Il semble que les mots « troll »1 et « drôle » soient apparentés. Le trǫll nordique, le drolle batave, le drôle normand, sont des créatures légendaires de format divers : les trǫll scandinaves peuvent avoir la taille de montagnes (mais le mot sert aussi pour des créatures plus petites) et sont comiques de par leur maladresse et leur bêtise, tandis que les droll/drôles sont juste des lutins moches parfois malicieux et toujours pénibles.
Il a le plus gros micro. Pas de doute à ce sujet.
En tout cas, malgré toute la répugnance que m’inspire son message, j’ai trouvé la vidéo drôle. Vous pouvez vous épargner son visionnage, je vous la raconte.
Fondu au noir en ouverture. Le visage de Z apparaît en gros plan en même temps que l’on entend l’accord caractéristique qui ouvre le second mouvement de la septième symphonie de Beethoven. Un accord qui donne la chair de poule. Il donnait la chair de poule tout au long du film The Fall. Il donnait la chair de poule dans le film Le Discours d’un roi, lorsque le prince Albert von Sachsen-Coburg und Gotha (dit George VI d’Angleterre) s’apprête à faire sans bégayer une allocution radiophonique pour déclencher la guerre contre l’Allemagne. Il fait frémir aussi dans X-men: Apocalypse lorsque tous les missiles nucléaires quittent leurs silos en même temps.
Pwoiiinnn font ensemble cors, clarinettes, hautbois et bassons. On pense que Beethoven, qui était, rappelons-le, allemand et patriote, a pensé cette symphonie comme un cri de libération pour l’Europe qu’un despote ravageait, l’Empereur Napoléon. On reparlera de ce monsieur.
Z a devant lui un gros micro et derrière lui des étagères de bibliophile. Les livres donnent l’air présidentiel. Il baisse les yeux vers son texte2 et d’un ton grave il s’adresse à ses « chers compatriotes », à qui il raconte qu’ils sont hantés par un étrange et pénétrant sentiment de dépossession, que plus rien n’est comme avant, qu’il n’y a plus de saisons, que les Français sans le savoir ont été grand-remplacés, que même s’ils n’ont pas bougé, eux, c’est leur pays qui les a quittés. Vous reconnaissez-vous dans ces footballeurs ? Dans ces jeunes femmes voilées ? Dans ces activistes LGBT qui peignent des arc-en-ciels ? Dans les théories pédagogiques des « pédagogistes »3 ? Dans l’égalitarisme des « Islamogauchistes » ?… Au fur et à mesure que Z égrène le chapelet de ceux qu’il exclut de ses « chers compatriotes », l’ensemble que constituent ceux-ci se rabougrit furieusement : pour mériter d’en faire partie, il faut être très à droite et avoir peur d’à peu près tout le monde. On est un peu dans Body Snatchers,4 à l’en croire : le pays est le même, c’est bien nous qui y vivons, mais on n’y reconnaît rien. Même les programmes télé sont bizarres : « Vous regardez vos écrans et on vous parle une langue étrange, et pour tout dire, étrangère ». Ne regardant pas la télé, j’aurais bien aimé qu’il développe : il proteste contre les programmes en V.O. ? Il est tombé sur un clip d’Aya Nakamura ? C’est amusant de se plaindre de ce qui passe à la télévision quand on y est aussi omniprésent que lui.
Z nous parle de notre vie quotidienne : nous prenons le métro, nous achetons notre pain, nous allons au bureau de poste, chez le médecin, chercher les mômes à l’école… Et pour illustrer ces descriptions d’activités fort banales, il nous inflige des images de faits-divers et d’émeutes qui, tant qu’à les emprunter sans autorisation5, eussent aussi bien pu être remplacées par des extraits de Mad Max ou de The Walking dead, tant l’outrance est risible. Créature télévisuelle et politique, Z fait mine de parler du réel mais se satisfait pour ce faire de convoquer un fourre-tout de représentations, d’anecdotes, de clichés et de fantasmes. Est-ce que, dans l’arrière-pays niçois, dans le fin fond des campagnes d’Alsace ou de la Picardie les gens croient que la vie des urbains ressemble à un film post-apocalyptique ?
Le jeu World War Z
Comme antidote à ce déferlement d’images anxiogènes, Z nous parle du « pays de notre enfance », du « pays que nos parents nous ont décrit », du pays qu’on retrouve « dans les films et dans les livres », un pays aux couleurs délavées ou en noir et blanc, le pays de Louis XIV, de Jeanne d’Arc (enfin Milla Jovovich) et de Napoléon Bonaparte — vous savez, ce type que détestait Beethoven. Le pays du Général de Gaulle (cité deux fois), le pays (Z prend pour le dire un ton traînant un rien lyrique) « des chevaliers et des gentes dames ». Vous ne vous rappelez pas de votre enfance, quand il y avait des chevaliers et des gentes dames ? Ou bien c’était du temps de vos parents ? Au passage je me demandes que penser des gentes suspectes qui se coupent les cheveux court pour partir guerroyer l’Anglois vêtues et armées comme des zhommes, telle Jeanne d’Arc citée plus haut ? Djendeur Danger ! Il nous parle ensuite de Lavoisier et de Pasteur, de Pascal et de Descartes, tandis que l’image présente un jeune mathématicien écrivant des formules au tableau noir. J’aimerais m’arrêter une seconde sur cette image : ce mathématicien existe aujourd’hui et maintenant ! En quoi représente-t-il le passé ? On peut se poser la même question pour Brigitte Bardot et Alain Delon, qui n’ont certes plus d’actualité artistique6, mais qui sont encore de notre monde, contrairement à leurs collègues Gabin, Smet, Aznavour, Belmondo, Brassens ou Barbara, cités au sein de la même énumération. Il n’est pas bien gentil de parler de vivants comme s’ils étaient cannés ! Mais bon, on comprend le message : les jeunes étaient mieux du temps de notre jeunesse. Et apparemment les mathématiques ont cessé d’exister quand on a cessé d’aller à l’école — pour beaucoup de gens, j’imagine que c’est vrai. On apprend aussi que la France est le pays qui a inventé le cinéma (en remontant à Louis le Prince ? Sinon, dans plein d’endroits du monde on pense que c’est l’affreux Thomas Alva Edison !), l’automobile (après Daimler et Benz diront les amateurs de controverses historiques), et le Concorde. Vous savez bien, cet avion supersonique franco-britannique…
Il nous apprend au passage que les traditions que nous devons à tout pris conserver sont : la cuisine ; le nucléaire ; la conversation ; et enfin les controverses sur la mode (ah ?) et l’Histoire. Eh oui, quand Z défend Vichy, la colonisation ou la Saint-Barthélémy, il n’est pas un odieux irresponsable qui justifie des crimes du passé, il participe juste à une vieille tradition folklorique française : la controverse historique.
Avec une certaine forme de cynisme, Z assume le caractère totalement imaginaire de la France qu’il vante : « Ce pays que vos enfants regrettent sans même l’avoir connu ». Et pour cause, l’Arcadie, l’âge d’or, n’a jamais existé, et ça fait des siècles, des millénaires, que l’on se fait croire que « avant c’était mieux ». Ne s’embarrassant pas de logique, il n’hésite pas non plus à affirmer que « le sentiment de dépossession » est partagé par tous, que c’est une minorité qui « terrorise la majorité », et donc que ce pays où selon lui nous nous sentons mal, c’est nous qui le constituons, c’est nous qui l’avons construit, c’est nous qui sommes responsables et coupables d’avoir fait disparaître ce que nous regrettons à présent. Eh bien sur ce dernier point, je ne lui donne pas tort : il suffit de voir une zone d’activité commerciale en périphérie urbaine pour vérifier ce fait : oui, nous avons volontairement enlaidi notre pays à coup d’entrepôts laids, de bitume, de parkings, de bagnoles. Gratifier la France d’un président xénophobe et misogyne sera évidemment moins un remède au déclin que la cerise moisie posée sur un gâteau déjà bien rance.
Notons que le « troll internet » se confond avec les trolls des légendes, mais l’origine du mot est sans doute une autre acception du mot « troll », qui en anglais peut désigner la pêche à la ligne. [↩]
Avant d’être lue l’allocution aurait gagné à être relue. Par exemple la mention des difficultés de Français à « finir leurs fins de mois » n’est pas très heureuse. [↩]
Ne maîtrisant pas très bien son analogie ou n’ayant pas vu le film, Z parle des « pédagogistes » qui mènent des « expérimentations égalitaristes » comme d’autant de « Docteurs Folamour »,… Pour rappel, le docteur Strangelove n’est pas spécialement un apprenti-sorcier, un docteur Frankenstein, c’est un nostalgique du nazisme qui propose à l’élite politique de Washington de constituer des harems (dix femmes pour un homme) afin de repeupler la Terre après une guerre atomique. Pas sûr que ça soit vraiment contraire à la vision du monde et de la place des femmes de Z ! [↩]
En Français, Body Snatchers porte le titre incongru L’invasion des profanateurs de sépultures. [↩]
Le spot a fait polémique car il est essentiellement constitué d’images volées. [↩]
Delon parle souvent de tourner un ultime film. [↩]
Une jeune femme parle face caméra, assise sur un coin de lit, mais l’intimité de sa situation est un peu contredite par une forme de sophistication générale. Svelte, conforme aux canons de beauté communs, portant un pull moulant, apprêtée, maquillée, elle a pris soin de choisir un cadre qui montre ses genoux et laisse entrevoir qu’elle porte une jupe courte. En arrière-plan, on voit un sac à main en cuir beige, incongrument posé sous un écran de télévision lui aussi mal disposé par rapport au lit, ce qui évoque une chambre d’hôtel, ce lieu où le manque de place et de mobilier pratique fait qu’on ne sait pas toujours où mettre quoi. Dans ses tweets, cette vingt-cinquenaire qui se qualifie de « sexy » aime rappeler qu’elle a derrière elle une carrière de mannequin.
Face à cette image qui simule la vision subjective, on peut avoir l’impression sale de me trouver à la place d’un producteur mal-intentionné qui a imposé à une midinette ambitieuse de passer son audition dans une chambre d’hôtel deux étoiles.
Avec un léger accent du Sud-Ouest, d’une voix calme, elle évoque la morbidité qui l’afflige, qui est d’être « identitaire ». Elle en explique ses raisons : voyez-vous la France est envahie d’étrangers, on n’est plus chez nous, on est humiliés sur notre propre sol, la langue française disparaît, la culture française disparaît, il n’y a plus de respect, et les profs d’Histoire-géographie ne parlent plus à leurs élèves de ce que la France a de grand… Elle s’appelle Estelle Redpill, ou plutôt, elle se surnomme Redpill, son patronyme d’origine semblant être Rodriguez. Tout en parlant d’une France assaillie par des hordes d’étrangers, « grand-remplacée » (Renaud Camus est l’influence revendiquée de cette « influenceuse identitaire » — ainsi qu’elle se décrit), elle évoque ses grands-parents, espagnols, qui ont trouvé un refuge et du travail en France sous Franco. Elle pleure la déliquescence de la culture française mais reprend à son compte un nom et un concept que l’extrême-droite étasunienne a volé à deux femmes transgenre, Lana et Lilly Wachowsky, autrices — ou plutôt auteurs, à l’époque — du film Matrix, où Néo, le héros, est invité à choisir entre la « pilule bleue », qui lui garantit une vie de confortable ignorance, et la « pilule rouge », qui confère le douloureux don de lucidité. Pour ces gens, le sexisme et la peur de l’autre seraient autant d’expression de lucidité, tandis que la tolérance, l’ouverture, la charité, seraient autant de manières de se voiler la face. Cette récupération ne manque pas de sel quant on sait que les Alt-right étasuniens méprisent tout ce que représentent les sœurs Wachowsky, et — il suffit de voir la série Sense 8 d’icelles pour s’en convaincre — ce mépris est réciproque1. Enfin, Estelle Redpill, qui se lamente de voir que la langue française « se dégrade », n’a pas peur de fustiger une institution nationale qui fait « une propagande nauséabonde pour auto-flageoler [sic] le peuple français de ce qu’il a pu faire ».
Le mot « flageolet » désigne une variété de haricots (de l’italien fagiuolo — « haricot ») ou une sorte de flûte à bec (de l’ancien français flageol — « flûte »). Il peut aussi être utilisé de manière imagée pour parler d’un pénis, ou pour évoquer un jeu d’orgue suraigu. Le verbe « flageoler », quant à lui, signifie : avoir les jambes qui se dérobent. Mais bon, je n’ai pas d’illustration pour ça, alors comme à la cantine, je vous sers des flageolets !
cas 2
J’ai connu un gamin malicieux qui impressionnait les autres collégiens par sa connaissance trop précoce des noms des mesures, des tarifs et des effets de différents produits stupéfiants illégaux. Il en est vite devenu consommateur lui-même et je garde le souvenir vif, quelques années plus tard alors que nous étions l’un et l’autre jeunes adultes, de l’avoir aidé à finir de traverser une rue au milieu de laquelle, après quelques pas, il était resté bloqué. Hébété, maigre comme un fil, le regard vidé de toute vie par l’héroïne, il m’avait semblé ne plus avoir de poids. Je m’attendais à ce qu’il finisse par disparaître, et c’est ce qui s’est produit, mais pas comme je l’imaginais : sa famille, pour le sauver de la France où il était en train de mourir, l’avait envoyé au bled. C’était au moment précis où la guerre civile allait commencer en Algérie. Je ne sais pas ce qu’il y a vécu, je ne sais pas ce qu’il y a fait, mais quand je l’ai vu réapparaître dans ma ville, peut-être quinze ans plus tard, il avait une barbe de salafiste et un embonpoint saillant sous son vêtement, une djellaba en laine, si je me souviens (car cette anecdote date un peu, je n’en ai qu’une image diffuse), plutôt que le qamis traditionnel saoudien en coton-synthétique. Un jour je me suis retrouvé face à lui dans le train. Il m’a demandé si je le reconnaissais, et oui, je le reconnaissais. On a un peu discuté. Il m’a dit qu’il revenait de l’étranger — sans préciser d’où à l’étranger, comme si c’était un pays —, et qu’il comptait bien y retourner car il n’aimait pas la France. J’ai lâchement évité de trop le questionner, ayant un peu peur de ce que je trouverais au bout du fil si je m’aventurais à tirer dessus. Je l’ai laissé causer. Il m’a dit que la France était un pays sans valeurs, qu’on parlait mal aux anciens, qu’on ne respectait plus les traditions. Que tout fout le camp, qu’avant, c’était mieux. Quelques mois ont passé, et on ne l’a plus vu dans la ville. Je n’ai aucune idée de ce qu’il est devenu.
cas 3
Ses partisans lui trouvent une ressemblance avec Timothée Chalamet (Dune). Entre les cheveux et le sourire, je vois plutôt une espèce de Stéphane Bern méditerranéen.
À présent, imaginez un type qui aurait une tête de farfadet andalou, à qui ses parents, juifs berbères2, ont donné un prénom viking, et qui milite désormais pour qu’on ne donne aux enfants naissant en France que des prénoms hexagonaux traditionnel3. Qui essaie d’excuser Pétain, qui porte le doute sur l’innocence d’Alfred Dreyfus et reproche à Émile Zola d’avoir défendu ce dernier ; qui croit tellement que l’État doit être fort et brutal qu’il a été jusqu’à justifier le massacre de la Saint-Barthélémy ; qui malgré sa carrure de chat souffreteux revenu d’une averse, se veut le champion d’une reconquista masculiniste contre la domination des femmes sur la société de son pays. Femmes qui selon lui devraient cesser de pérorer, leur confort de vie ayant suffisamment progressé lorsque l’homme (car il en est certain, c’est d’un homme) a inventé le feu, offrant par là à sa compagne le confort moderne, et traitant celle-ci de manière acceptablement civile. En effet ce type a appris par les films sur Cro-magnon qu’au Paléolithique, il y a bien longtemps, les femmes subissaient des viols car le feu n’existait pas. Il semble penser que tous les problèmes ont été réglés il y a quinze ou trente mille ans. Oui, bon, pour moi aussi c’est un peu étrange. Eh bien vous allez rire, je n’ai rien inventé, un tel personnage existe !
CorseSplaining : Éric Z. raconte aux Corses ce qu’ils pensent, et comment ils aiment la France… Ils l’aiment, dit-il, quand elle « poursuit le rêve de Rome ». Rien que ça. Bref, quand elle est un Empire colonial expansionniste. Et qu’elle maltraite les Corses ?
conflits
Ces trois personnes sont liées. Elles sont liées — quel que soit le camp auquel elle pensent appartenir — par la croyance auto-réalisatrice qu’un affrontement civilisationnel est en cours. Elles sont liées par le fait que, tout en étant nées françaises, elles ne descendent pas de dix générations de paysans d’un même village du Berry et qu’elles-mêmes ou leurs ascendants ont eu à prouver qu’ils méritaient d’être français, ce dont les uns auront tiré fierté et les autres rancœur ? Elles sont liées par un profond rejet de ce qu’est la France en 2021, et sans doute plus largement de ce qu’est le monde aujourd’hui : un monde fini — on ne découvrira pas de nouvelle île ; un monde où les idées, la culture et l’argent vont à la vitesse de la lumière, un monde où certaines personnes et les marchandises se déplacent vont à la vitesse de l’avion, des porte-conteneurs ou des vélos ; un monde où, sans le savoir vraiment, des gens qui vivent aux antipodes les uns des autres ont des destins inextricablement liés ; un monde vertigineux, un monde complexe, et, rien que pour ça, si l’on me demande mon avis, un monde d’une grande beauté. Ces trois personnes sont aussi liées par la revendication d’une identité (culturelle, religieuse, nationale), elles sont liées par la croyance en un mythique « avant », une Arcadie perdue qu’elles n’ont pas connu elles-mêmes mais qu’on leur a raconté, ou qu’elles imaginent de toutes pièces. Cela semble presque être une affaire psychologique à chaque fois, car si c’est bien contre le monde que s’orientent leurs luttes, on peut se demander si leur cible véritable, leur ennemi, ce n’est pas eux-mêmes, s’ils n’ont pas avant tout un compte à régler avec leur propre identité et toute sa complexité. Leur besoin d’une boussole, leur soif de certitudes, de simplicité, de frontières (nationales, sexuelles), de repères (Histoire, morale, religion) nous renseigne moins sur la marche du monde que sur leur propre sentiment de désorientation. Tous ces gens me font un peu de peine, à vrai dire, et je leur souhaite de faire la paix avec elles-mêmes autant qu’avec le reste de l’espèce humaine, qui bien qu’assez antipathique, est la leur, et est de temps en temps capable de faire de belles choses.
Une étude récente4 affirme, et cela me semble de bon sens, que les idées complotistes sont moins une question d’intelligence ou d’éducation5 qu’une réponse à trois variables : les incertitudes sociales (taux de chômage, par exemple, mais je parie que la difficulté à se loger est un paramètre important aussi) ; le sentiment d’un déficit démocratique ; le sentiment que les institutions sont corrompues. Voici comment je l’interprète : pensant ne pas avoir de prise sur sa propre vie comme sur la société entière, on se rabat sur des fictions qui produisent des certitudes, et des certitudes qui nous appartiennent, en quelque sorte, ayant consciemment choisi d’y souscrire.
Le Baptême de Clovis, peinture de François-Louis Dejuinne (1837).
Je ne pense pas que cela ne concerne que les théories du complot, je pense que la revendication d’une organisation sociale autoritaire, de frontières imperméables entre les groupes comme entre les genres — revendications communes aux identitaires et aux fondamentalistes religieux —, résultent elles aussi d’incertitudes vis à vis de l’avenir et d’un sentiment d’être dénué de capacité à agir sur le monde. Sans tenter de creuser plus, je pense que ce genre de calcul explique pourquoi le progrès et l’universalisme (les vrais, pas ceux des gens qui croient que ce sont des marques déposées du monde occidental !) semblent patiner aujourd’hui, alors que les conditions de confort et la circulation des idées n’ont jamais été autant favorisées6. C’est par l’angoisse de la complexité qu’on peut comprendre que certains réclament du « roman national » manichéen au moment même où la connaissance de l’Histoire, en tant que discipline scientifique, ne cesse de progresser grâce à des outils toujours plus affûtés de datation, d’archivage, de compilation de données, de fouilles, d’analyse génétique, etc., ou encore grâce à de nouvelles approches : Histoire sociale, micro-Histoire, Histoire de l’Histoire, Histoire du temps présent,… Le passé est un refuge commode, bien sûr (la mémoire trie souvent favorablement les faits), et il est tentant de vouloir y retourner, mais un tel mouvement n’existe pas : nous n’allons que dans l’avenir, et c’est lui qu’il faut construire.
Que faire ?
On pourrait s’attaquer aux causes du sentiment de disparition du lien social, non pas en agissant sur les consciences de chacun, individuelles et insaisissables par essence, mais en soignant tout ce qui structure concrètement ce lien. Chaque fois qu’un bureau de poste ou une petite gare ferme, chaque fois qu’un agent de service public (école, énergie, communications, santé, transport) est amené par la politique qui l’encadre à être inutile à sa tâche, à avoir des méthodes malhonnêtes ou à se montrer hostile envers les usagers, les fondations de notre système social s’effritent. Chaque fois que les processus de décision politiques semblent décrocher des processus démocratiques, chaque fois qu’un élu dénonce ses propres promesses, le public désespère un peu plus.
Le Saviez-vous : les chercheurs en psychologie sociale se passionnent pour notre rapport à l’argent, et à son support en espèces — billets ou pièces — dont le contact ou même les sonorités provoquent en nous des effets particuliers. Toucher des billets de banque nous rend moins altruistes et plus facilement enclins au mensonge. J’admets que ça n’a pas vraiment de rapport avec le reste de l’article.
Je n’inscris pas ces considérations dans le cadre d’un débat sur le modèle économique — libéralisme contre socialisme,… —, ni même démocratique, mais dans une perspective plus psychologique liée à la permanence des institutions, voire à la qualité de leurs emblèmes : quand la zone euro a décidé, pour ne pas faire de jaloux, que les billets européens représenteraient des monuments architecturaux imaginaires — plutôt que des lieux existant, ou plutôt que Leibnitz, Marie Curie, Érasme, Ada Lovelace ou Pic de la Mirandole —, on a désincarné l’Union européenne, on en a fait une entité fuyante et d’autant plus inquiétante que chacun est conscient qu’elle a un effet très concret sur nos vies — nos classes politiques locales, il faut le dire, n’hésitent jamais à le rappeler lorsqu’elles déplorent d’opaques réglementations européennes pour se défausser de leurs propres manquements. Ce choix d’une Europe lointaine se paie cher aujourd’hui, mais c’est un bel exemple de ce qui se produit lorsqu’on pense que l’adhésion à un projet, si positif soit-il7, peut se passer de symboles ou d’événements consistants.
En 2009, Nicolas Sarkozy et son ministre de l’Immigration Éric Besson avaient lancé un grand débat sur l’identité nationale. La question des identités — nationale, familiale, culturelle, individuelle —, est tout sauf anecdotique, mais remuée, comme elle l’a été, avec des arrières-pensées électoralistes et un parti-pris nationaliste, on ne pouvait en attendre grand chose : le débat semble essentiellement avoir pris la forme d’un faux brainstorming fortement encadré où des citoyens étaient invités à venir dire que les plus jeunes qu’eux (eux, ils sont dispensés bien sûr) devraient chanter la Marseillaise plus souvent. La question avait été prise par le mauvais bout.
Que lire ?
En voyant Z le maudit traverser médiatiquement la Corse, ce week-end, j’ai pensé à un livre que je viens juste de refermer et dont je disais justement l’autre jour qu’il était une antidote à ce monsieur que l’on tente de vendre aux Français à coup de sondages qui disent qu’ils en sont acheteurs. Ce livre antidote est Ton cœur a la forme d’une île, par Laure Limongi, sorti mercredi dernier. Je suis presque embêté de mentionner cette romancière et amie après la galerie de fâcheux rencontrée dans les lignes qui précèdent, mais ma foi, ça me semble pertinent, car elle aussi explore sa propre identité — corse —, avec une auto-enquête (auto et exo, puisqu’elle fait témoigner beaucoup de gens) qui tranche intelligemment ces questions. Le livre tourne (en spirale peut-être, puisque c’est un motif important dans le livre) autour du pot : réalités, fictions, représentations, imaginaire, ascendances, lieux, chemins, pierres, souvenirs : on peut se sentir de quelque part sans que ce soit contre personne et sans que ce soit contre soi-même ou sa propre complexité8. J’aurais pu aussi évoquer le scénariste Appollo, qui, dans une perspective ultramarine et créole a beaucoup de choses à dire sur l’identité française, et sur la façon dont ce genre de question est vécue sur son île, la Réunion (française, africaine, indienne, chinoise,…), mais je ne vois pas un livre unique à conseiller.
Bon, allez, cet article est trop long et je m’égare un peu. N’hésitez pas à me signaler les fautes d’orthographe et les phrases obscures — j’en fais beaucoup ces temps-ci — en commentaire.
Le message de Sense 8, c’est que si on pouvait littéralement se mettre à la place de l’autre, on aimerait tout le monde sans se soucier des distinctions arbitraires, culturelles ou anecdotiques que sont le taux de mélamine dans l’épiderme, les préférences amoureuses, les nationalités ou les frontières. [↩]
Ses parents étaient juifs algériens, et il se décrit lui-même comme Français d’origine berbère. [↩]
Mais qu’est-ce qu’on peut appeler un prénom français ? Hélie ? Gaucher ? Miles ? Eudon ? Mahaut ? Alix ? Hildeberge ?… Dès qu’on creuse, la plupart sont soit des prénoms germaniques, soit des versions grecques ou latines de prénoms hébreux,… [↩]
Le point de vue que l’on a sur le monde en fonction de ses connaissances joue cependant. Une statistique évoquée par Richard Dawkins disait que les scientifiques les moins croyants se trouvent parmi les biologistes : ils sont aux premières loges pour constater à quel point l’évolution est un bricolage. Inversement, les croyants sont proportionnellement plus nombreux parmi les mathématiciens ou les physiciens, qui sont constamment exposés à des règles belles et pures. [↩]
Et tout ça peut faire peur : comme aimait le rappeler George Steiner, c’est dans un même contexte spatio-temporel que sont nés le Nazisme et le Bahaus, c’est à dire le comble de la barbarie humaine et un sommet de la modernité. [↩]
Par ailleurs on apprend énormément sur la Corse et son Histoire, sur la séquence indépendentiste, etc. Les lecteurs du précédent roman de Laure, On ne peut pas tenir la mer entre ses mains, trouveront ici un complément au récit qu’ils connaissent déjà. [↩]
Le terme « Cancel-culture » fait beaucoup parler les bavards. En France, la locution a pris son autonomie et n’est plus liée à son sens originel que de manière restreinte (sautez à la fin du texte pour en connaître la définition d’origine).
Le sommet du contresens dans le domaine a été commis par David Lisnard, maire de Cannes, qui expliquait à la radio que « Cancel-culture » est le mot d’ordre de ceux qui voudraient « annuler la Culture ». Au micro, ce monsieur (dont j’ignore tout, ça pourrait être lui ou un autre, peut me chaut) expliquait avec un trémolo dans la voix et en invoquant Ernest Renan que :
La Culture est indispensable à l’Homme. L’Homme est un animal culturel, c’est ce qui nous distingue des autres espèces. Quand la Culture va mal, l’homme va mal, la société va mal. La Culture, elle est porteuse de richesses (…) 45 milliards de revenus, elle est porteuse d’épanouissement individuel, d’élévation des individus, c’est fondamental, et elle est porteuse de lien social (…) Donc tout ce qui est « Cancel culture », c’est-à-dire « annulation de la culture », se fait au détriment de l’unité nationale. Donc pour la prospérité économique, pour l’émancipation individuelle, pour l’unité nationale il faut effectivement développer une culture offensive, c’est à dire qui permette à chacun de rencontrer les grandes œuvres de l’esprit, celles qui relient et celles qui élèvent1.
Je conserve cette citation car elle m’amuse par sa grandiloquence : sans la Culture avec un grand C, l’Humain redevient un animal parmi d’autres, le drapeau est en berne et nous perdons quarante-cinq milliards d’euros par an. Quarante-cinq milliards, c’est quand même une somme, ça en impose ! On sent le traumatisme de la Révolution Culturelle maoïste derrière ces considérations, ou plus fantasmatique, le spectre du Ministère de la Vérité dans le 1984 de George Orwell, où les faits sont constamment effacés de l’Histoire.
Mais concrètement, quand est-ce que des pans entiers de la Culture française ont été effacés, supprimés à l’initiative de vilains gauchistes, lesquels, au passage, sont loin de disposer du pouvoir médiatique qui le leur permettrait en France ? Si l’Histoire est bien constamment écrite et réécrite dans un but idéologique, c’est plutôt par les programmes de l’Éducation Nationale, qui selon l’époque va imposer une vision révolutionnaire, républicaine, napoléonienne, monarchiste, colonialiste ou encore universaliste, de ce qu’on voudrait être l’essence même de la France, oubliant ou minimisant volontairement des épisodes, en magnifiant d’autres, etc. Et je n’émets pas une critique, ici : hors de la recherche universitaire, l’Histoire avec un grand H est un objet politique et idéologique, c’est du reste ce que David Lisnard dit lui-même puisqu’il promeut une vision offensive et idéologique de la Culture. Il ne dit pas idéologique, parce qu’à droite, on pense que seule la gauche fait de l’idéologie2.
Les médias grand public (Le Point, L’Express, Marianne, Charlie Hebdo,…) tracent un contour plus pernicieux de ce qu’est la « Cancel Culture », en égrenant semaine après semaine une liste disparate de faits qu’ils y associent :
— On a renommé un roman d’Agatha Christie3. — Hachette a repris la traduction des aventures du Club des Cinq d’Enyd Blyton, et surtout la conjugaison, en remplaçant le passé simple par le présent, et en adaptant les références qui sentent un peu la naphtaline (on ne reçoit plus de télégrammes !)4. — Un collectif de salles de cinéma de Seine-Saint-Denis a annoncé se refuser à diffuser le film J’Accuse !, en réaction au retour d’anciennes accusations de viols, et à l’apparition de nouvelles accusations, dont faisait l’objet son réalisateur, Roman Polanski5. — On veut censurer Blanche-Neige car le Prince Charmant n’a pas respecté le consentement de la belle endormie6. — Des étudiants en colère ont empêché François Hollande de donner une conférence dans leur université, et déchiré quelques exemplaires de son livre7. Cette histoire faisait directement suite au suicide par immolation d’un étudiant, survenue quelques jours plus tôt, et sans rapport8 avec l’ancien président. — Ici et là on menace de déboulonner des statues d’esclavagistes notoires. — Une intervention intitulée «L’être humain à l’époque de sa reproductibilité technique», par la philosophe Sylviane Agacinski, dont l’hostilité à la GPA mais aussi aux autres formes de PMA est notoire, a été annulée à l’Université de Bordeaux, qui craignait des débordements puisque des associations LGBT avaient annoncé s’y rendre en force pour empêcher la tenue de la conférence9. — Après le témoignage de Vanessa Springora, qui fait de lui le portrait d’un éphébophile pour le moins pathétique, l’écrivain Gabriel Matzneff a vu ses amis, admirateurs et éditeurs d’antan prendre leurs distances. — Les éditions Albin Michel ne veulent plus publier les livres d’Éric Zemmour depuis qu’il a déclaré son intention de se présenter aux élections présidentielles.
Une femme Trans, déçue par une série de tweets de JK Rowlings, brûle ses exemplaires des romans de la série Harry Potter. Sur Youtube on trouve des autodafés des mêmes ouvrages, dix ans plus tôt… Par des fondamentalistes chrétiens que cela révoltait de voir les aventures d’un sorcier avoir du succès.
On voit que les cas sont très divers. En effet, sauf à prouver qu’il ait été victime de menaces, le fait qu’un éditeur n’ait plus envie de publier un de des auteurs est tout à fait son droit — autant qu’on ne peut pas empêcher un auteur de quitter son éditeur, comme l’a fait Philippe de Villiers en signe de solidarité avec Éric Zemmour. Par ailleurs quand un auteur à grands tirages quitte son éditeur historique, l’histoire qui se trouve derrière son départ est parfois plus compliquée qu’elle n’en a l’air et peut être aussi liée à des renégociations de pourcentages et à l’intervention de maisons d’édition concurrentes (mark my words). Les actualisations de textes, d’œuvres, le fait qu’à une époque on montre ci et occulte ça, me semble une question de tout temps, impossible à trancher : est-ce que demander à Lucky Luke de mâchonner un brin d’herbe plutôt que de fumer, comme ça s’est produit lorsque le personnage a vu ses aventures adaptées en dessin animé aux États-Unis (où l’on commençait à se poser des questions sur le tabac) relevait d’un insupportable sacrilège, ou était-ce une idée plutôt responsable ? Est-ce que transformer les Schtroumpfs noirs en Purple Smurfs, afin d’éviter une lecture raciste d’un ouvrage qui ne l’était pas mais le serait devenu dans le contexte étasunien a été une altération de l’œuvre, ou au contraire une adaptation intelligente ? Est-ce qu’on trahit une œuvre des années 1950 lorsque l’on transforme son message pacifiste en un message écologiste ? Chacun aura ses propres réponses selon le contexte et selon les cas. Je remarque qu’en France, notre sacralisation des notions d’auteur, d’artiste et d’œuvre nous rend respecteux mais peut nous amener à conserver dans le formol des récits et des personnages qui, autrement traités, eussent pu retrouver la vigueur et l’actualité qu’ils avaient à leur création. Inversement, les pratiques culturelles industrielles (Marvel, Disney, Warner,…), où les mêmes œuvres sont constamment réécrites (combien de genèses de Spiderman, des Avengers, etc. ?) et les auteurs occultés permettent de suivre l’air du temps, mais peuvent le faire au risque d’une perte de sens, voire d’une forme gravissime d’infidélité ou de contresens, comme cela s’est passé avec les remakes de Stepford Wives ou de Rollerball, films qui abaissent des œuvres politiques intelligentes à l’état divertissements réactionnaires médiocres10.
Je le dis clairement : je ne soutiens ni les pressions, ni les menaces, ni les violences, ni la censure, et au fond je suis très attaché à la liberté d’expression, car j’ai confiance : c’est quand les idées, même clairement néfastes, sont exprimées qu’on peut les contredire, et c’est par le dialogue et l’information que les gens de bonne volonté peuvent être suffisamment armés pour décider quoi penser. Quant aux autres, à ceux qui ne veulent ni apprendre ni comprendre, il ne sert à rien de les y forcer : tenter de convaincre est noble, intimer au silence est ignoble. Bref, je crois en la vérité, non comme un objet que les uns maîtrisent et pas les autres, mais comme une quête passionnante pour tous. Pour cette raison, et même si ce n’est qu’une anticipation du pilon — destin de la plus grosse partie du tirage de tous les livres politiques —, je trouve vraiment pitoyable d’aller déchirer des livres de François Hollande. Je pense aussi que c’est une erreur de se réjouir de voir telle ou telle personne se faire virer de Twitter. Et je pense qu’empêcher quelqu’un de donner une conférence est à la fois une faute tactique (la personne devient martyre) et une victoire misérable, puisque la seule vraie victime, finalement, c’est le débat : chacun campera sur ses positions, sans tenter de comprendre ou de convaincre l’autre. Même si j’imagine que ce n’est pas le but conscient, ce genre d’attitude sert moins à faire progresser la vérité qu’à déterminer et figer des camps. Je ne vois rien de plus stupide et de plus misérable, car aucun esprit collectif n’a de valeur sans la liberté et l’autonomie intellectuelle des individus. Et en cas d’abus manifestes de la liberté d’expression, si certaines bornes sont dépassées, ma foi, il existe des lois et des juges pour le dire.
Puisque je suis contre la censure, je suis souvent opposé aux attitudes que les newsmag réactionnaires, avec qui j’aimerais pourtant ne pas être d’accord, incluent à la notion de « Cancel culture », mais je note que leur usage du terme se limité à fustiger les censures ou les violences qui émanent de camps progressistes : féminisme, antiracisme, lutte contre l’homophobie. Ceux qu’ils aiment désormais appeler « wokes ». Ils ne parlent jamais de « Cancel Culture » lorsqu’il est question : — du licenciement d’un vieux dessinateur de mauvaise réputation. — du chahut ou des dégradations causés par les associations « morales » qui protestent contre une exposition ou œuvre d’art qu’elles jugent anti-catholique. — de Mennel Ibtissem, une jeune chanteuse qui avait dû quitter l’émission The Voice car son statut de musulmane et une paire de tweets de jeunesse avaient fait polémique. — d’un ministre de l’Intérieur qui affirme qu’il empêchera un spectacle de Dieudonné d’avoir lieu, quand bien même la justice l’a autorisé. — d’une ministre en charge de l’enseignement supérieur qui commandite une enquête sur les opinions politiques de ses agents. — de calomnies diverses contre des street-reporters, dont le droit à travailler est dénié par certains, qui vont contre tout ce qui fait l’esprit et la beauté de la loi de 1881. — de la suppression des ondes d’un rap qui critique la police. — de la réglementationnite des vêtements féminins jugés trop ou pas assez couvrants. — de la violente remise en question, depuis près d’une dizaine d’années, du droit à manifester (eh oui, pourquoi pas ?).
On peut aussi parler des débats qui font rage chaque fois qu’un remake modifie le genre, l’orientation sexuelle ou la couleur de peau d’un personnage : comment, une Petite Sirène noire ?11 Quoi quoi quoi, un feuilleton nommé Lupin dont le rôle principal est tenu par Omar Sy ?12 Hein, Une agent zéro-zéro-sept femme ?13 Une équipe de Ghostbusters dont les membres sont des femmes, et dont le standardiste est un homme ? Des cow-boys gays ? Une Power Ranger lesbienne ?…
Pétition qui, je crois, a fini par être retirée — j’ai retrouvé cette capture mais pas la pétition originelle.
Je dois dire que ce qui me met chaque fois mal à l’aise dans ces histoires, c’est avant tout la fragilité blanche-hétéro-masculine qui s’exprime à leur occasion, cette peur de partager un peu d’existence symbolique, cette peur de laisser des gens qu’on est habitués à considérer comme « les autres », « les pas-comme-moi » avoir des premiers rôles, eux aussi, ne pas être juste des accessoires, des satellites. Cette mentalité ne me révolte pas, je la trouve surtout triste dans le fond et inquiétante de par les réactions et les violences (au moins verbales) qu’elle provoque. Un homosexuel est capable de comprendre une histoire d’amour hétérosexuelle, un coréen ou un sénégalais peuvent s’identifier à Han Solo, une femme peut s’imaginer en Robin des bois plutôt qu’en Lady Marian, alors pourquoi est-ce que les hommes-blancs-hétéro seraient eux incapables de comprendre les sentiments de quelqu’un dont la couleur de peau, les amours ou le genre sont différents ?
Enfin, pour reparler de « Cancel Culture », à quel point ceux qui disent des choses telles que « On est envahi de gays » (Christine Boutin), qui se plaignent de la « tyrannie des minorités » (Michel Onfray), et autres apitoiements du même tonneau, ne sont pas en train d’appeler implicitement eux-mêmes à ce que l’on enlève leur visibilité à tel ou tel groupe — tout en affirmant que c’est eux que l’on censure ?
Mais en fait ce n’est pas tout à fait ça, la Cancel-culture
Comme je le disais en introduction, la locution « Cancel culture » a pris son autonomie en France, car son sens originel n’est pas lié à la censure d’œuvres par des gens qui n’aiment pas leur auteur mais à la dénonciation de personnes, au « call-out », c’est à dire l’hallali contre une personne — et une personne issue du même groupe. Ça se produit typiquement au sein des milieux militants : telle personne a été accusée de ci ou ça (une opinion divergente, ou un délit), et elle se fait violemment ostraciser par ses anciens compagnons de combat, se voit accusée et condamnée sans procès, parfois de manière totalement injuste, parfois sans la finesse qui serait nécessaire. Et ceux du même milieu qui ne participent pas à la bronca se voient souvent harcelés et intimidés à leur tour. Pour des auteurs, des artistes, cela peut effectivement aboutir à des embarras professionnels (conférence annulées,…) voire des autodafés14. Je crois que ce phénomène est, pour le coup, assez typique du camp progressiste, où la vertu fait loi, et où le sentiment d’être du côté de la justice ne va pas toujours jusqu’au souci de discerner vraiment ce qui est juste. Typique, mais pas forcément limité au camp progressiste, car on trouve des cas semblables chez les nationalistes, dans des groupes religieux ou sectaires évidemment, mais aussi, rappelez-vous, dans les bandes d’adolescents. J’imagine que ce genre d’expulsion violente des brebis réputées galeuses est aussi un moyen pour cimenter le groupe.
Pour ceux qui parlent anglais, la youtubeuse politique ContraPoint a réalisé une vidéo sur le sujet — elle a elle-même été violemment ostracisée par sa propre communauté —, dont je recommande au moins le premier quart d’heure, qui est très pédagogique (et servi par un certain humour). Sa définition de la « Cancel-culture » est : l’opprobre et l’ostracisation, en ligne, de personnalités proéminentes d’une communauté par d’autres personnes de cette communauté (« online shaming vilifying and ostracizing of prominent members of a community by other members of that community »).
Ce n’est pas vraiment une nouveauté : à l’époque aujourd’hui révérée des Encyclopédistes, on pouvait se voir ostracisé de manière plus ou moins brutale, comme Jean-Jacques Rousseau que les regards en coin de certains de ses pairs, après quelques opinions impopulaires (sur la médiocrité de la musique française, notamment, si je me souviens bien), ont fini par rendre un peu paranoïaque15. Plus proche de nous, on se souviendra des excommunications au Parti Communiste Français. Et on peut relire Le Confort intellectuel de Marcel Aymé, où plus personne ne veut être vu discutant publiquement avec le narrateur parce qu’on lui trouve — et ça se passe à la Libération — « une tête de collabo ». J’imagine que le fonctionnement des réseaux sociaux change l’échelle et la manifestation de ce genre de phénomène.
Quand ça s’applique à des artistes, à des auteurs, on en parle dans les médias, cela fait débat, et la plupart du temps, sans doute pas grand mal — j’ai l’impression des gens comme Polanski, Zemmour ou Dieudonné gagnent du public chaque fois qu’on les attaque, et même s’il termine sa carrière et son existence de manière particulièrement lamentable, Gabriel Matzneff peut se consoler en se disant que, enfin, après des décennies de publications, des gens ont lu ses livres. Ils les ont lus pour y trouver des éléments à charge, certes, ils les ont lus pour y constater une plume assez médiocre, certes, mais au moins, ils ont lu — car Matzneff faisait partie de ces gens dont on salue le talent et la culture par automatisme et sans pour autant les lire. Quand le « call-out » vise des gens qui n’ont pas de tribune pour s’expliquer, qui n’ont pas de groupe pour les défendre, qui n’auront pas droit à faire l’objet de débat, qui n’auront pas droit à une enquête, à un procès, dont les pairs d’autrefois sont devenu les pires ennemis, des gens, en bref, qui n’existaient que par le réseau social qui subitement les exclut, les dégâts psychologiques de ce rejet peuvent certainement être ravageurs.
Faites-en ce que vous voulez, moi je m’en tiens à une ligne très simple : j’essaie de considérer chacun comme un individu pensant et non comme l’agent d’un groupe, je m’efforce de discuter avec ceux avec qui je ne suis pas d’accord quand j’en ai le courage, de les éviter quand je n’ai pas l’énergie d’affronter leurs mauvaises ondes. De me rappeler qu’une erreur (la nôtre, celle de l’autre) est quelque chose qui se corrige, pas un marque d’infamie éternellement ineffaçable. Et enfin, j’essaie de faire attention à ne participer à aucun mouvement de foule. Voilà. C’est tout. L’article est terminé. Vous pouvez partir maintenant. Ouste.
Je crois bien que ça existe déjà sous les noms d’École, de musée, d’éducation populaire, et d’initiatives associatives ou privées diverses et variées,… [↩]
Au passage, pour revenir sur la question Nature/Culture, je note que le conservatisme politique se réclame souvent de la Nature, et pas seulement dans le domaine du genre et des comportements amoureux : le Capitalisme, par exemple, est souvent présenté comme « naturel », tandis que la redistribution des richesses est censée être artificielle. Bon ok ça n’a rien à voir avec le reste de l’article mais j’y pense subitement. [↩]
Au passage, le changement de titre de Ten Little niggers, a été accepté par Agatha Christie elle-même lors de la publication étasunienne du roman (And Then There Were None), en 1940, et ce d’autant plus volontiers que ce titre n’était pas d’elle ! [↩]
Mes deux centimes sur le sujet : une traduction est toujours une réécriture, et il n’est pas rare que les adaptations vieillissent beaucoup plus mal que les œuvres d’origine. Que l’on considère une œuvre comme sacrée, je veux bien, mais sa traduction n’est jamais qu’une traduction et il n’y a rien de déshonorant a priori dans l’idée de la refaire — l’important est juste de le faire bien. Je remarque que personne n’a protesté contre ce qui me semble le plus choquant, en tant qu’ancien lecteur : le suppression d’une grande partie des illustrations ! [↩]
Finalement les salles en question se sont dégonflées, elles ont programmé le film tout en annonçant que les projections seraient accompagnées de débats. [↩]
Cette histoire est complètement absurde, personne n’a proposé de modifier le compte, un article se posait juste la question du consentement,… Ça n’a pas empêché des journées de débats à ce sujet. [↩]
L’infortuné François Hollande s’est ému d’être victime d’un tel rejet, lui qui, je le cite, « a toujours placé la jeunesse et la justice sociale au cœur de son quinquennat ». Ironie de l’Histoire, c’est le syndicat étudiant de droite UNI qui a défendu Hollande contre des étudiants militant dans les organisations où il s’était lui-même inscrit dans ses jeunes années. [↩]
Addendum : pas absolument sans rapport, l’étudiant avait en effet laissé une lettre accusant Macron, Hollande, et l’Union européenne de sa situation de détresse, cf. commentaires. [↩]
On notera qu’on ne saura jamais si les associations en question auraient effectivement pu perturber la séance, puisque c’est l’Université qui a fait le choix de la déprogrammer. [↩]
Fait oublié : le conte d’Andersen se déroulait précisément dans des îles Caraïbes ! [↩]
Notons qu’Omar Sy n’interprète pas Arsène Lupin, mais quelqu’un que les aventures d’Arsène Lupin passionnent… [↩]
Notons que ce n’est pas James Bond qui est censé changer de genre, mais la personne titulaire de la licence du permis de tuer numéro 007. [↩]
Exemple : J.K. Rowling, accusée d’être transphobe, dont les anciens lecteurs de Harry Potter déçus brûlent cérémonieusement les livres sur Youtube,… [↩]
La vie dans le monde intellectuel du XVIIIe siècle me semble toujours permettre toutes sortes de parallèles avec nos actuels réseaux sociaux. [↩]
S’il voulait faire causer les causeurs, c’est réussi.
Dans un fil sur Twitter, le philosophe médiatique Raphaël Enthoven s’est posé la question de ce qu’il voterait à l’élection présidentielle s’il était amené à choisir entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, deux personnalités qu’il qualifie avec une certaine légèreté de « Peste ». Peste brune pour la première, et peste rouge-brun pour le second. Dans sa démonstration, si j’ai suivi, il explique qu’il préfère une candidate issue d’une tradition explicitement et éhontément anti-républicaine à un parti dont le chef parle très bien de République, mais s’est détourné de cet idéal dès lors qu’il a reproché au président élu de ne pas être le représentant légitime des Français ; dès lors qu’il a défilé dans une manifestation contre l’Islamophobie1 ; dès lors qu’il a haussé le ton contre un juge d’instruction qui venait perquisitionner ses locaux2. Eh oui, à choisir entre rouge-brun (on aimerait savoir ce qui justifie le « brun » !) et brun-tout-court, en l’absence de vote blanc, le philosophe choisit le camp du brun. J’en déduis que le problème, c’est le rouge.
Raphaël Enthoven affirme sans grandes preuves que dès son arrivée au pouvoir s’il devenait président, Jean-Luc Mélenchon changerait la constitution pour s’y instituer dictateur, « en faisant passer ça pour une république populaire ». C’est à mon avis une vraie erreur d’analyse, car quoi que l’on pense de Mélenchon, il n’est pas tout seul, et même si son parti est constitué autour de sa candidature (que dire de Macron, alors ?), cette mouvance politique ne me semble pas franchement mue par un culte du chef qui permettrait de passer d’une République à une dictature en un clin d’œil. Au passage le philosophe avance aussi que sous un éventuel règne de Mélenchon la liberté académique serait sacrifiée au profit d’idéologies, je cite, « décoloniales » et « islamogauchistes ». Mouvances qui, se hasarde-t-il à dire, sont peut-être d’ores et déjà majoritaires à l’Université. Cette dernière précision est intéressante : si les universitaires sont déjà conquis volontairement aux idées qu’il réprouve, veut-il nous dire qu’il compte sur le Rassemblement national pour y mettre bon ordre, et décider des opinions qui sont licites dans l’enseignement supérieur ? L’épithète « Islamogauchiste » n’a pas grand sens, je suis sûr que ceux qui l’utilisent comme arme de dénigrement sont les premiers à le savoir, mais le mot « décolonial » est un peu plus concret, et souvent revendiqué. Et pourquoi non ? De nombreuses tensions en France et dans le monde entier sont les conséquences directes d’un passé colonial récent, et y réfléchir ne sera jamais un luxe : des disciplines telles que l’Histoire, l’Anthropologie ou les sciences politiques ne peuvent faire autrement que d’étudier la question (post/dé)-coloniale. Et au fait, quel serait le contraire de « décolonial » ? Comment ne pas se rappeler, dans le dilemme proposé par Enthoven, que le Front National est précisément un parti issu du contexte post-colonial, avec ses nostalgiques de l’Algérie Française, mais aussi avec son obsession de l’immigration économique, elle aussi une conséquence directe de la décolonisation ?
Sans doute que si on n’est ni étranger, ni noir, ni maghrébin, ni musulman, ni femme, ni écologiste, ni cycliste, ni militant pour la justice sociale, ni agent du service public, si on ne fait pas partie des cibles habituelles de l’extrême-droite, quoi, alors l’alternative proposée doit être presque équivalente. Et si en plus on est bourgeois, et que l’on imagine que le but de la France Insoumise est d’installer une dictature Chaviste en France3, comme les bourgeois de 1981 pensaient que l’élection de Mitterrand serait l’occasion de voir les chars soviétiques envahir la place de la Concorde, là, oui, on comprend qu’il est une meilleure affaire de soutenir un parti qui promet l’ordre à un parti qui promet le changement. « Plutôt Hitler que le Front populaire, plutôt Hitler que Blum », disaient les industriels des années 1930. Ils ont eu Hitler. Ils ne l’ont pas tous emporté au Paradis.
Le cas Mélenchon
Enthoven dit « plutôt Trump que Chavez », mais pour moi, Mélenchon tient bien plus de Trump que de Chavez. Car son plus gros défaut c’est que, comme Donald Trump, il n’est pas franchement bon perdant. Mélenchon avait par exemple traîné des pieds lorsqu’il s’est agi d’appeler explicitement à voter contre Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2017. Au passage, Raphaël Enthoven, qui aujourd’hui nous dit qu’il voterait Le Pen contre Mélenchon, reprochait à Mélenchon de ne pas voter Macron contre Le Pen. Oh, bien sûr, c’était de la fierté, de la part de Mélenchon : lancer un tel appel n’aurait aucun effet sur les votes eux-mêmes, mais revenait à baisser la tête en signe d’allégeance, devant un programme pourtant aux antipodes du sien. Ensuite Mélenchon a insisté, rappelant continuellement qu’il était passé à un cheveu (600 000 voix, un gros cheveu, quand même) du second tour4, affirmant qu’Emmanuel Macron l’avait emporté par ruse ou quelque chose du genre, et qu’avec le peu de suffrages qu’il avait obtenu au premier tour, et même au second, il ne représentait jamais qu’un petit pourcentage des citoyens, ce dont l’ampleur du mouvement des Gilets jaunes en est la preuve, etc. Cette vision des choses souffre d’un problème majeur : si Jean-Luc Mélenchon, François Fillon ou Marine Le Pen l’avaient emporté d’une courte tête, leur légitimité n’aurait été ni plus forte ni moins forte que celle d’Emmanuel Macron aujourd’hui. C’est un problème terrible, d’ailleurs : le pays est vraiment divisé, nous votons plus volontiers « contre » que « pour », et j’irais jusqu’à avancer que c’est ce qui a permis l’élection de Macron : en 2017 il avait un peu moins d’ennemis que ses concurrents. Au passage, Mélenchon feint d’oublier que dans la foulée de l’élection présidentielle, les élections législatives ont nettement confirmé le choix opéré. La seule légitimité qui vaille, la seule chose qui rend des élections possibles, c’est que tous acceptent les règles de départ. Et en les contestant après coup, Mélenchon ne rend service à personne — c’est l’unique point sur lequel je peux rejoindre Enthoven —, ni aux idées qu’il défend.
Jean-Luc Mélenchon peut être très bon orateur, très bon politique. Je me souviens d’une conférence assez longue qu’il avait donnée devant des étudiants avant les dernières élections présidentielles. Il y expliquait parfaitement son programme, avec méthode et pédagogie, de manière rationnelle — nul coup de sang, ni recours à l’émotion ou autre facilité —, en passant en revue une quantité extravagante de grands sujets, inscrits dans une perspective historique très précise. Il était bon. Et un détail m’avait marqué : il s’excusait d’être de sexe masculin, et disait que la prochaine fois, c’est à dire en 2022, il faudrait que ce soit une femme qui se présente, et pas lui. Que pour lui, c’était la dernière fois, que les choses se présentaient comme ça cette fois, mais que ça devait changer à l’avenir. C’était un proposition louable à la fois pour son féminisme, mais aussi parce que le fondateur des Insoumis acceptait que les idées de son parti soient portées par quelqu’un d’autre que lui-même. C’était bien, mais c’était faux, tout comme son projet de remettre en cause le caractère monarchique de la présidence, sans doute, car tout bien réfléchi, il ne semble toujours voir personne d’autre que lui-même qui soit plus à même de devenir président. Il ne semble pas avoir encouragé les parcours de potentiels présidentiables au sein de son parti — une candidature, ça se construit sur la durée —, et ceux qui l’ont s’en sont détournés disent qu’il prend assez mal les remises en cause en interne de sa stratégie.
Tout ça est bien dommage, mais Jean-Luc Mélenchon n’est qu’une personne, pas un groupe politique, pas un parti, pas un programme. Et quoi qu’on pense des personnes qui les incarnent5, les programmes des différents groupes politiques ne sont pas franchement interchangeables :
Dans ma boîte-aux-lettres, les tracts pour les élections régionales…
Le Front National6 promet de l’autorité et du patriotisme. Quoique ça veuille dire. Il promet des trains propres et à l’heure7, moins d’impôts, et une lutte contre l’islamisme pour protéger « notre culture » et « notre cadre de vie ». Quoi que ça veuille dire. De son côté, le programme de la France Insoumise et des ses soutiens (Parti Communiste, Ensemble! ) est un peu plus concret : emploi, logement, culture, éducation, social… Je ne sais pas dans quelle mesure ce programme est susceptible d’être tenu, mais au moins c’est un programme, il paraît tourné vers l’intérêt public et ne manque pas d’ambition. La comparaison me semble vite vue.
Que Raphaël Enthoven ne voie pas la différence, qu’il ramène tout à la question du tempérament des personnes, qu’il néglige non seulement les propositions de chaque camp, mais aussi leur Histoire, les propos de leurs cadres et de leurs militants, est plutôt inquiétant.
Mélenchon n’était pas seul à défiler contre l’Islamophobie en novembre 2019 : l’appel avait été signé par de nombreuses personnalités du monde politique, associatif, académique, journalistique,… On peut le lire ici. [↩]
Les philosophes aiment faire parler les morts pour faire dire ceux-ci qu’ils étaient d’accord avec eux. Ici c’est Vladimir Jankélévitch, « le marcheur infatigable de la gauche », qui est appelé à la rescousse : « Mais comme dit Jankélévitch, « on ne fait jamais assez de bien, et toujours le mal une fois de trop. » Que nous importe que @JLMelenchon ait été républicain, puisqu’il ne l’est plus ? ». [↩]
À ma connaissance Mélenchon a cessé de prendre véritablement Hogo Chavez pour référence bien avant la mort de ce dernier, en 2013… Même s’il n’est pas du genre à démordre publiquement des ses opinions sur commande, il me semble que cette référence est passée depuis longtemps et qu’elle n’est jamais revendiquée par des personnalités proéminentes de la France Insoumise. [↩]
Mais Fillon a été floué, à coup de rocambolesques histoires de costume offert (et autres histoires un peu moins cousues de fil blanc) ; Hamon a été floué, saboté par son propre parti. Même s’il a eu un cinquième des voix, Mélenchon n’est arrivé que quatrième. [↩]
Et Marine Le Pen, au fait, qui est-ce ? En y réfléchissant, je vois une survivante, une femme qui est parvenue à s’imposer dans un parti masculiniste, une « fille de » qui est parvenue à en remontrer à son père. Reste que le parti dont elle a hérité porte des valeurs méprisables — repli sur soi (un soi imaginaire) et peur des autres (des autres imaginaires). Rien à sauver ici. [↩]
Le Front National a été renommé « Rassemblement national », mais c’est le même parti. [↩]
Drôle de référence, on connaît la vieille propagande qui affirme que « Au moins sous Mussolini les trains arrivaient à l’heure » — ce qui, au passage, est une réputation infondée ! [↩]
(Pour ceux qui liront cet article longtemps après sa publication, je rappelle le contexte : Robert Ménard, maire de Béziers et proche (quoique non encarté) du Rassemblent National, a utilisé une ancienne couverture de Charlie Hebdo en hommage à Samuel Paty1. Pour Charlie Hebdo, qui a une vieille tradition de lutte contre l’extrême-droite, c’est dur à avaler.)
La controverse qui oppose Charlie Hebdo à Robert Ménard est au fond assez intéressante. Certes, Cabu serait sans doute révolté d’apprendre qu’un de ses dessins est utilisé par une municipalité d’extrême-droite, qui représente tout ce contre quoi il a lutté tout au long de sa carrière — on est à la limite de la provocation.
Chez Charlie Hebdo, on qualifie cette récupération de « détournement », comme si le message originel était perverti et que l’on faisait dire à Cabu autre chose que ce qu’il a voulu dire. Mais ça ne me semble pas évident. Le slogan ajouté sur l’affiche (« Non au terrorisme islamiste ! »), ne s’en prend toujours qu’aux seuls terroristes et donc, reste conforme au propos de Cabu tel qu’analysé par la rédaction de Charlie Hebdo : « il vise seulement les intégristes ».
la réponse de Charlie, sur Twitter.
En fait, le slogan ajouté renforce plutôt le propos et, en tout cas, permet de lever toute ambiguïté à son sujet : c’est bien le fait d’être aimé par les intégristes qui fait pleurer le Mahomet dessiné par Cabu. L’affirmation « Lire un dessin de presse, ça s’apprend, ça ne se détourne pas » (phrase sémantiquement bancale, non ?) est donc énoncée en fonction d’une accusation injuste : l’interprétation du dessin est strictement la même à Béziers qu’à Paris.
Ce qui fait mal, ce n’est donc pas la question d’une mauvaise interprétation du sens du dessin ou d’une altération de son propos, c’est le contexte de cette diffusion. Si ces mêmes affiches, sans rien changer, avaient été placardées dans une municipalité d’un bord plus respectable, la réponse aurait été différente. Pour preuve, le même jour exactement, des militantes féministes qui avaient été arrêtées pour avoir pratiqué l’affichage sauvage d’un dessins de Charb avaient été défendues par Charlie Hebdo2.
J’ignore si Ménard a pris un plaisir pervers à afficher sa compatibilité avec un dessin issu d’un journal qui a naguère tenté de faire interdire le parti qui le soutient, mais aussi horrible que ça soit de l’admettre, si détournement il y a, celui ci n’est pas dans le message et, sauf au chapitre du droit d’auteur, qui permettrait sans doute de pénaliser cette campagne d’affichage, je dirais (désolé) que (je suis vraiment désolé) Robert Ménard est (argh) autant dans son droit que les mille et une autres personnes qui placardent des dessins issus de Charlie en hommage à ses morts ou à la liberté d’expression. Le problème de l’affichage par Robert Ménard n’est donc pas ce qu’il fait dire aux affiches, c’est qu’il soit Robert Ménard et que son aura politique, les opinions et les intentions dont il est soupçonné, influenceront la lecture de l’image par le public.
La récupération par Jean Messiha, cadre du Rassemblement national, est nettement moins justifiable et relève du détournement puisqu’il voir en Charlie Hebdo un « étendard identitaire de la France » à la suite de la publication de cette « une » qui raille le président turc Erdoğan après que ce dernier ait demandé à ses compatriotes de boycotter les produits français en représailles du soutien affirmé d’Emmanuel Macron au droit à la caricature.
Pour qui s’intéresse un peu à l’image, ça ne constituera pas un scoop, mais pour les autres, ce sera peut-être l’occasion d’une révélation : découvrir qu’une image n’existe pas par elle-même, qu’elle s’inscrit dans un contexte, une « écologie des images », pour reprendre la formule d’Ernst Gombrich. Ce contexte va des conditions de la création de l’image (intentions de l’auteur, clarté du message, actualité dans laquelle s’inscrit le propos,…) aux modalités de sa diffusion (réputation du support éditorial, moment de la publication, contenus attenants,…), et tout cela aura une influence sur sa réception et déterminera le sens qu’on en tire. Une caricature antisémite est révoltante sur un tract politique, mais la même sera tout à fait à sa place dans une exposition consacrée à l’Occupation. La réception de l’image elle-même constitue un contexte : à qui est destinée l’image, quelles personnes sont prêtes à comprendre ou accepter l’image ? Avoir des échanges de point de vue sur la laïcité avec des musulmans qui s’affirment offensés en France est une chose, mais comment faire lorsque cette même image touche des gens qui vivent loin d’ici ? Quand elle touche des gens qui d’ailleurs ne verront pas cette image et ne feront qu’en entendre parler ? Comment expliquer la diversité d’opinions à des gens qui n’ont expérimenté comme mode de gouvernement que des dictatures et qui ne pourront de toute façon jamais entendre le propos, non seulement par méconnaissance de la philosophie des Lumières, par manque de familiarité avec l’Histoire française de la liberté de la presse et de la laïcité, mais aussi parce que, de toute façon, l’argumentaire à ce sujet n’arrivera pas jusqu’à eux ?3 Que leur expérience de la caricature est bien différente ? Dans les pays qui connaissent des guerres liées à l’ethnie ou à la religion, la caricature n’est pas un innocent défouloir, c’est parfois le prémisse d’un massacre. Ce fut le cas par exemple pour le génocide de la population Tutsi au Rwanda. Comment empêcher des gens qui ont le souvenir encore vif de ces événements de lire ce qu’ils ressentent comme des attaques de leur personne avec une même grille d’interprétation ?4. Tout bêtement, comment expliquer, au delà des frontières françaises, l’innocuité de l’esprit « Bête et méchant » ?
Dans certains pays on sait que la caricature peut être annonciateur et peut-être vecteur, instrument de massacres à venir. Nous ne l’avons d’ailleurs pas oublié ici dans le cas des caricatures antisémites. l’image est issue de Rwanda. Les médias du génocide, 2000 , ouvrage dirigé par J.-P. Chrétien, éd. Karthala.
Notre monde a beaucoup changé : je ne sais pas si le battement d’ailes d’un papillon peut provoquer un ouragan aux antipodes, mais il peut désormais être partagé des millions de fois sur Facebook et Youtube, et être commenté à l’infini. Alors est-ce que pour Charlie Hebdo, tout peut continuer comme avant ? Est-ce qu’on peut croire être une feuille de chou de déconneurs parisiens qui font marrer leur public en se défoulant sur Giscard et Lecanuet quand les dessins qu’on produit ne seront jamais montrés en Mauritanie ou au Niger, mais y seront commentés par des gens qui n’ont aucune idée de ce qu’ils signifient ici, et verront ces discussions provoquer des drames5 ? Même ici, du reste, le nombre de gens qui ont une opinion, favorable ou défavorable, sur Charlie Hebdo, excède de loin le nombre de ses lecteurs, voire même le nombre des gens qui ont déjà tenu le journal entre les mains ne serait-ce qu’une fois. Sans doute est-il, dans les faits, impossible de continuer comme avant. Je lis souvent Charlie Hebdo, pour voir où ça va, et je remarque que les textes sont sérieux et se prennent au sérieux, et que les dessins sont, pour l’essentiel, tristes à pleurer, enfin presque jamais drôles, et on sait pourquoi, évidemment : ce journal est en deuil, sous pression, attaqué — et plus d’un lecteur en diagonale m’associera à ceux qui l’attaquent, bien sûr. Je suis toujours frappé par le caractère très insensible des dessins de Riss, aussi. La semaine dernière, un prof a été décapité parce qu’il a montré deux dessins issus de Charlie. Dans le numéro de la semaine, ça rigole sur la décapitation et sur les tchétchènes qui ont du mal à apprendre le français, il y a quatre pages spéciales pour nous dire que tuer des gens pour des dessins, c’est pas bien, pour dire que la liberté d’expression, c’est bien, pour taper sur la partie de la gauche qui refuse de stigmatiser les musulmans… Mais, sauf erreur d’inattention, je n’ai vu nul rappel du fait que ce sont deux dessins venus du journal pour lesquels ce pauvre homme est mort. Non que Charlie eût à se reprocher quoi que ce soit, le seul coupable d’un meurtre est le meurtrier,
Recep Tayyip Erdoğan explique qu’il n’a pas regardé le dessin qui le représente, mais ça ne l’empêche pas d’y voir une hostilité envers les musulmans d’une part et la Turquie d’autre part, qui seraient incarnées dans sa personne, apparemment, tandis que Charlie Hebdo, à le croire, serait piloté par l’Élysée. Je suppose que la grande majorité des gens à qui s’adresse un tel discours aurait du mal à imaginer que Charlie Hebdo peut tout à fait produire le même genre de dessin en visant Emmanuel Macron lui-même…
Je place la liberté, et bien sûr la liberté d’expression, très haut. Le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo m’a affligé au delà des mots, celui de Samuel Paty tout autant, et je n’ai que mépris pour les islamistes et leurs revendications, comme pour les hypocrites chefs d’État de dictatures pourries qui se servent de ce genre d’histoire pour souder leurs populations autour de leur misérable personne. Je comprends aussi que la rédaction de Charlie se sente en mission, et on ne doit pas d’égards ou de politesse à ceux qui veulent vous faire taire. Une partie de moi-même les soutiendra toujours pour ça, par principe. Reste que quelque chose ne fonctionne plus dans la démarche de Charlie Hebdo : quand on n’arrive plus tellement à être compris, quand on est célébré par des gens dont on n’aime pas les idées, et critiqué par des gens qui se réclament d’une certaine idée du progrès, c’est peut-être qu’il faut réfléchir non seulement à ce qu’on veut dire, mais aussi à la manière dont le propos sera reçu.
Samuel Paty était professeur d’histoire à Conflans-sainte-Honorine. Il a été décapité pour avoir montré à ses élèves deux dessins représentant Mahomet. Un parent d’élève avait raconté que les élèves musulmans avaient été sommés de sortir au moment de la projection d’une image destinée à les choquer. Le récit de sa fille, qu’il répétait, s’est avéré faux, puisqu’elle n’avait pas assisté au cours en question, mais l’affaire, montée en épingle sur les réseaux sociaux, a fini par amener un russe tchétchène à commettre le meurtre. [↩]
Rappelons que le parent d’élève de Conflans-sainte-Honorine a publié une vidéo où il racontait qu’on avait fait sortir les musulmans de classe pour leur montrer « une photo d’un homme nu » (?), censée être le prophète, chose que lui avait décrit sa fille qui elle-même n’y était pas et se l’était fait raconter par d’autres… Pas besoin d’aller très loin pour que l’évaluation juste des faits soit possible. [↩]
Et non, critiquer une religion n’est pas juste critiquer une opinion, car même si c’est l’intention de départ et même si elle est philosophiquement légitime, le résultat est que ce sont les croyants qui se sentent visés. Et dans bien des endroits du monde, la confession religieuse se confond avec une identité plus générale (famille, ethnie, nation) dans laquelle on est né… [↩]
Au Niger en 2015, un centre culturel français incendié et plusieurs morts, dans plein de pays le personnel diplomatique français caillassé, menacé ; etc. [↩]
(Article long et ennuyeux qui prend pour prétexte une petite phrase sans intérêt. Sans intérêt, mais pas sans implications, d’autant qu’elle a été reprise favorablement par pas mal de gens !)
Je ne sais pas exactement ce qu’est la philosophie. J’en ai lu pas mal, pourtant, les sujets m’intéressent souvent (et même, la plupart des sujets qui m’intéressent relèvent de la philosophie), mais c’est un fait : n’ayant pas fréquenté le lycée, je comprends mal cette discipline et son fonctionnement. Je crois y avoir identifié, entre autres buts, celui de chercher à comprendre et à décrire le monde avec distance, d’une manière qui échappe un peu aux lieux communs. Mais quand j’écoute Michel Onfray, qui est pourtant (médiatiquement en tout cas) le plus célèbre philosophe français d’aujourd’hui, qui a été dûment formé à sa discipline, qui l’a enseigné, qui la connaît sans doute bien, je me pose des questions, car il me semble qu’il fait tout pour ramener tout débat au niveau des pâquerettes. Je ne dis pas ça pour être méchant, et je ne mets pas les philosophes sur un piédestal, ça ne me gène pas qu’il se targue d’un tel titre, j’essaie juste de comprendre.
Cnews, le 11 juin, 18h25
Donc la citation choquante de la semaine, qui fait écho aux demandes de censure de films ou aux dégradations de statues d’esclavagistes célèbres est celle-ci :
« On est incapables d’historiciser, aujourd’hui, on est incapables de dire : mettez ça dans le contexte. On va pas se mettre à détruire la grotte de Lascaux sous prétexte que les hommes donnaient probablement des baffes à leurs femmes. »
Ce qui m’intéresse ici ce n’est pas tant le raisonnement développé que les affirmations secondaires sur lesquelles il s’appuie. L’auteur de la citation fait quelques raccourcis : ce qu’il nomme « grotte de Lascaux » ce sont bien entendu les peintures de la grotte et pas la cavité géologique elle-même. Quand aux « hommes » qui serviraient de motivation à une telle destruction, on supposera qu’il s’agit non pas de personnages représentés (je crois qu’il n’y a qu’une représentation d’homme dans la grotte, et aucune figure de femme), mais des personnes qui ont réalisé ces peintures — ce nous éloigne quelque peu du cas des statues de Léopold II, des esclavagistes américains ou de Colbert qui font débat en ce moment non pour leurs auteurs mais pour le symbole que représentent leurs sujets. Puisqu’il accuse lesdits hommes-de-Lascaux de violences conjugales envers « leurs femmes », on supposera qu’il utilise le mot « homme » non dans un sens générique qui inclurait tous les humains quel que soit leur sexe, mais au sens plus restreint de « masculin ». Il part donc du principe que les personnes autrices des ornements de la grotte de Lascaux étaient des mâles.
À la décharge d’Onfray, cela ne fait pas si longtemps que les paléontologues se posent la question du genre des artistes du paléolithique. Et cela ne fait pas si longtemps non plus qu’on admet que les femmes peuvent créer ou avoir une activité intellectuelle véritable. Pendant toute l’époque moderne (de la Renaissance à la Révolution industrielle), qui est aussi la période pendant laquelle a été inventée la mythologie de l’artiste1, les femmes n’ont eu qu’exceptionnellement l’occasion de s’affirmer officiellement en tant que créatrices, se voyaient barrer l’accès aux académies, se voyant interdire de fait certains registres, certains sujets, faisant parfois une longue carrière mais disparaissant des ouvrages d’Histoire de l’Art derrière un époux, un père ou un frère. La représentation mentale de l’archétype de l’artiste qui découle de cette Histoire est donc celle d’un mâle, et on ne compte pas les intellectuels qui ont pontifié sur la question en confondant corrélation et causalité, en confondant leur bout de lorgnette avec le réel, expliquant que, par nature, les femmes ne pouvaient être des créatrices, des inventeuses, ou du moins qu’elles ne pouvaient guère se réaliser dans un tel domaine autrement que par la reproduction.
L’Odyssée de l’espèce (2003). Ce documentaire qui cherchait à reconstituer sous forme semi-fictionnelle l’existence de nos plus anciens ancêtres était, paraît-il, respectueux des connaissances les plus à la pointe du moment. Ce qui ne l’empêche pas de spéculer sur la nature des rapports hommes-femmes et sur la répartition sexuée des rôles.
On se rappellera que Sigmund Freud — que Michel Onfray déteste tant, ça ne manque pas de sel —, expliquait que les femmes ne pouvaient avoir de production artistique, du fait de leur absence de pénis2. Cette conception misogyne des choses me semble brillamment contredite par la force vitale qu’il a fallu à tant de femmes pour produire envers et contre tout, contre leur éducation et contre le contexte social. Que l’on pense seulement à Jane Austen, qui a écrit Pride and prejudice en profitant de ses instants de solitude dans le salon familial3 ; qu’on pense à Marie Curie, qui a fréquenté une université populaire clandestine pour apprendre la Physique4 ; qu’on pense à toutes les femmes qui ont écrit sous une identité masculine, non seulement pour pouvoir être publiées mais surtout pour avoir une chance d’être lues sans condescendance ; qu’on pense à toutes celles, littéralement innombrables, qui ont peint, écrit, composé, sans en espérer ni fortune ni célébrité, ne produisant donc pour le seul plaisir de créer.
Elisabetta Sirani (1638–1665), Timoclée tue le capitaine d’Alexandre le Grand (1659), Museo Capodimonte, Naples.
Pour Lascaux, difficile de dire quoi que ce soit sur les artistes : les peintures et les gravures qu’on y a trouvé ont plus de quinze mille ans, elles datent d’une époque dont nous ne savons pas grand chose, et nous ne pouvons que spéculer quant aux raisons qui ont motivé leur création : un décor employé pour des rituels initiatiques chamaniques ? On a imaginé qu’il s’agissait de préparer magiquement la chasse, on a aussi avancé que ces peintures contenaient une explication cosmogonique du monde… On ne sait rien. Je le dis souvent, mais ce qui me fascine le plus avec ces peintures, c’est le fait qu’il en ait été produit sur une période de dix mille ans. Aucun fait culturel actuel (langage, organisation des territoires ou des strates sociales, monothéisme,…) n’a connu plus de six ou sept millénaires de continuité. Alors je trouve stupéfiant de constater que dix mille années ont passé entre Chauvet et Lascaux, deux lieux cachés et difficilement accessibles. Je me demande quelle était la place de la peinture en dehors des grottes. Mais bon, je digresse. Dans les grottes où l’on trouve des empreintes de mains (ce n’est pas le cas à Lascaux), il semble que les mains utilisées soient surtout des mains de femmes. Ça ne prouve pas de manière certaine que les artistes rupestres aient pu être des femmes, mais en tout cas, ça ne permet pas de l’exclure.
« Buffy The Vampire Slayer », saison 4, épisode 5, « Beer Bad » (1999). Dans cet épisode, des étudiants (dont Buffy), intoxiqués par une bière aux propriétés magiques qui les fait régresser à l’état d’hommes (et de femmes) des cavernes.
La seconde proposition induite par la réflexion de Michel Onfray, c’est que ces hommes-peintres auraient battu leurs femmes. C’est une affirmation assez étrange : si on parlait de violences conjugales en mentionnant un artiste actuel, même pour défendre son œuvre, il me semble que ça serait à la suite d’accusations ou d’indices concrets. On peut par exemple dire « On ne va pas brûler les disques d’Ike Turner parce qu’il battait sa femme ». On peut le dire, on peut discuter ce sujet, car effectivement, Ike Turner battait son épouse Tina, et effectivement ses disques méritent d’être sauvés. Mais aurait-on idée de dire « On ne va pas brûler les disques de [mettre ici un nom d’artiste qui n’est ni connu ni soupçonné d’un tel méfait] parce qu’il battait sa femme », si l’on n’a pas le moindre début de soupçon sur le sujet ? C’est ce que fait Michel Onfray : il prétend que des gens dont on ignore tout, les gens dont on sait le moins de choses, en fait « donnaient probablement donné des baffes à leurs femmes ». Voilà, c’est évident, pour Michel Onfray, l’homme du Paléolithique battait sa femme. Or, pour commencer, on ignore si l’homme du Paléolithique avait une épouse : le mariage tel que nous l’entendons semble être apparu avec l’agriculture, avec la propriété privée et avec les questions de transmission de patrimoine ou d’alliances entre richesses qui en découlent.
« Buffy The Vampire Slayer », saison 4, épisode 5, « Beer Bad » (1999).
Si les préjugés contenus dans la phrase d’Onfray me posent problème, outre leur imprécision vis-à-vis des connaissances actuelles sur la Préhistoire (« on est incapables d’historiciser, aujourd’hui », dit-il…), c’est parce que l’humain de Lascaux n’est pas un exemple historique anodin : il est censé être notre origine, notre essence. Non pas l’essence de l’Humanité entière, d’ailleurs, mais l’essence des Européens, voire des Français, car après tout, Lascaux se situe en Dordogne. J’ai eu sur Twitter des discussions avec des nationalistes et des identitaires pour qui cette vision des choses est une évidence : les Européens légitimes seraient les descendants directs des chasseurs-cueilleurs qui vivaient au même endroit il y a vingt mille ans, et ces descendants, ça doit être eux, puisque tous leurs arrières-grands-parents viennent du même village. En vérité, les Européens actuels sont le fruit de millénaires de mouvements de population venus de l’Est (Celtes, Francs,…) qui ont contraint les derniers peuples chasseurs-cueilleurs européens à ne plus exister qu’au Nord du Nord du continent. Mais peu importe la réalité de l’Histoire démographique européenne, il y a dans l’imaginaire de « l’hommes des cavernes » l’idée que celui-ci représente notre vraie nature, sans fard, sans déguisement, débarrassé des quelques millénaires de civilisation. Une humanité dont la nature, dont les pulsions, ne seraient pas sanctionné par la Culture et les lois. Notre « moi » primal, libéré de son « surmoi » — pour revenir à Freud.
L’Odyssée de l’espèce (2003). Le monsieur est en fait un néanderthalien, il essaie de séduire une cro-magnon qu’il a enlevée. Elle est jolie mais elle est pas commode.
Puisqu’on sait si peu de choses à leur sujet, nos ancêtres préhistoriques sont un réservoir à fantasmes, notamment sur la question de la distinction sexuelle : l’homme chasse, la femme cueille, l’homme se tourne vers la Lune (inventant la science, l’art et la poésie), la femme, plus terre-à-terre, s’occupe du bébé et de la popote, elle se maquille et elle se coiffe. L’homme est transcendant, la femme est futile. Mais comme il a des besoins, hein, l’homme traîne sa compagne par les cheveux, et celle-ci n’a rien à dire, elle connaît sa place, il la viole sans se poser de questions morales. Il se sert. Puisqu’elle a besoin de protection, la femme se laisse faire, mais tout de même, elle cherche à apprivoiser, à domestiquer, à civiliser son compagnon. Alors de temps en temps, il lui fout des baffes.
Pour moi, la phrase d’Onfray en dit moins sur la Préhistoire ou même sur la question du souvenir et de la mémoire, de la célébration et de la commémoration, que sur la pauvre mentalité de Michel Onfray lui-même.
Sur la construction de l’artiste en tant qu’être supérieur au commun des mortels, lire Contre l’art et les artistes (1968), du médiéviste Jean Gimpel. [↩]
Sigmund Freud, La féminité, 1933. Dans ce texte célèbre, Freud explique que les femmes ne peuvent pas créer pas car elles enfantent (apparemment, enfanter et avoir une production artistique sont deux activités incompatibles, non pour des questions très terre-à-terre d’emploi du temps, de répartition des tâches, mais parce qu’il leur manque un pénis) et il observe qu’elles se cantonnent à l’activité du tissage, qui est une tâche non-créative, cantonnée à l’imitation de la toison pubienne, qui masque l’absence de pénis (?!). [↩]
Lire : Virginia Woolf, Une chambre à soi (1929). [↩]
Dans la Pologne sous domination russe et prussienne de la fin du XIXe siècle, l’Université volante, clandestine et illégale, permettait d’échapper à l’influence idéologique des nations occupantes, mais aussi, d’apporter une éducation supérieure aux femmes, qui en étaient légalement bannies. [↩]
Cinq ans déjà. J’étais au Havre, je venais de terminer mon cours, il était treize heures passées. Avant d’aller déjeuner, j’ai ouvert Facebook et je suis tombé sur ce post de David Vandermeulen :
D’abord incrédule — pourquoi, comment ce si jeune homme serait-il mort ? — je suis allé sur Twitter où j’ai pu en savoir plus : Charb était bien mort, oui, mais aussi Cabu, Wolinski, Tignous,… Onze personnes ce jour-là, dix-sept en tout, plus trois terroristes. Un peu moins d’un an plus tard, le massacre du Bataclan allait malheureusement nous faire relativiser l’horreur de cet attentat, mais ce 7 janvier 2015, j’ai passé comme sans doute tout le monde la journée dans un état second, sonné : impossible de penser à quoi que ce soit d’autre.
J’ai connu Charlie Hebdo enfant, je raconte souvent que le premier dessin de presse que j’ai compris était celui que Reiser avait consacré à l’état de santé de Franco, en 1974. Je devais avoir sept ans ! J’ai ensuite adoré le Cabu du Grand Duduche que je lisais dans les reliures de Pilote offertes par un ami de mes parents. J’ai retrouvé Cabu comme animateur télé dans Récré A2. Au festival d’Angoulême, au milieu des années 1980, je me rappelle avoir vu Wolinski, seul à sa table : « il est inconsolable depuis que Reiser est mort », m’avait-t-on dit. Je n’ai jamais été un adorateur de Wolinski, mais ses scénarios pour Pichard étaient bons, et j’ai un grand souvenir de la courte période où il était rédacteur en chef du Petit Psikipat. À la télé, j’aimais bien les apparitions de Cavanna ou du Professeur Choron. Et puis il y a eu la guerre du Golfe, avec la sortie de La Grosse Bertha puis le retour de Charlie Hebdo. L’arrivé de Charb, qui était pion dans le lycée de mon frère et racontait des tranches de vie sur notre ligne de train. Les éditos de Val, un peu sérieux, mais pas très loin de ma vision social-démocrate vertueuse de l’époque. Et un jour, aussi, j’ai eu l’honneur de rencontrer le grand Willem. Bref, j’ai une histoire avec Charlie Hebdo.
En rentrant à Paris le soir, sans réfléchir, je me suis rendu sur la Place de la République, où déjà on pouvait lire le célèbre slogan « Je suis Charlie ». Je me souviens que beaucoup arboraient le dernier numéro de Charlie — rapidement devenu introuvable —, et je me souviens aussi d’une femme, que je suppose musulmane, qui brandissait un écriteau disant #notInMyName : pas en mon nom. C’était un moment de communion, véritablement : tous étaient silencieux, et tristes, des artistes s’étaient faits assassiner pour une divinité qui, comme les autres du reste, semble assez bien s’accommoder, elle, du fait que l’on tue en son nom : on n’a jamais vu de dieux écrire dans le ciel Not in my name. Je sais pourquoi, vous savez pourquoi, tout le monde sait pourquoi, en fait, mais on est censé faire semblant de ne pas savoir : bien entendu, les dieux n’existent que par les actions de ceux qui se réclament d’eux. Les dieux ne sont pas imaginaires, puisqu’ils font des morts.
Les jours qui ont suivi j’ai posté régulièrement des articles, tentant de suivre le cours de mes émotions : tristesse bien sûr ; besoin de comprendre, évidemment ; envie de rire, parfois ; envie d’expliquer ma vision du dessin de presse et du blasphème. Et puis révolte, non seulement envers les meurtriers mais aussi envers ceux qui, tout en se disant ennemis de ces derniers, semblaient étrangement satisfaits d’avoir enfin un prétexte pour insulter tous les musulmans de France et du monde. Il ne vient rien de bon de la peur, de l’insulte et du mépris.
En famille, nous sommes allés à la grande manifestation du 11 janvier. Pour moi, c’était un enterrement. Je trouvais risibles les chefs d’État en ligne qui pensaient nous guider, comme si qui que ce soit avait pu être dupe. Mais avec le recul, ce moment a été aussi l’entrée dans une France misérablement abêtie par la terreur, où « comprendre » c’est vouloir « excuser » ; où les pacifistes, les compatissants et les sociologues sont jugés complices et peut-être même coupables de la violence ; où on veut renvoyer les adolescents aux cheveux frisés qui gloussent pendant une minute de silence ; où le journal Charlie Hebdo, sans aller jusqu’à y voir le supplément illustré de Valeurs actuelles n’est plus ni joyeux ni anar ; où on peut passer l’été à s’écharper sur une combinaison de bain avec bonnet intégré que personne n’a vu sur aucune plage française ; où le mot « laïcité » est devenu le cache-nez d’un racisme de plus en plus évident ; et où la liberté d’expression n’est une valeur sacrée que pour certaines opinions.
Le numéro de Charlie Hebdo qui paraît demain s’en prend aux « nouvelles censures » et aux « nouvelles dictatures », apparemment constituées des malotrus qui osent utiliser les réseaux sociaux pour critiquer… Qui ? Je vais devoir acheter ce numéro pour le savoir, mais je redoute par avance ce que je vais lire.
Pour l’instant, j’ai peur que ce soient les « méchants » qui l’emportent : Ils sont morts et l’État islamique dont ils se réclament semble n’être plus grand chose, mais ils ont eu ce qu’ils voulaient, ou en tout cas, ils sont parvenus à nous changer.
Comme disent les médecins, pour rester en bonne santé, il faut s’énerver une fois par jour (c’est pas ça ?). Aujourd’hui ça tombe sur Luc Ferry, philosophe et ancien ministre. J’admets que mon titre est un peu nul, mais bon, ce sont les vacances..
Les philosophes médiatiques savent prendre un ton raisonnable pour émettre des opinions qui ne sont pas toujours si raisonnables ou qui relèvent de la philosophie de comptoir, et pas toujours de la bonne philosophie de comptoir. Cette année, par exemple, Luc Ferry appelait les policiers à utiliser leurs armes contre les Gilets Jaunes et se demandait pourquoi le gouvernement ne déployait pas l’armée pour faire cesser ce mouvement, que par ailleurs il affirme soutenir, allez comprendre. Et il y a quelques jours, Le Point a publié une interview de Luc Ferry où ce dernier reprend un de ses thèmes redondants : les écolos sont des fachos. L’interview contient plusieurs longues citations, j’en déduis qu’elle a été réalisée par écrit ou corrigée avant publication, et donc, que l’interviewé maîtrise ses propos et peut en être totalement jugé comptable.
Luc Ferry est une victime célèbre de l’autonomie des universités : ayant un budget serré à boucler, l’université Paris-Diderot avait fini par lui réclamer d’assurer les cours pour lesquels il était payé, ou au moins de rembourser les 4500 euros mensuels de son salaire. N’étant intéressé par aucune des deux solutions, il avait alors pris sa retraite. (photo : Luc Ferry au Forum CB Richard Ellis – cliché CBRE France/Wikimedia Commons)
Le Point interviewe Luc Ferry pour lui demander s’il existe des liens entre écologie et fascisme. Sachant que le philosophe a écrit au siècle dernier un livre dont c’était la thèse centrale1, je doute que l’intervieweur s’attendait à une réponse mesurée. Un des prétextes de l’interview est que Patrick Crusius, auteur du meurtre de 22 personnes dans un supermarché d’El Paso, avait intitulé le texte dans lequel il justifiait le massacre Une vérité qui dérange, « comme le documentaire d’Al Gore », précise Le Point, qui n’a pas vraiment le sens de la nuance, car le titre du documentaire d’Al Gore est An inconvenient truth, tandis que le texte de Patrick Crusius est The Inconvinient truth. « La » vérité qui dérange et non « Une » vérité qui dérange. On ne peut pas écarter l’idée que l’auteur de la tuerie ait voulu faire une référence au titre de l’œuvre d’Al Gore mais si oui, c’est sans grand souci d’exactitude et sans semer d’indices allant dans ce sens. Si son texte mentionne quelques thèmes liés à l’environnement, il ne parle pas du tout de réchauffement climatique (le sujet d’Al Gore). Quant à la « vérité qui dérange » sur laquelle il essaie d’attirer l’attention, ce n’est pas le dérèglement du climat, c’est en fait la théorie d’un complot organisé notamment par les Démocrates (le parti d’Al Gore) pour favoriser l’invasion du Texas par des mexicains. Eh oui, car malgré son nom, la ville d’El Paso ne se trouve pas (enfin plus) au Mexique, mais bien aux États-Unis. Du reste, si Crusius réagit aux menaces écologistes, c’est en affirmant que la solution n’est pas de changer de mode de vie, mais de se débarrasser d’un maximum de non-étasuniens pour que le mode de vie des étasuniens reste soutenable :
I just want to say that I love the people of this country, but god damn most of y’all are just too stubborn to change your lifestyle. So the next logical step is to decrease the number of people in America using resources. If we can get rid of enough people, then our way of life can become more sustainable.
Patrick Crusius, The Inconvenient Truth
L’un dans l’autre, il est un peu spécieux, voire assez malhonnête de faire un rapprochement entre ce texte raciste et les préoccupations écologistes d’Al Gore. Si on devait rapprocher ce qui motive le tueur de la pensée d’une autre figure politique des États-Unis, on penserait plus aisément au « The American way of life is not up for negotiations. Period » que George Bush père répondait aux écologistes du sommet de Rio en 1992.
« Marchez au lieu de rouler », sticker. Piqué sur le compte Instagram ActionMinimum. Aussi présent sur Twitter.
Revenons à Luc Ferry. En introduction de l’interview, il prend la précaution de dire qu’il est tout à fait légitime de se soucier des problèmes environnementaux tant qu’il n’est pas question de s’en prendre au système capitaliste. L’obsession de la destruction du système capitaliste, dit-il, est le point commun entre l’extrême-droite et le gauchisme2. La suite du texte est un brouet assez indigeste. Ferry rappelle par exemple que les premières lois votées par les Nazis concernaient la défense des animaux et de la beauté de la nature, préoccupation qui selon lui est directement tributaire de la contestation de la Révolution française et du rejet des Lumières par les Romantiques. Je ne suis pas historien des idées mais je trouve toujours étrange de présenter deux périodes successives comme adversaires. Ne peut-on voir des germes du Romantisme chez Jean-Jacques Rousseau — qui, sans contresens anachronique qui en ferait un précurseur de l’écologie politique, est bien le philosophe de la Nature —, ou chez Immanuel Kant, qui a théorisé la question du Sublime et la distinction entre beauté et utilité, notions centrales du Romantisme ? Et il faudrait oublier que le Romantisme peut certes être vu comme une réponse aux limites du rationalisme, mais au moins autant comme une réaction à la Révolution industrielle qui commençait, ou aux guerres massives qui ont épuisé les peuples à l’entrée dans le XIXe siècle. Mais admettons, je me sens trop ignorant pour en débattre sérieusement. En revanche, pour parler concrètement, si le régime nazi n’était resté dans l’Histoire que pour son attachement à la préservation de la Nature, si l’on n’avait que ce crime à lui reprocher, ça se saurait. Et si tout gouvernement d’extrême-droite (Jair Bolsonaro, en ce moment, par exemple) était fondamentalement écologiste, ça se saurait aussi.
Le Point demande ensuite à Luc Ferry ce qu’il pense de l’objection des écologistes qui considèrent que la récupération des thèmes environnementalistes par l’extrême-droite n’est qu’une forme de green-washing. Je ne me souviens pas avoir entendu souvent cette objection, personnellement. Les gens qui connaissent un peu l’histoire de l’écologie politique savent que celle-ci a plusieurs sources, dont une part est indissociable de valeurs réactionnaires : Ravage de Barjavel (qui place le retour à l’arrière-pays niçois comme alternative à la corruption de la ville, dans une ambiance bien pétainiste) ; l’Anthroposophie ; le très catholique et sexiste Lanza del Vasto ; Brigitte Bardot ; Pierre Rabhi… Mais il existe aussi une écologie politique plutôt humaniste, tiers-mondiste, féministe, progressiste, anarchiste : Thoreau, Reclus, Anders, Arendt, Illich… Et c’est justement celle que Ferry qualifie de « gauchiste ». Je ne résiste pas à la tentation de citer l’intégralité de la réponse, en mettant en gras les parties qui selon moi mériteraient d’être soutenues par des rires enregistrés tant elles me semblent outrancières ou ridicules :
Il y a pourtant bien un point commun entre le brun et le rouge, à savoir l’anticapitalisme radical, la défense de la nature contre l’Occident libéral, un thème que l’on voit transparaître aussi bien dans un film à succès comme Danse avec les loupsque dans la littérature néoromantique ou néomarxiste. Gauchos comme fachos veulent que nous renoncions à nos voitures et à nos avions, à nos climatiseurs et à nos ordinateurs, à nos smartphones, nos usines ou nos hôpitaux hi-tech, voire à nos enfants pour sauver la planète. Cet écologisme mortifère, punitif, à vocation totalitaire, n’est en réalité que le substitut des diverses variantes d’un marxisme-léninisme défunt associé pour l’occasion à quelques relents de religion réactionnaire. Après la chute du communisme, la haine du libéralisme devait absolument trouver une autre voie. Quand les maos ont été obligés de reconnaître que leur idéal sublime avait quand même entraîné la mort de soixante millions d’innocents dans des conditions atroces, il leur a fallu inventer autre chose pour continuer le combat contre la liberté. Miracle ! L’écologisme fit rapidement figure de candidat idéal. Nourri de constats plus ou moins scientifiques, il prit la place du Petit Livre rouge. Du rouge au vert, il n’y avait qu’un pas, bien vite franchi par ceux qui voulaient à tout prix réinventer des mesures coercitives pour continuer la lutte finale contre nos démocraties. De là le fait qu’on les appela des « pastèques » : verts à l’extérieur, rouge à l’intérieur.
Danse avec les loups (Kevin Costner, 1990). Héros lors de la guerre de Sécession, John Dunbar vit planqué dans une cabane. Ses seuls amis sont un loup, un cheval et des sioux avec qui il échafaude un plan diabolique : détruire le monde occidental et la démocratie en empêchant Luc Ferry d’utiliser sa voiture.
La thèse de Luc Ferry est donc celle-ci : puisque le Communisme n’a pas fonctionné, il fallait trouver autre chose pour maltraiter les gens et les priver de leurs libertés. Le tri sélectif, la taxe carbone, les pistes cyclables, les ados qui deviennent subitement végétariens et les épiceries bio ! Il ne semble pas imaginable, pour Luc Ferry, que ce soit le souci de la pérennité de la planète qui préoccupe les écologistes, ce serait trop simple. Il ne paraît pas avoir remarqué le fait que les communistes un peu radicaux (Trotskistes, Maoïstes) considèrent souvent encore, malgré l’urgence, que les questions environnementales (tout comme le féminisme, du reste) ne servent qu’à détourner les prolétaires du seul combat qui vaille : celui des travailleurs contre la bourgeoisie.
Revenons à la question de la surpopulation. S’il est indiscutable que l’angoisse de la surpopulation est fondamentale dans l’histoire de l’écologie politique, et si elle est aussi au cœur des fantasmes des tenants de la théorie du « Grand Remplacement », c’est avant tout parce que la population mondiale augmente effectivement comme jamais dans l’histoire3, tandis que la Terre ne s’agrandit pas et que ses mers, ses sols, ses sous-sols s’épuisent. La Révolution verte et les progrès de la médecine l’ont permis, et humainement, on aura du mal à se plaindre de l’augmentation de l’espérance de vie et de la quasi disparition des famines aux causes non-politiques, mais c’est un fait, notre nombre augmente et nous en sommes tous suffisamment conscients pour nous demander s’il y a de la place pour tous, pour nous demander ce qui se passera lorsque le système craquera. Et cette angoisse peut avoir des effets bien avant que les vrais problèmes ne soient flagrants, comme le disait Claude Lévi-Strauss quelques années avant sa mort :
Il n’est aucun, peut-être, des grands drames contemporains qui ne trouve son origine directe ou indirecte dans la difficulté croissante de vivre ensemble, inconsciemment ressentie par une humanité en proie à l’explosion démographique et qui – tels ces vers de farine qui s’empoisonnent à distance dans le sac qui les enferme, bien avant que la nourriture commence à leur manquer – se mettrait à se haïr elle-même, parce qu’une prescience secrète l’avertit qu’elle devient trop nombreuse pour que chacun de ses membres puisse librement jouir de ces bien essentiels que sont l’espace libre, l’eau pure, l’air non pollué.
Claude Lévi-Strauss, L’ethnologue devant les identités nationales (2005)
Le texte de Lévi-Strauss parle avant tout de la responsabilité que l’Humanité a vis à vis de l’ensemble du vivant, et appelle à s’intéresser aux civilisations qui ont cherché à maintenir un équilibre raisonnable entre l’Humain et la nature — et donc surtout pas la civilisation industrieuse née en Europe (mais devenue mondiale) à la Renaissance, fondée sur l’exploitation, la prédation, le gâchis. Certains l’ont lu à mon avis de travers, choisissant de croire qu’il appelait au repli nationaliste4.
Luc Ferry présente donc l’Écologie comme un moyen de nuire à « l’Occident libéral ». Si nombre de mouvances écologistes considèrent l’économie libérale comme une cause de l’accélération de nos problèmes environnementaux et entendent au minimum l’encadrer, il me semble qu’il est rare que les mêmes lient ça à un combat entre « Occident » et… Et quoi, et qui, au fait ? Cette division de notre Monde, très « Choc des civilisations », très « eux ou nous », est précisément ce qui distingue les suprémacistes des tenants de l’écologie politique « gauchiste »5 qui scandalise Ferry. En fait, en mentionnant « l’Occident libéral », Luc Ferry valide une grille de lecture d’extrême-droite6. L’interview ne dit pas ce que Luc Ferry propose, lui, en matière d’écologie. J’ai lu dans une ancienne interview qu’il soutenait le Transhumanisme — idéologie de la démesure pour laquelle les problèmes environnementaux trouveront une solution technologique, en tout cas pour l’élite qui saura en profiter —, et on se souvient qu’il a aidé Laurent Wauquiez (dont l’engagement écologiste est me semble-t-il minimal) à mettre au point son programme politique (mauvais cheval !). On sait qu’il est trouve la corrida cruelle et qu’il aime les chats, un peu comme tout le monde, quoi. On sait aussi, de par son livre, qu’il est contre l’écologie qu’il nomme « profonde », celle qui croit affirme la nature est un système et qui pense que nous avons le devoir de repenser la manière dont nous y participons. Ce que d’autres nomment l’écologie, quoi.
Luc Ferry, Le Nouvel ordre écologique, Grasset 1992. [↩]
Plusieurs fois dans l’histoire l’extrême-droite a affirmé s’en prendre au capitalisme, c’est vrai, mais une fois au pouvoir, je ne vois pas d’exemple flagrant qui montre que le projet ait été très sincère. Au contraire, l’interdiction de manifester ou de se syndiquer – mesures dont le capitalisme s’accommode assez bien – font partie des mesures habituelles de ce genre de régime. [↩]
La population mondiale a plus que doublé depuis l’année ma naissance (1968) et, malgré un léger ralentissement, elle augmente encore de plus d’un pour cent par an. On parle souvent du Phylloxéra, de l’écrevisse de Louisanne ou du Frelon asiatique comme autant d’espèces invasives qui perturbent l’éco-système, mais l’homo-sapiens techno-industriel motorisé n’est pas mal non plus dans le registre, il pend beaucoup de place et il n’a même pas l’excuse d’ignorer sa propre propagation. [↩]
Je cite : « Beaucoup d’observateurs ont peur de discréditer un juste combat pour la protection de la nature en le rapportant à des idéologies funestes comme le fascisme, le nazisme, et j’ajouterai aussi le gauchisme dont on parle en effet moins, mais qui est l’arrière-fond idéologique dominant des Verts. » [↩]
(Je trouve les titres en « de quoi… est-il le nom ? » presque aussi lourdingues que les « m’a tuer », mais bon, pour le prénom, ça me semblait pertinent. Ou plutôt assez idiot pour être drôle)
L’affreux Éric Zemmour, lors de l’enregistrement de l’émission Les terriens du dimanche a lancé à l’animatrice Hapsatou Sy que son prénom était « une insulte à la France », qu’il aurait préféré qu’elle fût prénommée Corinne, et qu’il regrettait la possibilité donnée aux parents depuis 1993 de choisir le prénom de ses enfants ailleurs que dans le calendrier, c’est à dire dans la liste des saints chrétiens1. Au passage, il se trompe, car la possibilité de choisir un prénom extérieur à la tradition catholique existait déjà dans le cas des enfants issus d’une filiation exogène : la mairie (qui en décidait) refusait a priori qu’on nomme son enfant Knut, mais l’acceptait si on était issu d’une famille d’origine scandinave. Et la preuve en est qu’Hapsatou Sy est née en France avant 1993. Bien entendu, certains prénoms exotiques ont toujours été permis, comme par exemple… Éric, qui est un prénom scandinave par excellence et qui a été peu attribué en France avant le début du XXe siècle. Inversement, je ne sais pas si toutes les mairies de France, avant 1993, auraient laissé passer (sauf à faire valoir une tradition familiale de vieille noblesse ?) des prénoms tels que Rixende, Scholastique, Marcibilie, Ildefonse, Adenordis, Gaillarde, Aigline ou Narde, qui sont pourtant de vieux prénoms français, Est-ce que j’aurais pu nommer une de mes filles « Aménaïde », qui est le prénom de ma grand-mère paternelle2, issue d’une vieille famille du Limousin ?
Nous avons prénommé notre aînée Hannah. Mais elle est née en 1990 et pour la mairie, ça n’allait pas du tout, on nous a proposé, plutôt, Anna (qui est dans le calendrier), mais aussi Annach, qui apparemment était présent sur une liste, mais qui ne semble pas très fréquent.
Avec une malhonnêteté crasse, nous avons fait remarquer à l’employée de la mairie que « Hannah » était un prénom hébreu, en lui demandant si elle avait un problème avec ça… Elle s’est aussitôt ravisée et le prénom a été validé. Quand nous avons parlé de « Marit » comme second prénom, elle nous a dit que c’était hors de question, qu’un prénom exotique était déjà bien suffisant : « Ah non, hein, c’est L’UN, ou L’AUTRE ».
Il s’agit du prénom de ma mère, et c’est une variante norvégienne de Marguerite, Margarit, Margret, Maaret, Magali,,.. C’est finalement passé.
L’unique chose dont je sois sûr, c’est que pour choisir ces prénoms, nous avons beaucoup réfléchi, nous avons réfléchi à ce que deviendrait notre fille (pianiste, cosmonaute ?), nous voulions qu’elle ait un prénom qui soit à la fois familier et rare (Nathalie se rappelle avoir eu jusqu’à huit homonymes dans sa classe, ça l’a marquée !), nous voulions qu’il nous plaise à l’oreille, qu’il sonne bien une fois associé à mon patronyme, et puis ça nous amusait qu’il soit palindrome — nous avions vingt-et-un ans, on est joueur à cet âge-là. Par son second prénom, nous voulions bien entendu rattacher notre fille à sa grand-mère norvégienne, et qu’il porte la mémoire de cette origine familiale.
Enfin nous avons pensé à absolument tout, mais à aucun moment nous ne nous sommes dit que ce prénom envoyait un message à la France, qu’il était destiné à cracher à la figure de notre mère patrie, à revendiquer notre part exogène (la moitié des grands parents de mes enfants ne sont pas nés en France, après tout).
À aucun moment nous n’avons pensé à ça, ni de près ni de loin.
Dans une autre émission, Éric Zemmour se plaignait qu’Hapsatou Sy se dise blessée par ses propos, expliquant que c’est lui qui est victime d’un préjudice, qui souffre. Je remarque pour ma part que les champions de la revirilisation du monde tels que Zemmour ou Marsault sont en sucre, un rien leur fait mal.
Zemmour est pour moi plutôt attendrissant, parce qu’il est complètement fou3. Comment peut-il reprocher à quelqu’un son prénom, c’est à dire le mot qu’on utilise pour l’appeler depuis sa naissance ? Un prénom, on ne le choisit généralement pas (mais on peut choisir d’en changer — et après tout on peut aussi changer de patronyme), on doit s’y faire, parfois on passe sa vie à lutter pour s’y habituer parce qu’on ne l’aime pas, parce qu’il sonne mal, parce qu’on a souffert des jeux de mots imprévus qu’il permet, parce qu’il est bizarre ou au contraire banal. Mais c’est notre prénom, on vit avec, alors reprocher son prénom à quelqu’un est une idée de dément.
Zemmour se défend à présent en disant que bien entendu ce n’est pas à la porteuse du prénom qu’il fait des reproches mais aux parents de celle-ci. Comment peut-on être assez fou, là encore, pour essayer de convaincre une personne dont on ignore tout que ses parents ont eu tort de choisir un prénom plutôt qu’un autre, et pour prétendre savoir mieux que cette personne quelles étaient les motivations profondes des auteurs de ses jours et quel est leur rapport à la France ?4 Comment peut-on être obsédé par le patriotisme au point d’être capable d’imaginer qu’une femme de ménage mauritanienne et un ouvrier sénégalais ont choisi le prénom de leur fille dans le but de faire un pied-de-nez à la France ?5
Et puis dire les choses en ces termes, c’est oublier cinq siècles de colonisation française et trois siècles d’esclavagisme : affirmer qu’un prénom africain n’a pas sa place en France, c’est un peu oublier que la France a su imposer sa place en Afrique et n’a d’ailleurs pas cessé de le faire. Hors tout débat sur le repentir post-colonial, c’est un fait : la France et l’Afrique de l’Ouest sont liées par l’histoire. Et comme d’autres l’ont fait remarquer à Éric Zemmour, on n’a pas pas eu jusqu’ici le culot de reprocher leurs prénoms aux tirailleurs africains qui sont morts par dizaines de milliers « pour la patrie » dans la gadoue des tranchées de la Meuse.
Le problème du discours de Zemmour à mon sens (et là je ne parle plus seulement de prénoms) ce n’est pas tant qu’il soit convaincant pour ceux qui ne sont pas déjà prêt à être convaincus, c’est que sa récurrence dans le débat public finit par porter les choses sur son terrain. On va se positionner pour ou contre, mais selon ses termes, alors qu’on pourrait parler de tant d’autres choses et autrement. Oui, j’admets que je suis tombé dans le piège encore une fois.
Le choix des prénoms est une affaire passionnante à tous les titres : sociologique, psychologique, ethnopsychologique6, historique, poétique, politique,… mais elle mérite plus de finesse et impose beaucoup de tact, car s’attaquer au prénom d’une personne, c’est s’attaquer à la première chose qu’elle sait d’elle-même, et pour certains, ceux qui souffrent d’une fragilité à ce sujet, ce sera d’une très grande violence. On sait tous la petite douleur que représente le fait d’entendre son prénom écorché ou confondu, alors le voir mis en question !…
Les travaux menés sur les prénoms par Baptiste Coulmont, collègue du département de sociologie à Paris 8, sont passionnants, car ils sont menés avec méthode et intelligence — mais ça n’empêche pas, chaque année7, que des gens se sentent blessés en apprenant que leur prénom est un possible marqueur social. Le dernier ouvrage de Baptiste sur le sujet s’intitule Changer de prénom (presses universitaires de Lyon 2016). En plein dans le sujet !
Pour oublier un peu Zemmour (quoique l’on revienne sur son autre sujet, les rapports entre hommes et femmes), j’ai vu récemment passer des nouvelles intéressantes quant au rapport qui lie le prénom au genre. Les parents d’une petite fille prénommée « Liam » et ceux d’un petit garçon prénommé « Ambre » ont été convoqués par un juge8 que gênait la possible confusion des sexes induite par l’usage inhabituel de ces prénoms. En théorie la justice n’intervient pour forcer des parents à changer de choix de prénom que lorsqu’elle les considère de nature à porter préjudice à l’enfant (par exemple, les prénoms « Nutella », « Mini-Cooper » ou « Titeuf » ont été refusés).
Et là, ce que disent en substance ces initiatives judiciaires, c’est surtout que le fait qu’avoir un doute sur le sexe d’une personne dont on lit ou entend le nom lui garantit un futur problématique. Ça m’a rappelé mon enfance : j’avais des cheveux longs (ce qui était plutôt à la mode, du reste), et certaines personnes en étaient choquées, j’entendais parfois des réflexions de personnes âgées telles que : « de nos jours, on n’arrive pas différencier les filles des garçons » — c’était une allusion aux coupes de cheveux mais aussi aux vêtements puisque les femmes se mettaient alors massivement au port du pantalon.
Apparemment, le stress de la désorientation sexuelle opère dans les périodes de revendication d’égalité, en réaction je suppose. Car à d’autres époques, et des époques où la domination masculine était si évidente qu’elle paraissait naturelle à tous et à toutes sans discussion, les choses se posaient différemment, puisqu’établissant mon arbre généalogique je tombe régulièrement sur des « Marie », des « Anne », des « Claude », des « Philippe » qui sont indifféremment femmes ou hommes.
Au fait, si l’on doit piocher les prénoms parmi les saints, faut-il en exclure les exotiques Bakhita, Kamel, Khalid, Eneko et Ainoha, qui se font tous attribuer un jour de fête dans le calendrier catholique Nominis ? [↩]
Aujourd’hui, « Aménaïde » est surtout le nom d’une marque de soins pour cheveux. Quand j’étais enfant, j’étais persuadé que c’était le surnom que ses amies donnaient à ma grand-mère, car ça sonnait comme « bizarroïde », et je n’avais jamais rencontré (ni n’en ai rencontré depuis) aucune autre Aménaïde. [↩]
Je me demande si les médias qui se délectent de la parole de Zemmour ne le font pas moins par sympathie pour ses idées que pour le plaisir malsain de voir quelqu’un s’enfoncer dans une forme de démence autodestructrice. Un lutin malingre aux origines juives maghrébines, au physique méditerranéen, qui défend Pétain et le virilisme, ça ressemble moins à un projet politique qu’à un problème psychologique. J’ai un mal fou à imaginer que sa pensée soit prise au sérieux par ses (nombreux, cependant) lecteurs. Mais je dois avouer que je ne croyais pas que les français puissent réellement voter Sarkozy en 2007, dont le principal argument politique était de vouloir être élu et qui promettait des choses inconciliables aux uns et aux autres, alors peut-être est-ce mon imagination qui n’est pas assez développée pour accepter la triste réalité des faits. [↩]
Bien entendu, il existe des gens qui comme les parents d’Éric Zemmour donnent à leur enfant un prénom dont ils espèrent qu’il les aidera à s’intégrer, ou qui comme certains asiatiques donnent un double-prénom à leurs enfants : Michel pour la mairie, et 米歇 (à la sonorité proche) pour la famille.
J’ai un couple d’amis, lui fils d’algériens, elle marocaine, qui se sont creusés la tête pour trouver un prénom qui relie leur fils à ses origines tout en échappant à la connotation religieuse et, bien sûr, en étant plaisant à l’oreille. Et ils ont trouvé : Atlas. J’ai trouvé ça incroyablement futé.
Toutes les attitudes sont respectables évidemment. [↩]
Bien entendu, ça peut exister. Il n’est pas inconcevable que les parents allemands qui avaient tenté de prénommer leur enfant « Oussama Ben Laden » en 2002 aient été animés d’une idéologie salafiste. Mais ce n’est pas l’étrangèrerté du prénom qui en fournissait l’indice, c’est plutôt l’intuition qu’il constitue une référence et un hommage précis à une personne et à son action. À noter, en France le prénom « Ossama » a eu un succès croissant entre la fin des années 1970 et l’an 2000… Après quoi il s’est brusquement démodé et n’a plus été attribué que de manière rarissime. [↩]
Je pense au traumatisme des prénoms d’esclaves affranchis dans les Antilles françaises, par exemple. [↩]
Baptiste Coulmont observe le rapport entre les prénoms et l’obtention de mentions au baccalauréat. Pour cette raison, chaque année les médias l’interrogent sur le sujet, résumant parfois ses travaux de manière simpliste et déterministe. [↩]
Peut-être le ou la même juge ? Les deux affaires ont eu lieu dans le Morbihan. [↩]
(Chaque jour Twitter me donne une bonne occasion de procrastiner en écrivant des articles consacrés à Twitter au lieu de m’occuper de tout ce que j’ai à faire vraiment, comme par exemple de préparer ma rentrée d’enseignant. Et j’ai mis tellement de temps à terminer cet article entamé « à chaud » qu’il est tout tiède, au point que j’ai hésité à le mettre à la corbeille1. Je me consterne, mais bon, un dernier, allez, c’est le dernier, parole de blogolcoolique. Si l’article vous ennuie – et il y a de quoi -, filez directement à la fin)
Le contexte, très vite : il y a quelques jours, l’Amicale du refuge, liée à la très respectable association Le Refuge (qui prend en charge des jeunes victimes d’homophobie) a interpellé la journaliste et militante Rokhaya Diallo avec ce tweet sorti de nulle part :
« Vous prétendez être une militante antiraciste et féministe. Vous avez une force de frappe médiatique, votre parole donne à réflexion, questionne. Mais où étiez-vous pour dénoncer le racisme, la misogynie, le sexisme, & l’homophobie de Bassem Braiki ? »
J’aimerais comprendre, je suis un peu inquiet du projet qui sous-tend ce tweet.
Il commence par porter assez violemment le doute sur la sincérité de l’engagement de la jeune femme (« vous prétendez être… ») puis laisse entendre que son absence de réaction publique aux horreurs proférées par Bassem Braïki2 peut être considéré comme un silence complice.
Il est très étrange que ce soit elle, entre toutes les personnes qui s’expriment publiquement en France, qui écope d’un tel procès d’intention. Rokhadia Diallo semble penser que cette responsabilité qu’on lui confie est liée à sa couleur de peau : « Suis-je donc responsable de tout ce que disent les Arabes et les Noirs de ce pays même quand ils tiennent des propos racistes, sexistes et homophobes ? (…) Choquée d’être ainsi prise à partie @AmicaleRefuge qui me soupçonne d’étranges solidarités du seul fait de ma couleur de peau ». Je pense qu’elle se trompe sur ce point, ou plutôt que ce n’est qu’une partie du problème et que l’essentiel est plutôt à chercher dans son engagement, et notamment dans son travail avec l’association Les indivisibles3 dont elle était présidente au lancement des Y’a bon awards, une forme de prix négatif classant les pires saillies racistes qui est resté en travers de la gorge de beaucoup de gens puisqu’y ont été primés ou nommés de nombreuses personnalités des médias ou de la politique : Luc Ferry, Alain Finkielkraut, Ivan Rioufol, Pascal Bruckner, Christophe Barbier (qui a eu l’élégance de venir chercher son prix), Éric Zemmour, Robert Ménard, Jean-Paul Guerlain, Jean Raspail, Anthony Kavanagh, Caroline Fourest, Jean-Luc Mélenchon, Véronique Genest, Élisabeth Lévy, Philippe Val, Jean-Jacques Bourdin, Michel Sapin, Philippe Tesson, Manuel Valls, Natacha Polony, Richard Millet, Sylvie Pierre-Brossolette, Lionnel Luca, Benjamin Lancar, Sylvie Noachovitch, Jean-Marie Le Pen et plusieurs ministres de Nicolas Sarkozy, Nicolas Sarkozy lui-même, ainsi que son parti, l’UMP. De quoi se garantir un large spectre d’inimitiés, comme on le voit.
Curieuse défense ; « ils n’ont pas dit qu’elle était complice, et s’ils l’ont fait c’est pour une bonne raison ». Au moins c’est clair, ce sont ses « fréquentations », quoique ça veuille dire, qui sont reprochées à Rokhaya Diallo. Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
Pour que l’Amicale des jeunes du Refuge s’en prenne à Rokhaya Diallo, on pouvait imaginer un passif ou des ambiguïtés dans le registre de l’homophobie, et c’est sans doute ce que retiendront les gens qui n’auront pas pris le temps de chercher. Mais sur ce plan, le dossier est vide, et au contraire, Rokhaya Diallo a notoirement défilé en faveur du Mariage pour tous. C’est ce que j’ai fait remarquer, un peu scandalisé par les sous-entendus induits par le tweet de l’Amicale du refuge, qui me semble relever de la smear campain : une boule puante destinée à créer, sans lien avec une réalité objective, une réputation. Plus le temps passe et moins je crois en la bonne foi des auteurs du Tweet puisqu’ils n’ont fourni ni rectification ni excuses et se sont même enfoncés par la suite, à coup de retweets qui prouvent que, contrairement à leur affirmation première, ils n’avaient pas posé la question à Rokhaya Diallo comme ils auraient pu la poser à n’importe qui. À la rigueur, je peux leur laisser le bénéfice du doute en imaginant que c’est une fierté mal placée qui les pousse à persister dans la calomnie. Pas glorieux.
Au passage, je n’ai pas lu de prises de position de la part de l’Amicale du Refuge contre le dessinateur Marsault, autrement plus médiatisé que Bassem Braïki, et dont l’homophobie, entre autres peurs de l’autre dont il est bouffi, ne semble pas franchement ambiguë. Le jeu « vous n’avez rien dit », « votre indignation est sélective » peut aller assez loin et a un intérêt limité.
Je n’ai pas eu de réponse des gens de l’Amicale du refuge mais l’essayiste Fatiha Boudjahlat, elle, m’a répondu, en supposant tout savoir du contenu et des origines de mes convictions :
Bon alors je suis un « white savior » (?) et un « white gaucho » parce que je débarque de mon « nid » parishuitard. L’accusation qui prend pour preuve auto-référente le fait d’enseigner à Paris 8 est lassante et terriblement bête, j’avais fait le point sur le sujet dans un précédent article. Apparemment mon extraction sociale supposée (« bourgeois ») fait de moi un colonialiste condescendant, et la teinte de ma peau est pour cette personne un critère pour interpréter mes opinions. Et pour finir, elle me demande de ne plus suivre son fil Twitter. Eh oui, tant que nous n’interagissons pas, elle peut conserver ses préjugés et se convaincre de leur bien-fondé.
J’imagine que Fatiha Boudjahlat est une femme intelligente4, dont les convictions sont éloignées des miennes mais dont l’histoire personnelle aussi est éloignée de la mienne : elle est une femme au nom d’origine algérienne, tandis que je suis un homme au nom bordelais. Elle oppose ce que lui a apporté l’universalisme de la République, dont elle est un agent (comme moi, du reste) à la culture patriarcale musulmane, et elle préfère parier sur l’excellence comme ascenseur social que sur les revendications antiracistes. C’est une position que je comprends, je connais plusieurs personnes « issues de l’immigration » (ou passées du prolétariat à l’aisance financière, c’est un peu la même mécanique) qui la partagent, qui croient dur comme fer à la méritocratie et qui l’opposent à ce que certains nomment « victimisation » et autre « culture de l’excuse ». Sans y souscrire, je respecte totalement cette vision des choses, qui relève non de l’analyse sociologique (qui confirme malheureusement la cruelle inégalité des chances qui a majoritairement cours) mais de l’image de soi : un refus de se voir en victime passive, incapable de prendre son destin en mains et se donnant avec complaisance ou résignation toutes les bonnes raisons d’échouer ou de mal agir.
L’inconvénient de cette vision des choses est qu’elle peut mener à refuser certains constats pourtant objectifs (indicateurs chiffrés, expériences en psychologie sociale) ou à refuser de comprendre les situations. Or comment remédier durablement à un mécanisme sans le comprendre ? Inversement, la position qui découle d’une focalisation sur le sujet du racisme peut mener à ne plus voir le monde qu’en termes de racistes et de racisés, de colons et de colonisés, ce qui est terrifiant car le racisé, comme le colonisé, sont nommés, et donc définis, par l’action de ceux qui les oppriment. Poussée au bout, cette logique mène au Parti indigéniste, qui prône la distinction entre les individus selon le groupe ethnique, culturel ou religieux duquel ils sont censés être issus, et qui ne voit toute personne qui ne se satisfait pas de ce cadre plutôt raciste comme « allié », « traître » ou « idiot utile ». La position des Indigénistes a aussi comme défaut fondamental d’être obnubilée par le passé. Or si le passé est important à connaître et à comprendre, l’endroit où nous allons ne pourra jamais être que l’avenir.
Le cas Rokhaya Diallo
Je suis sensible au cas de Rokhaya Diallo depuis son éviction du Conseil National du Numérique, sur foi d’accusations impunément calomnieuses et injustes. L’affaire m’avait particulièrement interpellé à cause de la manière dont l’encyclopédie Wikipédia avait été instrumentalisée à l’époque. J’en avais parlé dans un précédent article. Mais bon, je ne suis pas spécialiste de Rokhaya Diallo alors quand je vois pleuvoir comme autant d’évidences des accusations qui la concernent, j’essaie de me renseigner afin d’évaluer l’éventuel bien-fondé de ces accusations ou d’identifier les malentendus qui peuvent les expliquer. Et là, rien, moins que rien, aucune raison, et même, toutes les raisons de croire que les griefs sont à l’inverse de la réalité.
Ce que je connais le mieux du travail de cette femme, c’est sa bande dessinée Pari(s) d’amies (2015), scénarisée pour l’illustratrice Kim Consigny ((Kim Consigny a publié chez Sociorama/Casterman le remarquable La petite mosquée dans la cité, qui montre les enjeux et les ratées qui entourent la construction de lieux de cultes musulmans lorsque ceux-ci deviennent des enjeux politiques. )), qui raconte le quotidien de cinq amies aux origines et au parcours divers, qui bavardent, se lancent des vannes, et qui vivent parfaitement bien leurs différences, que celles-ci soient relatives à leurs origines, à leur positionnement, à leur niveau social ou encore de leur orientation sexuelle, puisque, oui, une des cinq jeunes femmes est une rappeuse et guitariste lesbienne.
J’ai du mal à imaginer que Daech en recommande la lecture même si une des héroïnes de l’histoire a une sœur jumelle qui porte le hijab.
Pari(s) d’amies, par Rokhaya Diallo et Kim Consigny (2015, Delcourt). Deux sœurs jumelles, l’une porte le voile, l’autre se prénomme Marianne (et non Mariame), à la suite d’une erreur administrative. Intéressante astuce scénaristique pour évoquer les conflits intérieurs relatifs à l’identité : subie, assumée, revendiquée, bien ou mal vécue,… La protagoniste principale du récit, elle, est métisse, autre situation qui amène à des conflits intérieurs semblables.
C’est une bande dessinée « bon esprit », qui n’hésite pas à se moquer de l’enthousiasme de l’engagement anti-raciste de l’héroïne, Cassandre (que l’on suppose être en partie un auto-portrait de la scénariste), qui tente de convaincre toutes ses amies aux cheveux crépus de cesser de les lisser ou de les tresser car après tout, personne ne doit se sentir honteux de ce qu’il est. Ce portrait d’une jeunesse contemporaine est certes émaillé de petits exemples de vexations racistes au quotidien (le fait notamment d’être régulièrement traité en étranger, sur la foi de son apparence), et parfois même d’astérisques pédagogiques dont, en tant que lecteur, j’aurais pu me passer, mais ce n’est pas non plus un tract ou un manifeste, ou s’il l’est, il est plutôt tourné vers les bonnes choses de la vie, vers l’absence de jugement ou d’injonctions, que vers le ressassement, les jérémiades et l’aigreur.
Bref, si on vérifie un peu, non, Rokhaya Diallo n’est pas spécialement une musulmane intégriste qui réclame le voile sur la tête des filles et la tête des toubabs sur une pique, c’est une jeune femme d’aujourd’hui qui juge injustes certains non-dits (ou mal-dits) de la société française concernant le sexisme et le racisme. Comme tous les gens engagés, elle court le risque de s’enterrer dans son engagement, de ne plus se définir que par celui-ci5. Mais à qui la faute ? Qui l’invite pour parler d’animation japonaise (elle est co-fondatrice de la Japan expo !) ? Et lorsqu’elle est entrée au Conseil National du Numérique, qui a décidé qu’elle n’était pas compétente sur ces sujets et a réclamé qu’elle en soit évincée ?
Je suis un peu bête mais j’ai un certain sens de la justice : pour moi on ne peut pas reprocher à quelqu’un les propos de quelqu’un d’autre, on ne peut pas résumer ses convictions à une collection des biais de raisonnements (qui se ressemble s’assemble, qui vole un œuf vole un bœuf, y’a pas de fumée sans feu, si ce n’est toi c’est donc ton frère, etc.), et quand on constate que l’on s’est trompé, il faut avoir le courage de réviser les conclusions erronées auxquelles nous ont menées des informations fallacieuses.
Il faut écouter ce que les gens disent vraiment, examiner ce qu’ils ont fait effectivement, et éviter de leur reprocher les propos du voisin ou de leur intimer l’ordre de s’en désolidariser6 : chacun ne peut être responsable que de ce qu’il a dit ou fait.
Et ça vaut pour tout le monde, je trouve tout aussi absurde la facilité avec laquelle beaucoup de gens (amis notamment) associent confusément nos philosophes médiatiques : Raphaël Enthoven, Raphaël Glucksmann, Michel Onfray, Alain Finkielkraut, Luc Ferry, Bernard Henri-Lévy… S’ils peuvent se rejoindre dans l’agacement que provoque leur étrange statut, ils n’en restent pas moins des personnalités différentes, avec des parcours différents, de bons et de mauvais moments différents.
Traiter chacun en individu pour ce qu’il dit, pense, fait, est la moindre des choses, y compris quand ces individus s’abritent derrière un groupe, d’ailleurs.
Je vais être honnête avec vous, cette image n’a aucun lien avec l’article. Elle représente la pendaison d’Herbert II de Vermandois.
Je sens un mauvais réflexe général : plus que jamais, laisser parler x ou accepter de l’écouter sans le bloquer ou le signaler est assimilé à un soutien ; garder son amitié pour quelqu’un ou acquiescer à une partie de son propos est vu comme une adhésion pur et simple… On ne se fait plus reprocher une position, on se fait accuser d’être « proche de », considération aussi vague qu’impossible à démontrer autant qu’à démonter. Ça me semble une insulte à l’intelligence que de voir les choses ainsi, il faut se forcer au contraire à juger chacun pour ce qu’il dit ou fait effectivement, pas juste en se disant : « elle parle au PIR », « c’est un philosophe médiatique », « c’est un catho », « c’est un prof à Paris 8 ».
Refuser les propos des gens avec qui on n’est pas d’accord est une autre insulte à l’intelligence, car ce sont justement des gens dont on ne partage pas toutes les vues que l’on a des choses à apprendre, par définition. Je ne dis pas que toutes les opinions se valent, ni même qu’elles sont toutes respectables, mais tous les parcours le sont, ou méritent examen : qu’est-ce qui amène untel ou untel à penser ceci ou cela ? Qu’est-ce que sa sensibilité particulière le pousse à voir que je ne vois pas ?
Je comprends bien les raisons évolutionnistes qui expliquent les jugements expéditifs et les catégorisations abusives, tout ça est, comme on dit, inscrit dans notre ADN (et je parle du vrai ADN), mais l’intelligence et la justice commandent au contraire d’être capable de distinction et d’apprendre à réviser ses opinions lorsque leurs bases s’avèrent caduques.
Bien entendu, on n’est pas forcé de s’intéresser à tout et à tout le monde, mais il n’est pas très rationnel (quoique ce soit courant) d’avoir une opinion tranchée d’une manière inversement proportionnelle à la connaissance que l’on a d’un sujet.
J’ai dans mes brouillons des dizaines voire des centaines d’ébauches d’articles commentant telle petite phrase d’untel, tel fait politique, des centaines de milliers de signes saisis pour rien, qui ont juste l’intérêt, quand j’y retourne, de me rappeler mon indignation du [jour/moi/année] à propos de Nicolas Sarkozy ou autres sujets désormais oubliés. [↩]
Bassem Braïki est un blogueur communautariste maghrébin qui conseillait récemment aux homosexuels de se « soigner » en ingérant du cyanure. [↩]
Les Indivisibles sont souvent confondus avec le Parti des Indigènes de la République, organisation camarade de lutte mais néanmoins bien distincte puisque si les constats des deux associations convergent, leurs propositions pas du tout, les Indigènes fustigeant le métissage. Le Slogan des Indivislbles est « Français sans commentaire ». Cette association pointe les cas où les origines exogènes de certains français les font traiter différemment des autres français. Pour faire mentir ce constat, sans doute, Nadine Morano a un jour qualifié Rokhaya Diallo de « Française de papiers », locution très connotée droite extrême, qui laisse penser qu’une jeune femme née en France, qui y a grandi et étudié, bénéficie pourtant d’une nationalité factice du fait de…? Ça elle ne l’a pas dit. [↩]
Elle peut être excessive. Dans un tweet du mois de février 2018, vite effacé, elle avait signalé « à tous les prédateurs » que « Rokhaya Diallo était un corps à leur disposition.
Elle faisait allusion au fait que cette dernière, quoique musulmane, ne porte pas le voile, qui selon les islamologues des plateaux de télévision est censé être destiné à conjurer la lubricité masculine. [↩]
Au passage, on reproche à un journaliste ou un essayiste de se focaliser sur tel ou tel sujet politique mais personne ne se plaint quand des professionnels sont spécialisés dans des domaines tels que le sport, le droit, la culture ou les sciences,… [↩]
L’injonction à se désolidariser est bête ou malhonnête, car ce qui est demandé est souvent impossible : si on peut s’opposer à ses pères ou à ses camarades d’engagement à titre personnel, on ne peut pas le faire à la demande ou au bénéfice d’un ennemi de ses idées ! [↩]