Où nous allons et comment tenter de l’éviter, mais bon c’est trop tard de toute façon

(bonjour ami ! La première partie de cet article ne te sert à rien, tes convictions sont arrêtées, tu es bouché à l’émeri et tu ne reviendras pas dessus : tu chercheras dans ma prose une confirmation de tes préjugés, qu’ils soient opposés ou semblables aux miens. Je le sais parce qu’on est tous pareil, je fais exactement comme toi et, même si j’aimerais être plus malin, rien ne m’est plus désagréable que des idées ou des informations qui vont contre ma vision du monde. Tu peux donc directement sauter à la fin de l’article, après un spoil du début de l’épisode 6 de la série Gaston Phébus, sortie en 1978, qui ne casse pas des briques et dont j’ai déjà parlé dans mon article d’hier)

Au cours d’une émission animée par David Pujadas où il répondait à une tirade énergique de l’humoriste Yassine Belattar, Jean-Sebastien Ferjou (LCI, Atlantico) expliquait que « poser la question de l’Islam et de l’Islamisme ce n’est pas mettre en cause les musulmans » et ajoutait respecter l’analyse de son contradicteur, tout en signalant qu’il ne « tolère pas l’emploi du terme islamophobie ». Il respecte ses interlocuteurs tant que ceux-ci utilisent les mots qu’il veut, quoi.

David Pujadas, Yassine Belattar et Jean-Sébastien Ferjou. Belattar l’humoriste ne s’est pas montré très drôle, mais en tout cas très éloquent.

Je reviendrais sur la première pensée exprimée plus loin, commençons par ce que me suggère la seconde : je pense que ce monsieur est islamophobophobe, c’est à dire qu’il craint le mot « islamophobie ». cette affection courante s’appuie sur un thought-terminating cliché qui affirme tout à la fois que le mot « islamophobie » :
1- assimile l’Islam, qui est une religion, à une race.
2- rend impossible toute critique de l’Islam, et constitue donc un outil de chantage idéologique, puisque toute critique de la doctrine musulmane est associé à du racisme (voir 1).
3- a été inventé par les mollahs de la Révolution islamique iranienne afin d’interdire, donc, toute critique de l’Islam (voir 2).

Sur le dernier point, certains ont fait remarquer de longue date que le mot « islamophobie » est au moins centenaire1, et donc plus ancien que la prise du pouvoir en Iran par l’ayatollah Khomeini, mais c’est peine perdue, l’origine lexicale inventée par Caroline Fourest et Fiametta Venner en 2003 vit sa petite vie, indépendamment de toute vérification et ne cesse d’être reprise par des politiques, des philosophes médiatiques et des éditorialistes : ce mot, selon eux, n’est pas un simple mot, c’est une arme de combat, l’outil d’une conjuration visant à interdire certains débats, et ils se sentent donc en conséquence autorisés à refuser autant le mot que le fait, à se sentir par avance eux-mêmes absous de toute suspicion d’islamophobie, puisque c’est un mot de l’ennemi…  Si les preuves d’une ancienneté du mot ne parviennent pas à impressionner ceux qui colportent son origine de manière erronée, c’est parce qu’ils ont trop envie de refuser qu’il existe.
Pourtant, même si c’était vrai, même si le mot avait véritablement été inventé au cours des années 1980 par les lugubres gardiens de la Révolution, qu’est-ce que ça changerait ? En langue française, on a le droit d’inventer des mots et pourquoi pas des mots en « phobe » autant qu’on le veut ? Je peux dire que quelqu’un est googleophobe, skateboardophobe ou ComicsansMSophobe ça ne sera pas très beau, ça ne sera pas un vrai mot, peut-être que ça ne décrira rien qui existe réellement, mais on le comprendra ce que je veux dire. On ne dira pas que je transforme Google, le skateboard ou la Comic sans MS en « races » – pas plus que les espaces confinés qui effraient les claustrophobes ou la foule que redoutent les agoraphobes constituent des « races », bien sûr.
La phobie, par ailleurs, ce n’est pas forcément le rejet ou la haine, c’est la peur — peur qui peut, certes, devenir la cause d’un rejet ou d’une haine.

Vu dans les locaux de la Fédaration nationale d’achats des cadres du passage du Havre, pas plus tard qu’il y a deux jours. C’était une journée spéciale pour les adhérents « One ». Je le savais pas, j’y étais par hasard, c’est vraiment du bol car j’ai pu profiter d’une super promo. Cependant j’ai compris en discutant avec la vendeuse que ma promo était de même valeur que la réduction que j’aurais eu notamment en tant qu’adhérent. Du coup je me dis que je me suis un peu fait avoir. C’est intéressant, hein ! C’est juste pour vérifier si vous lisez les légendes, en fait. Mais tout est vrai.

La vraie question n’est pas de savoir qui est propriétaire du mot, mais de se demander s’il existe bel et bien une peur de l’Islam en France en 2017. Je me souviens d’avoir vu toute la classe politique disserter pendant l’été 2016 sur le « burkini« , tenue réputée conforme à l’Islam selon un mufti australien2, dont le nom est un gag (burqa + bikini) et que personne n’a jamais du porter en France puisque les seules photos que la presse a trouvé pour illustrer les articles sur le sujet étaient systématiquement issues du catalogue de la styliste créatrice de ce vêtement, et puisque les quelques cas de femmes bannies des plages pour cause de burkini, pour autant que je sache, l’avaient été pour d’autres tenues réputées islamiques et pas pour avoir effectivement porté le burkini. Une réaction aussi excessive, où tout un pays débat d’une question qui relève plutôt de l’imaginaire, me semble un bon exemple, parmi bien d’autres souvent moins légers, d’un climat de psychose généralisée. Oui, la peur de l’Islam existe en France et elle est prégnante. Et comme l’arachnophobie, par exemple, cette peur n’est pas forcément irrationnelle : certaines araignées sont bel et bien dangereuses, après tout, et de la même manière des gens se sont montrés coupables ces dernières années d’abominables déchaînement de violence terroriste au nom de l’Islam. Au passage, si des gens comme Riss ou comme Coco, et d’autres membres de la rédaction de Charlie Hebdo qui étaient là le jour du massacre de leurs amis, ont peur des musulmans, s’ils frémissent en entendant « Allahu akbar » (dieu est le plus grand — profession de foi banale de tout musulman mais cri de guerre poussé par les frères Kouachi entre deux rafales de fusil mitrailleur), je n’ai rien à leur dire, aucune leçon politique à leur donner, et si je trouve injuste et idiot l’éditorial de la semaine de Riss, qui accuse par avance Edwy Plenel du prochain attentat qui touchera l’hebdomadaire satirique, je sais que je ne peux pas me mettre à la place qui est la sienne, je n’ai aucune légitimité à mettre en question sa réaction. De la même manière, je salue sans réserves le courage des gens qui se battent contre l’oppression religieuse là où la religion a du pouvoir, et je comprends mal les français qui au nom d’un calcul assez pervers reprochent à des gens de culture musulmane de renier la religion de leurs pères ou de se rebeller contre des tyrannies dont ils ne voudraient pas pour eux-mêmes.

Départ des français pour la troisième croisade.

Bien que les terroristes djihadistes ne soient pas représentatifs de la masse de leurs coreligionnaires, ils sont effectivement de vrais musulmans. On aime bien dire d’eux « ça ce n’est pas le vrai Islam », mais c’est comme de dire que les croisades ne sont pas représentatives du Catholicisme, c’est faux. Les croisades ne résument pas le catholicisme mais elles sont bel et bien une partie de l’histoire de cette religion, et les croisés étaient sans doute nombreux à penser que c’est bien Jésus qui leur commandait de partir couvrir Jérusalem de sang sarazin.
Et les gens de Daech, d’Al Qaeda ou les Frères musulmans sont tous autant qu’ils sont des musulmans. Pas les musulmans mais bien des musulmans. Le leur dénier n’est pas plus logique que de résumer leur religion aux crimes qu’ils commettent.
Pour les psychiatres, une phobie est une peur qui se manifeste de manière excessive. Plutôt que de jurer que l’islamophobie n’existe pas, ceux qui l’éprouvent devraient être honnêtes avec eux-mêmes et constater qu’ils ont développé une sensibilité disproportionnée et potentiellement problématique à tout ce qui touche à la religion des musulmans. Car c’est un problème : les musulmans existent en France, où ils représentent 7,5% de la population, ce qui n’est pas rien, mais leur présence imaginaire est bien plus élevée puisqu’un sondage récent a établi que les Français estimaient en moyenne la présence des musulmans en France à 31%, soit près d’un tiers de la population, contre à peine plus d’un quinzième en réalité !
La peur, la haine, la détestation, sont des sentiments naturels qu’on ne peut pas s’interdire à soi-même afin de coller à quelques principes. Ce ne sont ni des crimes, ni des délits, même si leur expression, pour les effets qu’elle peut avoir, peut être pénalisée. Je me souviens que l’écrivain Michel Houellebecq ou l’actrice Véronique Genest se sont décrits eux-mêmes comme islamophobes, ou qu’Élisabeth Badinter a dit qu’il ne fallait pas craindre d’être qualifié d’islamophobe. Même s’il est dommage pour ces gens de vivre dans la peur, je trouve plus honnête de leur part de faire un tel constat que de se faire croire qu’on peut rejeter une idée, une idéologie, une croyance, une culture, indépendamment des personnes qui les portent, qui y adhèrent.

L’union sacrée contre Edwy Plenel est une véritable cour des miracles avec par exemple une ancienne ministre socialiste ; un journaliste algérien connu pour son opposition à l’islamisme ; un quotidien catholique traditionaliste et nationaliste. Eh oui, Médiapart s’est fait beaucoup d’ennemis.

Revenons à la première pensée exprimée par le gars d’Atlantico : dire qu’on peut « poser la question de l’Islam et de l’Islamisme » sans pour autant mettre en cause les musulmans induit d’une part que la question posée a déjà sa réponse (si poser la question doit aboutir à une mise en cause), et d’autre part que les musulmans peuvent être considérés à part de l’Islam alors qu’ils se caractérisent par le fait qu’ils adhèrent à cette religion. Quand à l’association de « Islam » et « Islamisme », elle semble quelque part nier la distinction entre les deux notions (une religion, d’une part, et l’inspiration religieuse d’une action ou d’un régime politique, d’autre part). Essayons la même phrase en visant une autre communauté regroupée autour d’une foi : « Poser la question du Christianisme et de l’intégrisme ce n’est pas mettre en cause le chrétiens ». Ça sonne mal, non ? C’est ce genre de formules, ou les habituels « les terroristes ne sont qu’une fraction infinitésimale des musulmans mais ne trouvez-vous pas que le Coran pousse au crime ? » qui sont il me semble une insulte pour les musulmans français, et une manière constante de leur dire : « on ne veut pas de vous, on veut que vous rasiez les murs ! »… Et que peut-on attendre d’une telle ambiance ? Si on vous intime l’ordre de raser les murs, qu’est-ce que vous ferez ?3

Tout ça m’amène à une notion médiatique que je trouve très perverse : celle du « musulman modéré ». Si on suit les journaux télévisés les plus banals, ceux qui façonnent les consciences et qui expriment tout à la fois les poncifs les plus répandus, on apprend qu’il existe des bons musulmans, les musulmans « modérés », et puis des mauvais, qui n’ont pas de nom générique, mais peuvent être appelés intégristes, radicaux, ou encore salafistes et djihaddistes, autant de mots qui ne sont pas synonymes les uns des autres mais que regroupe l’ensemble des « non-modérés ».
Je ne suis pas croyant, et je suis même clairement religiophobe, mais il me semble que de nombreuses religions — et c’est en tout cas le cas du Christianisme et de l’Islam, deux religions monothéistes exclusives qui reposent sur un credo —, condamnent la modération : le croyant est censé se donner tout entier à la divinité qu’il adule, et s’il ne le fait pas, sa foi n’a pas de valeur, il n’a pas le droit d’être « tiède », comme le dit le livre des Révélations : « Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n’es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche »4. On trouve des réflexions du même tonneau tout au long de la Torah5. Enfin, dans l’Islam, peu de péchés sont plus graves que l’« association » (rendre un culte à d’autres divinités, vénérer des saints ou même, selon certaines interprétations, se montrer superstitieux), et il vaut mieux être incroyant qu’« hypocrite », c’est à dire que si l’on se dit croyant il faut l’être sans réserves et sans calcul.
Oui moi aussi je trouve que tout cela constitue une forme malsaine de chantage, mais c’est un fait, cela fait partie des principes théoriques de ces religions et le plus tolérant des curés, le plus libéral des imams, auront du mal à absoudre une de leurs ouailles qui se dira « un tiers chrétien, un tiers musulman, un tiers bouddhiste ». Puisque la religion est avant tout un outil de coercition sociale, un moyen pour souder le groupe autour d’un certain nombre de rites, de pratiques, de croyances, de lieux, de valeurs, alors on n’est pas censé dire que l’on n’y adhère qu’à moitié, et on n’est pas censé choisir ce à quoi on adhère, on doit prendre le pack entier. Du moins officiellement, car tout croyant effectue une sélection, ne serait-ce que parce qu’il est logiquement impossible de cocher toutes les cases en même temps, eu égard à l’incohérence des livres et à la grande latitude d’interprétation permise par des siècles de réflexion théologique et de pratique populaire6.

Natacha Polony devient une héroïne pour le site identitaire fdesouche, Christophe Barbier le plus mauvais journaliste de France à ma connaissance prend parti contre Edwy Plenel, et enfin, un ancien premier ministre, au nom de la liberté d’expression et de la démocratie, veut que Médiapart « rende gorge » et soit « exclu du débat public ». Charmant !

On peut en penser ce qu’on veut (j’en pense beaucoup de mal, pour ma part), mais cette injonction à se donner entier à son dieu fait qu’il est absurde d’exiger des croyants de se revendiquer « modérés », et un peu idiot de laisser entendre que les seuls musulmans non-modérés, passionnés, entiers, sont ceux qui posent des bombes ! Du reste, laisser penser qu’un musulman véritable est un meurtrier est précisément le cœur de la propagande de Daech… Quelle idée d’épouser la même vision des choses ? Ceux qui insultent les musulmans travaillent au même monde de misère que ceux qui leur promettent le Califat : l’un pousse, l’autre attire, il n’y a pas de tension, juste une direction.
Je vais en choquer plus d’un en l’écrivant mais pour moi, Élisabeth Badinter, Dieudonné, Manuel Valls, le Printemps Républicain, Riposte laïque, Tariq Ramadan, Caroline Fourest, le Parti des Indigènes de la République, etc., etc., s’ils sont bien adversaires, n’en sont pas moins unis autour d’une vision du monde assez semblable. Parfois avec une vraie honnêteté intellectuelle et en espérant sincèrement aller dans le bon sens, je ne mets pas ça en question a priori (même si j’ai mon opinion sur le degré d’opportunisme de certains). J’ai peur que tous ces gens nous mènent vers la guerre, peut-être vers une nouvelle Saint-Barthélémy, peut-être juste vers une extension du communautarisme, vers une vague de radicalisation molle mais dévastatrice7 d’une partie des musulmans autant que d’une partie des chrétiens. Ma théorie, je l’ai dit souvent, c’est que nous nous dirigeons vers un affrontement, non pas parce que le livre de l’un dit noir et que le livre de l’autre dit blanc, ça n’a en général aucune importance, mais parce que le pétrole, l’uranium, les terres cultivables, l’eau non-souillée, l’air respirable, sont inexorablement amenés à manquer, et que même si en apparence tout se passe encore bien, même si nous nous faisons encore croire que la science et la technologie pourront nous sauver in extremis8, nous nous préparons à nous entre-tuer, c’est ce que disait Claude Lévi-Strauss quelques années avant sa mort :

(…) De ces disparitions, l’homme est sans doute l’auteur, mais leurs effets se retournent contre lui. Il n’est aucun, peut-être, des grands drames contemporains qui ne trouve son origine directe ou indirecte dans la difficulté croissante de vivre ensemble, inconsciemment ressentie par une humanité en proie à l’explosion démographique et qui – tels ces vers de farine qui s’empoisonnent à distance dans le sac qui les enferme bien avant que la nourriture commence à leur manquer – se mettrait à se haïr elle-même parce qu’une prescience secrète l’avertit qu’elle devient trop nombreuse pour que chacun de ses membres puisse librement jouir de ces biens essentiels que sont l’espace libre, l’eau pure, l’air non pollué9.

Pour s’entre-tuer, il faut des camps bien identifiés, il faut qu’il y ait les « nôtres » et les « autres », et il faut un prétexte, un désaccord fondamental, irréconciliable, puis, ça marche toujours, accuser son adversaire d’être un danger futur. Le temps se charge d’apporter l’étincelle.

Si je partage l’analyse d’Edwy Plenel sur le fait qu’il existe une gauche et une droite alliés dans une guerre contre les musulmans, je ne mets pas Charlie Hebdo dans ce sac, ne serait-ce que parce que Charlie Hebdo exprime de nombreuses sensibilités différentes et, par son caractère satirique, (vaguement) anar et (encore un peu) déconneur, permet le décalage, permet de ridiculiser tous les discours, ou permet de ridiculiser l’idée même de sérieux10. L’humour est une des armes de l’intelligence. Malheureusement pour eux, le monde entier, que ce soient ceux qui leur souhaitent mille morts ou ceux qui veulent en faire un porte-étendard politique, les force à se prendre au sérieux. Si j’ai trouvé l’édito de Riss excessif, j’admets qu’il est maladroit ou imprudent de la part de Plenel de mentionner Charlie Hebdo comme faisant partie d’une « guerre contre les musulmans »11. Tout comme je trouve injuste de la part de Charlie Hebdo de se ranger derrière l’idée qu’en considérant que les musulmans de France sont victimes d’une forme de stigmatisation, Médiapart est au mieux « idiot utile de l’islamisme » et au pire, un média « compagnon de route de l’intégrisme », comme je l’ai entendu dire vendredi par une journaliste sur Arte. Et ne parlons pas de l’odieuse accusation d’avoir sciemment couvert des viols, ou encore plus incroyable, le rapprochement assez obscène fait par Joann Sfar et repris sans vérification par une partie de la presse entre les 130 morts du Bataclan et les 130 signataires (en fait 150) d’une tribune de soutien à Edwy Plenel.
À l’heure où je parle, la dessinatrice Coco a fermé son compte Twitter, sous le poids des insultes — elle a tout mon soutien, mais même si son dessin affirmant qu’Edwy Plenel avait volontairement évité de s’intéresser aux mœurs sexuelles de Tariq Ramadan était plutôt réussi et drôle (elle est un des derniers talents de ce journal), il était injuste. La seule personne qui se soit elle-même accusée d’avoir été au courant et de n’avoir rien dit, c’est Caroline Fourest12.
J’en veux vraiment à ceux qui se servent opportunément de cette histoire pour régler des comptes. Je pense par exemple à Manuel Valls qui, au nom de la défense de la liberté d’expression et de la démocratie a souhaité tout haut que Médiapart « soit exclu du débat public » et « rende gorge » ! J’en viens à me demander si Plenel ne prépare pas un dossier sur l’ancien premier ministre et si ce dernier n’est pas en train de jouer le tout pour le tout, à coup d’insinuations toxiques, pour décrédibiliser le site d’investigation ou pour faire passer son travail pour une vendetta entre personnes. Ou bien il cherche juste un prétexte pour pousser plus avant son personnage de « monsieur je-serais-intraitable », son créneau marketing.

Gaston Phébus (1978) épisode 1. On entend toujours parler de l’armée de Phébus dans la série, composée de dizaine de milliers d’hommes, mais à l’image on a toujours les six ou sept mêmes mecs. C’est un peu cheap. Comme d’utiliser une pauvre carrière à ciel ouvert comme décor pour représenter la Palestine. La séquence ci-dessus est intéressante pour la manière dont elle représente les Croisades : les soldats francs, qui sont techniquement une armée d’invasion, sont présentés comme les preux chevaliers qui vont au secours d’un homme torturé et se font prendre en étau par une bande d’orientaux patibulaires à qui la caméra ne donne jamais la chance d’être montrés comme des personnes : ce sont des burnous et des turbans qui braillent en faisant tourner des sabres. Ils sont fourbes, bruyants et lâches13.

Une chose me choque de plus en plus dans le discours ambiant, c’est sa binarité : si on ne va pas dans le sens du troupeau, c’est qu’on est l’ennemi — et on découvre vite à ses dépens qu’il s’agissait d’un troupeau de loups pour qui désigner l’ennemi, c’est se donner la permission de le juger sans procès, de le condamner sans jugement et d’exécuter sa peine sans condamnation. À une époque pas si lointaine, la tolérance consistait à accepter que quelqu’un soit différent, ait une autre vision du monde, d’autres idées. Aujourd’hui, chez beaucoup, c’est un cri de ralliement : on est dans la bande des tolérants dégoulinants d’esprit démocratique, ou bien on est l’ennemi et on doit être abattu. À une époque on pouvait ne pas aimer quelque chose sans demander pour autant une loi pour l’interdire !
Pour ma part j’ai l’impression et je m’efforce constamment d’être tolérant suivant l’acception ancienne du mot. Je considère que le monde entier a tort, je n’aime pas la politique, Je n’aime pas les religions, elles me font peur, je n’aime pas les symboles qui vont avec les religions, et notamment l’obsession de la distinction sexuelle dans les religions monothéistes. Beaucoup de valeurs politiques, religieuses ou philosophiques qui ne sont pas les miennes me répugnent, mais je respecte la folie de chacun tant que je n’ai pas la preuve que les fous font du mal à d’autres qu’à eux-mêmes.

Gaston Phébus (1978), suite. Ayant eu contre son gré un enfant avec son épouse qu’il déteste (c’est un peu compliqué à expliquer), Gaston III de Foix-Béarn hait son rejeton Gaston, un adolescent difficile (qui, sous-entend lourdement mais sûrement le scénario, s’intéresse plutôt aux garçons qu’aux filles). Tout naturellement, comme ça se faisait à l’époque, le jeune homme essaie d’empoisonner sa famille sur le conseil de son oncle maternel, Charles le mauvais. L’affaire tourne mal car son frère Yvain (Lambert Wilson, alors à ses débuts) parvient à l’en empêcher. Il ne veut cependant pas que son demi-frère soit puni (dans les fratries, on se chamaille, mais face à l’autorité parentale, on peut aussi être solidaire !), mais le poison est involontairement repéré par un chien qui, après l’avoir ingéré, décède. C’est la goute d’eau qui fait déborder le vase, Gaston est envoyé dans sa chambre sans manger. Mais quand les choses se calment, il continue de refuser de s’alimenter ! Dans la scène ci-dessus, Gaston III essaie de convaincre son fils de goûter une cuisse de poulet mais ce dernier refuse. Alors son père négocie, menace, s’énerve. Mais ça marche pas ces trucs-là, croyez-en mon expérience, l’éducation est un truc bien plus fin. Le fils meurt, la jugulaire accidentellement tranchée par son papa qui faisait mine de le menacer avec un poignard et qui s’est montré maladroit en le manipulant. En plus il savait pas que son fils était hémophile.

Bon, maintenant, parlons solutions.
Car quand des gens a priori intelligents s’écharpent, des gens qui a priori cherchent à être du bon côté de la barre, il y a un problème à régler. Sur les affaires dont il est question, je dois dire que je suis effrayé, chaque jour, sur Twitter, en voyant les positions des uns et des autres se rendre caricaturales et devenir affaire de réflexes, de réactions épidermiques qui transforment des personnes estimables en machines à penser par catégories et par mots-clés.
Je veux continuer à débattre même si ça m’épuise et si ça me désespère, alors je vais tenter de me tenir à quelques principes qui peuvent m’aider à être juste :
— Éviter la tentation des oppositions qui s’équilibrent : si on me parle d’une injustice commise par x, il ne faut pas lui opposer une injustice commise par y : une injustice plus une injustice, ça ne fait pas un équilibre, ça fait deux injustices. Les deux injustices doivent être condamnées, elles ne s’annulent pas. Par ailleurs, chacun a ses points sensibles et ses points aveugles, il faut l’admettre (y compris à son propre sujet) et éviter de poser ça en termes accusatoires.
— Ne pas réagir à une nouvelle sans connaître le contexte, sans avoir pris connaissance de la phrase entière et même des phrases qui précèdent et qui suivent, sans avoir vu la vidéo, sans avoir lu l’article.

Un exemple tout frais de problème de contexte : hier Aurore Bergé (porte-parole de la République en Marche) a exhumé un tweet de Mélenchon qui proposait que le Parti de Gauche offre l’asile politique à Gérard Filoche, laissant croire que cette proposition suit le tweet douteux de Gérard Filoche. L’indignation est générale, jusqu’à ce que certains remarquent que le tweet de Mélenchon date de 2014 et ne peut donc pas être lié à une affaire de 2017. La jeune députée a été forcée d’admettre son erreur, expliquant qu’elle n’avait pas vu la date du tweet (admettons – ça m’est arrivé assez souvent pour que je puisse y croire), mais ajoutant l’insulte à l’injure en se demandant tout haut si l’offre est toujours d’actualité, en accusant Mélenchon d' »avoir des amitiés avec le Parti des Indigènes de la République » (dont il s’est pourtant fermement démarqué), et finissant par retourner sa chaussette sale en demandant que l’on se calme puisqu’elle n’a « justement aucune envie d’employer les méthodes qui sont celles des Insoumis ». Ce qui m’intéresse ici et qui motive le point suivant, c’est que je pense que le sentiment que Mélenchon est suspect d’indulgence envers l’antisémitisme, provoqué l’exhumation opportuniste d’un de ses vieux tweets, ne va pas quitter ceux qui l’auront éprouvé (notamment ceux qui étaient déjà prêts à la recevoir sans filtre), alors même qu’ils auront été ensuite informés de la manipulation. Les sentiments sont comme l’amiante ou ces métaux lourds qui s’accumulent dans l’organisme et ne le quittent jamais : les révisions, le complément d’information, la réflexion, ne permettent jamais de s’en débarrasser vraiment, et ils refont surface à la première occasion.

—  S’efforcer de mettre à jour les informations qu’on a tenues pour exactes et qui se sont révélées ne pas l’être, et tenter de revenir sur les sentiments que l’on a éprouvé en les entendant. Cette seconde partie est presque impossible à effectuer, malheureusement : une indignation qui s’appuie sur une mauvaise information restera toujours en sourdine quand bien même on aura découvert sa fausseté.
—  Réagir à ce que les gens font, à ce qu’ils disent, pas à ce qu’on pense qu’ils pensent en vertu de leurs amitiés ou de la personne qui s’est trouvée avec eux, un jour lambda, sur une photographie.
—  Se rappeler que les gens (et se compter dedans) sont bien plus largués qu’ils ne se le font croire, bien moins maîtres de leurs pensées, de leurs émotions, de leurs références, de leurs goûts, de leurs répulsions, de leurs frayeurs, qu’ils ne le voudraient.  Chacun de nous est jeté dans le monde sans avoir rien demandé et passe les quelques décennies qu’il y vit à tenter de donner un sens aux choses en attendant de disparaître. Et puis il meurt sans avoir rien compris, mais en ayant parfois fait du bien ou du mal, et  en ayant parfois eu le choix de ses actes.
— Tenter d’éviter les excès verbaux, qui braquent forcément, et les métaphores outrancières.
— Traiter chacun, même adversaire, même ennemi, comme une personne, c’est à dire comme quelqu’un qui est responsable de ses actes et qui s’exprime en son nom. Cela sert autant à être juste soi-même qu’à contraindre sont interlocuteur à ne se cacher ni derrière un leader, ni derrière un dieu, ni derrière une idée, et à agir en tant que personne et non en tant qu’agent.

Hier avant d’aller me coucher j’avais plein d’autres idées de méthodes à appliquer pour rendre le monde moins stupide mais au réveil, je les ai oubliées. On verra une autre fois.
Et toi, lecteur, as-tu des propositions ?

  1. Demandez à Google books.  []
  2. Il paraît que de nombreuses femmes britanniques portent ce vêtement sans rapport à des convictions religieuses mais pour épargner le soleil à leur peau trop fragile, et que ce vêtement a aussi du succès en Asie du Sud Est chez des femmes qui veulent aller à la plage mais refusent de bronzer. En revanche il n’est pas spécialement validé par Daech. []
  3. Il semble que certaines jeunes femmes ne se mettent à porter le hijab que par réaction à ce qu’elles ressentent comme une attaque envers leur religion. Lire à ce sujet le livre de témoignages Des voix derrière le voile, par Faïza Zerouala, éd. Premier Parallèle. []
  4. Apocalypse 3:16. []
  5. Par exemple Rois 8:61 : « Que votre cœur soit tout à l’Éternel, notre Dieu, comme il l’est aujourd’hui, pour suivre ses lois et pour observer ses commandements ». Les dix commandements, déjà, ne disent rien d’autre avec cet avertissement : « car moi, l’Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux ». []
  6. Je note que les religions laissent une latitude au doute et aux errements du croyant, tant que tout cela permet de renforcer son adhésion au crédo, mais il faut que cela soit contrôlé, dirigé : on peut confesser à un prêtre que l’on doute, et se le reprocher à soi-même, mais on n’est pas censé en parler autour d’un verre avec des gens qui ont d’autres croyances : on lave son linge sale en famille. []
  7. Daech est comme l’épisode des Anabaptistes de Münster au XVIe siècle (et bien d’autres poussées de fièvre sectaires dans l’histoire) : ravageur et spectaculaire, mais forcément épuisant pour tout le monde et appelé à l’autodestruction.
    Mais d’autres mouvements sont plus lents, moins visibles, moins meurtriers en apparence mais plus solides et plus efficaces à long terme, conçus pour durer. []
  8. Alors même que certains d’entre nous voient la science comme une sorte de luxe inutile et idéologiquement nuisible — on trouve ça chez Trump, chez les religieux et chez certains écologistes, mais aussi de manière plus insidieuse dans le discours médiatique et dans les politiques publiques de partis politiques pourtant « science-friendly ». []
  9. Claude Lévi-Strauss, réception du Prix international de Catalogne, mai 2005. []
  10. La zone d’ombre de Charlie Hebdo, pour moi, c’est la psychanalyse, qu’ils traitent avec une dévotion respectueuse très constante. []
  11. Notons tout de même que la phrase dite par Plenel sur France Info à ce sujet a été malhonnêtement tronquée. []
  12. Bien que je la mentionne plusieurs fois dans ce texte, je ne pense pas de mal de Caroline Fourest, si ce n’est qu’elle peine à revenir sur ses emballements quand bien même ils a été démontré qu’ils étaient mal informés, ce qui décrédibilise totalement son propos. L’orgueil la rend malhonnête. Mais depuis que j’ai vu une manifestation de deux cent hommes, avec à leur tête un curé illuminé en soutane, l’accueillir à la sortie d’un train avec des intentions brutales, je me dis que sa vie quotidienne doit être un enfer et qu’elle est courageuse de s’en tenir à ses idées même si celles-ci sont erronées. []
  13. Les Croisades, dont on parle avec légèreté chez nous à présent, n’ont pas été une entreprise pacifique mais bien une sanglante série de guerres de conquête. Rappelons le célèbre témoignage de Raymond d’Agiles (Historia francorum qui ceperint Jerusalem) : « On vit alors des choses jamais vues. De nombreux infidèles furent décapités, tués par les archers ou contraints de sauter du haut des tours. D’autres encore furent torturés puis jetés dans les flammes. On pouvait voir dans les rues des monceaux de têtes, de mains et de pieds. On chevauchait partout sur des cadavres. Ce fut un tel massacre dans la ville que les nôtres marchaient dans le sang jusqu’aux chevilles. Les croisés pillaient à satiété : ils parcouraient les rues, entraient dans les maisons, raflaient or, argent, chevaux, tout ce qu’ils trouvaient… ». Notons qu’à l’époque, « les infidèles » c’étaient les musulmans. C’est encore sous ce nom que, cinq siècles plus tard, ont été massacrés les Mayas et les Aztèques. []

16 réflexions sur « Où nous allons et comment tenter de l’éviter, mais bon c’est trop tard de toute façon »

  1. El Desdichado

    Bonjour, beau billet (considérant qu’un billet aussi long que l’on lit jusqu’au bout est nécessairement un beau billet 😉
    Je ne vais pas relancer la discussion que nous avons eue sur Twitter. Je me retrouve dans beaucoup de tes constats (moi-même athée de culture catholique, vaguement religiophobe), mais je te trouve un peu naïf quant à l’islam politique (appelé aussi « islamisme »). De même que je pense que la religion n’est pas forcément fondamentaliste, donc il n’est pas nécessaire de respecter à 100% des dogmes religieux – par ailleurs pas toujours très clairs – pour être un croyant. C’est le sens que donnent beaucoup à la fameuse phrase de l’Evangile « Eh bien, rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu », pour parler de ce que je connais. C’est ce qui a fait dire à certains, à commencer par Marcel Gauchet, que le christianisme était la religion de la sortie de la religion. C’est aussi ce questionnement ce qui faisait écrire à Paul Veyne « Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? ».
    Sans être théologien, enfermer les musulmans dans ce que serait « la vraie religion », et considérer avec les fondamentalistes que le Coran ne peut être interprété, ce serait nier au monde arabo-musulman le droit à l’esprit critique.
    Par ailleurs (c’est un détail dans l’article mais il m’a interpellé), tu fais je crois un raccourci très répandu sur les croisades. Sans vouloir défendre les exactions qu’elles ont engendrées, il est étonnant de les voir comme une attaque des chrétiens qui iraient « chez les arabes » pour leur mener la guerre. C’est oublier que les Arabes ont eux-même conquis Jérusalem quelques siècles plus tôt, en 637 exactement. Le drame du Proche-Orient, c’est à mon sens plutôt ce drame d’une zone tiraillée entre des conflits nombreux, et des armées d’occupation successives.

    Répondre
    1. Jean-no Auteur de l’article

      @El Desdichado : Merci d’avoir tout lui, bravo ! Commençons par le plus facile : les croisades ! Certes, Jérusalem a été conquise par les arabes, et certes, les croisades ont été directement déclenchées par une vraie provoc’ (de turcs, pas d’arabes, mais quelque part c’est un détail) autour des lieux de culte et de l’accueil des pèlerins, ce qui avait à l’époque menacé toute une économie mais aussi interrompu quelques siècles de status quo autour du sacré. Ma manière d’en parler est surtout une réponse à ce que j’ai appris à l’école primaire républicaine, au milieu des années 1970, où on m’en a parlé d’une façon assez proche de celle de la légende dorée catholique, en ne mettant à aucun moment en cause la légitimité des croisés, en insistant sur leur héroïsme, et bien sûr en ne disant jamais quel bain de sang ça a été.
      Sur les islamistes, plusieurs choses (mais ta réaction me fait penser qu’il faut que je reformule certains points, sans doute, ou que je complète). La première est qu’il me semble évident qu’il existe plusieurs islamismes distincts, qui ne sont pas sans lien historique mais qui sont adversaires dans leurs buts comme dans leurs méthodes. J’ai plus peur de l’islamisme « doux », amené à s’installer durablement (comme s’est installée la religion chrétienne de manière totalitaire pendant quinze siècles ici), que des fous de Dieu dont l’espérance de vie est courte, car même si les seconds font des dégâts révoltants, ils ne peuvent atteindre leur but à long terme. Ils sont dans l’urgence et la catastrophe, mais au moins il est rarissime qu’ils s’installent vraiment. La seconde est que je ne me sens pas spécialement naïf, j’ai même l’impression du contraire. Pour moi, qui aime les proverbes il faut croire, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, et ce n’est pas en méprisant, insultant, brimant des gens qu’on va leur faire comprendre notre point de vue, on va juste le leur faire subir. Un peu comme mon Gaston Phébus qui tente de faire manger son fils sous la menace : c’est pas en menaçant qu’on nourrit, c’est en donnant de l’appétit ! Ce n’est pas en bastonnant l’élève qu’on le rend intelligent : on le force à rester assis dans la crainte, mais on ne lui donne pas envie d’apprendre ou comprendre par et pour lui-même.
      Je pense à cet égard que personne n’a plus efficacement promu le hijab en France qu’Élisabeth Badinter, que Nicolas Sarkozy, et quelques autres : ce sont eux qui en ont fait une arme de subversion, par la négative. Bien entendu, je ne suis pas ignorant du fait que le voile a aussi des promoteurs « positifs », mais ce ne sont pas eux qu’on entend le plus fort. Je ne suis pas ignorant non plus de la symbolique sexiste véhiculée et aussi du fait qu’il s’agit d’un uniforme (et qui dit uniforme dit armée en parade, et c’est bien l’effet craint par les uns et voulu par les autres). Au passage (mais ça personne ne l’entend), je trouve le voile moins problématique, puisqu’il se met mais aussi qu’il s’enlève, que ne le sont les mutilations sexuelles, et notamment la plus admise au monde, la circoncision, dont la symbolique est douteuse (supprimer la part féminine des hommes) et dont les effets se font dans la chair de ceux qui subissent ce bizutage et le font subir à leurs enfants ensuite, que le prétexte soit religieux ou pseudo-hygiéniste. Mais ça c’est plus difficile à vendre, comme idée !

      Répondre
  2. Wood

    Une autre suggestion :
    – Quand quelqu’un vous fait remarquer que ce que vous venez de dire est raciste*, même si c’est vexant, ne pas réagir sur le ton de « comment peux-tu me traiter de raciste, moi, tu me connais, je vote quand même pas FN ». En fait, s’abstenir de réagir sur le moment, puis se poser vraiment la question de pourquoi on nous adresse ce reproche, surtout s’il vient de personnes touchées par l’oppression en question. Admettre que vivant dans une société qui baigne dans le racisme, il est possible qu’on dise des trucs racistes de temps à autres sans le réaliser, sans être forcément « un raciste ». Bref, éviter l’escalade et se souvenir que sur les questions d’oppression, si on fait partie de la catégorie sociale qui en bénéficie, on n’est pas forcément le mieux placé pour en parler, car on n’en a, au mieux, qu’une connaissance de seconde main.

    * ou /antisémite/homophobe/islamophobe/sexiste, rayez la mention inutile.

    – De la même façon, quand les personnes opprimées réagissent avec colère, ne pas forcément le prendre personnellement. J’aime bien la métaphore de l’accident de voiture : si on se porte au secours d’une personne qui vient de se faire renverser par une voiture, et que malgré nos meilleures intentions et le fait qu’on ne soit pour rien dans l’accident, elle se met à hurler, et dans sa douleur à nous abreuver d’injures, en général on ne s’en va pas en disant « si c’est comme ça, je ne vous aide pas ». S’il se met à râler sur tous les conducteurs on ne lui dit pas « Oh n’exagérez pas, tous les conducteurs ne sont pas comme ça, moi aussi j’ai une voiture, je n’ai renversé personne, de quoi vous vous plaignez ? » D’une façon générale, ne pas donner de leçons aux gens sur la façon dont ils réagissent à quelque chose qui les blesse, personnellement ou collectivement.

    – avant de cliquer sur « poster » se demander « est-ce que ce que je dis est méchant ? » Si l’on a un doute, s’abstenir.

    Si tout le monde appliquait ces conseils, on pourrait éviter bien des shitstorms.

    Répondre
    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Wood : ah ben moi, si quelqu’un se fait renverser, je suis d’accord avec lui pour critiquer les automobilistes et je me barre parce que j’ai peur du sang.

      Répondre
  3. El Desdichado

    Merci pour la réponse. En fait, comme je m’en étais déjà rendu compte, nous divergeons sur un point. Pour toi, j’ai l’impression que c’est l’opposition au voile qui créé le problème du voile. Pour moi, l’opposition au voile à l’école n’est que l’expression d’une résistance, dans la fin des années 90, à l’émergence du voile comme étendard d’une offensive islamiste, dont les première victime sont les musulmans laïques (et les athées d’origine maghrébines, souvent assignés à leur prétendue religion). Je ne suis pas sûr que des éléments objectifs puissent départager ces deux opinions. Pour autant, Valls, Badinter ou Sarkozy n’existaient pas politiquement lors de l’émergence des problèmes du voile à l’école. Je ne tiens pas non plus à en faire des boucs émissaires, même si je ne partage pas la plupart de leurs idées (chacun des 3 pour des raisons différentes, d’ailleurs).
    L’antiracisme et la lutte contre les discriminations doivent être une priorité de l’Etat, plus que jamais ; je pense qu’il faut par contre éviter d’y mêler plus que nécessaire la religion.
    Sur la circoncision, je te rejoins : je suis toujours sidéré que cette pratique perdure. Ce que décrit Riad Sattouf dans l’Arabe du futur est sur ce point édifiant. Mais je sais aussi que quand certains gouvernements ont essayé de limiter la pratique ils se sont heurtés à une levée de bouclier, y compris à base d’argument d’antisémitisme ou d’islamophobie…

    Répondre
    1. Jean-no Auteur de l’article

      J’ai bientôt cinquante ans, donc j’ai vu le pays changer pas mal, et je sais une chose : le voile n’a pas toujours existé en France. Enfin pour être exact, c’était le truc de femmes maghrébines passé un certain âge, comme leurs voisines yougoslaves, portugaises ou des paysannes du terroir français, du reste. Elles y plaçaient peut-être un sens religieux, mais sans revendication particulière. C’est évidemment quand la revendication est venue que le vêtement est devenu un motif de tensions. Et cette revendication, je pense (d’observation directe, je suis banlieusard) qu’elle vient d’abord d’un sentiment général d’injustice de la part des enfants de maghrébins : ils ont eu l’impression de voir leurs parents s’aplatir, baisser les yeux, se ruiner le dos au travail, et leur dire constamment : « des études, ce n’est pas pour toi, un bon travail, ce n’est pas pour toi », alors même qu’ils vivaient dans la même société que les autres français, qu’ils avaient la même carte d’identité, allaient à la même école, etc. C’est cette génération qui a réinventé son Islam, un Islam passablement différent de celui de leurs parents mais qu’ils pensaient être plus traditionnel et en tout cas plus valorisant, car moins humble et plus revendicatif. Au même moment, la société française avait de moins en moins à offrir, puisque l’emploi se raréfie – et ne parlons pas des questions bien réelles de discrimination. Ces jeunes gens qui ont décidé d’opérer une sorte de retour aux sources identitaire (une sorte de car on ne revient pas en arrière, et le passé n’est qu’un fantasme, on en sélectionne ce qu’on veut) ont aussi plus ou moins rejeté les progrès que la société française commençait tout juste à intégrer et dont leur culture d’extraction était (mais à peine) plus éloignée : rejet de la misogynie, rejet de l’homophobie et rejet de l’antisémitisme – traits qu’on aime associer à la religion, et c’est en partie vrai, mais qui sont liés aussi au milieu social d’origine des maghrébins immigrés, venus du bled et pas tellement d’une bourgeoisie éduquée. L’antisémitisme algérien a par ailleurs une histoire très spécifique (le fameux décret Crémieux, sous Napoléon III) qui a laissé une empreinte durable dans les consciences algériennes, en transformant les juifs locaux, vivant dans le Maghreb depuis l’antiquité) en colons, puisqu’ils ont été naturalisés français du jour au lendemain tandis que les Arabes restaient « Indigènes ».
      Voilà le moteur : une envie de dire « on existe, il faut compter avec nous ! ». Qui a envie de baisser les yeux toute sa vie, surtout saisi par la colère de penser que c’est ce qu’ont fait ses parents ?
      Après il y a le carburant : prêcheurs, propagande, mais aussi clichés stigmatisants, essentialisation et authentique difficulté à trouver d’autres voies. Voilà en gros comme je vois le déroulement des choses, mais on peut y ajouter des phénomènes psychologiques d’identification (aux Palestiniens, évidemment, mais on peut parler aussi des petits-blancs ou les africains subsahariens des cités, qui eux aussi ont vu dans la religion un moyen de s’intégrer chez eux, de faire partie de la communauté à laquelle ils appartiennent de fait).
      Si j’ai raison, la solution ne passe pas par plus ou moins de répression, elle passe par le fait d’offrir des emplois (et c’est même pas une question d’argent, mais de sentiment d’appartenance à la société). Les salafistes le savent très bien : ils ouvrent des kébabs, des pizzérias, des taxiphones, et, dit-on, arrangent les mariages…

      Je pense qu’aucune propagande ne peut prendre sur quelqu’un qui n’est pas prêt à la recevoir, et c’est là qu’il faut intervenir. Quand Élisabeth Badinter, 500e fortune mondiale, qui a un contrat (via Publicis) pour soigner l’image publique de l’Arabie saoudite, débarque avec un cortège de voitures aux vitres fumées pour expliquer aux caméras qu’elle veut qu’on enlève son salaire à une employée de crèche dont la coiffe lui déplaît, je dois dire que je trouve ça d’une obscénité incroyable, et au delà, je ne vois pas qui on veut convaincre que ce n’est pas contre les musulmans, ou contre la revendication à exister publiquement de ces derniers. Les prières de rue, de la même manière, ne sont jamais que des manifestations déguisées en prières, elles sont porteuses d’une revendication à exister, et c’est cette revendication que, consciemment ou non, certains combattent en se drapant dans des principes d’égalité, égalité qui est précisément ce qui manque ! Je discutais une fois avec un pasteur calviniste des sectes évangéliques dangereuses, et il est apparu que pour lui, même s’il convenait que ces groupes étaient un peu turbulents ou excessifs, il ne prendrait jamais parti contre en se rangeant du côté des papistes, c’est à dire qu’il se sent forcé d’être solidaire des « siens », de sa famille, quand bien même ceux-ci sont vraiment à mille lieues de sa vision de la religion. De la même manière, si beaucoup de musulmans ont une pratique détendue, voire quasiment pas de pratique du tout, de leur religion, il est impossible pour eux de prendre parti contre d’autres musulmans – en tout cas contre d’autres musulmans qui ne commettent pas de meurtres au nom de leur religion. Voilà pourquoi je pense que la manière dont a été traitée la question n’y a rien arrangé, bien au contraire.
      Sur la circoncision, c’est un sujet auquel je n’avais jamais vraiment pensé avant de lire Riad Sattouf, moi aussi, mais avec Ma circoncision, un livre jeunesse qui recoupe L’Arabe du futur.

      Répondre
  4. Hannah

    Dans la catégorie « gymnastique de pensée pour essayer de se rendre moins stupide », j’ai l’impression qu’il faut faire attention aux prescripteurs d’opinion. il est toujours très satisfaisant de découvrir un personnage public (ou en tout cas, plus médiatique que soi-même) développer une pensée similaire à la sienne, mais à partir du moment où on est en accord sur trop de sujets différents, il y a un risque : celui de cesser de réfléchir par soi-même, et d’adopter plus tard des pensées qui ne sont pas les siennes juste par désir d’adhésion.
    Il faut se faire à l’idée que non, on ne sera peut-être pas TOUJOURS du même avis que Christiane Taubira, ou Anita Sarkeesian, ou Rebecca Sugar, ou Mirion Malle, ou qui que ce soit d’autre. Non pas parce qu’on les suspecterait d’être de mauvaises personnes, secrètement occupées à nous retourner le cerveau (encore qu’il ne faille jamais exclure la possibilité que quelqu’un tourne mal), mais parce qu’il n’y a de toute manière aucune chance que leur pensée soit à 100% indiscutable, même au sein de leur domaine d’expertise.
    Ca va de paire avec le contraire, d’ailleurs : ne pas considérer que, puisqu’on est en désaccord avec quelqu’un sur un certain nombre de sujets (même graves) on a le devoir d’être en désaccord avec tous les arguments suivants, quels qu’ils soient.

    Répondre
    1. Hannah

      D’autant plus que se retrouver en désaccord avec une personne avec qui on partage un certain nombre de convictions peut être très intéressant : ça pousse à réfléchir davantage que lorsqu’on se trouve dans une opposition totale.

      Répondre
      1. Jean-no Auteur de l’article

        @Hannah : Tu mets le doigt sur un truc important, car je remarque que souvent on a tendance à se forcer à croire que la personne en qui on a confiance a raison même quand ce n’est pas le cas, et on se met à lutter contre soi-même pour s’en convaincre… Jusqu’à ce que la digue rompe, et qu’on rejette subitement toutes les idées de la personne. Un truc du genre, qui peut avoir des effets ravageurs.

        Répondre
  5. Guillaume Dimanche

    Je n’ai pas d’autres propositions, parce que j’ai peur que nous n’allions dans le mur probablement dans ce beau siècle que nous vivons. Pour référence musicale « on n’a pas assez d’essence pour aller dans l’autre sens. » De toutes façons le mort nous surprendra tous. Ce qui est terrible c’est de voir ceux que nous condamnons, ceux qui souffrent, ceux que nous vendons et que nous achetons. Et les mers et les murs que nous construisons pour éviter aux « vermines » de passer chez nous, profiter du confort que par ailleurs nous sommes bien content de leur vendre.
    Le français arabe reste toujours, encore, d’origine, d’où déjà ? Parfois même on se félicite, on le félicite de parler un français correct. Alors qu’il est docteur.e, né.e en France, mais avec les cheveux noirs et frisés.

    Très beau texte. Merci JN.

    Tu as sans doute vu The Square. Je l’ai découvert hier. J’ai l’ai trouvé parfait. Sur ce sujet de l’égoïsme et du manque d’empathie général. Quelques plans excellents, avec les escaliers, les foules.

    Répondre
    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Guillaume : pas encore vu The Square, non, il faut que je trouve l’occasion. J’ai trouvé la bande-annonce pêchue et intrigante.

      Répondre
  6. sven

    Merci Jean Noel.

    Je ne puis répondre sur ton dernier post facebook, « Du grand Franz-Olivier Giesbert.. »

    Mais j’ai suivi ta discussion passionnée avec une « supposée musulmane ».
    A un moment elle a poste un article d’opinion de lalibre.be qui a fait tic.
    Opinion de Hamid Zanaz : « Monsieur Edwy Plenel, ne me défendez pas »
    Ce monsieur est (était?) un habitué de Boulevard Voltaire : http://www.bvoltaire.fr/auteur/hamidzanaz/
    Boulevard Voltaire qui est connu pour son ‘islamophobie’…
    Aussi ses recents posts facebook parlent pour eux meme par exemple : https://www.facebook.com/hamid.zanaz/posts/10214540040071710
    La « convergence des luttes » en quelque sorte.

    Vigilance…

    Répondre
    1. Jean-no Auteur de l’article

      @sven : la jeune femme dont tu parles a un patronyme maghrébin, elle est issue d’une famille de culture musulmane, mais sans éducation religieuse à ma connaissance. Je la connais bien, et je pense pouvoir dire qu’elle rejette toute injonction religieuse à laquelle on voudrait l’associer du fait de ses origines, et c’est quelque chose de compréhensible au fond, lié à son vécu. Sa belle-sœur qui est marocaine et musulmane et a un autre vécu, mais elle rejette aussi le voile parce qu’elle l’a longtemps connu dans son pays comme un choix intime, un engagement, puis, peu à peu (en ne rentrant dans son pays que de temps en temps) elle a constaté que le voile se diffusait comme une épidémie et qu’il commençait à devenir difficile pour une femme d’aller à la piscine en maillot de bain sans ressentir de malaise, etc. : en quelques années, ce qui était une liberté est devenu une injonction de plus en plus ferme, peut-être même pas exprimée explicitement, et pas inscrite dans la loi…
      (Assia, Imane, reprenez-moi si j’écris des conneries à vos sujets !)
      Voilà, chacun son vécu et sa sensibilité. Ma position personnelle c’est qu’il est absurde d’interdire quelque chose au nom de la liberté, mais je comprends bien que des personnes qui ont connu le voile comme une obligation aient une toute autre réaction. Le danger est, par effet de balancier ou à cause des amis qu’on trouve prêts à vous écouter, de finir comme certains (je ne vais pas dire Hamid Zanaz, je n’ai pas lu ses articles, mais Boulevard Voltaire, gulp !) par passer d’un racisme à un autre, ou de devenir, sur un malentendu, l’arabe de service. qui sert à légitimer un discours raciste, comme on en voit parfois.

      Répondre
  7. Anne

    Excellent article, Jean-Noël. Plus que tes réflexions sur l’islamophobie, les discours haineux des uns et des autres, j’ai envie de rebondir sur ton « on va tous mourir ».
    Aujourd’hui, quand j’ai lu les nouvelles horribles en provenance de l’Egypte, c’est la première phrase qui m’est venue. Pas un ‘on va tous mourir ! » façon film catastrophe des années 80, pas non plus celui qu’on dit en pensant surtout à sa propre mort, mais celui qui est inhérent à nos cellules, à ce que des millénaires d’évolution ont fait de nous, humains (le tardigrade, lui, a plus d’un tour dans son sac pour retarder l’échéance, mais nous avons pris une autre branche du vivant, c’est comme ça…) C’est un truc qu’on partage tous, à plus ou moins longue échéance.
    Ce serait quand même rudement bien, que ces quelques années, on les emploie à améliorer les choses, à grandir, à écouter les autres (eux aussi ils vont mourir, ça devrait nous rapprocher un peu), et ce pendant qu’on est là, parce qu’on peut tous le faire maintenant. Pas la peine d’attendre d’être morts pour recevoir et donner des cadeaux super cools (si tant est que ce soit effectivement le cas).
    Ça me met hors de moi que certains humains en nient d’autres, et que, pire, certains en fauchent d’autres. Ça me met hors de moi que certains n’aient à ce point comme horizon que leur propre camp, clan, personne, qu’ils ne veulent même pas laisser l’autre parler.
    Je suis persuadée que nous pouvons, collectivement et individuellement, trouver les moyens de préserver notre environnement (notre santé, physique et mentale, le combo eau/nourriture/oxygène, et le reste). Ce qui nous paralyse, ce sont les haines qu’on nous tricote et dans lesquelles on a l’illusion de la chaleur du troupeau, et les peurs concomitantes.
    Je ne dis pas que je n’ai jamais été dans l’erreur, je ne suis pas en train de m’ériger une statue, j’ai aussi dit et fait pas mal de conneries (et tu te dis peut-être que j’en dis encore pas mal, là, tout de suite). J’essaie de comprendre, de grandir. J’écoute et j’apprends. Et, justement, une des solutions, c’est, je pense, ce que tu viens de faire. Partager ta réflexion, dire que peut-être tu te trompes et nous proposer de discuter.

    Répondre
    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Anne : je ne pense pas qu’on puisse dire des conneries en espérant le meilleur pour tous 🙂
      (ps: désolé de valider ton commentaire avec près de dix jours de retard, j’ai dû rater le mal qui me le notifiait)

      Répondre

Répondre à Jean-no Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.