Il y a quelques jours, Yann LeCun s’est moqué du complexe de supériorité d’Éric Sadin, philosophe médiatique qui s’est fait une spécialité de distiller un discours technocritique alarmiste. Yann LeCun, récipiendaire du Prix Turing et directeur de la recherche chez Méta/Facebook est une personnalité proéminente du domaine de l’Intelligence artificielle, dont le bond technologique récent lui doit beaucoup.
Il faut dire que Yann LeCun répondait ici à l’invention par Éric Sadin du néologisme « Yannlecunisation », ici employé comme synonyme du mot « crétinisation ». On pouvait imaginer plus pacifique prémisse à un échange intellectuel de la part de Sadin !
Régulièrement, Éric Sadin explique devoir renoncer à des table-rondes médiatiques au sujet de l’Intelligence artificielle car on veut lui y imposer la présence d’experts du domaine. Il faut dire que ses opinions s’appuient sur un socle largement spéculatif, qui ne tiendrait pas nécessairement le choc face à des personnes disposant d’une connaissance de l’état de l’art effectif de l’Intelligence artificielle.
En fait, il aimerait qu’aucun expert ne soit jamais invité :
La chose ne manque pas de sel lorsque des scientifiques tels que l’ami David Monniaux notent qu’une chaîne du service public peut organiser un débat entre six participants autour de l’Intelligence artificielle sans s’imposer d’y faire figurer une seule personne spécialiste du domaine :
La question me semble très compliquée. Et en même temps assez simple.
Il est d’une part évident, d’un point de vue démocratique, disons, que tout le monde doit avoir le droit de se constituer une opinion et de l’exprimer. Y compris les profanes. Et y compris les gens qui savent de quoi ils parlent.
Il me semble tout aussi évident que l’on n’est pas forcé, et qu’on est même parfois mal avisé, de vouloir avoir une opinion tranchée sur des questions que l’on ne connaît qu’en surface, par préjugé ou par ouï-dire. Mais la psychologie sociale l’a observé : moins on en sait et plus on est sûr de soi.
Rappelons cette belle pensée :
Science is the belief in the ignorance of the experts.
Richard Feynman
D’un autre côté, les experts peuvent avoir eux aussi des torts et des biais. Le plus évident, mais peut-être pas le plus fondé, est le soupçon qu’ils soient juges et parties : si votre vie professionnelle dépend d’un certain domaine d’activité, le succès économique de ce domaine est votre intérêt direct. On sait le rapport fondamental qu’entretient le monde technologique à sa propre légende, à son storytelling, à ses fantasmes (dont le chercheur en IA est cependant moins dupe que les gens qui signent des tribunes alarmistes sur le sujet). Plus embêtant, les experts peuvent se trouver engagés dans des guerres de territoire (financements, statut universitaire, concurrence industrielle…) qui échapperont généralement aux journalistes et a fortiori au public candide.
Enfin, quand on plane à 20 000 pieds, on n’a pas toujours l’envie ni même la capacité de s’adresser à ceux qui sont au sol. C’est un problème bien connu dans l’enseignement supérieur, où certains immenses scientifiques peuvent manquer de pédagogie lorsqu’on les place face à des étudiants en début de cursus.
Reste que c’est souvent de l’échange entre personnes aux niveaux d’expérience et de connaissances diverses que sont susceptibles d’émerger de bonnes réponses aux grandes questions.
Oui, j’enfonce un peu les portes ouvertes.