En 2005, le référendum sur le « traité établissant une constitution pour l’Europe » a été rejeté par 55% des électeurs. J’avais voté pour son adoption, mais comme beaucoup j’avais été gêné par l’extrême technicité du texte, qui n’était pas vraiment approprié à être validé ou sanctionné par un « oui » ou à un « non », exprimés par des citoyens qui connaissent mal le détail des institutions européennes et qui ont vu, à juste titre sans doute, l’union comme une effrayante usine-à-gaz. Ils voulaient qu’on leur vende un peu de rêve, une constitution philosophique et morale, et à la place, on a tenté de leur imposer un texte soporiphique, complexe et technocratique.
Enfin je dis « on a tenté », mais c’est bien entendu faux : on leur a bel et bien imposé le texte, le « non » démocratique est devenu un « oui » oligarchique, nos « représentants » issus des partis dits « de gouvernement » s’étant arrogé le droit de décider, contre notre avis, ce qui était bon pour nous. Peut-être avaient-ils raison sur le fond — il fallait bien débloquer une situation institutionnelle problématique —, mais le procédé, lui, constitue une trahison qui n’a qu’une signification : nos « représentants » ont du mépris pour notre opinion, ils ne jouent le jeu de la démocratie que tant que nous sommes d’accord avec eux.
Vous croyiez être débarrassés ?
Toujours en 2005, un autre crime de non-respect du contrat démocratique a été commis, à mon avis, lorsque l’on a décidé de prolonger le mandat des maires français d’un an : élus en 2001 jusqu’en 2007, ces derniers se sont vus offrir (sans référendum, cette fois) une année de rab, sous prétexte que la période était trop chargée en élections. On peut comprendre l’argument, mais imaginez à présent qu’il vienne d’un quelconque président de régime autoritaire moyen-oriental ou africain ? On crierait à l’abus de pouvoir. Et on aurait raison.
Je vois dans cette histoire de calendrier électoral ré-aménagé, sans grands débats, et sans battage médiatique, l’expression d’une classe politique qui, malgré les divergences idéologiques, sait très bien se serrer les coudes lorsqu’il le faut. Les gouvernements politiques légitimes tendent souvent vers l’oligarchisme, aristocratisme, le népotisme, et finissent par dépenser une énergie considérable à assurer leurs propres intérêts.
Dans le même ordre d’idées, on pourrait se demander s’il est bien normal que ce soient les députés qui votent leur propre salaire…
Il y a deux ans, les Français étaient tellement excédés ou déçus par Nicolas Sarkozy qu’ils ont placé au pouvoir un homme qu’ils jugeaient falot et dont ils n’attendaient rien, sinon l’alternance. Et depuis cette élection, on mesure le désastre qu’a constitué la présidence de Nicolas Sarkozy, président épouvantable non seulement par ses méthodes, son agressivité et sa manière de monter les Français les uns contre les autres, mais aussi par sa gestion de l’économie du pays — dont le déficit s’est creusé comme jamais dans son histoire —, autant que par les conditions dans lesquelles s’est déroulée sa campagne de réélection, dont le surcoût et les irrégularités comptables semblent, là encore, hors-normes.
On aurait pu imaginer que Nicolas Sarkozy se soit fait discret, et ce jusqu’à la fin de ses jours, mais non, impossible : la presse et ses « proches » commencent déjà à nous vendre son grand retour. Brice Hortefeux nous assure que le messie prendra la parole dans quelques semaines ou quelques mois : on dirait l’annonce d’un oracle ou le sketch du fakir par Francis Blanche et Pierre Dac : « Il peut le dire ! ». Car pour l’instant, il ne s’exprime pas, non, on nous apprend qu’il va s’exprimer, on nous dit qu’il est « très fâché » de l’affaire Bygmalion. On va nous répéter son nom chaque jour, jusqu’à ce que, à l’usure, les électeurs finissent par l’élire. Ça a bien marché deux fois pour Berlusconi en Italie, pourquoi se gêner…
Et aujourd’hui, une autre nouvelle absurde tombe : les instituts de sondage réintègrent Dominique Strauss-Kahn à leurs questionnaires. Le baromètre TNS-Sofres/Le Figaro nous apprend qu’un peu plus d’un cinquième des Français souhaitent que le présumé satyre du Sofitel de New York ait un avenir politique en France. Assez ironiquement, les électeurs UMP sont un peu plus nombreux que les électeurs PS à être de cet avis.
Je sens venir les choses : on va nous parler de DSK ici, DSK là, nous demander si on pense qu’il est crédible économiquement, s’il est le bon concurrent qu’il faudra placer face à Sarkozy pour les élections de 2017,…
DSK a disparu de la vie politique française sur un scandale qui a consterné le public, dans un pays pourtant réputé particulièrement indulgent vis à vis de la vie charnelle de ses hommes de pouvoir ? Aucun problème, on attend quelques années, et on nous resservira le même bonhomme reconditionné, présenté comme un « rédempté », un « miraculé », qui a « changé », qui a fini sa « traversée du désert » et qui est émoins léger », « plus profond ». Un présidentiable, en gros.
Ça me rappelle la supérette de ma ville qui, autrefois (c’est bien fini), avait la sale habitude de ré-emballer, avec une nouvelle date de péremption, la viande hors d’âge. Parfois, elle était bien verte et sentait horriblement mauvais.
Tout cela me rappelle aussi la musique de ma jeunesse : à la radio et à la télé, on entendait toujours les mêmes chanteurs, les Mireille Matthieu, Gérard Lenormand, Frédéric François, Michel Sardou et d’autres. Chacun, chez lui, se disait que les Français avaient bien mauvais goût, pour avoir des idoles si ringardes. Et puis est arrivé l’émission « Top 50 », qui, en se contentant de montrer les ventes de disques, nous a appris que nous écoutions en fait Michael Jackson, Prince, The Police, Cyndi Lauper, Depeche Mode et Renaud. À la même époque, les radios dites « libres » et l’arrivée de Canal+ (où passait justement le « top 50 ») ont aussi permis une certaine diversification de la bande-son médiatique. Du jour au lendemain, un immense pan de la variété française a disparu.
Aujourd’hui, les médias et l’industrie culturelle de masse s’entendent à nouveau pour nous fournir une même soupe, plus internationale, cette fois, à peine plus hétérogène qu’il y a trente ans. Par le battage, au supermarché, dans les publicités, dans les émissions télévisées, on arrive à imposer à nos vies une bande-son qu’on n’a pas vraiment choisie, que l’on n’aurait pas choisie spontanément si quelqu’un se souciait de notre avis.
Notre avis, on ne nous le demande que lorsque l’on pense maîtriser la réponse, parce qu’il sert avant tout à nous faire croire que nous pensons ce que l’on nous dit de penser.
La solution, la réponse, c’est, par exemple, de créer des blogs ! De profiter des libertés dont bénéficie encore le jeune Internet pour s’exprimer, faire entendre sa voix, son avis, montrer que la conscience politique française ne se sépare pas en gens qui veulent le retour de DSK, gens qui veulent le retour de Sarkozy, et désespérés qui votent pour Marion Anne Perrine Le Pen, qu’on peut vouloir autre chose que les choix que l’on nous impose par battage médiatique. Montrer qu’on peut échapper aux tocards de la politique que l’on nous survend, que l’on nous revend même quand nous nous étions jurés que plus jamais nous n’en voudrions.