Archives mensuelles : avril 2013

Une relique de l’anti-sarkozysme primaire

Mon fils, qui est en classe de première, est venu me demander de lui acheter La Princesse de Clèves, de Madame de La Fayette, qu’il doit lire pour le cours de lettres.
« Pas besoin de l’acheter », lui ai-je dit, « Je l’ai déjà ».
En effet, il y a quatre ans, j’avais acheté ce livre non tant pour le lire, mais parce que Nicolas Sarkozy l’avait raillé à plusieurs reprises, en faisant l’exemple même du livre inutile, dont on impose la lecture non seulement aux lycéens, mais aussi à ceux qui préparent les concours de la fonction publique. Cela avait provoqué une réaction forte de la part des amoureux des livres, parce qu’on sentait là une forme de clivage entre deux visions de la société : celle pour qui il faut avoir une montre de luxe avant cinquante ans pour ne pas avoir « raté sa vie » (Jacques Séguéla) et celle pour qui les richesses sont culturelles ou esthétiques1

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En vacances dans les Pyrénées, j’avais lu une quinzaine de pages de la Princesse de Clèves mais je ne suis pas rentré dedans. J’avais peut-être acquis ce livre pour une mauvaise raison, pour protester confusément contre un projet de société qui me semblait ignoble.
Et puis peut-être que j’avais passé l’âge de m’intéresser aux histoires d’amours enflammées.
Mais voilà, quatre ans plus tard, impossible de remettre la main sur le livre ! J’ai retourné la maison, sans succès, et j’allais me résigner à racheter ce livre que je n’avais jamais voulu lire, quand ma fille cadette m’a réclamé, elle aussi pour l’école, du Zola et du Balzac. C’est en les cherchant que je suis tombé, par hasard, sur la Princesse de Clèves. Ouf.

En retrouvant le livre, j’ai fait un petit voyage dans le temps : cela ne fait pas un an que Nicolas Sarkozy a rendu les clefs de l’Élysée, et pourtant, tout ça me semble déjà bien loin, oublié, abandonné, plié, malgré les dégâts durables causés par cet épisode politique navrant, et malgré le fait que l’actuel gouvernement n’ait pas une vision de l’économie franchement différente de celle du précédent. Au moins ne traitent-ils pas la littérature avec un mépris affiché et sûr de son bon droit, c’est toujours ça. 

  1. Voir, à cette époque, la FlashMob (organisée, si ma mémoire est bonne, par Julien Levesque) et qui s’est tenue sur la Place Saint-Michel : à une heure précise, tous les participants ont sorti un livre de leur poche et se sont mis à en lire des pages à voix haute. []

Blind Dati

Rachida Dati tente d’empêcher la publication d’une bande-dessinée qui semble entièrement consacrée à sa vie privée, Rachida, au nom des pères, par Yves Derai et Bernard Swysen, avec des dessins d’un dénommé Marco Paulo. L’album sort jeudi. Paulo et Swysen avaient publié l’an dernier, avec le juge Gilbert Thiel, Le pouvoir de convaincre, chez le même éditeur 12bis, un album qui était consacré à décrypter l’ascension de Nicolas Sarkozy. Yves Derai, quant à lui, avait publié en 2009, avec Michael Darmon, un essai consacré à Rachida Dati et intitulé Belle-amie, en référence évidente au Bel-Ami de Maupassant. L’éditeur s’est fait une spécialité de ce genre de bandes dessinées qui se situent à mi-chemin entre l’enquête journalistique et la caricature : Ben Laden, Ahmadinejad, Carla Bruni, Nicolas Sarkozy, mais aussi l’œnologue Robert Parker,…

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J’ai tendance à trouver le personnage de Rachida Dati assez passionnant, pour son ambition, son culot, son parcours qui rappelle effectivement Bel-Ami ou Rastignac, mais dans des conditions que n’auraient pas imaginé les romanciers du XIXe siècle : femme, d’une part, et deuxième née d’une famille modeste de onze enfants, avec un père marocain et une mère algérienne. Rien n’assurait la réussite de Rachida Dati, alors elle a « hacké » un système politique largement blanc et masculin en jouant sur ses faiblesses, multipliant les liaisons amoureuses simultanées1, argument utilisé, sans grande élégance, par un homme d’affaire pour échapper au test de paternité censé déterminer s’il est, ou non, le géniteur de la fille de l’ancienne garde des sceaux.

Le personnage est hors-normes, son potentiel comique et pathétique est immense, mais cette bande dessinée me met extrêmement mal à l’aise. Peut-être est-ce tout simplement parce que les trois pages aperçues laissent penser que les auteurs ne sont ni Shakespeare, ni Balzac, ni Maupassant, ni Choderlos de Laclos, ni David Simon — l’auteur de The Wire.
J’ai l’impression — peut-être erronée, puisque je n’ai pas lu le livre — qu’il n’y a en jeu ici que de railler une grenouille qui a voulu se faire aussi grosse que le bœuf, et de renvoyer Rachida Dati à ses origines sociales et à son sexe, attitude condescendante qui est peut-être précisément ce qui l’a amenée à transformer ses faiblesses en armes de conquête et à mettre avec un opportunisme constant son talent (dont je ne doute pas) au service d’une ambition pure.
Il va sans dire que je ne suis pas pour la censure du livre (ni d’aucun livre), j’espère juste que le public ne cautionnera pas trop massivement ce genre de publication un peu lamentable.

  1. Selon Le Monde : « un animateur télé, un ministre, un PDG, un Premier ministre espagnol, l’un des frères de Nicolas Sarkozy, un procureur général qatari et l’héritier d’un empire de luxe ». On doit pouvoir s’autoriser à se moquer de l’opposition de Rachida Dati au « mariage pour tous » si l’on considère la complexité de la question de la paternité de sa fille. []

Humansplainaitions

Le mot « mansplaining »1 est à la mode, en tout cas dans les débats sur Internet. Il est utilisé pour décrire le moment où un homme explique à une femme ce qu’elle pense ou qu’elle ressent, comme s’il le savait mieux qu’elle ou qu’il était plus qualifié pour le faire. C’est l’acception restreinte du mot2, mais certains l’étendent à chaque situation où une personne qui se trouve en position de supériorité fournit une analyse condescendante de la situation de l’autre, ou parle à sa place, et, en affectant de prendre sa défense bien souvent, lui confisque la parole : le colonisateur qui parle à la place du colonisé, l’adulte qui parle pour l’enfant, le maître qui parle pour l’esclave, le député qui informe les citoyens de leur opinion, etc. On pourrait aussi appliquer la notion aux décideurs de l’audiovisuel qui produisent des programmes médiocres en expliquant que c’est ce qu’attend le public, ou au philosophe cartésien Malebranche qui expliquait que les animaux ne ressentaient pas réellement la douleur3, selon un raisonnement très tordu : Dieu est juste, donc il épargne les animaux de la souffrance puisque ceux-ci n’ont pas d’âme4 ni de pêché originel à expier.

hypocrites

Les hypocrites, dans l’Enfer de Dante, illustré par Gustave Doré.

Je propose d’appeler « humansplaining » les situations où des humains parlent à la place des animaux, de la nature, ou mieux encore, de Dieu.
On en entend beaucoup dans le registre, en ce moment. La nature, par exemple, est invoquée pour définir des règles humaines5, pour légiférer ou pas ce qui est « contre-nature ». La proposition est complètement absurde, puisque « la nature » est la somme de ce qui existe autour de nous, on ne peut pas la nier, mais on ne peut pas non plus obéir ou désobéir à son opinion, la nature n’a pas d’opinion, elle se contente d’être. La loi de la gravitation est une loi de la nature, par exemple, et on n’a pas besoin de l’inscrire dans le code civil. En revanche, c’est cette même nature et cette même loi de la gravitation qui nous ont permis de créer des moyens de contourner des limites qui nous étaient imposées jusqu’ici : l’homme est capable de voler dans le ciel, grâce à la technologie.
Les gens qui prétendent que l’économie doit être « sauvage » (entendre : sans intervention étatique qui entraverait l’ivresse de puissance du petit nombre qui la dirige) ou les gens qui dénient des droits à certaines catégories de personnes (femmes, étrangers, personnes qui ont une autre couleur de peau, homosexuels) au nom de prétendues lois naturelles, ne sont, sauf quelques membres d’églises mennonites sévères, pas pour autant gênées à l’idée de prendre l’avion, d’utiliser des téléphones mobiles, de ranger leur nourriture dans un réfrigérateur, de profiter des antibiotiques, ou de toute autre invention humaine, et donc artificielle. Ce qu’ils appellent « nature », au fond, c’est une somme d’usages et d’intérêts, généralement exclusivement les leurs6 qu’ils n’ont pas envie de voir contraints ou altérés.
Curieusement (ou au contraire très logiquement ?), ceux qui utilisent la nature comme argument pour décréter la manière dont la vie sociale ou économique doit fonctionner sont rarement des écologistes, au sens où ils n’ont pas spécialement le souci de comprendre ni de favoriser le bon fonctionnement de la nature. Ils savent sans doute d’instinct que la nature se moque, par exemple, de l’existence de l’homosexualité au sein de l’espèce humaine, mais qu’elle souffre terriblement du déversement massif de déchets dans l’atmosphère ou dans l’eau. Un véhicule 4×4 est bien plus « contre-nature » ou « anti-nature » que le mariage homosexuel.

On atteint un degré encore plus lamentable avec l’utilisation de Dieu comme argument : aucun témoin fiable ne l’a vu, ni entendu, et ni la logique ni ce qu’on sait du monde qui nous entoure ne permettent d’attester de son existence. Pourtant, ceux qui agissent sur la vie d’autrui au nom de Dieu prétendent généralement le connaître assez pour savoir ce qu’il veut, et qui l’on peut se sentir autorisé à brider, brimer, ou assassiner en son nom.
Dieu est parfait pour ça, puisque, chacun le sait très bien, au fond je pense, il ne risque pas de protester, car pour protester, il faudrait qu’il existe. Les gens qui utilisent la « volonté de Dieu » pour légitimer leurs propres désirs ne croient sans doute pas réellement à la divinité toute-puissante dont ils se prétendent serviteurs (comme pour se défausser, se déresponsabiliser). S’ils y croyaient effectivement, ils commenceraient par se demander si leur connaissance de la divinité en question est fondée  et correcte (plutôt que de croire, pour 99% d’entre eux, en la religion de leurs ancêtres), à en chercher les preuves et à chercher à savoir précisément ce que leur veut cette divinité. Et je parie, d’ailleurs, que si des gens croyaient véritablement à une toute-puissance, ils chercheraient un moyen de lui échapper, de biaiser, de tricher, d’amadouer,… Et j’imagine que les États du monde entier consacreraient des budgets conséquents à l’étude et à l’endiguement de Dieu qui, en existant effectivement constituerait non plus un outil de domination commode et une consolation à peu de frais, mais une menace pour les libertés et une source d’angoisse.

charles_gave

Hier, dans l’émission Ce soir ou jamais, j’ai découvert Charles Gave, un économiste qui considère que le Général Pinochet était un démocrate (car en fin de règne, cet homme amené au pouvoir par un coup d’État sanglant a organisé un référendum sans prévoir qu’il n’en maîtriserait pas le résultat) et dont le premier livre, dédicacé par Milton Friedman, affirme que : « La seule forme de pensée économique qui soit conforme aux Évangiles, c’est le libéralisme ! ». Parvenir à relier au libéralisme de Hayek et Friedman7 une secte deux fois millénaire au fonctionnement plus ou moins communiste, et dont l’inspirateur refusait les richesses matérielles, montre bien à quel point l’important, dans le fait de croire ou de faire croire, ce n’est pas de se conformer à une philosophie d’existence, c’est de se donner des forces pour imposer sa vision de ce qu’on veut que le monde soit. Peu importe le dogme, seule compte la domination de soi-même (au mieux) ou d’autrui.

  1. de man et explaining. []
  2. Parfois, l’accusation de mansplaining frise la discrimination et l’argument d’autorité : une personne n’aurait pas le droit d’avoir un avis sur une injustice sexiste sans en être victime. Réponse du berger à la bergère, certains utilisent la notion réciproque « womansplaining ». []
  3. cf. Malebranche De la Vérité : « Dans les animaux il n’y a ni intelligence, ni âme, comme on l’entend ordinairement. Ils mangent sans plaisir, ils crient sans douleur, ils croissent sans le savoir, ils ne désirent rien, ils ne craignent rien, ils ne connaissent rien; et s’ils agissent d’une manière qui marque intelligence, c’est que Dieu les ayant faits pour les conserver, il a formé leur corps de telle façon qu’ils évitent machinalement et sans crainte tout ce qui est capable de les détruire ». []
  4. On notera pourtant que âme et animal ont la même origine étymologique. []
  5. Je dois l’envie d’écrire cette partie de l’article à un début de conversation avec l’ami Wood, en commentaire à un article précédent. []
  6. Cependant certains s’acharnent, peut-être parce qu’ils croient qu’on leur donnera quelques miettes en échange, à défendre les intérêts de groupes dont ils sont, à leur insu, exclus, comme par exemple le patron d’une PME qui soutient un parti politique qui ne défend que les grands groupes financiers, par exemple. []
  7. Sur Hayek/Friedman/Pinochet/Thatcher, lire : La Stratégie du choc, de Naomi Klein. []

Loto entrepreneur

(billet ennuyeux et technique sur un sujet qui concerne peu de gens. Et en plus il n’y a pas d’images)

Je dis souvent que je ne suis pas de gauche, mais encore moins de droite. Parfois je dis que je suis anarchiste, parce que je rêve d’un système politique basé sur la raison, la coopération et la liberté individuelle. Mais je ne suis pas engagé, pas dogmatique, je sais que le système politique se fait sans moi et que jamais je ne ferai partie de ceux qui l’organisent. Ce que je déteste dans la foi, en politique, c’est quand les traditions d’une « famille » bloquent la réflexion de ses membres ou mènent ces derniers à prendre de mauvaises décisions pour faire plaisir à leur camp. Je pense que beaucoup d’élus UMP ont défilé contre le « mariage pour tous » sans grande conviction, mais l’ont fait parce qu’à un certain moment, ils se sont dit que c’était l’opinion dominante chez leurs sympathisants et leurs collègues, et que c’est en tout cas ce qu’on attendait d’eux. Ils se sont alors inventé des excuses (comme la GPA, qui n’est pourtant pas à l’ordre du jour dans cette loi) pour revenir sur les déclarations tolérantes qu’ils avaient pu avoir à ce sujet dans le passé1… La gauche traditionnelle est capable de belles bêtises par dogmatisme, aussi. Hier, Sylvia Pinel, ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme2, a annoncé que le régime auto-entrepreneur allait être limité dans le temps pour ceux dont c’est l’activité principale, disposition qui avait été plus ou moins annoncé par le Parti Socialiste au cours de la campagne présidentielle. Un rapport de l’Inspection des affaires sociales et de l’inspection des finances recommandait pourtant le contraire, mais il ne sera pas pris en compte. La raison profonde de cet enterrement du statut auto-entrepreneur — qui est à ma connaissance l’unique bonne chose qui soit sortie du quinquennat de Nicolas Sarkozy — est culturelle : le Parti Socialiste est un parti pour lequel il existe deux types d’entreprises, les grosses administrations publiques, et les gros groupes privés. On ne mord pas la main qui vous nourrit ni celle qui vote pour vous : les fonctionnaires votent plutôt à gauche (ou sont considérés comme votant à gauche), et les gros groupes privés, eux, détiennent les cordons de la bourse (un gros parti a besoin de beaucoup d’argent), corrompent les maires et contrôlent la plupart des médias privés. Et puis qui dit grosses entreprises privées dit aussi syndicats puissants et donc fort engagement à gauche des salariés. Enfin ça c’était à l’époque où les grands groupes embauchaient en France, bien sûr. Les petits entrepreneurs, eux, n’existent pas dans le tableau de la France de la gauche traditionnelle. Si la droite traditionnelle séduit souvent les petits entrepreneurs et les commerçants, c’est qu’il existe une frange (sans doute assez réduite) de cette famille politique qui prend en compte leur existence. La gauche n’aime pas les petits entrepreneurs, qui sont jugés fondamentalement réactionnaires :

Les classes moyennes (Mittelstände), le petit industriel, le petit commerçant, l’artisan, le paysan, ne combattent la bourgeoisie que pour sauvegarder leur existence de classes moyennes menacées. Elles, ne sont pas révolutionnaires par conséquent, mais conservatrices. Bien plus, elles sont réactionnaires. Elles tentent de faire rétrograder la roue de l’histoire. On si elles sont révolutionnaires, c’est en tant qu elles discernent qu’elles sont condamnées à se fondre dans le prolétariat. Elles ne défendent pas alors leurs intérêts présents, mais leurs intérêts futurs. Elles quittent leur propre point de vue pour se placer an point de vue du prolétariat3.

Peut-être que cette opinion était fondée, à l’époque de la Révolution industrielle, et peut-être l’est-elle toujours (même si j’ai beaucoup de mal avec l’idée d’un système qui, si on pousse sa logique, réclame plus d’exploitation et moins d’indépendance et de responsabilités chez les travailleurs pour que ces derniers aient aient envie de révolution…), mais il faut malgré tout que la gauche change un peu de point de vue, car en 2013, ce qui fait exister un pays comme la France, ce ne sont ni les grands bourgeois qui investissent dans la finance, ni les ouvriers, qui n’ont plus de travail, ce sont les petites entreprises de services, les artisans, les commerçants, les paysans.
Et maltraiter ces gens n’est pas un très bon calcul.

En tant qu’auto-entrepreneur (car je cotise sous ce régime), j’ai vécu comme un bol d’air ce dispositif qui permet de gagner légalement et simplement un peu d’argent. Sans raconter ma vie, j’ai des revenus de plusieurs nature : des salaires réguliers, des salaires ponctuels, des droits d’auteur et des honoraires en tant que travailleur indépendant. Comme travailleur indépendant, mes revenus sont généralement modestes, et très irréguliers. Pendant près de quinze ans, j’ai eu le statut « Urssaf régime général », et tous mes amis me conseillaient de changer pour le statut « Maison des artistes » ou pour le statut « Agessa », plus adaptés à mon activité, et un tout petit peu moins chers en pratique puisqu’il ne fallait pas payer la taxe professionnelle, si je ne dis pas de bêtises. Le problème de tous ces statuts (Urssaf, Maison des artistes, Agessa), c’est qu’ils réclament une comptabilité sérieuse, puisque l’on doit payer ses charges sociales au moins un an et demie après avoir perçu les revenus.
Or le principe de l’auto-entrepreneur, c’est que tous les trois mois, on déclare ce qu’on a gagné et on paie aussitôt les charges qui correspondent, et qui sont calculées de manière automatique. On ne peut pas payer plus que ce que l’on a gagné, chose qui — les gens qui ne sont que salariés n’y croient pas — peut arriver. La bêtise et la complexité de l’administration peut d’ailleurs aboutir à d’autres absurdités : pendant plusieurs années j’ai cotisé à la sécurité sociale comme salarié et comme indépendant, mais sans être couvert par cette assurance…

On peut discuter du détail concernant le statut auto-entrepreneur : est-ce que les taux sont bien calculés ? Ils ont été relevés et s’il s’avère que les auto-entrepreneurs cotisent moins que les salariés de Total ou EDF, on peut les relever encore.
Le rapport remis à la ministre, qui propose quelques ajustements du statut afin d’éviter les possibles fraudes ou détournement, établit :

  • que le statut autoentrepreneur ne suscite pas de concurrence déloyale mais permet de faire exister des micro-marchés délaissés par d’autres acteurs économiques.
  • que ce statut est plus juste que d’autres car il ne permet pas d’exonérations de charges et met tout le monde à la même enseigne.
  • que rien ne prouve que ce statut puisse être utilisé pour créer de l’emploi salarié déguisé et précaire, situation envisageable et qui faisait partie des craintes suscitées par ce nouveau statut, mais pas forcément difficile à réguler il me semble.
  • que les faibles obligations comptables liées au système ne suscitent pas plus de fraudes que les autres statuts et permettent même de régulariser des activités autrefois exercées hors système, au noir.

Mais voilà, apparemment il ne sera pas tenu compte de ces observations pour une raison idéologique, parce que l’entrepreneur n’est pas de gauche, parce qu’il faut être patron ou salarié, parce qu’il n’est pas bien vu d’être autre chose que maître ou esclave.
Le but profond de la tracasserie administrative est, à mon avis, d’empêcher les sardines d’échapper à la gueule des cachalots. Je me comprends4.

La force du statut auto-entrepreneur ce n’est pas le taux de cotisations qui est appliqué (un peu moins de 25% dans mon cas), c’est la simplicité du système, qu’il faudrait appliquer à tous les autres statuts d’entreprise individuelle. S’il m’arrivait à nouveau de gagner plus comme indépendant que comme salarié, je ne pense pas que j’aurais le courage de reprendre un statut « à l’ancienne », ne serait-ce que parce que la transition d’un statut à un autre est toujours extrêmement pénible, mal gérée par l’administration mais, c’est une constante, toujours aux dépens de l’affilié.

Voilà, c’était mon billet de droite du jour. Il est presque un peu technique, ce qui est bizarre venant de moi qui, généralement, ne comprends pas bien les questions liées à la comptabilité, à l’argent, aux statuts et aux règlements.

  1. L’expérience de Robbers Cave (1954), par Muzafer Sherif, et l’expérience de Solomon Asch (1954)  ont montré comment se constituaient les groupes, les antagonismes, le consensus, et c’est assez effrayant : choisir d’appartenir à un groupe, c’est choisir d’abaisser sa capacité au discernement et d’accepter de devenir l’ennemi du groupe opposé. []
  2. La ministre Sylvia Pinel, issue de l’entourage du radical de gauche Jean-Michel Baylet, est née l’année de la sortie de Star Wars et a été, à trente ans, la plus jeune députée de France. Je ne vois rien sur son curiculum vitae qui se rapporte à l’artisanat, au commerce ou au tourisme, dont elle a été bombardée ministre. Elle est, malgré son jeune âge, une politicienne professionnelle. []
  3. Karl Marx/Friedrich Engels, le manifeste du parti communiste, traduction de Charles Andler. []
  4. Autre affaire qui mérite discussion : le nouvel accord dans les métiers du cinéma qui, à la manière du corporatisme syndical américain, impose des salaires précis pour les techniciens et imposent une composition précise pour les équipes de tournage. Il faudrait voir le détail de l’accord, mais le fait qu’il ait été imposé par quatre grands groupes (Pathé, Gaumont, MK2, UGC) laisse penser qu’il est plutôt destiné à appliquer à tout le secteur le fonctionnement d’une poignée puissante mais pas forcément représentative de ses acteurs. []

Article pour tous

Cet article enfonce les portes ouvertes, il sera bien heureusement inutile à beaucoup de gens. Au delà des questions de conviction (pour ou contre le mariage « pour tous »), ce qui m’intéresse c’est de comprendre (ou plutôt d’expliquer, car j’ai mon idée) pourquoi ce projet semble si révoltant pour certains, et de leur fournir quelques arguments pour leur permettre de passer ce cap et accepter d’autres modes de vie que le leur.

Je me souviens qu’à l’école primaire, l’insulte redoutée, c’était « pédé ». On ne savait pas ce que ça signifiait exactement, mais c’était mal vu, ça ne touchait que les garçons et ça avait un rapport avec la virilité. Dans la cour de récréation, les garçons « virils », ceux qui aimaient le football, les automobiles, et qui détestaient les filles, imitaient très bien les « pédés » en faisant des moulinets avec les mains et en roulant des fesses. Je ne sais pas si les choses ont beaucoup progressé, et je crois bien que « pédé » reste l’insulte suprême, mais au moins, les enfants sont un tout petit peu plus au courant de l’existence et de la nature de l’homosexualité.
Quand le mariage « pour tous » a commencé à être évoqué, ma fille, qui était en troisième à ce moment-là, a été scandalisée : comment est-il possible que ça ne soit pas déjà permis ? De quel droit on décrétait que ceux-ci pouvaient se marier et pas ceux-là ? Pour beaucoup de jeunes aujourd’hui, ça ne devrait pas être une question, c’est une simple affaire d’équité. Ils voient l’homosexualité comme un cas particulier, mais pas comme une anomalie. Et ces mêmes jeunes ne comprennent pas l’hostilité dont font preuve certaines personnes.
Dans de nombreuses familles, la question du « mariage pour tous » a abouti à des discussions violentes et à la découverte de positions apparemment irréconciliables.
Par ailleurs, l’insistance médiatique sur le sujet excite ceux qui ressentent le besoin d’affirmer leur virilité en frappant, en meute bien sûr, ceux dont ils le mode de vie les perturbe.

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Wilfred de Bruijn, agressé par un groupe explicitement homophobe à Paris samedi 6 avril. C’est sa tête et la haine dont il porte les stigmates qui m’ont décidé à écrire le présent article.

On a longtemps fait souffrir les gauchers, parce que leur main était celle du « mal », celle du « diable », la main maladroite, la « sinistre ». Mais si la main gauche est mal adaptée à la vie quotidienne, ce n’est pas par essence, mais parce que 90% des gens sont naturellement droitiers, et que le monde est donc configuré par et pour les droitiers. La gaucherie n’est pas intrinsèquement mauvaise, elle est juste minoritaire et donc, maltraitée. Comme si ce handicap statistique (si les gauchers étaient majoritaire, ce sont les droitiers qui souffriraient) ne suffisait pas, on a longtemps tenté de « contrarier » la gaucherie, de forcer les gauchers à écrire de la main droite, on leur a demandé de se rééduquer, de se nier. Mais si le taux de gauchers dans la population ne variera jamais (environ dix pour cent), alors ce qui peut varier, c’est la manière dont une société traite les gauchers, et aujourd’hui cette manière a plutôt changé. Il en va de même des homosexuels : leur proportion ne variera pas, mais la manière dont ils sont traités, acceptés, visibles, elle, varie.

Ce n’est pas une métaphore, c’est exactement la même chose : lorsqu’une population est minoritaire, elle devient facilement victime du souci de « normalité » des populations majoritaires, qui non contentes d’être en force (et puisqu’elles le sont) ont une tendance naturelle à considérer la différence comme une anomalie et la force qu’ils exercent comme légitime. Ce n’est pourtant pas une fatalité.
Enfant, j’ai été profondément marqué par ce tract édité à l’occasion de la campagne présidentielle de Coluche :

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…Tout bêtement, il s’adressait (avec un populisme de bon aloi tout à fait approprié à l’enfant de douze ans que j’étais) à tous les gens « minoritaires », non pris en compte, voire méprisés, qui une fois mis dans un même sac, s’avèrent plutôt nombreux. L’énumération contient aussi « les Français », mais j’y voyais une manière habile de faire réfléchir, justement, au fait que la France est un pays dans lequel vivent des gens très divers.
Coluche n’est pas allé au bout de sa campagne, mais cette profession de foi tolérante était dans le sens de l’époque, et si le parti socialiste a amené quelque chose d’important en arrivant au pouvoir après l’élection de 1981, c’est bien d’avoir affirmé que la société française était diverse, notamment dans sa vie privée, et cela s’est ressenti notamment grâce à des émissions de radio et de télévision : Poubelle night, Moi, je, Psy show, Sexy folies, Lunettes noires pour nuits blanches, etc., mais aussi le célèbre Top 50, qui d’un seul coup a révélé aux français qui écoutaient Michael Jackson qu’ils n’étaient pas seuls et que les ventes de Michel Sardou et de Mireille Matthieu n’étaient pas si importantes que ça : c’est l’époque où les modes de vies, les goûts, ont cessé d’être « underground ». On peut discuter de la manière dont ils ont ensuite été récupérés par le commerce, normés, calibrés, etc., mais en attendant, pour avoir vécu l’époque, ça a été un bol d’air frais.
En tout cas, notre instinct grégaire et normatif peut évoluer, s’assouplir, il n’y a aucune fatalité de ce côté là.

Il est normal, selon la génération à laquelle on appartient, selon le milieu dont on est issu, et selon l’image qu’on se fait des homosexuels en fonction des informations dont on dispose, de s’interroger : le mariage pour tous est un vrai changement. Mais une fois que la question est posée, et une fois qu’on accepte de confronter ses préjugés aux faits (l’expérience des autres pays, par exemple), peut-on vraiment continuer à refuser le mariage pour tous ? Qu’une majorité s’oppose à l’égalité des droits d’une minorité (et qui le restera toujours), ça n’est tout simplement pas juste.
Alors évidemment, les détracteurs du projet de loi expliquent (souvent) qu’ils n’ont pas de problèmes avec le couple homosexuel, ni même avec le mariage (en tant que moyen de constituer un foyer institutionnel et fiscal) mais que si des homosexuels peuvent avoir ou adopter des enfants, alors ce sont ces parents homosexuels qui décident pour d’autres, pour leurs enfants. Cet argument ne tient pas la route : quand et où est-ce que des enfants ont choisi de vivre, ont choisi leur famille ? Ça n’est jamais arrivé et ça n’arrivera jamais, c’est le principe même du fait d’être un enfant. Il en va de même du « droit à l’enfant » opposé au « droit de l’enfant » par les « anti » : décider d’avoir un enfant, qu’on l’adopte ou non, relève évidemment du plus suprême égoïsme et de la plus grande inconséquence — mais se mue ironiquement, par la force des choses, une fois que l’on comprend que l’enfant est une autre personne, en altruisme et en responsabilité.
Si l’on veut savoir s’il est problématique que des homosexuels aient des enfants, il ne faut pas rapprocher les images mentales que l’on a de « homosexuel » et de « enfant », mais se renseigner : apparemment, des tas des gens ont grandi avec un couple homosexuel et ne s’en sont pas plus mal tirés que d’autres. Apparemment, dans les pays où ce genre de loi est passée, il y a plus de problèmes qui sont résolus (le statut du parent non biologique dans le cadre d’un couple de femmes par exemple) qu’autre chose. En fait, ceux que l’idée angoisse le plus semble être les gens qui ont eu un père hétérosexuel violent, volage ou absent, comme le « pédiatre super-star » Aldo Naouri qui considère la parentalité homosexuelle comme une « ineptie » et pense qu’une femme amoureuse d’une autre risque d’être « détournée de sa fonction maternelle », conseille aux femmes qui vivraient malgré tout en couple homosexuel avec enfants de dormir dans deux lits doubles, afin que la place symbolique du père soit garantie dans le foyer1. Stratégie « psychologique » dont on voit mal ce qu’elle pourrait clarifier dans le rapport d’une personne envers ceux qui l’élèvent. Le nombre d’anti-mariage pour tous qui se justifient en racontant leur souffrance au sein d’une famille hétérosexuelle montre bien à quel point la manière dont la question est posée par certains manque de rationalité.
Dans certaines espèces animales, par exemple chez certains oiseaux ou chez certains marsupiaux me souffle-t-on, il est impossible qu’un petit soit élevé par un autre individu que son parent biologique. Chez l’humain, ce n’est pas le cas, on peut adopter les orphelins, on peut élever un enfant seul, on peut élever un enfant en couple, ou au sein d’un groupe plus grand, comme on le voit dans certaines tribus ou ici, depuis l’institutionnalisation du divorce, avec les familles dites « recomposées » où un enfant peut être élevé par quatre parents dont deux sont ses parents biologiques. Un enfant humain peut boire le lait d’une femme qui n’est pas la sienne, ou grandir avec ses grands parents, enfin tout est possible et surtout, tout existe, tout a été fait, et rien ne semble garantir à coup sûr ni succès ni séquelles. Ce qui semble important pour le développement d’un enfant, ce n’est pas de savoir s’il grandit au sein du modèle dominant, mais de savoir s’il est bien entouré, aimé, choyé, éduqué.

S’il y a tant de gens (presque la moitié de la population) pour refuser l’adoption2 par des homosexuels (plus que le mariage, qui ne révolte apparemment qu’une petite partie des gens), ce n’est pas en fonction d’un raisonnement et d’informations liés à la psychologie, c’est pour une question d’image des homosexuels. Certains d’entre nous sont nés à une époque, dans un pays, dans un milieu où l’homosexualité était/est un crime, d’autres à une époque où elle était/est une maladie psychiatrique (l’OMS n’a retiré l’homosexualité de la liste des maladies qu’il y a un peu plus de vingt ans), ou confondue avec la pédophilie, ou considérée comme une manie un peu sale et secrète, ou comme une perversion, ou comme un mode de vie réservé aux milieux artistiques,… Et selon ces paramètres, et selon la capacité que chacun peut avoir à prendre en compte de nouvelles informations (ce qu’on appelle l’intelligence), il est plus ou moins difficile d’imaginer que des enfants grandissent normalement dans un autre contexte que celui de la famille nucléaire.

Vendredi dernier à Saint-Étienne

Vendredi dernier à Saint-Étienne, des « nationalistes » sont venus empêcher Erwan Binet, rapporteur de la loi sur le mariage pour tous, de s’exprimer. On imagine qu’ils veulent se prouver quelque chose en termes de virilité, mais il n’est pas certain qu’ils puissent faire de bons papas.

Combien de tragédies, de drames affreux ou de souffrances quotidiennes sont nées du rejet de l’homosexualité ? Infiniment plus que de son acceptation, c’est une évidence.
Il est peut-être temps de laisser les gens vivre et de leur faire confiance pour chercher à devenir des parents acceptables, non ?

Bon, j’enfonce les portes ouvertes, j’avais prévenu en introduction, mais j’avais quand même envie de dire tout ça.

  1. Ce brave homme conseille par ailleurs aux hommes qui se sentent délaissés par leur épouse après que cette dernière vient d’accoucher, de la violer. Il dit ça « pour rire » mais assure que la femme du couple à qui il a donné ce conseil « provocateur » s’est, je le cite, « illuminé ». []
  2. Précisons que la « gestation par autrui » – les mères porteuses – n’est pas autorisée par le code civil actuel et n’est pas non plus autorisé par la loi Taubira, c’est une question qui n’a strictement rien à voir. []

Un pour tous, tous pourris ?

Accusé de fraude fiscale, le ministre du budget a été écarté du gouvernement en clamant son innocence puis, finalement, en avouant sa culpabilité : oui, effectivement, il lui reste bel et bien un compte à l’étranger, ouvert il y a vingt ans, auquel il n’a pas touché depuis une douzaine d’années et sur lequel il lui reste quelques économies, six cent mille euros. Il se sentait coupable mais il n’osait pas l’avouer, pris dans la spirale du mensonge. Je rêverais de me rappeler que j’ai un compte oublié, quelque part, sur lequel traînent négligemment six cent mille euros. Je n’en suis peut-être pas si loin, car je dispose d’un livret A à la Caisse d’Épargne, livret auquel je n’ai pas touché depuis vingt ans et sur lequel se trouvent, selon le relevé qu’on m’envoie chaque année pour me rappeler son existence, une dizaine d’euros. Je me demande si ce livret A n’est pas carrément illégal car j’en ai un autre à la Banque Postale, auquel je touche plus souvent (mais qui n’est pas très rempli au moment où j’écris). Je ne sais pas si je devrais m’en vanter mais du coup je comprends mieux Jérôme Cahuzac : comme lui, j’ai un compte bancaire sur la conscience.
À ma décharge, je n’ai pas attendu une enquête de Médiapart1 pour avouer et donc, pour être à moitié pardonné.

Alors que cette affaire se conclut, on apprend que le trésorier de campagne de François Hollande a des intérêts dans des sociétés situées aux Îles Caïman. Sa situation, apparemment, n’a rien de spécialement illégal, mais la coïncidence des deux affaires porte le doute sur le parti socialiste. Et ce n’est pas fini : la gendarmerie interroge le sénateur marseillais Guérini dans le cadre d’une enquête sur un dossier « à caractère mafieux ».

Parlant de l’aveu de Cahuzac, Jean-François Copé a affirmé :

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Les couples Copé et Takieddine en vacances.

Il me semble percevoir une joie perverse chez le président de l’UMP lorsqu’il constate que son parti n’a pas le monopole des « affaires ». Mais bon, on le savait déjà. C’est même un peu un problème : ça n’étonne pas vraiment.
J’ai entendu un responsable de l’UMP affirmer (« rappeler », disait-il, comme si on était censés connaître le chiffre) que « 98% des élus de la République sont honnêtes ». Si on compte tous les conseillers municipaux des trente-six mille communes de France, notamment les plus petites, et si on compte même les conseils municipaux d’enfants, j’imagine que le chiffre est réaliste. Mais le resterait-il si on ne parlait que des élus dont la rémunération n’est pas symbolique ?

Certains sont très inquiets des répercussions de ces scandales : tout ça va profiter « aux extrêmes », disent-ils. Je ne sais pas s’ils ont raison, mais il est sûr que cela fait du tort à l’image de la classe politique.
Je ne suis pas spécialiste de la communication politicienne, comme Séguéla ou Attali, mais d’instinct il me semble que le plus sûr moyen pour éviter de se faire traiter de « pourris », c’est peut-être de commencer par ne pas le mériter. Enfin sans doute que j’en demande trop2. La grande presse quotidienne subventionnée est déjà partie en campagne pour empêcher que les électeurs du PS ne se tournent vers Jean-Luc Mélenchon.

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Deux journaux détenus par des hommes d’affaires et maintenus à flot grâce à la générosité publique : seize millions d’euros pour le Figaro et neuf pour Libération, en 2011. Je ne les soupçonnerais pas d’être véritablement indépendants et libres de leur parole, quoi qu’en pensent leurs journalistes.

Au delà de la malhonnêteté avérée ou soupçonnée chez untel ou un autre (qui devient aussitôt un pestiféré pour ses anciens amis — ce n’est pas la malhonnêteté, dont ils craignent la contamination et qui les scandalise, mais le fait de s’être fait prendre la main dans le sac), chaque affaire, qu’elle ait des implications judiciaires ou pas, nous laisse percevoir que la politique est, passé un certain niveau de responsabilités, l’affaire de gens qui baignent dans un univers d’argent3. De gens déjà riches, qui accèdent au pouvoir avec leur argent (même s’ils n’ont strictement aucun autre argument, comme Serge Dassault, par exemple), ou de gens qui veulent devenir riches et utilisent la politique pour y parvenir.
Parfois aussi de gens pas spécialement riches ni attirés par l’argent mais qui finissent par être grisés par l’ambiance, ça s’est vu. Je me souviens avoir lu une responsable politique locale d’une grande ville45 qui se plaignait d’être mal payée, et qui disait qu’elle devait, en tant qu’élue, prendre des décisions concernant des chantiers où la moindre porte valait plus cher que son salaire mensuel. Je ne sais pas trop quoi penser d’une personne qui est jalouse d’une porte… Il faudrait peut-être commencer par se demander si cette porte n’est pas payée un peu cher, mais au delà de ça, une telle réflexion montre en tout cas que l’argent public circule. Et par extrapolation, que la corruption est une tentation.

Le référendum sur la moralisation de la vie

Le référendum sur la moralisation de la vie publique que propose Harlem Désir sera sans doute un peu complexe que ça. Je me demande en tout cas s’il y a des élus qui feront campagne « contre » la morale en politique…

À la télévision, Nicolas Doze ou Jean-Michel Apathie parlent de l’argent public et des contributions sociales comme d’une charge qui pèse sur le contribuable et sur la richesse du pays, mais beaucoup de gens (ceux qui en vivent) sont au courant du fait qu’il s’agit aussi et surtout d’une manne extraordinaire, de centaines de milliards d’euros qui ne disparaissent pas dans les limbes, loin de là : la porte qui vaut plus cher qu’une conseillère municipale, elle a été achetée à quelqu’un, elle rapporte de l’argent à quelqu’un. Quand une institution publique débourse une somme indécente pour un logo, une étude, un audit, l’argent arrive bien quelque part6. La mode qui consiste à réduire les services publics et à les remplacer par des prestataires privés, officiellement pour gagner en souplesse, permet là encore que l’argent de l’État aboutisse dans des poches privées : ce qui coûtait cent « en interne » est payé cent-cinquante « en externe » et la différence est souvent financée par la dette publique. C’est ça, la privatisation des services publics : un transfert d’argent qui au lieu d’être profitable à la communauté devient profitable à des sociétés privées. C’est pour ça que la dette ne baisse pas spécialement, bien au contraire, sous les gouvernements qui suppriment des postes dans la fonction publique, ni dans les municipalités qui virent leurs cuisiniers pour les remplacer par des sociétés de plats préparés. On en reparlera.

On a appris il y a deux jours que Jérôme Cahuzac envisageait de récupérer la charge de député qu’il a délaissée il y a quelques mois pour devenir ministre. Et il rassure ceux qui lui disent que c’est un projet inacceptable venant de celui qui a ridiculisé son parti et scandalisé toute la France, en leur promettant de ne pas être physiquement présent dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Il percevra donc 13 000 euros et quelques pour ne pas faire son métier de député. Et la loi lui en donne absolument le droit puisqu’il n’a pas encore été condamné pour quoi que ce soit et que s’il est député, c’est bien parce qu’il a été élu. La plupart des gens ont la capacité à tenir compte des sentiments qu’ils provoquent chez les autres, et ont tendance à raser les murs lorsque leurs contradictions ou leurs malversations ont été démasquées. Ceux qui ne le peuvent pas, ont un comportement psychopathe, c’est à dire anormalement incapable d’empathie. Le genre de qualité qu’il faut pour réussir dans le monde de l’entreprise, d’après le livre Snakes in suits.
Les gens qui prennent la défense de Cahuzac en disant : « ce n’est qu’un homme, après tout, faillible,… », font preuve d’empathie, eux. C’est tout à leur honneur mais il n’est pas sûr que ce genre de noble sentiment envers les gouvernants soit souvent récompensé.

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Est-ce qu’il y a, parmi les cadors de la politique, beaucoup de gens qui agissent de manière normale, au fait ? Qu’est-ce qui fait qu’on a envie de prendre le pouvoir ? N’est-ce pas une ambition suspecte ? Un besoin de dominer ? Est-ce qu’un parti peut devenir « de gouvernement » sans se compromettre ? Est-ce qu’on peut résister à la tentation de se laisser corrompre pour gouverner, ou de gouverner pour corrompre ? Comment se fait-il que des partis qui ont une base militante forte distribuent les places qui comptent vraiment à une poignée d’énarques et de polytechniciens dont l’ascension politique a été fabriquée  (et c’est particulièrement vrai au Parti Socialiste, me semble-t-il) de toutes pièces ? Notre régime démocratique est une oligarchie déguisée, et la politique n’est pas une charge citoyenne mais une vocation professionnelle.
Platon rêvait d’un gouvernement par des sages qui refusent de gouverner, mais cette proposition absurde ne peut mener au pouvoir que les plus talentueux faux-modestes. Et on n’en manque pas, d’ailleurs, de faux modestes qui affirment « se dévouer », « se sacrifier » pour des salaires qui représentent cinq ou dix fois le Smic. Ils ne font pas ça pour l’argent, disent-ils souvent : eh oui, les métiers qu’on fait pour l’argent, curieusement, ce sont ceux où on ne gagne rien. Et ceux qui sont indispensables au fonctionnement du pays, aussi : si les éboueurs ou les caissières de supermarchés pratiquaient l’absentéismes des député, ça se remarquerait beaucoup plus.

Si je devais réécrire la constitution, je proposerais de multiplier le nombre d’élus de la République et je baisserais nettement leurs salaires. La France actuelle a moins de députés qu’à l’époque de la Révolution Française alors que la population du pays est trois fois plus importante : le pouvoir est concentré, la diversité des idées est découragée et les deux partis qui s’alternent au pouvoir depuis trente ans se situent, sur les sujets liés à l’argent, sur une ligne très proche. Ils profitent de quelques sujets de société (importants, sans doute) pour donner aux électeurs une raison de pencher pour un camp ou pour l’autre… Et pendant que le bon peuple s’amuse, les députés votent leurs propres salaires, et là, il y a peu de débats !
Je pense qu’on ne peut pas vraiment appeler ça une démocratie.

  1. Si comme moi ou Jérôme Cahuzac vous êtes riche, allez donc vous abonner à Médiapart, vous ne le regretterez pas. []
  2. Si j’avais été un communiquant cynique, j’aurais proposé comme ligne de défense que pour attraper des fraudeurs, il faut des gens qui pensent comme eux, de même que la préfecture de Paris, au XIXe siècle, a embauché l’ancien bagnard Vidocq pour comprendre le fonctionnement de la pègre,… []
  3. Certains disent à présent que J. Cahuzac a tenté de placer quinze millions d’euros – soit cent millions de francs – à l’abri du fisc français. Là on commence à parler de sommes conséquentes. []
  4. Si quelqu’un retrouve cette anecdote… []
  5. Grand merci à Moz_Darioritum qui m’a retrouvé la citation : l’élue en question est Lyne Cohen-Solal, qui reçoit une indemnité (pas un salaire, spécifie-t-elle) de 4000 euros et qui ne vaut (dit-elle) pas plus qu’une porte ou une fenêtre. La citation vient de l’émission Ligne Jaune (Arrêts sur images) du 15/02/2011. []
  6. La réglementation sur les appels d’offres permet même d’éviter que ce « quelqu’un » qui profite de l’argent public ne soit « n’importe qui » : les budgets sont souvent confiés aux pires bras-cassés du Cac40, et échappent aux petites entreprises qui ne satisfont pas aux conditions précisément mises au point par nos députés pour les écarter. []

Filles nues

Des activistes féministes qui exposent leur poitrine comme symbole d’un corps assumé et sans entraves s’inscrivent dans une certaine tradition et véhiculent une symbolique qui ne peut-être que positive ; douceur, amour, maternité, fragilité, nature, et bien entendu séduction,… Et puis, comme l’a dit Louis Scuternaire, « Les femmes nues n’ont jamais fait de mal à personne ».
Par ailleurs, on ne me soupçonnera pas de complaisance envers les religions, je n’en respecte aucune — mais je respecte, malgré tout, finalement (ce n’est pas mon premier réflexe, je l’avoue), les croyants, car il me semble que leur foi ne relève pas réellement d’un libre-choix, elle semble irrésistible à ceux qui en sont victimes, ils éprouvent un besoin vital de croire, comme on peut devenir tabagique ou alcoolique.

La première fois que j’ai entendu parler des Femen, féministes et anti-religieuses, ma sympathie leur était acquise d’office. Mais à chaque nouvelle apparition depuis leur acclimatation parisienne, je comprends moins la manière dont elles fonctionnent : quelle que soit la cause défendue (il y en a beaucoup), le but final semble être d’obtenir des photographies où l’on voit de très jolies filles topless se faisant frapper par des hommes. Cette semaine, elles sont venues devant la Grande Mosquée de Paris brûler un drapeau orné de la profession de foi de l’Islam, que les médias ont un peu vite qualifié de « salafiste ». Je n’ai pas vu de vidéo de l’évènement, donc j’ignore dans quel ordre exact s’est déroulée l’action, mais les photos prises constituent une séquence un peu burlesque :

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…Deux vigiles de la Mosquée tentent d’empêcher l’action, et l’un, qui n’est visiblement pas tout jeune, tente de chasser les jeunes femmes à coup de cageots et de bouteilles en plastique, avant d’envoyer un coup de pied aux fesses à l’une d’elles, coup de pied qui deviendra l’événement Femen de la semaine pour plusieurs médias. Si des jeunes femmes étaient venues, seins nus, brûler un drapeau rasta devant l’entrée de Disneyland, je pense que des vigiles auraient également tenté de l’empêcher, sans arrières-pensées politiques ou religieuses, mais pas forcément avec moins de vigueur. L’action était cette fois destinée à soutenir la jeune Femen tunisienne Amina qu’on dit être à demi-séquestrée par sa famille depuis ses prises de position contre le contrôle de son corps par la morale religieuse.
La cause est juste, peut-être urgente, mais que prouve cette action ? Pourquoi choisir la Grande Mosquée de Paris, qui a plutôt la réputation de promouvoir un islam intégré à la société française et dont le recteur est souvent critiqué par les défenseurs de l’islam « fondamentaliste » ? On sent que ce qui compte, c’est moins d’être juste que de produire des images irrésistibles pour les médias, des images où des mondes apparemment incompatibles se télescopent avec une petite dose de violence. Et tant pis pour la subtilité.

...

Dans « Monty Python : Meaning of life » (1983). Arthur Jarrett, condamné à mort pour le crime au premier degré d’avoir mis des plaisanteries sexistes gratuites dans un film, a choisi les conditions de son exécution : il est poursuivi par des jeunes femmes presque nues jusqu’au bord d’une falaise d’où il fait une chute qui l’amène directement dans sa tombe, autour de laquelle sont rassemblés ses proches, prêts à le pleurer. J’ai hésité à placer cette séquence dans l’article hier mais je l’ai finalement fait, car elle est drôle.

Jouer des médias et de leurs faiblesses, pourquoi pas : on n’y a pas toujours accès autrement. Mais je trouve malgré tout le résultat irresponsable, au sens où les images qui restent de chacun de ces happenings font moins réfléchir que réagir : on doit être pour, ou bien contre, ami ou ennemi, on n’est pas censé avoir le droit de débattre, ni d’étudier les points de vue des uns et des autres, ni réfléchir aux moyens employés, il faut accepter ou refuser, y compris quand les causes défendues, comme l’abolition de la prostitution ou de la pornographie, sont extrêmement complexes.
Je comprends la sympathie qu’on peut éprouver pour les Femen mais j’espère que, à présent qu’elles ont été vues et revues, leur façon de s’attaquer à telle ou telle grande cause se fera un peu moins dans l’affrontement et un peu plus dans la réflexion et même, le dialogue.

Like a foule

Dans le billet précédent, je disais du mal du foot. Je m’en veux toujours un peu de faire ça, c’est un peu bourgeois finalement, un peu snob. Après tout c’est le sport du tiers-monde, le seul qui donne une dignité internationale à des nations d’Afrique ou d’Amérique du Sud qui, le reste du temps, ne sont connues que pour les ressources naturelles que les pays plus fortunés y exploitent. Les publicités de la marque Puma racontent ça de manière admirable.

puma

Émouvantes, ces publicités, non ? Puma appartient à Pinault, dégage un chiffre d’affaires de trois milliards de dollars annuels et est connu pour les faibles salaires que ses ouvriers d’Inde, d’Indonésie ou du Cambodge perçoivent, autant que pour les produits chimiques mortifères que ses usines déversent dans le Yang Tse. Ces scandales environnementaux et sociaux, dénoncées par des ONG, semblent avoir poussé la marque à changer de pratiques. Reste que montrer des sportifs jouer au foot dans la poussière des rues de Lagos ou de Kinshasa avec des chaussures fabriquées pour une misère par des asiatiques, ensuite vendues dans le monde entier pour enrichir un conseil d’administration européen, ça semble un rien obscène. Et pourtant, cette mythologie de sport du tiers-monde, de sport des cités, n’est pas usurpée.

Au delà du fric et de la place médiatique délirante que prend le football (combien d’hommes politiques perdent un temps fou à faire croire qu’ils se passionnent pour les tribunes du Stade de France ?), je le disais, ce qui m’angoisse, c’est la foule des spectateurs.
Mais au fond, je dois le dire, ce n’est pas spécifique au football. Je me souviens des manifestations étudiantes de 1986. Je n’étais pas étudiant, mais j’y allais, j’ai dormi dans l’amiante de la fac de Jussieu, j’ai chanté des slogans (« Devaquet, au pi-quet, Monory au-ssi »), sans comprendre vraiment les tenants et les aboutissants de la réforme combattue. Mais nos profs au lycée nous laissaient plus ou moins aller manifester, c’était la fête — enfin jusqu’à la mort de Malik Oussékine, qui a fait prendre un tour grave aux événements.
À cette période, j’ai vécu une charge de CRS. Je me souviens de la peur que j’ai ressenti, de la manière dont je courrais, dont je m’arrêtais, dont je me protégeais la tête, dont je criais. Et je me rappelle aussi qu’autour de moi, tout le monde avait exactement les mêmes gestes, et ressentait visiblement exactement la même chose. Je ne sais pas si on dégage des phéromones lorsqu’on a peur (sans doute ?), mais tout le monde semblait être dans le même état d’esprit, ou même pas d’esprit, ce sont nos corps qui agissaient, nos réflexes, plus tellement nos têtes.

En 1986, j'étudiais dans un LEP de photographie, j'ai donc pris un certain nombre de clichés des manifestations, mais je ne retrouve rien de bien intéressant si ce n'est cette image de couple au milieu de la foule.

En 1986, j’étudiais dans un LEP de photographie, j’ai donc pris un certain nombre de clichés des manifestations, mais je ne retrouve rien de bien intéressant si ce n’est cette image de couple au milieu de la foule.

Cette expérience m’a terriblement vexé, parce que je sais qu’à un moment, je n’ai plus été ni un individu, ni un être véritablement pensant. Et depuis, j’évite les manifestations. Enfin depuis ça et depuis d’autres événements comme le fait d’être allé défiler, deux ans plus tôt, pour que la radio NRJ ait le droit de diffuser de la publicité (et amène ce modèle économique aux autres stations). Évidemment, on ne nous avait pas présenté la chose comme ça à l’époque, mais le fait d’avoir fait partie des centaines de milliers d’idiots qui ont défilé ce jour-là m’a, rétrospectivement, fait comprendre qu’un manifestant ne maîtrise pas forcément la cause qu’il défend et n’est qu’un agent non-intelligent au cœur d’un rapport de force. En même temps, enfant, j’ai défilé contre le nucléaire avec un masque blanc et pour le Larzac avec un masque de mouton : ça reste des bons souvenirs de manifestations familiales et liées à une cause que j’aurais soutenue sans l’aide de mes parents si j’avais eu l’âge pour comprendre de quoi il était question, je ne dis pas que ça ne peut pas exister, une manifestation utile et juste, mais je me tiens à l’écart de ces rassemblements.

On me dira qu’un concert musical n’est pas loin d’un match de foot ou d’une manifestation : l’individu se fond dans la foule, avec qui il partage des émotions puissantes. Mais je vois des différences importantes. Dans le football, deux équipes s’affrontent, et si du point de vue des joueurs l’affrontement semble généralement plutôt pacifique — sportif, comme on dit —,  leurs partisans, eux, semblent souvent atteints d’une folie patriotique furieuse qui les amène à haïr le camp adverse et qui rappelle tout simplement la guerre : des gens capables de s’entre-tuer parce qu’ils croient à des contes absurdes, comme le fait qu’un homme qui court derrière un ballon est investi, en quelque sorte, d’une partie d’eux-mêmes, parce qu’ils portent une écharpe aux couleurs de son équipe. La neurologie l’a montré : si on voit le supporter de l’autre équipe de prendre un coup, notre cerveau ne se montre pas empathique, n’éprouve pas de douleur, non, il active ses circuits du plaisir !

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Le cas des manifestations est différent, il en existe de très diverses, certaines sont légitimes et utiles, d’autres sont les instruments de ceux qui savent les encadrer. Elles ne sont pas ouvertes au débat, à la réflexion, aux pensées inattendues, alors je ne les pense utile que de manière ponctuelle et justifiant une unité.

Le concert musical est bien différent : là aussi, la foule éprouve les mêmes affects de manière synchrone, est parcourue des mêmes frissons, des mêmes plaisirs. Mais il n’y a pas de camp adverse, pas de combat, une compétition où le public s’identifie aux concurrents (hors Eurovision), juste un plaisir sain et qu’il est agréable de partager. En général, bien sûr (je me rappelle d’avoir vu des artistes sifflés en première partie de concert, terrifiant : des hyènes en meute). On dit souvent que la musique n’a pas de frontières, pas de patrie, et je pense que c’est vrai. Bon, on me dira que les armées font défiler des musiciens pour encourager les troupes à gaiement aller tuer des gens…

Pas grand chose à foot

En parlant de la taxe de 75% appliquée aux salaires supérieurs à un million d’euros par an, le Figaro explique que : « À l’heure où les déficits des clubs hexagonaux se creusent, cette nouvelle ponction devrait ainsi accélérer la fuite des talents vers l’étranger ». Au Grand Journal et sur Twitter, Jean-Michel Apathie s’émeut lui aussi et prophétise que la France va devenir une nation de seconde zone dans le football mondial :

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Personnellement, j’ai envie de dire : chiche !
Si les gens qui perçoivent un salaire de plus d’un million d’euros annuels (une centaine, apparemment) ne veulent plus le faire sur les pelouses des stades français, eh bien qu’ils aillent le faire ailleurs, quel est le problème ?
Bien entendu, s’ils partent effectivement, les caisses de l’État ne se rempliront pas pour autant puisque l’argent sera gagné dans d’autres pays et donc, ne sera pas taxé ici. Mais on y aura gagné autre chose : un football moins riche !
Évidemment, je suis mal placé pour critiquer les dérives du football professionnel, je n’ai jamais aimé ce sport, j’ai douté de ma normalité dans la cour de récréation quand, enfant, je devais constater que je n’avais aucune idée sur rien en football, que je n’avais pas d’équipe préférée, que je ne comprenais rien aux règles, et que je ne voyais pas trop à quoi tout ça servait, finalement. En fait, il y a même une dimension fasciste qui m’effraie dans le football, pas tant pour le sport lui-même que pour ce qui l’entoure : des gens qui se réunissent dans des stades pour adorer les uns et haïr les autres, qui hurlent, qui ont l’air de macaques enragés. Ces gens me font peur, et l’endroit d’où ils tirent leurs émotions collectives me fait peur, j’ai l’impression que c’est du même cloaque émotionnel que viennent les plus abominables choses que peut la foule.
Bon, mais imaginons que j’aie été un autre, et que j’aie aimé le football. Est-ce que j’aurais aimé voir des exploits sportifs, des performances, des beaux gestes, ou est-ce que j’aurais voulu voir des investissements financiers (plus que des millionnaires) courir sur de l’herbe, terrorisés à l’idée de prendre des risques au point de n’arriver à marquer qu’un but par match1 ? Je me souviens avoir suivi les scores des équipes norvégiennes lors de la coupe nationale, il y a une vingtaine d’années. Le football y était semi-professionnel, et l’enjeu était, visiblement, le jeu et rien d’autre, car les scores étaient surprenants, plusieurs dizaines de buts pouvaient être marqués pendant un seul match.

Au delà du plaisir du jeu, l’argent pourrit aussi la vie des footballeurs. Imaginez des gamins que l’on repère adolescents dans un pays en voie de développement ou dans une cité française, que l’on colle dans des centres de formation, à qui l’on fait mener une vie étrange, loin de leur famille, et qui se retrouvent subitement à gagner deux, trois, ou vingt fois plus que leurs parents, mais qui ne sont aimés par le public et par le club que tant que leur corps fonctionne bien : ce sont les prolétaires ultimes, ils n’existent que tant qu’ils courent vite, on leur dit où aller, quoi manger, on leur dit parfois quand ils ont le droit de voir leur fiancée, on gère leur argent,… Mais un jour ils se blessent, ou un jour on découvre que les promesses de leur adolescence ne seront pas tenues, et on les abandonne. C’est ce qui était arrivé à mon beau-père Franko, passé sans transition d’une vie misérable sur une île de Yougoslavie à une époque où il pouvait acheter (me disait-il) une voiture par mois, où il se sentait tellement riche qu’il prêtait des sommes impossibles à des gens qu’il n’a jamais revus,…

Franko

Il n’évoluait qu’en deuxième division, mais il se sentait millionnaire. Et puis un soir, mauvaise blessure son genou, le football « pro », c’était terminé. Il a perçu une petite pension, jamais réévaluée, quelque euros par mois à la fin de sa vie. Ensuite, il a traîné, il a été soudeur, dans une France qui allait avoir besoin de moins en moins d’ouvriers non-qualifiés… Bon.
Il paraît qu’on accompagne mieux les jeunes footballeurs en France aujourd’hui : qu’on leur donne un peu d’éducation, qu’on leur apprend à connaître les limites de leur corps, qu’on leur apprend à gérer leur argent, à préparer l’après,… C’est une bonne chose même si ça ressemble plus à de la gestion d’investissement et d’image qu’à un authentique souci humaniste.

Que le foot français devienne pauvre, que les villes ne se ruinent pas pour lui construire des stades, que les chaînes ne s’endettent pas pour acquérir des droits de diffusion, que les joueurs s’amusent sur le terrain,… Je ne vois pas trop le problème, en fait.

  1. Le footballeur Vikash Dhorrasoo a publié l’an dernier un bon article où il raconte son parcours, mais aussi la manière dont le football professionnel refuse les beaux gestes et la virtuosité : Ici, on ne fait pas de petit-pont. []