(note : cela va sans dire, mais disons-le tout de même, je ne parle ici qu’en mon nom propre. N’étant pas fonctionnaire titulaire de mon poste, je ne peux faire qu’observer l’évolution des choses depuis mon petit bout de lorgnette et mes bientôt vingt ans d’enseignement)
Réunion de mon département à l’Université, hier.
J’y apprends que la nouvelle maquette des étudiants en licence doit désormais contenir cinquante cours sur trois ans, contre quarante-cinq auparavant. Mais dans le même temps, le nombre d’enseignements devra être réduit, puisque la dotation en heures complémentaires (qui servent à financer les charges de cours) ne cesse de diminuer chaque année, tout comme le budget des équipes de recherches. Souvent, les budgets sont annoncés très tard et il n’est pas rare qu’un semestre soit en fait assuré avec de l’argent qui n’arrivera que l’année suivante.
Depuis des années, l’Université se fait imposer une ouverture au monde professionnel extérieur (par le biais des stages, notamment), ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose, mais les postes de « professionnels associés » (comme le mien), qui sont, avec les charges de cours, un moyen pour que les étudiants aient aussi des enseignants qui exercent une activité principale hors de l’université, semblent avoir vocation à disparaître. Ici aussi on est dans la double-contrainte : s’ouvrir au monde professionnel tout en coupant les ponts existants.
Les enseignants-chercheurs titulaires ont, quant à eux, de plus en plus d’étudiants mais aussi de plus en plus d’obligations administratives. Il a par exemple été discuté hier de la création d’un « conseil de perfectionnement », sorte de « contrôle-qualité » des diplômes et de leurs objectifs professionnels, conseil qui réunira, à une fréquence non déterminée (entre un mois et deux ans !?) des enseignants, mais aussi des gens externes. Je ne suis pas sûr que des galeristes, directeurs de centres d’art, etc., se précipiteront pour venir assister bénévolement (évidemment !) à des réunions sur le contenu des enseignements en licence d’arts plastiques. Enfin ils viendront une fois, et puis ils trouveront des excuses pour les fois suivantes.
Quand on veut noyer son chien, on lui demande de participer à des réunions pour décider à quel point il a la gale.
On enlève des moyens, des effectifs, et dans le même temps on augmente la charge administrative et les obligations à l’évaluation et à l’auto-évaluation qui, pour utile qu’elles puissent être, créent du stress, réclament du temps et de l’énergie (on passe plus de temps à prouver qu’on fait les choses qu’à les faire effectivement) et créent un climat de suspicion ou d’immaturité. J’ai entendu des collègues s’étonner, avec raison, de l’absurdité du procédé, et vouloir en alerter leur ministère de tutelle par un courrier argumenté. Il faut le faire bien entendu, mais je me demande s’ils ne sous-estiment pas la malveillance des intentions que l’on peut deviner derrière ces méthodes de « management » qui ressemblent fort à ce qu’on trouve dans de nombreuses entreprises privées : on augmente la pression, on fait des demandes de plus en plus impossibles à satisfaire, en attendant la rupture.
Ici, la stratégie me semble avoir pour but de diminuer sérieusement le nombre d’étudiants accueillis et/ou de détériorer le confort de leurs conditions d’accueil. Ce qui amènera assez rapidement une augmentation de la part du privé dans l’enseignement supérieur, et ce, avec le soutien d’une bonne partie de la population qui ne mesure pas vraiment la chance qu’ont les jeunes bacheliers français de pouvoir faire des études pour quelques centaines d’euros de frais d’inscription annuels. Les États-Unis, d’abord, et la Grande-Bretagne plus récemment, ont connu cette « évolution » avant nous, voyant les frais d’inscription des universités privées mais aussi publiques s’envoler à des tarifs incroyables, une dizaine de milliers de dollars au plus bas, qui forcent les étudiants à s’endetter pour plusieurs décennies, et ce au profit exclusif des institutions bancaires qui finances leurs études.
Je me souviens que Valérie Pécresse jugeait qu’il y avait quelque chose comme dix fois trop d’étudiants en France (je ne sais où et quand elle l’a dit, la proportion m’avait frappé, en tout cas), car, pour elle, ce qui compte n’est pas que tout le monde ait la possibilité de bénéficier d’une éducation supérieure, mais que la rareté du nombre des diplômés donne une valeur à l’éducation d’un petit nombre de privilégiés (« bien nés » ou boursiers-au-mérite). Une économie de la rareté, où les pauvres servent à financer directement ou indirectement la richesse d’une élite qui n’en sera une que par sa rareté.
Je ne suis pas sûr que Geneviève Fioraso ait vraiment eu une autre vision des choses, car si la situation actuelle découle sans aucun doute des choix effectués par Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez, la ministre actuelle n’a pas brillé par sa volonté d’inverser la tendance et, à l’image du reste du gouvernement, semble surtout en place pour acter la dévastatrice politique sarkozyste de dépossession de l’État : le contribuable ne finance plus sa citoyenneté, il rembourse des dettes et fait gagner de l’argent à diverses sociétés privées qui pallient à des défaillances si bien organisées qu’il est difficile de ne les imputer qu’à l’incompétence. Geneviève Fioraso quitte incessamment le gouvernement, mais je ne m’attends pas à ce que la personne qui lui succédera se montre d’une humeur différente : l’enseignement supérieur aura de moins en moins vocation à concerner un grand nombre de gens. Pour le petit nombre qui y accédera, il sera plus luxueux, sans doute. Les autres se contenteront de payer des impôts pour le financer.