(un peu confus, je publie très vite cet article en vrac parce que je n’aurai bientôt plus accès à Internet pour une période indéterminée. En espérant que le lecteur se montre indulgent et y retrouve ses petits)
Ces temps-ci je me retrouve régulièrement amené à défendre Jean-Luc Mélenchon alors que je n’ai pas de passion pour le personnage et, même, que je porte un jugement assez négatif sur l’attitude du leader de la « France insoumise » depuis le soir du premier tour de l’élection présidentielle. Je ne parle pas spécialement ici de ses louvoiements lorsqu’il s’est agi d’appeler ou non à voter contre Marine Le Pen, qui semblaient animés par la joie mauvaise de soumettre l’insoumis, mais il ne semble pas s’être bien remis de cette campagne assez intense, et paraît peu à peu avoir perdu de vue les qualités qui l’ont rendu si populaire jusqu’à l’élection. Ne semblent lui rester qu’une forme de fierté bileuse un peu pitoyable. Mais cette perception des choses est probablement biaisée, car Mélenchon et les députés ou responsables de la France insoumise me semblent pâtir d’un « traitement de faveur » médiatique bien lourd, comme s’ils étaient devenus le dernier carré d’opposition à abattre. Une petite phrase, une expression, voire la manière de dire un mot (« matheux ») ou même de ne pas obéir à des injonctions absurdes (comme la jeune députée Danièle Obono sommée par un journaliste de prouver son patriotisme en disant, sur commande, « vive la France ! »), tout est prétexte à forger une image lamentable des « insoumis ». Si les journalistes n’inventent certes pas les faits qu’ils rapportent, ils sont responsables de ce qu’ils filtrent et qui oriente la perception générale que l’on a du tableau. Ils ont décidé que les insoumis avaient le « culte de la personnalité », que Mélenchon était l’homme au couteau entre les dents et était un démagogue, et ils écartent toute information qui contrarie cette vision des choses. Je me souviens par exemple qu’une chaîne d’information en continu posait une fois une question d’ordre général à Mélenchon, qui se tourne vers une militante du mouvement insoumis en disant que c’était cette femme qui allait répondre… Et aussi sec, l’image et le son sont chuintés, la femme est coupée et le journaliste qui reprend l’antenne commente : « Jean-Luc Mélenchon refuse de répondre… ». Alors que la vérité était que la chaîne avait décidé qu’elle ne voulait pas écouter quelqu’un d’autre que Mélenchon… L’accuser ensuite d’organiser un culte de la personnalité, c’est un peu le serpent qui se mange la queue dans un hôpital qui se moque de la charité.
Mélenchon a-t-il la fibre autocratique, hors sa propension à rouler des mécaniques ? Est-ce la motivation inconsciente de son souhait de supprimer la Ve république et son régime d’hyper-présidentialité ? On ne le saura jamais, sa chance vient de passer pour de bon.
Personnellement, j’ai voté « France insoumise » pour le programme, parce que je ne pensais pas tellement avoir le choix (entre les verts absents et Hamon sabordé par son propre parti), mais je m’en fous un peu de Mélenchon, et je pense que je ne suis pas le seul à avoir voté pour son programme et non pour sa personne1. En fait la plupart des gens qui ont voté Mélenchon à la présidentielle m’ont dit à un moment ou un autre un truc du genre « j’ai des réserves sur le personnage mais c’est le programme qui correspond le plus à ce que je veux ». La cuisine politique semble épuiser beaucoup de gens, qui préfèrent quelqu’un qui propose assez évasivement un renouveau dans la continuité à son concurrent dont le programme se veut complet et cohérent.
Ceux qui se méfient d’un candidat pour son tempérament au point de rejeter son programme n’ont pas forcément tort dans l’absolu : la politique ne se joue pas seulement sur le papier, sur le contrat, elle est faite par des femmes et des hommes en lesquels on peut ne pas avoir confiance. Mais il est dommage de s’interdire de lire et de réfléchir les propositions malgré tout, ou de n’en retenir que ce que l’on en combat 2.
Reste que malgré tous ses défauts, Mélenchon a beaucoup de talent, il s’adresse (et c’est là la seule manière de respecter les électeurs, à mon sens) au cerveau des gens, c’est à dire que ses propositions sont « réfutables », au sens de Karl Popper : on peut les évaluer rationnellement, être d’accord ou non, mais elles reposent sur des informations et sur un raisonnement, et ce dernier est exposé de manière très pédagogique. Je suis toujours sidéré du décalage entre ces qualités que beaucoup perçoivent comme moi, et la réputation générale qui lui est plaquée et que le bonhomme semble avoir des difficultés à percevoir comme à conjurer.
Étonnante, en tout cas, cette campagne qui nous a tous rendus fous : pour une fois, rien n’était joué d’avance si ce n’est la présence du Front National au second tour, seule certitude, martelée depuis des années, et l’assurance de la victoire finale de son compétiteur.
De manière temporaire, l’indécision est un état plaisant — c’est ce qui provoque l’addiction au jeux de hasard — mais à la longue, l’excitation s’avère nerveusement épuisante. Au fil des semaines, chacun de nous a, comme toujours, choisi son camp, son candidat, ou son non-camp, et en est venu à trouver difficilement supportables ceux qui ont fait d’autres choix. On n’avait jamais vu, me semble-t-il, tant de gens se lancer dans des menaces : « Je vais faire du ménage parmi mes amis Facebook, je vais éjecter de la liste ceux qui me disent de ne pas voter blanc/ceux qui votent blanc/ceux qui me contredisent/ceux qui votent machin ».
Et des semaines après, ce n’est pas fini, on sent beaucoup de haine de toutes parts, les camps se sédimentent, et le retour à la raison semble impossible, on continue à se renvoyer à l’alliance bolivarienne et à la banque Rotschild, comme si ces détails suffisaient à résumer les programmes des uns et des autres3.
Tout ça est dommage. J’ai tendance à douter des chances de succès de la politique « quantique » (à la fois de droite et de gauche, on ne connaîtra le résultat qu’en ouvrant la boite) de Macron, mais s’il parvient à pulvériser les partis et les oppositions automatiques, ça sera déjà une chose de gagnée. Mais une fois que le vide sera fait, avec quoi le combler ? Dès qu’on est attentif à un sujet précis, on peut s’inquiéter de l’absence de propositions concrètes, il semble y avoir eu peu d’évolution de la « République en Marche » depuis son programme, qui ne contenait que des constats (« il faut une France qui soit plus… Il faut que…. »). Ségolène Royal avait tenté le coup de la politique de la page blanche en 2007, en proposant aux gens de participer collectivement à écrire la politique du pays… Mais personne n’a voulu de ça, chacun veut un « chef » qui sait ce qu’il veut (que ce soit pour le suivre ou pour le combattre, du reste), qui ait de l’assurance. Macron réussit l’équation : il ne dit pas grand chose mais il le fait avec une grande assurance. On se rappellera du « parce que c’est notre projet! » qui a tant fait rire mais qui est plus étonnant que drôle si on constate que pas une personne dans la foule apparemment galvanisée n’aurait pu décrire ledit projet. Je remarque de Macron fait depuis son élection plein d’efforts pour montrer qu’il est un chef, qu’il ne se laisse pas chier dans les bottes par son chef d’État-major, qu’il sait broyer les mains, etc. Espérons qu’il s’arrête vite, parce que ça devient lourd.
Confusément, le danger que je sens chez Macron, c’est un certain aveuglement face aux problèmes structurels de la société française, il semble préférer se faire croire que tout le monde peut « y arriver », que tout le monde y arrivera… C’est une vision des choses qui a ses vertus, puisque rien ne désespère plus les classes populaires que de voir des sociologues leur expliquer qu’elles sont à jamais maudites : on a besoin d’espoir, après tout, et, quoiqu’on en dise, personne n’aime se voir comme une victime passive ! Mais c’est aussi le meilleur moyen pour ne rien changer.
Bref, je n’ai rien contre Macron, je m’en fous, je ne me sens pas opposé à tout ce qu’il représente comme j’ai pu l’être avec Nicolas Sarkozy en son temps. J’espère pour la France qu’il va réussir à apporter quelque chose au pays. Je n’arrive pas à y croire, mais si ça marche4, j’accepterai de le voir, pas de problème.
- Sur Twitter je viens de définir ma ligne politique comme : anarchiste chrétien athée écolo. C’est à dire influencé par la pensée de quelqu’un comme Ivan Illitch, quoique sans mystique de l’ordre naturel des choses : quand j’ai mal à la tête, je veux bien une aspirine, et au fond je crois à la possibilité du progrès technique comme un progrès humain. [↩]
- Je pense que la fatigue de la politique n’est pas neuve, c’est elle aussi qui a fait pencher la balance du côté du « non » au référendum sur le traité constitutionnel en 2005 : à l’époque, tout le monde voulait voir l’UE progresser et espérait un cadre constitutionnel plus philosophique qu’autre chose, mais en se renseignant, les gens sont tombés sur un obscur texte juridique bien plus inquiétant qu’autre chose. Une sacrée occasion ratée. L’idéologie — ça va avec — est elle aussi pas mal rejetée, et si je trouve ça bien pour esquiver la tentation de se cantonner à une pensée automatique, je trouve dommage d’ignorer que l’absence d’idéologie est souvent aussi une idéologie. [↩]
- Au passage, j’ai trouvé que « extrême finance » lancé par Mélenchon pour décrire le projet de Macron sonnait terriblement creux. [↩]
- Pour l’instant je remarque juste que le budget des universités risque de baisser lourdement, que mon salaire va nettement baisser lui aussi (car même si je ne suis pas fonctionnaire, mon salaire est calculé pareil), que les villes – dont je dépends – ont peur d’être ruinées par la suppression de la taxe d’habitation. Je dois avouer que le fait que tout ça serve à financer la fin de l’ISF et la recapitalisation d’Areva (victime d’une gestion castrophique dont je ne parviens pas à me sentir responsable) n’arrive pas à me consoler de manière satisfaisante. [↩]