas un fond sérieux chez ceux qui mettent en balance l’art et la planète. S’il ne s’agit pas de la même pulsion qui menait nos prédécesseurs antiques à sacrifier des vierges ou des trésors pour apaiser les Dieux. Un de ces calculs tordus qui semblent avoir existé dans d’innombrables cultures humaines et qui (je tente l’hypothèse), s’explique peut-être en psychologie évolutionniste, comme toute superstition sans doute : puisqu’il faut parfois faire des sacrifices cruels pour améliorer une situation, la notion de sacrifice est (si j’ose dire) gravée en dur dans nos cerveaux, ce qui nous pousse à croire que le sacrifice a une vertu en lui-même, indépendamment de tout calcul rationnel. Amputer son propre bras coincé dans un piège pour pouvoir se dégager, c’est rationnel. Douloureux mais rationnel. Aider à mourir les personnes âgées qui ralentissent une tribu nomade, c’est rationnel. Cruel mais rationnel. Jeter une pièce dans une fontaine en faisant un vœu ou laisser dehors une assiette de gruau pour attirer sur sa ferme la sympathie du « petit peuple », c’est certes inoffensif mais avant tout parfaitement irrationnel. Enfin presque, car ça indique tout de même une volonté, un engagement, qui peuvent s’accompagner d’actions nettement plus logiques.
Quand on me dit « ça ne sert peut être à rien d’envoyer de la soupe sur Van Gogh mais au moins ça défoule », j’ai du mal à ne pas penser aussi aux observations (peut-être un peu datées, je ne connais pas l’état de l’art de la neurologie) d’Henri Laborit sur le stress : selon lui, face à un stress (état causé par un problème persistant), le cerveau peut retrouver sa quiétude, son état de fonctionnement optimal par exemple en résolvant le problème, mais aussi en le fuyant, ou enfin, par l’agression. Taper sur quelqu’un permet autant d’évacuer un stress que résoudre la cause de ce stress !

Mon oncle d’Amérique, par Alain Resnais, illustre les théories d’Henri Laborit. Ici, deux rats qui sont contraints à subir des chocs électriques réguliers sans pouvoir rien y faire ne dépérissent pas car il leur reste une action : s’agresser mutuellement.

On m’a dit que l’important n’était pas que l’action soit symboliquement pertinente, mais qu’elle fasse parler. C’est le fameux « Qu’on parle de moi en bien ou en mal, peu importe. L’essentiel, c’est qu’on parle de moi ! » de Léon Zitrone. Sur ce point j’ai une objection forte : ça fait parler, certes, mais parler de quoi ? Du changement climatique ? Je me permets d’en douter. On parle des formes du militantisme, de l’état du tableau agressé, mais pour le reste, personne ne va changer d’opinion au sujet du climat.
On m’a aussi dit que je ne comprenais rien. Et que tous ceux qui trouvent idiot de jeter de la soupe sur un tableau ne comprennent rien.
Une fois n’est pas coutume, je m’autoriserai à me réclamer de ma casquette d’enseignant, non pas en tant que spécialiste de la pédagogie, ce que je ne suis pas (les enseignants du supérieur n’y sont généralement pas formés), mais plutôt en faisant le bilan de mes succès et de mes échecs dans le domaine. Je crois pouvoir affirmer, fort de cette expérience, que quand la personne à qui on explique ne comprend pas ce qu’on lui explique, c’est souvent qu’on explique mal. Et quand c’est toute une assemblée qui ne comprend rien, il est même certain que le problème n’est pas le manque d’intelligence ou d’attention des personnes à qui on s’adresse. Ça peut être que ce qu’on cherche à expliquer réclame un long développement (il faut en savoir des choses pour arriver à comprendre une notion en physique des particule…). Et ça peut être aussi tout simplement qu’on n’est pas intelligible.
On m’a dit que j’étais ignorant : « Vous êtes en train d’étaler aux yeux du public votre méconnaissance de l’action Stop Oil ». Là aussi, c’est en tant qu’enseignant que je rappelle que le remède à l’ignorance existe, que ce n’est ni le mépris, ni l’insulte, ni le surplomb, c’est l’instruction.
Mais au fait, est-ce que le but est bien d’édifier le public ? N’est-ce pas juste de créer du clivage, de tracer la frontière entre le camp du bien et le camp du mal ? Le militantisme écologiste est souvent accompagné du sentiment de vertueuse supériorité de certains de ses tenants : leur cause, c’est leur chose, leur raison de haïr le voisin qui n’agit/pense pas pareil. Mais sur ce sujet précis, c’est complètement absurde, nous sommes tous dans le même navire, nous sommes tous le problème et peut-être tous la solution, ça devrait pas être un concours.

Vincent Van Gogh peignant ses tournesols (enfin une de ses x toiles avec des tournesols), par Paul Gauguin.

Bon, je peux continuer longtemps à égrener mes arguments, ou à dire que la connaissance et la création, l’art et la science, font partie des rares choses qui confèrent sa beauté et sa valeur à notre espèce, et qu’il est dommage de les prendre précisément pour cible. Certains objecteront que l’art est bourgeois, superflu, inutile, non-productif. C’est vrai, et l’art est même par essence anti-naturel : art, artefact, artifice… Je ne crois pas que cette considération fasse partie du kit rhétorique de Just Stop Oil, mais certains l’ont émise malgré tout.

Je finirai avec ce « bingo » assez pénible, qui met sur un même plan tous les arguments (de la blague à l’insulte, du préjugé anti-jeunes aux réflexions construites et informées) qu’ont pu donner les personnes critiques de l’action de Just Stop Oil :

Je trouve ce genre de « bingo » de plus en plus horripilant car il n’est pas très honnête, il place sur un même niveau des opinions qui n’ont aucun lien, et laisse accroire que toute critique ou toute remarque fait partie d’un même ensemble. Ce qui implique aussi qu’aucune critique ne mérite d’être entendue, que toute observation qui n’est ni passionnément favorable (ni au moins démagogiquement indulgente) est par essence malveillante et opposée à la cause défendue. Soit on est d’accord, soit on se tait, quoi. Et puisque la cause est grande, puisqu’elle est immense (le Monde !) alors les moyens employés, les tactiques, la stratégie, l’efficacité, l’effet, sont des questions qu’il est presque indécent d’évoquer.

Je remarque pour ma part qu’on pourrait faire un « bingo » exactement réciproque en compilant les arguments qui célèbrent l’action de Just Stop Oil : « y’avait une vitre alors apprends à te renseigner avant de t’indigner » ; « toi même tu en parles, tu vois que ça marche » ; « tu crois qu’un vieux tableau est plus intéressant que le climat ? » ; etc.
Mais aura-t-on avancé pour autant ?

Lire ailleurs : Contre Van Gogh, deux activistes du climax, par Jean-Marc Adolphe.

« Islamophobie » n’est pas un terme illégitime

Un des thought-terminating clichés favoris du Printemps républicain et assimilés est de dire que l’Islamophobie est un néologisme inventé par les mollah iraniens (ou dans d’autres versions, par les Frères musulmans) afin de museler toute critique de l’Islam1, c’est à dire d’entretenir un flou entre une forme de rejet et d’hostilité envers des personnes, d’une part, et le légitime exercice de la liberté d’expression que constitue la critique d’une religion et de ses dogmes d’autre part.
Cette étymologie ne tient pas la route, les premières acceptions du mot Islamophobie, tout comme Islamophilie, datent du début du XXe siècle, ainsi qu’on peut le vérifier avec Google Ngram.

Les occurrences de Islamophobie et Islamophilie entre 1900 et 2000, selon Google Ngram (qui observe l’utilisation de mots dans deux siècles de textes imprimés…). Le mot Islamophobie connaît bien sûr un essor incommensurable au XXIe siècle, mais il est inexact de prétendre qu’il n’existait pas auparavant.

Mais quand bien même le mot serait récent, et quand bien même les mollahs auraient utilisé le terme comme arme rhétorique déloyale, le mot est ontologiquement légitime : en français, on peut ajouter le suffixe -phobie aux mots que l’on veut. Leur sens sera immédiatement compréhensible et transparent, il désignera une peur déraisonnable de ce que décrit le mot. Ensuite, c’est au concept de faire preuve de sa pertinence. Je peux inventer la « pomelophobie » pour décrire la peur panique des pamplemousses, et le mot existera sitôt que je l’aurai écrit (ça y est, il existe !), mais si personne nulle part n’éprouve une telle peur, le mot que j’ai forgé restera une coquille vide. Ce n’est sans doute pas le cas du mot Islamophobie.
Pour qu’un mot en -phobie soit utile, il faut bien entendu s’entendre sur le radical qui précède le suffixe. Je suis forcé d’admettre que c’est une tâche complexe avec le nom Islam, qui peut désigner la religion mahométane en tant que dogme révélé, mais aussi en tant qu’organisation (théologiens, imams, fidèles, pratique) voire en tant que civilisation2. Sans compter les arrières-pensées post-coloniales et le racisme anti-maghrébin qui brouillent encore un peu plus la question, sans oublier les arrières pensées socio-économiques, puisque, dans l’imaginaire français en tout cas, l’Islam est une religion liée aux classes populaires et aux banlieues défavorisées. En centre-ville, la floraison des hijabs, des kamis et des kébabs me semble souvent perçu comme une forme de déclassement.
Si l’on veut des mots précis pour discerner les différents types d’islamophobie (stigmatisation des personnes versus critique de la religion elle-même) eh bien il faut les inventer et non réclamer que le mot en usage, si vague et imparfait qu’il fût, soit proscrit. Mais y en a-t-il vraiment besoin ? Souvent, les gens qui réfutent la pertinence même du mot Islamophobie ne mettent pas un très long temps à l’illustrer, se révélant spontanément soucieux d’expliquer tout ce qu’ils n’aiment pas dans l’Islam et chez les musulmans, qu’ils présentent souvent comme les agents non-pensants d’un texte vieux de 1 400 ans dont on les soupçonne ne de retenir, au fond, que les plus odieux passages. Les gens qui craignent les musulmans expliquent souvent qu’en Islam, il ne saurait y avoir de séparation entre le dogme religieux et la vie politique. Or chaque religion, et c’est le cas de l’Islam évidemment, a eu des franges qui défendaient une position totalitaire (où tous les aspects de l’existence seraient sous la coupe du texte sacré), et d’autres qui se sont battues contre cette idée à coup de grands arguments théologiques.
Souvent, quand on méprise une catégorie de personnes3, on en pense les membres incapables de distance face à leurs lectures. C’est visiblement comme ça que les Musulmans sont vus : des littéralistes qui, comme par hasard, auraient surtout lu les versets qui appellent au meurtre. On ne dit pas ça des juifs ou des chrétiens, dont les textes sacrés contiennent eux aussi des passages assez gratinés… Pour ma part je me contenterais de dire qu’il est dommage de parier que les tous croyants choisissent systématiquement de croire en ce qui est le plus discutable dans leur religion.
Quand on évoque le fait que ce sont les hommes qui font leur religion et non les textes, ceux que le monde musulman inquiète se rabattront sur des arguments culturels, civilisationnels, montrant que pour eux, religion et personnes sont un tout. Et justifiant donc le caractère flou du mot « islamophobie ».

Comme beaucoup de gens, de simples vidéos ou photographies de personnes suspendues en altitude peuvent provoquer chez moi une sensation physique très forte de vertige, tout comme le simple fait de me tenir debout sur un bête tabouret. Sachant l’absence de danger réel, cette sensation n’est pas complètement rationnelle. Néanmoins, la chute depuis une certaine altitude est une cause d’accidents ou de décès, alors l’acrophobie (la peur des hauteurs ou du vide) s’appuie sur une crainte fondée, qu’elle exacerbe.

Le suffixe -phobie nous ramène à une maladie psychologique : une peur qui se manifeste de manière irrationnelle ou en tout cas excessive. Avoir peur d’une araignée venimeuse n’est pas irrationnel. Craindre une petite araignée qui court sur le mur est disproportionné. Ne pas parvenir à fermer l’œil parce qu’on sait qu’une araignée s’est trouvée dans la même chambre deux jours plus tôt est excessif et peut amener à des comportements néfastes pour soi-même. En 2016, on n’avait jamais vu un burkini sur une plage française (preuve en est que la presse utilisait des photos de catalogue pour illustrer le sujet), mais toute une partie des médias en ont débattu âprement pendant tout l’été. Là, on touche à la déraison. Plus pernicieux, je me souviens de l’époque où l’Observatoire de la Laïcité se faisait taxer de laxisme face à l’Islamisme lorsqu’il se contentait de rappeler le droit et expliquait que non, telle ou telle brimade ciblée envers les musulmans n’était pas contenue dans la loi de 1905 : un rappel à la loi républicaine était jugé anti-républicain ! L’excitation a malheureusement payé et abouti à la dissolution de l’Observatoire, entourée d’une jubilation suspecte. Là aussi, on peut parler d’une forme de rejet et d’excitation déraisonnables. Quant à la surprésence médiatique du sujet de l’Islam, la constitution de débats nationaux basés sur de minuscules affaires (l’employée d’une crèche privée qui s’est mise à porter le hijab, une boulangerie qui ne vend plus de jambon…), elle mène à une obnubilation malsaine et stigmatise toute une population à qui on semble constamment dire qu’elle ne pourra jamais être française de plein droit4.
Il est paradoxal, ou au contraire très logique, que ce soient ceux qui sont obsédés par l’Islam qui affirment que le mot Islamophobie devrait sortir du dictionnaire5.

Bien entendu, après Khomeini, après les versets sataniques, après le 11/9/2001, après Mohammed Merah, après Charlie Hebdo, l’Hyper Casher, le Bataclan, Samuel Paty,… La peur de l’Islam et des musulmans est étayée par des éléments rationnels, puisqu’il y a effectivement des musulmans qui, au nom de leur religion, sont prêts à faire beaucoup de mal à ceux qui se mettent en travers de leur route — notamment des musulmans, rappelons-le, premières cibles des islamistes —, qui veulent établir un pouvoir temporel brutal motivé par leur interprétation des textes religieux, et qui à défaut d’établir la théocratie de leurs rêves, veulent semer la terreur. Eux aiment l’Islamophobie : elle est la résultante de leur action et donc, la preuve de leur pouvoir, et sans doute aussi un bon carburant pour motiver leurs futures recrues qui éprouvent l’injustice d’être brimées ou simplement dénigrées du fait de leur appartenance réelle ou présumée à la communauté musulmane.
Qu’une femme battue par des policiers en Iran pour avoir choisi de montrer ses cheveux en public se sente ou se dise islamophobe n’est pas irrationnel : elle paie cher ce que la religion qui s’impose à elle a de pire.

Bref, par quelque bout qu’on le prenne, l’Islamophobie existe, il ne suffit pas de refuser le mot pour faire disparaître la réalité qu’il recouvre.

  1. Exemple avec Caroline Fourest dans le chapitre Le Piège du mot Islamophobie de l’ouvrage La Tentation obscurantiste, éd. Grasset 2005. []
  2. On trouve des juifs ou des chrétiens parmi les philosophes islamiques, donc islam (avec un i minuscule) peut être entendu en tant que civilisation et non en tant que dogme religieux. []
  3. C’est une chose qui m’a frappé en travaillant sur la question de la censure, notamment de la bande dessinée : personne ne réclame qu’on l’empêche, lui, d’accéder à une œuvre, mais beaucoup la réclament en pensant à ceux qu’ils jugent comme étant des esprits faibles : enfants, femmes, membres des classes populaires. []
  4. On a beau jeu, après avoir traité toute une population comme un bloc et l’avoir parfois ostracisé, de s’émouvoir qu’elle se replie sur une forme de communautarisme. []
  5. Islamophobie est dans le Larousse et le Robert, et est défini par les deux comme une « Hostilité envers l’islam et les musulmans ». Le mot est aussi utilisé par le Conseil de l’Europe et par d’innombrables associations dédiés aux droits humains : Mrap, Amnesty, Ligue des droits de l’Homme, et jusqu’à la très laïcarde Fédération nationale de la Libre pensée. []

Just stop oil painting

Au Musée du Louvre, le 29 mai 2022, travesti en femme âgée sur un fauteuil roulant, un jeune homme s’est subitement levé pour envoyer une tarte à la crème en direction de la Joconde de Léonard de Vinci. Alors qu’il se fait escorter par des agents de sécurité, le jeune homme explique sa motivation : sauver la planète.

« Pensez à la Terre, il y a des gens qui sont en train de détruire la Terre, pensez-y (…) Tous les artistes pensez à la Terre. C’est pour ça que j’ai fait ça. Pensez à la planète. »

L’identité du vandale n’a pas été officiellement révélée, pas plus que les éventuelles suites judiciaires à son action1, mais il s’agirait (on m’a dirigé vers lui, mais j’avoue avoir du mal à le reconnaître) d’un youtubeur de faible notoriété qui, à en croire son profil, « rêve d’être acteur » et « exerce l’humour ». Ses vidéos ne traitent jamais d’écologie, on peut donc supposer qu’il s’agissait avant tout d’accéder à la célébrité en s’en prenant au tableau le plus célèbre du monde et en se réclamant d’une cause plutôt consensuelle2. Je note que le jeune homme n’a pas communiqué ensuite sur ce coup d’éclat, et ça n’est pas étonnant car on ne peut pas dire qu’il soit très marquant : le discours militant est pour le moins évasif (« pensez à la planète », ça sonne un peu comme « parlez-en à votre médecin »), la portée symbolique du geste est pauvre, l’événement est anecdotique (pas de dégâts irréparables, et tant mieux, et puis ce n’est pas la première fois que quelqu’un s’en prend à des tableaux, ni même à ce tableau précis…).
Ici, donc, l’engagement militant semble assez superficiel.

Les militants de Just Stop Oil, la main collée au cadre de la Cène de Léonard de Vinci. Je n’ai vu nulle part de mention du type de colle employé, mais sur cette image issue d’une vidéo, on voit le tube, minuscule, ressemble fort à celui des colles Everbuild au cyanoacrylate, qui collent instantanément, et sont toxiques. J’espère que ces gens savent de qu’ils font !

Il en va tout autrement avec l’épidémie d’actions de militants pour le climat dans des musées britanniques depuis le 29 juin dernier. Leur mode opératoire le plus courant consiste à se coller une main au cadre d’une peinture célèbre : les Pêchers en fleurs de Van Gogh à la Courtauld Gallery, une copie de la Cène de Léonard de Vinci à la Royal Academy, et ainsi de suite : National Gallery, Kelvingrove Art Gallery, Manchester Art Gallery,…
Cette action non-violente et sans danger pour les peintures, due au collectif Just Stop Oil, est destiné à réclamer un arrêt pur et simple des projets d’exploitation pétrolière et gazière. Sur les murs ou sur le sol du musée, ils peignent des slogans à la bombe.

En voyant les photos, j’ai l’impression qu’il ne s’agit pas de bombes de peinture émaillée, comme celles qu’on utilise pour la carrosserie des automobiles ou les tags, mais de bombes de marquage, comme on en utilise dans la construction. Ces peintures s’enlèvent assez facilement, mais leur composition n’en est pas moins polluante. Le liant est composé d’huiles minérales (pétrole, bitume, houille), les solvants sont des mélanges « d’hydrocarbures aliphatiques et d’esters », je ne sais pas ce que c’est mais ça ne semble pas être de l’eau, et le gaz propulseur est un mélange d’Isobutane et de propane. Si l’isobutane est un gaz employé en substitut à divers gaz à effet de serre, le propane, lui, est obtenu lors de la distillation du pétrole brut.
Je dis ça, je dis rien.
Le collectif n’agit pas que dans des musées. Avec une pertinence autrement plus forte, ils ont par exemple perturbé des courses automobiles. Les « sports mécaniques », où des véhicules à essence font des tours de piste pour revenir à leur point de départ me semblent difficilement justifiables dans le contexte actuel.
Au passage, je me demande si le rapport entre la peinture et le slogan « just stop oil » a été réfléchi, car je ne peux m’empêcher de noter ici qu’il s’agit de peintures à l’huile, et le mot « oil » désigne bien entendu le pétrole, bien sûr, mais aussi l’huile, et, comme en Français du reste, peut être utilisé comme synonyme de « peinture à l’huile ».

La Charrette de foin, de John Constable, est un des plus grands classiques de la peinture anglaise. Il y a quelques années, il avait déjà servi à une autre démonstration militante : un membre des Fathers4justice avait collé une photo d’enfant sur la peinture afin de sensibiliser les législateurs aux droits paternels.

À l’exception du choix de la Cène (le dernier repas des apôtres, qui symbolise peut-être ici l’imminence d’une catastrophe ?), les peintures choisies sont toujours des paysages. Et ce choix, quoi qu’on pense du mode d’action, est intéressant. Car le pétrole, l’automobile, a un impact majeur non seulement sur la qualité de l’air, sur le climat, mais aussi sur le paysage3. Sur le paysage visuel comme sur le paysage sonore.
C’est ce qu’ont cherché à démontrer deux jeunes activistes le 4 juillet à la National Gallery. Avant de coller leurs mains au cadre du tableau, ils ont posé sur La Charrette de foin, de John Constable, des lés de papier sur lesquelles était imprimée une reproduction altérée du célèbre tableau. On y voit des usines fumantes, une route bitumée et, dans le ciel, des avions.
On pourrait (et du reste ça a déjà été fait plus d’une fois) s’emparer d’innombrables classiques de la peinture de paysage et les réactualiser de la même manière pour montrer ce que nous ne voyons plus : la laideur du monde bétonné, goudronné, bruyant, encombré de véhicules. Le cerveau humain est plastique, il s’habitue à tout, il se lasse de tout, alors ce qui peut nous aider à voir ce qui ne va pas aujourd’hui, c’est peut-être de comparer, d’avoir sous les yeux à la fois notre présent et notre passé4. Les artistes peuvent tenir le journal du temps, exactement comme l’ont fait les paysagistes qui partaient sur le motif aux siècles passés, ou décrire un idéal de beauté, comme le faisait Claude Gellée dit « Le Lorrain » dans la campagne romaine. Et ils peuvent même spéculer sur l’avenir en nous avertissant de ce vers quoi nous allons.
Tout ça, ce sont des choses pour lesquelles l’art peut aider.

En 1796, alors qu’il était en charge de l’aménagement du nouveau musée, le peintre Hubert Robert a peint plusieurs vues imaginaires de la grande Galerie du Louvre. Certaines de ces vues montrent le Louvre en ruines, comme une paisible évocation de la vanité des ambitions humaines, que le temps rattrapera toujours. Pas de discours particulier sur l’écologie, bien entendu, mais aujourd’hui des artistes, des cinéastes, des romanciers et même des auteurs de jeux vidéo produisent des œuvres autour de ce thème : qu’allons-nous laisser derrière nous ?

Pour justifier leurs actions, les activistes de Just Stop Oil ont un discours un peu ambivalent. Ils disent à la fois que c’est le moyen qu’ils ont trouvé pour attirer l’attention, et on peut admettre que ça fonctionne, mais si c’est l’unique but, alors pourquoi les musées ? Et pourquoi pour cette cause ? Si la seule justification est la publicité, alors n’importe quelle ONG, n’importe quel groupe peut envahir un musée pour défendre une cause, bonne ou mauvaise, d’ailleurs. Ils disent aussi qu’ils veulent parler de la beauté du paysage, et de ce qui la menace : que sera la Provence telle que peinte par Van Gogh quand le pourtour méditerranéen sera un désert ? Pourquoi pas, ici au moins on voit le rapport. Ils disent enfin des choses telles que5 : « On ne veut pas faire ça à cette merveilleuse peinture mais on le fait parce qu’on est terrorisés par le futur » ou encore « Cette peinture fait partie de notre patrimoine mais ce n’est pas plus important que les 3,5 milliards d’hommes, de femmes et d’enfants qui sont déjà en danger en raison de la crise climatique ». Ou enfin « on ne peut pas s’attendre que [les jeunes] respectent la Culture alors que leur avenir est menacé ». Dans ces propos je lis un mélange de revanche (le musée, truc des vieux qui ont pourri le monde) et d’un principe d’équivalence assez tordu qui rappelle les spéculations de cour de récré : « tu préfères manger du caca ou te faire couper un bras ? » ; « tu préfères un tableau ou des humains ? ». Mais jamais nulle part on n’a eu à faire un tel choix !

Dans sa communication, le groupe Just stop oil recourt souvent à une comparaison pour se justifier : en mars 1914, juste avant le début de la guerre, la Suffragette Mary Richardson a massacré, au hachoir, la Vénus au miroir de Diego Velázquez, dans le but de protester contre les conditions de détention d’une de ses camarades de lutte, Emmeline Pankhurst, que l’on forçait à s’alimenter malgré sa grève de la faim. Le tableau, qui venait assez récemment d’entrer dans les collections nationales, était alors extrêmement médiatisé. Le geste, très brutal bien sûr, n’était pas gratuit : tandis que les femmes se voyaient refuser d’être des citoyennes à part entière, la tradition artistique faisait (et persiste à faire, du reste) de leur nudité des objets de contemplation, tout comme la société contrôlait (et contrôle encore) leur corps par la loi, les injonctions sociales ou le regard. Les positions idéologiques, théoriques, philosophiques, sont une chose, mais notre rapport aux images est à mon sens bien souvent animiste : s’en prendre au dessin d’une figure, d’un corps, ça ne peut être anodin. Dans ses textes, Richardson a écrit avoir voulu « détruire l’image de la plus belle femme du monde » (Vénus) afin de protester contre la « destruction du plus beau personnage du monde moderne » (Emmeline Pankurst). Je ne sais pas à quel point Just Stop Oil maîtrise la référence, mais d’une part, toutes les suffragettes n’ont pas soutenu les actions destructrices de ce genre — je ne saurais dire si ce coup d’éclat a joué dans l’accès au droit de vote des britanniques, juste après guerre —, et d’autre part, Mary Richardson s’est fait défavorablement connaître quelques années plus tard pour un autre engagement : fascinée par les chemises brunes, elle est devenue militante (et importante responsable) du parti fasciste britannique (British Union of fascists), qu’elle n’a quitté, après deux ans, qu’en constatant que les positions féministes du mouvement n’était pas aussi sincères qu’elle l’avait espéré. C’est la seule chose qui la gênait.

La section féminine du parti fasciste britannique saluant Oswald Mosley, le fondateur du mouvement. Mary Richardson expliquait avoir été attirée par les chemises brunes du fait de leur colère, de leur sens de l’action, de leur loyauté, autant de valeurs qu’elle avait connues lors de son engagement féministe. Mais c’est en voyant que ses amis fascistes se faisaient attaquer « sans raison » qu’elle en est venue à les admirer, notamment parce qu’ils répondaient à la violence par la violence, et qu’ils frappaient fort.
Notons que Sylvia Pankhurst, la fille d’Emmeline Pankhurst (décédée à l’époque), avait critiqué le ralliement aux chemises brunes de Mary Richardson.

Quoi qu’il en soit, on aura du mal à me convaincre que des démonstrations spectaculaires dans des musées servent vraiment la cause du climat : les militants, habitués à accepter que les fins soient décorrélés des moyens, justifieront l’action ; les amateurs de peinture s’indigneront ; les automobilistes continueront d’utiliser leur automobile, et les sociétés pétrolières, de leur fournir du carburant. A-t-on jamais convaincu quelqu’un de l’intérêt d’une cause en lui marchant sur le pied ? Puisque les problèmes environnementaux concernent tout le monde, on peut difficilement faire l’économie de convaincre tout le monde de leur urgence. Et de convaincre en s’adressant au cerveau plutôt qu’avec des gesticulations hasardeuses.

  1. J’ai lu quelque part qu’il avait 36 ans et avait été admis en psychiatrie juste après son geste, mais sans détails, et il semble que le Louvre ne veuille pas communiquer sur la question. []
  2. L’écologie est une cause consensuelle, car si, certes, peu de gens sont pressés de sacrifier leur confort pour le bien de la planète, peu de gens se présentent clairement comme des adversaires de l’écologie. []
  3. Le paysage n’est pas la nature, c’est le point de vue d’un observateur sur la nature, et la manière dont la nature est aménagée pour ce point de vue. C’est le point de rencontre entre le naturel et l’artificiel, entre nous et ce qui nous environne,… []
  4. Détail amusant : Constable n’avait pas réussi à vendre sa Charrette de foin la première fois qu’il l’a présentée. Peut-être qu’en 1821, ce qui nous semble pittoresque aujourd’hui était trop banal pour intéresser le public. []
  5. Traduction & synthèse par bibi. []

Ronger son frein, à nouveau

Il y a cinq ans, au second tour de l’élection présidentielle, j’étais allé voter contre Marine Le Pen. Et donc, pour son concurrent. Je l’ai fait parce que même si je ne souscrivais pas à la vision économique d’Emmanuel Macron (vision que l’on peut résumer à une évaporation progressive des services publics — processus qui est du reste « en marche » depuis 1986), je savais que celui-ci n’allait pas chercher à conforter le racisme, le sexisme ou encore l’homophobie, puisqu’il est un des candidats qui avait le mieux évité de se fourvoyer dans ces sujets. Avec le recul, je dirais que le bilan du président sortant est loin d’être totalement satisfaisant sur ces points, il s’est montré plutôt moins courageux pendant son quinquennat que pendant sa campagne, mais à sa décharge, la France entière a été soumise à une intense pression médiatique ultra-droitière, et on voit comment ça se traduit dans les urnes puisque plus d’un Français sur trois a voté pour des programmes assez ouvertement racistes. Et par ailleurs, le niveau de violence atteint lors des manifestations est vraiment problématique. Et ce n’était pas dans le programme.
Mais peu importe cette réalité, j’ai la certitude que, avec Marine Le Pen au pouvoir, les choses auraient été bien pires sur tous ces plans.

En 2017, les gens qui appellent « extrême » tout programme un peu plus à gauche que Manuel Valls avaient été nombreux à insulter les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, intimant à ces derniers l’ordre de voter Macron par force tout en continuant à les traiter de tous les noms (stalinistes, chavézistes, poutinistes, assadistes,…). On y percevait une revanche, il s’agissait de soumettre les Insoumis. J’en avais parlé à l’époque sur le présent blog.
Sans surprise, c’est reparti.

dessin par l’excellent Loïc Sécheresse

Mais cette fois-ci ce ne sont plus ses soutiens, c’est Emmanuel Macron lui-même qui se montre insultant. Le soir du premier tour, il avait fait applaudir ses concurrents. On pouvait juger ça « beau joueur », on pouvait juger ça condescendant, ou bien on pouvait se dire qu’il s’agissait de tendre la main aux électeurs de droite ou de gauche, car on sait que le résultat sera plus serré que la dernière fois. Dès le lendemain, l’ambition de rassembler avait vécu, le sortant expliquait que ses scores, meilleurs qu’il y a cinq ans, prouvaient par A et par B que les Français adhéraient massivement à son projet, et qu’il n’y avait pas, ni cette fois ni d’ailleurs la précédente, de « Front républicain » qui tienne, qu’il ne verrait pas le vote en sa faveur comme le fruit d’un non-choix imposé par des circonstances malheureuses mais au contraire, comme un blanc-seing pour sa politique à venir.
Ce n’est pas très malin de poser les choses comme ça, et sur Twitter, plus d’une personne a alors déclaré son intention de s’abstenir d’aller voter. Et parfois même son intention de voter pour la concurrence, « quoi qu’il en coûte ».

Dès l’annonce des résultats, Tatiana Ventôse, figure proéminente du Youtube de la gauche radicale (ex Parti de Gauche, qui a rallié le parti souverainiste de Georges Kuzmanovic, ancien membre de la France Insoumise) a appelé à voter Le Pen ! Petit séisme pour les gens qui la suivent, mais il s’en trouve pas mal pour la saluer et annoncer vouloir suivre son conseil.

Je suis un homme, j’ai la peau rose, les cheveux gris, un patronyme du Sud-Ouest, un double-prénom très chrétien, je gagne ma vie, j’ai un toit sur la tête, je ne suis adhérent d’aucun parti politique ou d’aucun syndicat, membre d’aucune organisation militante qui risquerait d’être située dans le viseur de l’extrême-droite, alors il est possible (mais non certain) qu’avoir Macron ou Le Pen à la tête de l’État ne change pas immédiatement mon existence quotidienne, ne nuise pas à mon petit confort.
Mais tout le monde n’a pas le luxe de voir les choses comme ça, ne soyons pas égoïstes. Par ailleurs je ne suis absolument pas dupe du caractère « progressiste » (féminisme, tourné vers le social) ou encore « populaire » du programme imprimé par Marine Le Pen. Son tract est habilement rédigé, mais qu’on ne s’y trompe pas : avec elle, notre pays se rangerait du côté de la Hongrie d’Orbán, avec un net recul des libertés individuelles, et tirant l’Union européenne toujours plus loin de ce qu’elle a de bien. Par ailleurs l’Histoire nous rappelle que les gouvernements de droite dure ont souvent deux faces : une face institutionnelle qui joue la respectabilité, et une autre, composée de « forces populaires » qui sèment la terreur, sans cadre mais encouragées par le régime. Miliciens, chemises brunes, et autres brutes paramilitaires.
Aux gens qui veulent d’une victoire de Le Pen pour « donner un coup de pied dans la fourmilière », tout casser pour tout reconstruire, je rappelle que la seule chose dont ils peuvent être sûrs, c’est de ce qui sera cassé, pas de ce qui sera construit ensuite.

Alors comme il y a cinq ans, je donnerai mon bulletin à quelqu’un dont le programme me semble pourtant détestable, et pire encore, à quelqu’un qui est en partie responsable de la situation dans laquelle nous sommes ces jours-ci, puisque le désespoir qui pousse certains à voter Le Pen, les cinq ans qui viennent de passer l’ont construit. Et pas seulement en vertu des décisions prises ou des décisions à venir, mais dans la méthode : des millions de gens dans la rue ? Une presse qui dénonce un niveau anormal de violences policières ?… Ce sont des faits qui naguère eussent fait sauter des ministres et des préfets. Aujourd’hui, rien, ça glisse, et une bonne partie de la population a l’absolue conviction de ne jamais être entendue.
Mais avouons-le : je m’attendais à ce résultat, je note que Jean-Luc Mélenchon (pour qui j’ai voté) obtient in fine un score honorable malgré son entêtement à refuser de coopérer avec des candidats aux programmes parfois très proches — espérons que contrairement à Emmanuel Macron, il saura reconnaître que s’il a rassemblé un cinquième des suffrages, c’est aussi à la faveur d’un « vote utile ».

Raphaël Enthoven préfère Marine Le Pen à Mélenchon, c’est son droit, il prend ses responsabilités, mais à présent il ordonne aux électeurs de Mélenchon de voter Macron contre Le Pen… Je ne comprends pas comment on peut à la fois mépriser des gens, et leur demander d’obéir à ses injonctions.

Ce qui va m’être pénible, pendant les dix jours à venir, ce n’est pas cette élection : ce sera pour moi une corvée parmi d’autres, comme de déboucher un évier, disons — il faut le faire, on le fait, et on oublie. Ce qui va me frustrer, c’est surtout de devoir un peu me taire, d’éviter d’expliquer à quel point je suis inquiet pour l’avenir des services publics, école, université, sécurité sociale, d’éviter de trop dire les reproches que j’ai à faire au président sortant.
Rattrapons-nous pour les législatives, et quelle que soit la personne élue le 24 avril, espérons que celle-ci sera forcée de composer avec un gouvernement de cohabitation.

J’ai regardé la vidéo de Z le maudit

Il semble que les mots « troll »1 et « drôle » soient apparentés. Le trǫll nordique, le drolle batave, le drôle normand, sont des créatures légendaires de format divers : les trǫll scandinaves peuvent avoir la taille de montagnes (mais le mot sert aussi pour des créatures plus petites) et sont comiques de par leur maladresse et leur bêtise, tandis que les droll/drôles sont juste des lutins moches parfois malicieux et toujours pénibles.

Il a le plus gros micro. Pas de doute à ce sujet.

En tout cas, malgré toute la répugnance que m’inspire son message, j’ai trouvé la vidéo drôle. Vous pouvez vous épargner son visionnage, je vous la raconte.

Fondu au noir en ouverture. Le visage de Z apparaît en gros plan en même temps que l’on entend l’accord caractéristique qui ouvre le second mouvement de la septième symphonie de Beethoven. Un accord qui donne la chair de poule. Il donnait la chair de poule tout au long du film The Fall. Il donnait la chair de poule dans le film Le Discours d’un roi, lorsque le prince Albert von Sachsen-Coburg und Gotha (dit George VI d’Angleterre) s’apprête à faire sans bégayer une allocution radiophonique pour déclencher la guerre contre l’Allemagne. Il fait frémir aussi dans X-men: Apocalypse lorsque tous les missiles nucléaires quittent leurs silos en même temps.

Pwoiiinnn font ensemble cors, clarinettes, hautbois et bassons. On pense que Beethoven, qui était, rappelons-le, allemand et patriote, a pensé cette symphonie comme un cri de libération pour l’Europe qu’un despote ravageait, l’Empereur Napoléon. On reparlera de ce monsieur.

Z a devant lui un gros micro et derrière lui des étagères de bibliophile. Les livres donnent l’air présidentiel. Il baisse les yeux vers son texte2 et d’un ton grave il s’adresse à ses « chers compatriotes », à qui il raconte qu’ils sont hantés par un étrange et pénétrant sentiment de dépossession, que plus rien n’est comme avant, qu’il n’y a plus de saisons, que les Français sans le savoir ont été grand-remplacés, que même s’ils n’ont pas bougé, eux, c’est leur pays qui les a quittés. Vous reconnaissez-vous dans ces footballeurs ? Dans ces jeunes femmes voilées ? Dans ces activistes LGBT qui peignent des arc-en-ciels ? Dans les théories pédagogiques des « pédagogistes »3 ? Dans l’égalitarisme des « Islamogauchistes » ?… Au fur et à mesure que Z égrène le chapelet de ceux qu’il exclut de ses « chers compatriotes », l’ensemble que constituent ceux-ci se rabougrit furieusement : pour mériter d’en faire partie, il faut être très à droite et avoir peur d’à peu près tout le monde.
On est un peu dans Body Snatchers,4 à l’en croire : le pays est le même, c’est bien nous qui y vivons, mais on n’y reconnaît rien. Même les programmes télé sont bizarres : « Vous regardez vos écrans et on vous parle une langue étrange, et pour tout dire, étrangère ». Ne regardant pas la télé, j’aurais bien aimé qu’il développe : il proteste contre les programmes en V.O. ? Il est tombé sur un clip d’Aya Nakamura ? C’est amusant de se plaindre de ce qui passe à la télévision quand on y est aussi omniprésent que lui.

Z nous parle de notre vie quotidienne : nous prenons le métro, nous achetons notre pain, nous allons au bureau de poste, chez le médecin, chercher les mômes à l’école… Et pour illustrer ces descriptions d’activités fort banales, il nous inflige des images de faits-divers et d’émeutes qui, tant qu’à les emprunter sans autorisation5, eussent aussi bien pu être remplacées par des extraits de Mad Max ou de The Walking dead, tant l’outrance est risible. Créature télévisuelle et politique, Z fait mine de parler du réel mais se satisfait pour ce faire de convoquer un fourre-tout de représentations, d’anecdotes, de clichés et de fantasmes. Est-ce que, dans l’arrière-pays niçois, dans le fin fond des campagnes d’Alsace ou de la Picardie les gens croient que la vie des urbains ressemble à un film post-apocalyptique ?

Le jeu World War Z

Comme antidote à ce déferlement d’images anxiogènes, Z nous parle du « pays de notre enfance », du « pays que nos parents nous ont décrit », du pays qu’on retrouve « dans les films et dans les livres », un pays aux couleurs délavées ou en noir et blanc, le pays de Louis XIV, de Jeanne d’Arc (enfin Milla Jovovich) et de Napoléon Bonaparte — vous savez, ce type que détestait Beethoven. Le pays du Général de Gaulle (cité deux fois), le pays (Z prend pour le dire un ton traînant un rien lyrique) « des chevaliers et des gentes dames ». Vous ne vous rappelez pas de votre enfance, quand il y avait des chevaliers et des gentes dames ? Ou bien c’était du temps de vos parents ? Au passage je me demandes que penser des gentes suspectes qui se coupent les cheveux court pour partir guerroyer l’Anglois vêtues et armées comme des zhommes, telle Jeanne d’Arc citée plus haut ? Djendeur Danger !
Il nous parle ensuite de Lavoisier et de Pasteur, de Pascal et de Descartes, tandis que l’image présente un jeune mathématicien écrivant des formules au tableau noir. J’aimerais m’arrêter une seconde sur cette image : ce mathématicien existe aujourd’hui et maintenant ! En quoi représente-t-il le passé ? On peut se poser la même question pour Brigitte Bardot et Alain Delon, qui n’ont certes plus d’actualité artistique6, mais qui sont encore de notre monde, contrairement à leurs collègues Gabin, Smet, Aznavour, Belmondo, Brassens ou Barbara, cités au sein de la même énumération. Il n’est pas bien gentil de parler de vivants comme s’ils étaient cannés ! Mais bon, on comprend le message : les jeunes étaient mieux du temps de notre jeunesse. Et apparemment les mathématiques ont cessé d’exister quand on a cessé d’aller à l’école — pour beaucoup de gens, j’imagine que c’est vrai.
On apprend aussi que la France est le pays qui a inventé le cinéma (en remontant à Louis le Prince ? Sinon, dans plein d’endroits du monde on pense que c’est l’affreux Thomas Alva Edison !), l’automobile (après Daimler et Benz diront les amateurs de controverses historiques), et le Concorde. Vous savez bien, cet avion supersonique franco-britannique…

Il nous apprend au passage que les traditions que nous devons à tout pris conserver sont : la cuisine ; le nucléaire ; la conversation ; et enfin les controverses sur la mode (ah ?) et l’Histoire. Eh oui, quand Z défend Vichy, la colonisation ou la Saint-Barthélémy, il n’est pas un odieux irresponsable qui justifie des crimes du passé, il participe juste à une vieille tradition folklorique française : la controverse historique.

Avec une certaine forme de cynisme, Z assume le caractère totalement imaginaire de la France qu’il vante : « Ce pays que vos enfants regrettent sans même l’avoir connu ».
Et pour cause, l’Arcadie, l’âge d’or, n’a jamais existé, et ça fait des siècles, des millénaires, que l’on se fait croire que « avant c’était mieux ».
Ne s’embarrassant pas de logique, il n’hésite pas non plus à affirmer que « le sentiment de dépossession » est partagé par tous, que c’est une minorité qui « terrorise la majorité », et donc que ce pays où selon lui nous nous sentons mal, c’est nous qui le constituons, c’est nous qui l’avons construit, c’est nous qui sommes responsables et coupables d’avoir fait disparaître ce que nous regrettons à présent. Eh bien sur ce dernier point, je ne lui donne pas tort : il suffit de voir une zone d’activité commerciale en périphérie urbaine pour vérifier ce fait : oui, nous avons volontairement enlaidi notre pays à coup d’entrepôts laids, de bitume, de parkings, de bagnoles.
Gratifier la France d’un président xénophobe et misogyne sera évidemment moins un remède au déclin que la cerise moisie posée sur un gâteau déjà bien rance.

  1. Notons que le « troll internet » se confond avec les trolls des légendes, mais l’origine du mot est sans doute une autre acception du mot « troll », qui en anglais peut désigner la pêche à la ligne. []
  2. Avant d’être lue l’allocution aurait gagné à être relue. Par exemple la mention des difficultés de Français à « finir leurs fins de mois » n’est pas très heureuse. []
  3. Ne maîtrisant pas très bien son analogie ou n’ayant pas vu le film, Z parle des « pédagogistes » qui mènent des « expérimentations égalitaristes » comme d’autant de « Docteurs Folamour »,… Pour rappel, le docteur Strangelove n’est pas spécialement un apprenti-sorcier, un docteur Frankenstein, c’est un nostalgique du nazisme qui propose à l’élite politique de Washington de constituer des harems (dix femmes pour un homme) afin de repeupler la Terre après une guerre atomique. Pas sûr que ça soit vraiment contraire à la vision du monde et de la place des femmes de Z ! []
  4. En Français, Body Snatchers porte le titre incongru L’invasion des profanateurs de sépultures. []
  5. Le spot a fait polémique car il est essentiellement constitué d’images volées. []
  6. Delon parle souvent de tourner un ultime film. []