Art, liberté, et responsabilité

(contexte : après quelques jours d’agitation médiatique consécutive à l’annonce de la tenue d’une exposition laissant « carte blanche » à Bastien Vivès, accusé de publications pédopornographiques et de propos insultants et menaçants envers une consœur autrice de bande dessinée, le Festival d’Angoulême choisit de déprogrammer l’événement)

Une fois que les opinions sont sédimentées sur un sujet, tout nouveau discours n’est abordé qu’avec l’impatience de décider s’il faut l’applaudir ou le honnir, et, partant, si celui qui parle est ami ou ennemi. Si vous vous sentez dans cet état d’esprit, abandonnez dès maintenant la lecture de cet article, il ne vous sera pas utile.

Dans mes yeux, publié par Bastien Vivès (alors âgé de vingt-cinq ans) en 2009.

Je reconnais du talent à Bastien Vivès, mais je n’ai jamais été vraiment intéressé par son œuvre. Lorsqu’il débutait, j’avais été épaté par sa maturité graphique (Le goût du chlore, Dans mes yeux), mais depuis, j’ai du mal à me passionner par son système, que je peine à juger autrement que superficiel visuellement (j’ai toujours l’impression de voir ce qu’on nommait naguère en communication des roughs). Cependant, il serait malvenu que j’aie une opinion définitive, car, soyons très honnêtes, je n’ai pas lu grand chose de lui dernièrement. Il me semble que j’ai entamé la lecture de son Cortomaltese, mais je ne me souviens pas de ce que j’en ai pensé ni si je l’ai terminé ce qui signe peut-être avant tout mon indifférence au projet d’un Cortomaltese qui ne soit pas de la main d’Hugo Pratt.
De par ses positions publiques les plus insupportables — celles qui ont servi à instruire son procès sur les réseaux sociaux —, il me renvoie l’image d’un ado attardé, avec tout ce que ça implique en termes d’inconséquence et d’insensibilité, de légèreté au plus mauvais sens du terme. Et quand il semble émotionnellement impliqué, c’est en s’en prenant à l’autrice Emma Clit, dans des termes assez ignobles, indéfendables et, là encore, d’une insensibilité crasse (« On devrait buter son gosse »). Les mots, certes, ne sont que des mots, mais ils ont un poids et ils peuvent faire mal. Vivès accuse les réseaux sociaux de l’avoir « rendu con », et c’est un fait, ces agoras ne réussissent pas à tout le monde, mais de même que tout le monde n’a pas « l’alcool mauvais », on est en droit de se demander si les réseaux sociaux, en supprimant quelques filtres, ne font pas que désinhiber une mentalité latente. En intitulant un album pornographique La décharge mentale, bien après avoir quitté Facebook, Vivès fait une allusion transparente au sujet de la « charge mentale » qui a amené le succès à Emma Clit, et on peut se demander quelle est la part du clin d’œil est quelle est la part de l’acharnement1. L’argument des réseaux-sociaux-qui-abrutissent ne tient plus, puisqu’il s’agit d’un livre, et Vivès semble dévoiler ici que son hostilité à Emma n’est pas tant due à la médiocrité de son dessin qu’au caractère féministe et engagé de son propos et, peut-être aussi, à la popularité d’icelui2.

Fallait demander, par Emma Clit. L’autrice est la première à dire qu’elle n’est pas une grande dessinatrice, mais son travail, n’en déplaise à ses détracteurs, touche une corde sensible, puisqu’il a été amplement relayé. Et ce n’est sans doute pas pour son seul sujet que cette bande dessinée a connu le succès (sur les réseaux sociaux mais ensuite sous forme d’albums, aux ventes certainement supérieures à celles des albums pornographiques de Vivès) : l’absence de sophistication graphique ostentatoire crée une proximité avec les lecteurs et les exposés sont plutôt bien menés, en tout cas sur les sujets féministes — elle traite aussi de questions telles que la gestion de la pandémie par le gouvernement, les violences policières ou le réchauffement climatique, mais, hmmm, faites-vous votre opinion par vous-mêmes.

Bref, Vivès est sans doute un sale môme avant tout, qui a au fond peut-être un peu de mal à accepter que les femmes ne soient pas des objets. En tout cas, il raconte que ce qui l’intéresse, ce qui caractérise son œuvre, c’est l’étude de la naissance du sentiment amoureux, et j’imagine que ça implique une forme d’aversion pour ce qui suit : construire, durer, laisser l’autre exister au delà de ce qu’on projette sur lui. Sans doute évoque-t-il (dans son œuvre ou ses propos) des thèmes tels que la pédophilie ou l’inceste avec une récurrence un peu inquiétante, car malgré le masque de l’humour, de la transgression et de la provocation, il y a peut-être quelque chose de viscéralement ancré. Il n’est en revanche a priori coupable d’aucun crime lui-même, rien à voir avec Gabriel Matzneff, à qui il est pourtant régulièrement comparé, qui passait spontanément aux aveux avec une insoutenable satisfaction.

L’ambition artistique, esthétique, poétique, la transgression, l’humour, la fantaisie, le fantasme, ou tout bêtement la fiction, peuvent être autant de faux-nez pour des pulsions douteuses, des moyens pour faire passer des idées inconscientes ou subconscientes, des démons que l’on ne saurait assumer frontalement (socialement ou vis-à-vis de soi-même) : profiter, dominer, agresser, assassiner,… Dès lors, est-ce que la création est l’outil d’un sain défoulement, d’une vidange psychique ? Une forme d’hygiène mentale ? Voire une une transsubstantiation, une transmutation, la transformation du plomb en or ?
On se doute en tout cas que ça ne peut pas vouloir rien dire du tout, et si effectivement les œuvres pornographiques de Bastien Vivès contiennent systématiquement des allusions à la pédophilie et à l’inceste3, il est légitime de se demander (et en tout cas lui devrait se le demander) par quoi il est hanté, et pourquoi. Peut-être est-il seulement tributaire —ce ne serait pas inattendu pour quelqu’un qui est né au milieu des années 1980 d’une culture manga adulte, qui peut se montrer particulièrement complaisante vis-à-vis des violences sexuelles, du sexisme et même de la pédophilie et de l’inceste.

Sur Instagram, Bastien Vivès se représente allant au poste de police pour parler du harcèlement dont il fait l’objet sur les réseaux sociaux mais alors qu’il explique ce qui est reproché son œuvre, il finit par passer du statut de victime à celui de suspect. Cette séquence est assez drôle mais elle sonne comme une forme d’aveu : en disant à haute voix le contenu de ses bandes dessinées, l’auteur constate ce qu’il renvoie…
J’ai lu une fois que les enquêteurs de police ne riaient pas avec l’humour, en matière criminelle, car ce moyen d’obtenir la sympathie ou la connivence sert aussi à lancer des perches, à tester ce qui est admissible et les conséquences qu’auront un aveu.

Je dois pourtant dire que quand j’entends parler de pédophilie, je tends l’oreille avec méfiance, car je sais que ce crime a plus d’une fois servi de prétexte à bien autre chose que la défense de ses victimes. C’est en confondant malhonnêtement homosexualité et pédophilie qu’on brimait les homosexuels, il n’y a pas si longtemps ; c’est au prétexte de surveiller quelques centaines de criminels sexuels multi-récidivistes qu’a été créé le fichier national d’empreintes génétiques, qui conserve désormais plus de 5 millions d’échantillons différents, dont des centaines de milliers de simples manifestants ; c’est le spectre de réseaux pédopornographiques4 qui sert à faire passer des lois de censure automatisée ou qui alimente les plus vénéneuses rumeurs complotistes. Et si tout ça est possible, c’est parce qu’il n’y a rien de plus universellement répugnant que la pédocriminalité. C’est un sujet qui provoque chez chacun de nous un profond malaise et personne n’aimerait se voir accuser d’avoir quoi que ce soit à voir avec les pédophiles. Le crime est si odieux, en vérité, qu’on a vite peur d’être accusé de complaisance si on réclame des preuve qu’il a bien été commis. Le crime est si dégoûtant qu’on a la nausée à l’idée que quelqu’un s’en délecte, fût-ce sous forme de dessins d’imagination et avec un scénario idiot5, et qu’on est révolté à l’idée que quelqu’un gagne de l’argent en titillant des passions abjectes.

La loi du 29 juillet 1881, tout en conférant à la presse un niveau de liberté qui n’a été dépassé que pendant quelques mois de la Révolution, a tenu à condamner l’obscénité dessinée, gravée, peinte (mais le texte, lui, n’est pas mentionné !). Ce passage du texte n’a été abrogé qu’en 1939. Je lis ici, comme dans l’affaire qui sert de prétexte à ce billet, une illustration du pouvoir magique du dessin. Un bête trait sur du papier, une tâche, pour ainsi dire, suffit à créer un monde, une réalité, il peut heurter, il peut faire rire, il peut provoquer l’excitation sexuelle, le dégoût, il peut émouvoir, il suffit de changer un tout petit peu la taille ou la direction d’un sourcil dessiné pour créer une expression, donner vie à un personnage… J’avoue que je trouve ça beau.

Si le fait que l’émotion passe avant la raison est un problème, on ne saurait chasser d’un revers de main toute critique portée envers une œuvre en opposant la liberté supérieure de l’artiste. Les artistes sont responsables de leurs œuvres, c’est même la caractéristique première de leur statut. L’art peut être le fruit d’une nécessité intérieure pour celle ou celui qui le produit, qui l’émet, peut même être un moyen d’exorciser des obsessions malsaines, mais il a aussi un effet potentiel sur les spectateurs qui le reçoivent. Pendant les quelques siècles qui ont forgé notre notion moderne d’Art on a voulu croire que cet effet ne pouvait être que d’une nature noble : délectation esthétique, transcendance des passions, émerveillement, méditation sur la condition humaine,… Et puis notre familiarité croissante avec le domaine de la communication, de la réclame, ainsi que l’anthropologie culturelle, l’iconologie, la théorie critique, le structuralisme, la sémiologie, nous ont fait perdre un peu de notre naïveté : l’art n’est pas que de l’art, la fiction n’est pas que la fiction, ce peuvent être des symptômes, des maux, de la propagande (au sens le plus dépassionné du terme), des modes d’emploi, des outils qui exposent ce qui relève de la doxa, et/ou qui conforment cette doxa, qui rendent acceptables ou familiers des points de vue qui naguère nous semblaient incongrus ou révoltants.
L’art et la fiction en sont même devenus des terrains idéologiques de premier plan, et dans les industries culturelles de masse, chez Marvel, chez Disney, le hasard a peu de place, les choix de scénario ou de distribution ont souvent une raison d’être idéologique (encore, au sens le plus dépassionné du terme, vouloir utiliser la fiction pour promouvoir un certain modèle de société n’est pas un mal en soi, tout dépend du modèle en question !) : désigner les oppressions ; féminiser un personnage ; donner une place à des orientations sexuelles jusqu’ici silenciées ou méprisées ; donner une place à des personnes non-blanches ; cesser d’objectiver et d’enfermer dans des clichés toute personne « pas comme nous » ; et aller jusqu’à embaucher des sensivity readers et autres experts pour s’assurer qu’une œuvre ne fera de mal à personne. Pour toute une jeune génération, ça semble être une évidence. Pour d’autres, ça l’est moins, et on s’inquiète de liberté de création, voire de puritanisme étasunien, car il est un fait que cette vision moralisatrice du rôle de l’art a toujours été une banalité de l’autre côté de l’Atlantique. C’était pour nous une curiosité il y a trente ans sous le nom de « Political correctness ». Et plus tôt, ça existait déjà mais nous n’en étions pas conscients : les labels Comics code authority et MPAA ne nous disaient pas grand chose, d’autant que nos traducteurs, ici, s’autorisaient des altérations fantaisistes et moralisaient ou immoralisaient les œuvres avec des critères en phase avec notre mentalité locale de l’époque. La culture globalisée actuelle est effectivement très étasunienne. Aurons-nous un jour peur des poitrines féminines, comme le prophétise Michel Ocelot, l’auteur de Kirikou6 ? Craindrons-nous les poils sous les aisselles, jugerons-nous hideuses les bouches qui n’ont pas été traitées par un orthodontiste, les nez qui ne sont pas passés sous un scalpel ? Mangerons-nous des nuggets en baquet plutôt que de manger ensemble autour d’une table ? Binge-drinkerons-nous des « shots » jusqu’au coma au lieu de cultiver notre alcoolisme social vieille-France ? Adopterons-nous un à un les rites qu’exposent les fictions de manière apparemment très codifiée (demande de mariage surprise avec genou à terre ; bal de promo ; spring break ; etc.) ? Aurons-nous en tête un modèle très précis de ce que sont la réussite professionnelle, amicale et amoureuse ? C’est aussi tout ça, l’Amérique.

Bastien Vivès, Le Goût du chlore, 2009. Deux jeunes gens tombent amoureux à la piscine. Sur Instagram, j’ai vu des vignettes de cette bande dessinée convoqués pour démontrer une constante dans l’intérêt pour le corps des adolescent.es et des enfants, et leur érotisation, par Vivès. Je comprends qu’on se demande si Vivès participe d’une « culture du viol » et d’une « virilité toxique » mais j’avoue que prendre des dessins du « Gout du chlore » comme preuve me laisse un brin dubitatif.

Une chose en tout cas me semble claire : moraliser l’art, moraliser la fiction, peut être fait plus ou moins sincèrement, plus ou moins naturellement, plus ou moins bien.
Raconter une bande d’ami.e.s composés d’une musulmane pratiquante voilée, d’une fille lesbienne tatouée et d’un homme trans désespérément amoureux d’une femme hétérosexuelle membre des Témoins de Jéhovah, dans une société où les plus de trente-cinq ans sont au mieux une nuisance et au pire des « personnages non joueurs »7, ça marche une fois, c’est même agréable à voir, comme toute situation oxymoresque, mais si ça s’installe par automatisme, sans apporter grand chose de plus, ça devient rapidement artificiel et pénible.
Les grosses usines à fiction comme HBO ou Netflix savent assurément s’y prendre et surprendre, elles ont des armées de scénaristes pour réinventer régulièrement leurs recettes lorsque celles-ci deviennent trop banales, mais des bandes dessinées qui ne sont mues que par les bonnes intentions de leurs auteur.ice.s peinent à mon avis à remuer le lecteur. S’il suffisait d’être gutmensch, bien-pensant, pour faire vibrer le public, ça se saurait.

Au delà du spectre de la censure et de l’autocensure que l’on craint derrière tout projet de moralisation de l’art, on peut redouter le manque de poésie d’un art utilitaire, uniquement destiné à nous convaincre de quelque chose, dédié à nous vendre un modèle de société, ou tout simplement, une forme de création où le mystère et le hasard n’ont pas de place. Et même, une forme de création où l’on doit montrer patte-blanche, faire la démonstration de sa légitimité sur un sujet. J’ai par exemple une fois entendu un romancier se faire vertement reprocher d’avoir écrit à la première personne un roman dont la protagoniste est une femme — or les personnes qui avaient émis la critique admettaient que le roman était plutôt bon, leur problème était un problème de principe ! On se souvient des débats qui ont lieu lorsque un acteur ou une actrice n’a pas toutes les caractéristiques de la personne dont elle prend le rôle : Zoe Saldana qui n’était pas assez noire pour interpréter Nina Simone, ou Eddie Redmayne à qui on a reproché d’interpréter une femme transgenre en étant un homme cisgenre, dans le film Danish girl. L’un et l’autre se sont par la suite excusés platement d’avoir accepté des rôles qui ne se confondaient pas avec leur vie.

Il suffit de se remémorer de l’interprétation raciste de M. Yunioshi par Mickey Rooney dans Breakfast at Tiffany’s (et autres exemples odieux de Yellowface et de Blackface, ou encore de mansplaining8) pour comprendre le problème qui motive très légitimement ces reproches, et ne parlons pas de l’injustice professionnelle qui opère lorsque Nicole Kidman ou Charlize Theron passent des heures à se faire maquiller, se font ajouter des prothèses afin d’avoir un physique banal correspondant à un rôle, alors qu’il existe foule d’actrices qualifiées et dont le physique est adapté.
Pourtant, dans ces affaires, j’ai parfois du mal à ne pas penser à un épisode Lucky Luke9 où le public d’une pièce de théâtre prend les acteurs pour leurs personnages… Or l’Art, depuis toujours, c’est l’artifice, c’est la tromperie, il ne suffit pas qu’une personne « soit » son rôle pour bien l’interpréter, et du reste, choisir une personne pour cette raison, c’est un peu la réduire elle aussi à un cliché.
Il est tentant, mais pas forcément pertinent car les motivations profondes diffèrent, de voir dans ces débats l’image-miroir de l’hostilité réactionnaire qui se manifeste lorsque tel ou tel remake a une actrice à la peau plus brune que dans l’œuvre originale, ou lorsque certains spectateurs de Star Wars ont plus de mal à imaginer un stormtrooper noir qu’un Jedi vert de quarante centimètres de haut…10
La question de la légitimité à écrire sur tel ou tel sujet me semble indémerdable, et aussi, elle me semble nier de manière furieusement essentialiste la capacité que chacun peut avoir à se mettre à la place d’un autre, à vouloir se mettre à la place de l’autre, ou même, si la naïveté de celui qui n’a pas vécu une situation dans sa chair est inévitable, la capacité que l’on pourra avoir à progresser. Je raconte souvent l’histoire d’Eugène Süe, écrivain mondain de la restauration, missionné par un journal conservateur pour écrire un roman sur les bas-fonds de Paris. Le récit débute par des poncifs bourgeois sur l’indécrottable et répugnante scélératesse des classes populaires, mais, encouragé par son rédacteur-en-chef à aller enquêter, Eugène Süe a appris, compris, observé, il s’est rendu compte (comme son héros Rodolphe, un prince incognito parmi la canaille) que derrière un ivrogne, un meurtrier, une prostituée, il pouvait y avoir une longue et injuste histoire. Il s’est rendu compte que les gens du peuple pouvaient être intelligents, touchants, solidaires,…

Affiche de Jules Chéret. Ce qui me fait penser à l’excellent livre L’Affiche a-t-elle un genre ? Par Vanina Pinter, tout juste sorti aux éditions 205. Entre autres, l’autrice raconte l’ambivalence de mêmes images en prenant l’exemple du XIXe siècle, car (ici c’est moi qui interprète le propos, ce n’est pas dit comme ça) si l’affiche publicitaire peut être chargée en injonctions sexistes, relever du male gaze, elle peut aussi dans le même temps offrir une forme d’évasion, de libération ou d’empowerment : dans une fin de siècle où le vêtement était une contrainte physique, où les rôles étaient genrés de manière tout aussi raide, les femmes des affiches de Chéret ou Mucha semblent libres et légères,…

Pendant les deux années qu’a duré la publication du feuilleton, non seulement Eugène Süe est devenu antiraciste11, socialiste (et député de la Seine sous cette étiquette, jusqu’à ce que le coup d’État de Napoléon III le contraigne à l’exil), mais il avait entraîné toute la France avec lui, car chaque nouvel épisode était lu par tous ceux qui savaient lire, et raconté aux autres : les personnages de la Louve, Bras-Rouge, le Maître-d’école ou Rigolette étaient aussi connus que le sont pour nous les protagonistes de Game of Thrones, et il nous en reste d’ailleurs au moins un nom commun puisque les concierges monsieur et madame Pipelet sont à l’origine du substantif « pipelet/pipelette ». On dit que Les Mystères de Paris sont une des causes de la révolution de 1848, rien que ça ! J’aime ces histoires qui rappellent que l’on peut progresser par la fiction, y compris quand on en est l’auteur.
La légitimité intrinsèque aux auteurs est une affaire indémerdable parce qu’elle peut aussi se perdre : quand un rappeur devenu millionnaire, vivant de l’autre côté d’un océan, à dix mille kilomètres de la cité où il a grandi, continue à se complaire dans un gangsta rap qui épouse grosso-modo la vision des banlieues que véhicule CNews et n’a plus aucun lien avec la réalité sociale dont il se revendique (mais qu’il participe à forger), où est sa légitimité ? On peut continuer longtemps et toute position dogmatique sur le sujet me semble constituer une impasse.

Plus de 100 000 signataires pour cette pétition initiée par BeBraveFrance, une ONG qui lutte contre la pédocriminalité. Une seconde pétition, initiée par des étudiants en école d’art, a connu un succès plus modeste mais pas négligeable. S’il y a eu quelques prises de parole embarrassées pour dire que non, Bastien Vivès n’est pas un monstre, on ne peut pas dire que ce dernier ait bénéficié d’un soutien important.

Peu importe les réflexions qui précèdent.
L’affaire est désormais pliée, l’exposition n’aura pas lieu, on ne saura pas ce qu’elle aurait dû présenter, on ne sait pas si elle sera remplacée par une exposition de planches d’Emma Clit ou par rien du tout12, l’auteur incriminé s’est platement excusé auprès de celles et ceux qu’il aurait blessés (sincère ou pas, que peut-il faire de plus ?), le festival a publié un communiqué où il capitule, expliquant céder à la force de la mobilisation et aux menaces diverses, bref, tout est bien qui finit bien, les gentils ont terrassé les méchants (ou le méchant), même si je note que ceux qui ont obtenu la tête de l’expo n’arrivent pas tous à assumer leur victoire, ça se constate dans les commentaires au communiqué du Festival pleins de « on ne voulait pas s’en prendre à un homme mais à un système » et autres « on ne voulait pas censurer mais juste empêcher l’expo de se tenir ». Si je comprends assez bien le calcul qui pousse à être mauvais perdant, je n’ai jamais compris les mauvais gagnants ! On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, porter l’estoc triomphalement tout en affirmant être celui qui a reçu le coup, faire taire en affirmant représenter les paroles contraintes au silence, prévaloir tout en affirmant que c’est l’autre le « dominant ». On ne peut pas demander et obtenir l’occultation d’une œuvre à coup de pétitions puis dire qu’on est opposé à toute censure. Il y a eu un rapport de force, et la victoire d’un camp montre de quel côté était, cette fois en tout cas, le nombre et la puissance. Je comprends tout de même celles et ceux qui vivent mal l’impasse logique qui émerge lorsque les gentils se retrouvent à dix mille contre un, et que parmi ces gentils, on en trouve dont les propos sont d’une violence ou d’une outrance qui n’a pas grand chose à envier à celle censément combattue.
Enfin certains l’assument, comme Emma Clit, sur le Média :

« si ils [les gens du festival] ne réagissent que quand il y a des menaces, comment reprocher à des personnes d’en passer par là ? »

Emma Clit sur Le Média, le 15/12/202213.

Bon.
J’ai quelques questions à ceux qui se sont engagés pour l’annulation de l’exposition, et qui viennent d’obtenir gain de cause. Ou plutôt une question : quelle est la suite ? Très concrètement, pour Bastien Vivès, que va-t-il se passer ? Est-ce que, par exemple, à chaque projet d’exposition un peu institutionnelle, à chaque prix remis, il y a aura une nouvelle charge du même genre ? Si la protestation avait concerné une exposition de dessins pornographiques, pas de problème, une limite était énoncée clairement, mais là ce n’était pas le cas, alors cela signifie-t-il que plus aucune exposition de Bastien Vivès n’est envisageable ? Ou bien est-ce que ça ne concerne que ce festival précis ? Ses publications problématiques sur les réseaux sociaux existent pour l’éternité, seront toujours révoltantes, elles pourront toujours être ressorties, compilées de manière à nous faire le portrait d’un homme ignoble. Donc est-ce que Bastien Vivès est plus ou moins condamné, comme d’autres l’ont été avant lui, à ne plus trouver d’amis que chez Causeur, Valeurs, et autres médias qui surfent sur l' »anti-wokisme », comme c’est le cas du dessinateur Xavier Gorce ? Et est-ce que, par ricochet, par contamination, ses amis ou les gens qui travaillent avec lui, se le feront reprocher ou se verront forcés de choisir entre la rupture ou l’ostracisation ? Jean-Marc Rochette, auteur considérable (Le Transperceneige, L’Or et l’esprit, Ailefroide), a annoncé mettre fin à sa carrière d’auteur de bande dessinée après s’être fait reprocher d’avoir défendu Vivès, et parce qu’il craint un domaine soumis à l’approbation de commissaires politiques. J’ai du mal à imaginer que ce soit l’a seule et unique raison de son annonce, Rochette ayant toujours été tenté par une carrière de peintre ou de sculpteur, mais c’est une sacrée perte.
Quelle place est donnée au futur, dans cette affaire, quel est le scénario idéal pour l’avenir ? Que Vivès ait le droit de publier (on n’est pas pour la censure, hein) mais c’est tout ? Est-ce qu’il aura le droit de changer, de gagner sincèrement en maturité ? Est-ce qu’il existe un futur possible où Bastien Vivès a la possibilité de profiter de la leçon reçue ?

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Une séance d’autocritique publique (« séances de lutte ») pendant la Révolution culturelle. Les coupables ne se contentent pas d’admettre leurs crimes avérés ou imaginaires, ils devaient rester debout des heures, tête baissée, en étant souvent insultés, humiliés et battus, notamment par leurs amis et des membres de leur propre famille — qui n’avait pas le choix, car s’ils avaient refusé, ils devenaient coupables à leur tour. Tous n’ont pas survécu à ce processus de rédemption.
(il n’y a pas qu’à moi que cette référence vient spontanément, je vois que c’est aussi le cas de Jean-Marc Rochette dans le post où il annonce quitter la bande dessinée)
Photo : Li Zhensheng, 1966.

L’Histoire regorge de solutions pour donner une forme de porte de sortie aux réprouvés de la morale commune (et par ricochet, à ceux qui se sont liés contre eux) : l’exil forcé ; l’obligation de changer de profession ; les séjours dans des camps de redressement et les séances publiques d’auto-critique ; la prison ; l’exorcisme ; l’exécution capitale ; les séances symboliques de purification (question, autodafés, etc.) ; l’enfermement dans un monastère ; la conversion religieuse ; la trépanation ; etc. Mais dans un monde plus compatissant, où l’on a plus de mal à assumer une certaine brutalité comme outil de discipline sociale, que propose-t-on à ce jeune auteur qui doit attendre encore trente ans (au minimum) avant de pouvoir faire valoir ses droits à la retraite ? Un suivi psychologique ? Un passage devant la justice ? Il me semble qu’avec Internet, qui n’oublie rien, avec les archives de diverses époques qui se télescopent, nous risquons tous de rester enfermés dans un espace sans chronologie, donc sans issue et sans possibilité de progrès, mais comme l’article est déjà bien long, je ne vais pas développer ce point de vue pour cette fois.

Lire ailleurs : Les raisons de la colère, par un collectif de 500 autrices et auteurs, qui réclament au Festival de mettre en place une charte « afin que les futures sélections et programmations du festival soient réalisées dans le respect du droit des personnes minorisées ainsi que dans l’égalité de leurs représentations » (Médiapart) ; Le cas Vivès, par Marlène Agius, qui amène une distance bienvenue au sujet (ActuaBD) ; Bastien Vivès visé par deux plaintes pour « diffusion d’images pédopornographiques »: que dit la loi ?, une synthèse assez sérieuse de la question juridique, par Jérôme Lachasse (BFM) ; De la fiction au réel : Bastien Vivès, auteur de bande dessinée, par Vivian Petit (Actualitté14) ; et enfin Moraliser les violences sexuelles ?, par André Gunthert (L’image sociale).

  1. L’éditeur, Les Requins marteaux, explique ne pas avoir eu connaissance de la référence et avoir à l’époque tenté de convaincre Vivès de choisir un titre plus clair. Mais l’auteur y tenait. []
  2. Utiliser la pornographie pour dominer, moquer, est-ce une transposition symbolique du viol, où le sexe — activité qui devrait être idéalement plaisante pour ceux qui y participent — sert à causer de la souffrance, de l’humiliation ? []
  3. J’écris « si », car je n’en sais rien, je n’ai pas lu Petit Paul, Les Melons de la colère ou encore La décharge mentale. Et je n’ai pas envie de le faire. Un des gros problèmes dans le débat actuel est que peu de gens les ont lus, les ventes de ces albums sont négligeables (pour un auteur de best-sellers) et il y a beaucoup plus de gens qui ont un avis tranché que de gens qui ont un avis fondé.
    Je note que personne n’a parlé du dernier album pornographique de Vivès, Burne Out, qui, si je me fie au synopsis sur le site de l’éditeur, met en scène un premier ministre au centre d’un shitstorm lorsque l’on révèle qu’il est amateur de mangas pornographiques. Il doit alors s’excuser publiquement. Voilà qui fait étonnamment écho à la situation actuelle de l’auteur. []
  4. Les diverses lois réduisant la liberté d’expression sur Internet sont proposées au nom de la lutte contre le terrorisme, ou au nom de la lutte contre la pédopornographie. Pourtant, sur ce dernier domaine, il n’existe pas vraiment d’estimations sur l’ampleur réelle du phénomène ni sur l’efficacité des mesures de censure : je me souviens d’un policier des renseignements généraux (ou peut-être déjà de la DGSI) qui craignait que ces mesures soient contre-productives, en poussant les criminels à une forme efficace de clandestinité, et en empêchant les autorités d’enquêter. []
  5. Je n’ai pas lu Petit Paul, mais si je me fie au synopsis — un garçonnet poursuivi des ardeurs de toutes les femmes du fait de son sexe de quatre-vingt centimètres ‒ ne correspond à ma connaissance à aucun fantasme courant ! []
  6. Michel Ocelot, interviewé sur Brut le 10 décembre 2022. []
  7. Notion issue du jeu vidéo, le personnage non joueur (PNJ) est comme son nom l’indique un personnage qui n’est là que pour faire foule. Un figurant, quoi. []
  8. Mansplaining : lorsqu’un homme explique avec condescendance à une femme ce qu’elle ressent, ce qu’elle devrait dire ou penser… []
  9. Morris/Goscinny : Le Cavalier blanc, 1975. []
  10. Un des débats les plus stupides dans le registre : des gens ont reproché à Disney de faire une série She-Hulk, en supposant qu’il s’agissait d’une lubie « woke »… Alors que le personnage en question a été créé il y a plus de quarante ans ! []
  11. Le docteur David, ancien esclave, médecin et surdoué, n’est pas franchement typique des fictions des années 1840 ! — rappelons que l’esclavagisme avait été rétabli par Bonaparte dans les colonies et n’a été définitivement aboli qu’en 1848. []
  12. Au fait, j’ai lu quelqu’un se lamenter que le Festival d’Angoulême n’exposait que des hommes, mais cette année c’est très faux et j’espère que les personnes qui s’intéressent au sujet iront voir les expositions consacrées à Julie Doucet (lauréate du grand prix), Marguerite Abouet et Madeleine Riffaud ! Il est tristement paradoxal d’ailleurs que Bastien Vivès soit, avec une petite expo, le grand sujet de la 50e édition du festival, alors que c’est bien l’exposition de Julie Doucet et son retour à la bande dessinée qui devrait nous passionner. []
  13. Dans la même interview, on demande à Emma si « il n’y aurait pas un grand ménage à faire dans le monde de l’édition français », à quoi la jeune femme répond que, puisqu’il est impossible que les gens en place se réveillassent un matin frappés par la lumière, il faut les frapper au porte-monnaie, les attaquer médiatiquement, et puis finalement, « la solution ce serait de changer toutes les équipes [en les remplaçant] par des gens qui sont ouverts à ces questions-là ».
    Emma Clit est coutumière des propositions radicales, en 2018 elle avait publié un billet de blog pour demander à ses lecteurs de faire pression pour faire retirer des librairies le livre « On a chopé la puberté » (Anne Guillard, Séverine Clochard, Mélissa Conté), et une autre fois sur Twitter elle a lancé l’halali contre « La Guerre des bisous », de Vincent Cuvellier. Enfin, cette semaine, suite à l’annonce par Jean-Marc Rochette de son abandon du monde de la bd, elle s’est contentée d’ironiser en répondant avec le « au revoir » de Valrey Giscard d’Estaing. J’avoue que ce mélange des genres entre un dessin gnangnan et une certaine violence dans le projet me semble, au fond, assez déplaisante. []
  14. Article que le site LundiMatin avait publié puis, avec une certaine pleutrerie, dépublié ! []

46 réflexions sur « Art, liberté, et responsabilité »

  1. Épi d'orge en summérien

    France Travail recèle paraît il des tas de postes non pourvus, il aura surement quelque chose pour occuper ce monsieur jusque a la retraite. Je sais bien que pour les bourgeois la position d’auteur ou de personnalité publique semble être un dû, mais en fait non, on peut parfaitement faire autre chose. Qui voudrait monter dans un navire piloté par le capitaine du Titanic ? Vivès a crashé sa carrière comme un grand en attaquant une meuf en méjugeant le rapport de force, il s’est cru tout puissant et intouchable, et bien on peut lui offrir un poste aux espaces verts et éventuellement une fable a son nom…

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      Ben, c’est son métier depuis sa jeunesse, il ne va pas en changer, il ne sait sans doute rien faire d’autre, mais au delà de ses revenus et de son droit à s’exprimer, comment faire pour qu’il progresse, lui, comme personne, qu’il comprenne pourquoi la complaisance vis à vis de tel sujet est plus vénéneuse que courageuse ? Pour qu’il comprenne d’où ça lui vient ?
      En tant que bourgeois, peut-être, je préfère convaincre que combattre. Si je ne crois pas au progrès, alors je ne vois d’autre choix que de me barricader et d’acheter un fusil, mais est-ce un avenir viable ?

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      1. Wood

        Et pourquoi n’en changerait-il pas ? Les reconversions professionnelles, ça existe. Il ne serait pas le premier à abandonner la BD pour faire autre chose. Julie Doucet, qu’on honore cette année à Angoulême, en est un exemple. On n’en meurt pas.

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  2. Nora

    Gorce travaille pour l’émission « 28 Minutes » sur ARTE, qu’on peut difficilement classer à droite, et pour « Le Point », qui n’est pas à l’extrême comme « Causeur » ou « VA ».

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Nora : Il s’est fait virer du Monde, et puis peu importe qu’une émission de télé lui laisse une place, je vois passer ses dessins récents, il est de plus en plus réac’, être mis au ban l’a fait passer du côté obscur de la Force (pour reprendre une image que proposait une amie sur ce sujet), et il fait des confs avec les gens de Charlie Hebdo et Elisabeth Lévy (ou personnalités du style) pour dire qu’on ne peut plus rien dire. Et la seule chose qu’on trouve à lui répondre en face, c’est de se taire. C’est le serpent qui se mord la queue.

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      1. Anne-Laure

        Sauf erreur de ma part, il ne s’est pas fait virer du « Monde », c’est lui qui a choisi de démissionner…

        Par ailleurs, « Le Point » n’est certes pas aussi à droite que « Valeurs actuelles », mais c’est un journal qui passe son temps à importer les « paniques morales » réac américaines (houlàlà le « wokisme », houlàlà les trans, articles traduits de « Quillette », etc)

        « être mis au ban l’a fait passer du côté obscur de la Force »
        N’y était-il pas déjà passé depuis un bon moment ?

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        1. Jean-no Auteur de l’article

          @Anne-Laure : il a choisi de démissionner après avoir été désavoué par son journal, c’est la version théorique.
          Je pense aussi que Le Point est assez à droite, de par ses couvertures en tout cas.
          Pour le reste, Gorce ne se retient plus du tout, il n’est plus tenu à rien puisqu’on ne doit rien à ses ennemis ! Mais bien sûr, je ne peux pas dire comment les choses auraient tourné si tout s’était passé différemment.

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  3. Blanche

    Sur ta suggestion, je copie ici la très longue réponse que je t’ai faite sur Mastodon.

    Je fais partie des signataires de la tribune publiée sur Médiapart, et je ne me sens pas « mauvais gagnant », parce qu’on n’a pas gagné.

    
La direction du FIBD a choisi l’annulation pour protéger Vivès et se dédouaner à peu de frais en disant en gros « on était prêts à discuter de la responsabilité de l’artiste, mais ces hystériques ne nous ont pas laissé le choix ». Sauf qu’il n’y a aucune réflexion sur la responsabilité du FIBD.

    Je vais commencer par pointer que je suis d’accord avec plusieurs choses, et que c’est pour ça que j’ai l’espoir qu’on puisse en discuter réellement. Je suis d’accord avec le fait que le saupoudrage de persos appartenant à des minorités dans une œuvre pour se donner bonne conscience de façon superficielle sans changer le reste du modèle médiatique n’est pas un horizon souhaitable. C’est pauvre, et c’est souvent une arme pour faire taire ces minorités. Je suis d’accord aussi avec le fait qu’il faut toujours se méfier des arguments de moralité pour censurer l’art, et en tant que personne queer (et blanche et privilégiée par ailleurs), c’est quelque chose que je n’ai jamais oublié et qui m’a précisément fait réfléchir longuement au « cas Vivès ». L’argument de la loi n’est pas suffisant du tout (et d’ailleurs la tribune évite délibérément cet angle).

    Mais je crois que ce texte pêche par une focalisation sur l’individuel, c’est-à-dire la responsabilité de l’artiste (et son avenir professionnel une fois mis devant ses responsabilités), sans voir tout le reste : Qui a la possibilité de devenir artiste ? Comment l’art est influencé et médiatisé par différentes instances (les maisons d’éd., les médias culturels, les institutions publiques, les festivals…) ? Quel est leur rôle, avec quelles conséquences ?

    Et je crois que c’est particulièrement facile à comprendre au sujet de l’argument pour la légitimité des acteurices à jouer ce qu’iels ne sont pas. Il faut absolument voir le documentaire « Disclosure » sur Netflix qui discute des conséquences réelles et profondes du « droit des personnes cis à jouer des persos trans » à la fois en termes de représentation et d’opportunités de travail quasi-inexistantes pour les acteurices trans aux É-U. Idem sur la question de l’actrice noire « pas assez foncée » pour jouer Nina Simone : l’idée que « ça va trop loin » sous-entend que quand même, un Noir est un Noir, il faut pas chipoter, et ignore complètement la réalité et les conséquences dramatiques du colorisme, qui est entretenu et renforcé à un niveau collectif par la mise en avant systématique d’actrices et de célébrités noires à la peau claire.

    Mais ça n’est pas qu’une question d’image : au cœur du problème, il y a évidemment ce qui est raconté. Et donc la question de la légitimité de tout un chacun à créer des œuvres parlant de ce qu’on est pas. Là aussi, le problème n’est pas à regarder uniquement au niveau individuel, mais plutôt à l’échelle collective. Avec l’argument « rien de ce qui est humain ne m’est étranger », les auteurs blancs privilégiés peuvent continuer à être publiés, c’est super, rien à changer. Sauf qu’il y a des conséquences systémiques sur l’accès à la profession d’auteur, à l’argent et à l’exposition médiatique. Le problème, ce n’est pas qu’individuellement, quelqu’un parle d’un sujet « de l’extérieur », c’est qu’iel prend la place de quelqu’un qui pourrait en parler « de l’intérieur », et qui aurait des choses à exprimer qu’iel serait seul·e à pouvoir exprimer justement sans tomber dans une représentation superficielle à la Benetton. Quand on fait l’effort de lire, d’écouter ou de regarder l’art de personnes appartenant à ces diverses communautés (ou minorités non organisées en communautés, d’ailleurs), on se rend compte qu’iels ont des choses à dire, à nous apprendre sur l’expérience humaine, et qu’on est généralement très loin d’une bienpensance aseptisée. Mais justement, il faut faire l’effort, il faut aller chercher, parce qu’iels sont maintenu·es à l’écart. 
Il y a des limites matérielles et financières à ce qui peut être publié, et quand certaines catégories de la population trustent la profession, c’est précisément là qu’on se retrouve avec des décisions qui soit mettent en avant le même pt de vue oppressif traditionnel (sexiste, raciste, etc.) en se cachant derrière la nécessaire liberté absolue de l’art, soit ne laissent la place qu’à des produits de consommation pseudo-inclusifs tièdes parce qu’iels ne comprennent pas les enjeux.

    Et au-delà du pouvoir de décision des maisons d’éd. ou des financeurs, il y a un « milieu », un système (là aussi) de sociabilités qui continue à exclure, en exigeant par exemple des autrices qu’elles acceptent de bonne grâce de côtoyer des auteurs dont tout le monde sait qu’ils sont des connards dangereux, parce qu’il faudrait voir à pas être trop chiantes non plus. Déjà qu’on les laisse publier leurs histoires de filles, hein. À répéter pour les autres minorités.

    Et là-dedans, le FIBD a un rôle important, à la fois de lieu de sociabilisation des auteurices, et de prescripteur culturel (subventionné par de l’argent public). Un artiste peut se rêver en sale gosse irrévérencieux, en poil-à-gratter de la société bla bla bla, mais le FIBD ne peut pas. Le FIBD, de par sa fonction, présente un art qui se retrouve de fait « art officiel », légitime et institutionnel. Le FIBD a une fonction politique. Et c’est là qu’on ne peut pas ignorer « la morale », dans le sens des valeurs que le FIBD défend activement. Pour moi et les autres signataires de la tribune, le féminisme – c’est-à-dire la lutte pour parvenir à une égalité de fait dans la société – est important. Or Vivès, malgré toutes les qualités narratives et artistiques de ses œuvres, est ouvertement, bruyamment, agressivement anti-féministe.

    Si le FIBD ne lui consacre pas d’expo, il ne le censure en rien. Mais s’il lui consacre une expo, il met de fait en avant un discours conservateur et excluant. Le problème, c’est qu’au moment de faire la programmation, ça ne dérange visiblement pas la direction artistique du FIBD, et que dans le communiqué (non-signé) annonçant l’annulation, à aucun moment la responsabilité morale du FIBD n’est évoquée.

    C’est marrant, parce que l’expression « on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre » appliquée dans ce texte aux mobilisé·es contre l’expo, c’est exactement celle qui m’est venue à l’esprit au sujet de Vivès et d’au moins un des directeurs artistiques du FIBD, qui se pensent comme des critiques d’une bien-pensance hégémonique, alors qu’ils sont au contraire du côté de l’ordre établi, favorisés dans l’accès aux postes et aux prix. Dans ma métaphore, le beurre, c’est l’absence totale de responsabilité parce « l’art, m’voyez », et l’argent du beurre, c’est à la fois l’argent qu’ils touchent et la position d’être en mesure de se faire plaisir à écrire les BD ou monter les expos qu’ils veulent (celles qui célèbrent les femmes en montrant les gros nichons de la crémière, bien sûr). 



    Cette année il y a 3 expos consacrées à des autrices sur 11 expos individuelles (+ 4 expos collectives où on risque de retrouver le même genre de proportion), et il faudrait s’estimer heureux·ses ?! L’expo Vivès, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, mais il reste bien rempli, le vase. Elles restent bien là, les inégalités. Ras-le-bol. On devrait continuer à se contenter de miettes, et dire merci en plus ?

    Si on se rassemble pour signer des tribunes et des pétitions, c’est parce qu’on ne se bat pas contre un auteur, mais contre tout un système discriminatoire. Et on est loin d’avoir gagné.

    
Mais j’accueille volontiers la discussion, puisque j’ai forcément moi aussi des angles aveugles.


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    1. eli

      merci Blanche,
      j’ai suivi tout ça de loin et en lisant cet article j’avais eu envie d’y répondre, alors j’ai écrit de mon coté.
      Tu as dit quasiment tout ce que je voulais dire et mieux, ça fait du bien. 🙂

      Je suis aussi d’accord avec Wood que la pedocriminalité et l’inceste ne sont pas de tabous ou des impensables hideux, ce sont des réalités très fréquentes issues d’une culture que, tout comme la culture du viol, impose le silence aux victimes et évite d’affronter le problème comme un problème politique et systémique.

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  4. Luc

    En fait, votre article, bien écrit et sensé comme souvent, me semble ne pas aller au bout de sa logique, que vous touchez pourtant du doigt : oui, les censeurs et les pétitionnaires dont il est question sont bien des ennemis de la liberté d’expression, et donc de l’art. Inconsciemment sans doute il reprennent à leur compte les discours totalitaristes. Leurs idées de charte ne sont que des cache-nez pour ne pas parler de « ligne du parti ». Mais ça, vous n’irez pas jusqu’à l’écrire, je pense.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @luc je ne l’écris pas parce que je ne le pense pas, du moins pas comme ça. Mais il est clair qu’il y a une logique qui oppose structure et individu, et les deux ont un sens, ce sont bien des structures non pensées, non-formulées (pas besoin des talibans ou les gardiens de la Révolution, dont la violence directe montre qu’ils sont dans la panique) qui ont pendant des siècles brimé les femmes, leur ont interdit d’être, justement, des artistes légitimes, et au fond, des individus !

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  5. Justepassant

    Pour la rédemption je propose des heures de travail associatif dans une association qui recueille la parole de personnes abusées sexuellement.

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  6. Luc

    Oui, mon résumé est un peu simpliste ou caricatural.
    Mais que des auteurs puisse appeler à la violence ou l’intimidation (cf. Ce que dit Emma au Média), ou encore demander à ce que des ouvrages soit censurés hors processus judiciaire, ou encore que des expositions soient annulées avant même que le contenu soit connu, cela devrait a minima rappeler quelques souvenirs. Même quand ça vient de la gauche. Surtout quand ça vient de la gauche.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Luc de fait, beaucoup de personnalités nettement hostiles aux publications de Vivès ont malgré tout tenu à se désolidariser de tout harcèlement envers cet auteur, et à dire que le problème devait être traité au delà d’un cadre personnalisé (c’est clairement dit dans la tribune des 500, mais un peu moins clair dans la pétition à 100 000 contre 1). Mais il est vrai que tout argument lié à la censure et au bien-penser nous ramène à des tas de choses pas drôles, car si la pédophilie est un tabou universel, et plus encore à présent qu’on sait quels traumatismes psychologiques durables en découlent (les gens qui défendent Vivès au nom de l’Art ou de la distinction entre fiction et réel ne le font jamais au nom d’une défense de l’abus sur mineurs et heureusement), on peut s’inquiéter quand la liste des bonnes pensées et de bonnes légitimités s’allonge.
      Dans les années 1966-1970 et quelque, sous Mao, les artistes étaient au service du peuple, le contenu de ce qu’ils produisaient (particulièrement en lianhuanhua, la bande dessinée, et bien sûr l’affiche, deux formes « populaires » et donc respectées, contrairement à l’art bourgeois des Beaux-arts traditionnels) était discuté en comité, soumis à un examen politique, il fallait que l’art pour le peuple soit aussi par le peuple… Curieusement, ça n’a pas interdit de grandes œuvres, comme le travail de He Youzhi, mais heurte notre notion moderne d’artiste, qui par certains côtés est détestable (cf. Contre l’art et les artistes, de Jean Gimpel, qui regrettait l’âge des cathédrales, où chacun se mettait au service d’un projet sans ego, et voyait dans l’art de la Révolution culturelle un modèle peut-être intéressant…

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      1. Wood

        Je ne sais pas pourquoi tellement de gens s’imaginent que la « pédophilie est un tabou universel ». La pédophilie et l’inceste ne sont pas tabous. Ce sont des pratiques courantes (un Français sur 10 en serait victime), et quand elles sont dénoncées, il y a toujours une foule de gens pour venir au secours de l’agresseur et accuser la victime de l’avoir bien cherché, d’avoir aimé ça, de n’avoir pas été vraiment un.e enfant, quel que soit son age. Ce qui est tabou, ce qui est mal vu, c’est de troubler la paix sociale en accusant son agresseur.

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        1. Jean-no Auteur de l’article

          @Wood tu connais beaucoup de gens qui revendiquent une activité ou un penchant de ce genre ? Il me semble que ça révolte tout le monde, peut-être même ceux qui en sont coupables. Ce n’est pas socialement valorisé. Du moins pas dans ce sens-là, car on peut et on doit s’interroger sur l’hypersexualisation des vêtements de petites filles ou sur le glamour de mannequins adolescents, par exemple : les représentations les plus indécentes ne sont pas les plus perfides, pour reprendre une formule d’une amie.

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  7. FranckG

    Superbe article référencé et sourcé. Merci.
    Je note une coquille ici :
    « Binge-drinkerons-nons des « shots » jusqu’au coma au lieu de cultiver notre alcoolisme ».

    > « Non » au lieu de « nous » !?

    Bien cordialement

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  8. Xavier PEDRI

    Je pense surtout aux lecteurs de Petit Paul : si Petit Paul est condamné, que devront-ils faire de leurs BD ? Seront-ils automatiquement considérés comme détenteurs d’images pédopornographiques ? Devront-ils détruire leurs BD pour éviter de se retrouver en prison ? Pourront-ils être poursuivi pour avoir détenu cette BD avant le verdict ? Devenir pédocriminel d’une seconde à l’autre chez soit uniquement du fait d’un jugement rendu par un tribunal faisant force de loi, alors qu’on n’a rien commis de l’une à l’autre… Et une personne qui est à l’hôpital ou en déplacement, en vacances, bref qui n’a pas moyen de rentrer chez elle avant plusieurs jours ou semaines ?… Comment pourra-t-elle faire ?

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Xavier : la loi est claire, si l’album est considéré comme une représentation pédocriminelle et est condamné à ce titre, il sera tout à fait interdit de l’avoir chez soi, car si les peines s’appliquent aux gens qui diffusent ces images, elles sont durcies lorsqu’elles concernent des mineurs de (moins de) quinze ans, ce qui est le cas de « petit Paul » : là, c’est le simple fait de détenir les images qui est pénalisé. Sauf pour la Bibliothèque nationale, j’imagine (mais ça n’est pas précisé).

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  9. Wood

    Vivès n’est pas un « sale môme », pas un « ado attardé », c’est un connard haineux. Ce n’est pas un gamin, c’est un adulte, et il est assez grand pour assumer les conséquences de ses actes au lieu de se dédouaner sur l’air de « c’est la faute aux réseaux sociaux ». Au passage ce qu’il a dit n’était pas seulement « on devrait buter son gosse ». Il a commencer par la traiter « d’abrutie mongolienne qui a un message de 2 ans d’âge mental », puis il a surenchérit en souhaitant « qu’elle soit poignardée par son gosse, qu’il fasse une BD sur comment il l’a poignardée en se faisant enculer à chaque like » C’était en 2017, il avait 33 ans. Il était tout à fait capable de connaître la portée de ses actes. Ou s’il en était incapable, on se demande s’il n’aurait pas besoin que quelqu’un le surveille en permanence pour lui éviter d’autre épisodes du même genre.

    Quand à ses albums, j’aurais pensé que le boulot d’un éditeur c’était aussi parfois de dire « non, ça craint, ton truc, on va quand même pas publier ça », mais apparemment, je me trompais. Je ne sais pas ce qui pousse les Requins Marteaux à penser que c’est une bonne idée de publier 2 albums de rang du même auteur avec des scène pornos mettant en scène des enfants, mais ils pourraient peut-être commencer à se poser quelques questions. Tout le concept de leur collection « BD-cul » c’est « on fait du porno, nan mais en fait, on déconne, c’est de la parodie, sauf que en fait c’est vraiment porno, nan mais c’est de l’humour, ou peut-être pas, ou peut-être que si ?… », et du coup je me demande s’ils savent encore ce qu’ils font. Ca vaut aussi pour Glénat

    A ce sujet, quand tu dis que le scénario de Petit Paul ne correspond à aucun fantasme courant, tu te trompes lourdement. Se percevoir sous les traits d’un enfant est au contraire relativement commun dans chez les pédophiles, et il existe toute une catégorie de manga porno dans cette veine, qu’on appelle « shotacon ». Je te laisse googler.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Wood : Je n’aimais pas les ados quand je l’étais, alors ado attardé à quarante ans, c’est pas vraiment un compliment ou une excuse, pour moi.
      Les posts de Vivès, tout le monde les a vus je pense, je n’ai pas plus que ça envie de leur redonner de l’écho (pas plus qu’aux dessins d’ailleurs), ça court-circuite un peu la réflexion, et je veux bien qu’on se dise qu’il y a un problème, mais pas sous forme de mille-feuille informationnel où on mélange un peu tout : malgré une parole violente, est-ce que quelqu’un pense vraiment qu’il veut que l’enfant de Emma la poignarde etc. ? Ce qui n’empêche pas Vivès de faire preuve d’une vraie violence, qui est peut-être mieux placée dans son Last Man que dans ses posts sur Facebook.
      Sur le fantasme, ok, j’aurais dû parler de projet, ce n’est pas parce qu’une idée est amusante ou excitante qu’on est censé vouloir lui donner une réalité.
      Je n’ai pas lu ni feuilleté Petit Paul mais le synopsis me rappelle une histoire de Max Cabanes, avec un gars qui a un très long nez et qui est poursuivi par toutes les femmes. C’était comique, pourtant il se faisait bel et bien abuser, même enfant il me semble (je ne retrouve pas l’album, c’était dans Contes fripons je crois), mais à moins que je sois vraiment naïf, il me semble qu’à aucun moment le lecteur n’est censé oublier que c’est un conte.

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      1. Jean-no Auteur de l’article

        Et je redis ce que j’ai écrit plus haut, le principe même du métier d’artiste c’est d’être responsable de ce qu’on publie, de l’assumer (au sens du dictionnaire). Et ma foi, quand on veut être transgressif, brutal, grinçant ou que sais-je, il vaut mieux en avoir sous le pied, avoir quelque chose à dire. Pas forcément une leçon à donner, un cours à asséner, comme dans les bandes dessinées d’Emma, mais un truc fort à transmettre : comme pour la police, pour que la violence de l’artiste soit indubitablement légitime, elle doit être proportionnée à ce à quoi elle répond. Jeanine ou Gros dégueulasse de Reiser ont une vraie force, portent même une forme de poésie, et je ne sais même pas dire pourquoi et comment, d’ailleurs, mais je le constate : ce qu’ils racontent a l’air de venir de loin.

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  10. Cecilia

    Mettre face à face la radicalité d’Emma et ses dessins « gnangnan » ou « leçons », c’est quand même dommage. Quand on lit Emma, on ne lit pas de la bd. On lit l’abus, le système, la violence, tout ça raconté à la sauvette, avec une autolegitimation et un esprit punk qui force le respect. Mais je comprends qu’un homme ne puisse pas avoir d’admiration pour ça dans la mesure où les hommes peuvent directement dire qu’ils veulent de la façon dont ils le veulent sans avoir idée que c’est une putain de chance que nous n’avons absolument jamais, surtout pour exprimer la violence masculine de façon aussi précise. C’est pourquoi Emma est un miracle, une anomalie. C’est surprenant et réjouissant que son propos soit passé malgré des salopes dans le genre de Vives. Et tant que le propos est radical, pertinent, futé, efficace, on s’en fout bien de son dessin.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Cecilia : le fait est qu’elle dessine ! Et le dessin porte un second discours, il n’est pas neutre. Et si Emma ne dessinait pas, peut-être que son discours n’aurait pas connu la même diffusion, donc c’est tout sauf anodin. Mais quand elle fait un post pour dézinguer trois consœurs (en se gardant de les nommer) et demander qu’on pousse l’éditeur à « dépublier » le livre et à s’excuser qu’il ait existé, le tout avec des petits cœurs, ben moi je ne vois pas quelque chose de pertinent et futé (efficace, j’admets), je vois du fascisme kikoulol. Fascisme au sens « ce que je n’approuve pas doit être interdit par la mobilisation des indignés du net ». Fascisme au sens où l’émotion brute est légitime et où la prise de distance est suspecte. La dessinatrice de l’album, très heurtée, avait annoncé cesser son activité, et cinq ans plus tard, il semble qu’elle s’y soit tenue. Ça c’est de la violence, lancer une meute à 1000 contre un. Vivès doit être responsable de ce qu’il dessine, ses éditeurs de ce qu’ils publient, le FIBD de ses expositions… et les influenceuses politiques doivent se sentir responsables des campagnes de harcèlement qu’elles lancent, même avec des petits cœurs.

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    2. Jean-no Auteur de l’article

      @Cecilia Je comprends bien sûr qu’on dise « le dessin je m’en fous », « la bande dessinée je m’en fous », mais on peut aussi prendre ce sujet au sérieux, et c’est mon cas. Il m’a fallu pas mal de temps pour accepter qu’on puisse bien utiliser la bande dessinée sans être un génie du dessin (et inversement, d’ailleurs). Comme je l’écris plus haut, je ne pense pas que le succès d’Emma soit dû à son seul sujet, c’est aussi à sa manière d’utiliser le média bande dessinée (et les réseaux sociaux) que quelque chose fonctionne, et avec ma casquette d’observateur de la bande dessinée, eh bien ça m’intéresse. J’avais relayé ses premiers posts, pour ma part. Je l’ai trouvée plus laborieuse sur les sujets non-féministes et je n’ai pas tellement suivi ce qu’elle a fait ensuite.

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  11. Ping : Moraliser les violences sexuelles? – L'image sociale

  12. SebM

    Souhaitant réagir à l’interpellation d’une amie proche au sujet de cette polémique il y a une dizaine de jours, j’ai commencé à mettre à l’écrit quelques réflexions au-delà de ce cas précis. Je n’ai finalement pas envoyé ce texte à cette amie, je le partage ici :

    « Le débat à propos de l’influence des œuvres de fiction sur les comportements existe de longue date. Mais pendant très longtemps, la position consistant à dénoncer une influence directe des représentations sur les comportements était tenue par la droite, avec des entrepreneurs de morale qui montaient au créneau régulièrement pour dénoncer telle ou telle œuvre qui par son contenu violent ou à dimension sexuelle était accusée d’inciter à la violence ou à la déviance. C’est ce qui a débouché sur toute une série de lois au fur et à mesure du temps, comme aux USA le code Hays sur les comics ou les étiquettes « Parental advisory : explicit lyrics » sur les albums, ou les interdictions à tel ou tel âge pour les films dans beaucoup de pays. Face à ça, la gauche campait généralement sur la défense de la liberté d’expression, et avançait régulièrement des études, comme sur les jeux vidéos, censées montrer l’absence d’une telle corrélation entre représentations violentes ou sexuelles et comportements réels. Cette vision de la gauche était sans doute simpliste, et la perception positive d’une forme d’amoralité revendiquée artistiquement (surtout après mai 68, « il est interdit d’interdire ») a certainement beaucoup joué dans la tolérance complice vis-à-vis d’auteurs comme Matzneff, Polanski ou David Hamilton. Jusqu’à récemment, dénoncer une œuvre ou un auteur aux représentations ambiguës, qui contredisaient certains principes moraux, vous cataloguait donc immédiatement à droite, voire à l’extrême-droite. Et la dénonciation des actes même de ces auteurs, qui bénéficiaient de l’aura de subversion de leurs œuvres, vous classait tout autant à droite – la dénonciation des « élites pédophiles » étant un discours récurrent à l’extrême-droite.

    En quelques années, par le biais entre autre d’une nouvelle vague féministe et de ses spécificités, cette polarisation est en train d’être complètement inversée, et des prises de position qui seraient apparues auparavant « de droite » cataloguent celui qui les tient désormais « à gauche », et vice-versa. Défendre l’idée que l’art n’a pas à être moral, que les représentations ne conditionnent pas directement les actes, que la liberté d’expression est un principe fondamental : voilà quelques prises de position qui seraient apparues sans conteste comme de gauche il y a quelques années, et qui sont désormais perçues par beaucoup comme de droite. On peut voir par exemple circuler de nombreux mèmes faits par des jeunes gens de gauche qui assimilent la défense de liberté d’expression à l’acceptation des oppressions.

    Dans le chapitre sur le champ politique de Microcosmes, Bourdieu explique que l’on échouera toujours à donner un contenu absolu, intemporel et universel, aux catégories « gauche » et « droite », parce que ce contenu est foncièrement relatif et relationnel, le signe le plus évident de ce fait étant qu’il peut y avoir des inversions de polarité gauche/droite entre certaines catégories de pensée au cours du temps. Il prend l’exemple de l’opposition nature/technologie : à la fin du XIXe et au début du XXe, la gauche était du côté du progrès technique, qui allait de pair dans les esprits avec le progrès social, et la droite vantait en opposition la nature, le naturel, la terre, vues comme forces de conservation ; avec les préoccupations écologiques nées quelques temps après la guerre, la gauche s’est mise à vanter la nature et à disqualifier la technique, et la droite à faire l’inverse. Bien sûr, cette inversion de polarité ne s’est pas faite sans transformation des contenus, redéfinis dans leurs principes et leurs enjeux de part et d’autre ; mais on peut retrouver des similarités entre le discours sur la nature tenu à droite autrefois et par la gauche aujourd’hui, et le discours sur le progrès technique tenu à gauche autrefois et à droite aujourd’hui.

    Pour moi il est évident qu’on est dans un processus de même type où un certain nombre de catégories s’inversent tout en étant redéfinies de part et d’autre (notamment dans le contenu de ce qui est considéré ou pas comme moral en terme de sexualité). Le changement de perspective étant facilité par le fait que ce sont les plus jeunes qui en sont le moteur : n’ayant pas ou peu intégré sur le long terme les catégories de perception gauche/droite des générations précédentes, ils n’ont pas à les bouleverser dans leur propre perception, et la nouvelle polarité peut donc apparaître comme naturelle et évidente. Et cela est renforcé par le fait que les précédentes catégories apparaissent justement comme anciennes, datées, donc « de droite », et portées par des gens qui ont vieilli, donc « de droite » (ce qui est souvent vrai, le glissement vers la droite au cours de la vie étant une observation sociologique constante et régulière).

    Ce qui est malheureux là-dedans, c’est la conservation de la polarisation absolue qui empêche un débat articulé capable de prendre en compte simultanément des enjeux différents et tout aussi importants, de tenir compte des contradictions qu’ils font naître, afin d’y apporter des réponses sans points aveugles. La prise en compte d’un nouvel enjeu auparavant ignoré ne devrait pas conduire à balayer les enjeux considérés auparavant comme fondamentaux. Cette polarisation empêchait autrefois de dénoncer des auteurs coupables de crimes sexuels, mais perçus comme subversifs, donc de gauche, elle empêche aujourd’hui par exemple de dissocier représentation et apologie – point de vue défendu de longue date à gauche et désormais renvoyé à droite. »

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  13. Ping : Bastien Vivès: la morale de la polémique – L'image sociale

  14. Johnny

    Je vois pas mal passer (l’édito de Riss par exemple), ce rappel d’une censure historiquement de droite, mais ça n’est pas tout à fait vrai. La loi de 1948 sur les publications destinées à la jeunesse correspond au septennat Auriol, et les communistes étaient bien représentés dans la commission (j’ai eu la chance d’interviewer JP Dionnet qui mettait plus ou moins sur le même plan gaullistes et communistes parmi les adversaires de Métal). Par ailleurs une certaine gauche a souvent soutenu une approche jdanoviste light et édifiante de l’art qu’on peut retrouver dans certains écrits du cinéaste membre du PC JP Le Chanois, ou dans les BD à message de Pif Gadget (c’est pas forcément un reproche : j’ai un bon souvenir du message rationaliste de Rahan, qui a certainement contribué positivement à ma formation intellectuelle). Mais c’est vrai qu’on doit aussi s’interroger sur cette affaire (et c’est comme ça que j’interprète ce rappel historique de la censure de droite) quant aux armes et légitimités qu’on risque de donner à Civitas la prochaine fois qu’ils voudront faire interdire un événement culturel, ou à Marine Le Pen quand elle sera présidente en 2027.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @johnny : c’est une association entre communistes et catholiques juste après guerre qui a décidé des questions de numéro paritaire, censure déguisée pour la presse de bande dessinée jeunesse qui imposait assez précisément des contenus (par ex. les journaux Lug étaient contraints à publier, entre deux récits Marvel, des pavés « éducatifs » plus ou moins indigents). Et c’est toujours en vigueur.
      Quelqu’un comme Georges Sadoul, grand spécialiste du cinéma, surréaliste, rédacteur en chef de Mon camarade (la presse communiste jeunesse d’avant guerre), a écrit une brochure pour demander la censure en France des publications de Cino del Duca (L’Aventureux, Tarzan,…), qu’il accusait d’être fasciste, puisque italien (la guerre mettra Sadoul et Del Duca d’accord, les deux ayant été résistants).
      Bref il existe une censure de gauche. Et il existe une censure bien intentionnée. Civitas pense être du bon côté, les mollahs iraniens pensent être du bon côté, les pasteurs évangéliques zinzins de tel ou tel county du Minnesota pensent être du bon côté. Mais il faut bien peser les questions de censure, car comme tu l’écris, la roue tourne, et si on trouve légitime de censurer quelqu’un pour des questions d’opinion lorsqu’on a le pouvoir de le faire, il faut s’attendre à ce que des ennemis idéologiques jugent tout aussi légitime de le faire quand leur tour d’être les plus forts arrive.

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      1. Johnny

        Ou Sartre qui relayait Wertham en France (qu’il avait connu via Richard Wright, on n’est pas vraiment chez la réaction) car il voyait en Superman et Captain des fantasmes totalitaires, sans visiblement connaître le pédigrée de leurs auteurs (enfin j’espère, car sinon c’est vraiment indigne).

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  15. Audy

    Il n’y a pas que Rochette qui a pris partie pour Vivès, Colonnier aussi a pris clairement le partie de Vivès sur Actuabd, il a lui-même subit les censures des éditeurs et un appel contre lui par les mouvements d’extrême-droite (Civitas) quand sa BD sur Hergé et Tachang est sorti il y a 10 ans, on l’a aussi traité de réac de défendre Vivès.

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  16. Relay

    TRIBUNE LIBRE À YVES FRÉMION : Dans la foulée de l’affaire Bastien Vivès, 500 dessinateurs-trices exigent l’interdiction des BD de Walt Disney !
    parue sur ActuaBD, 13/1/2023

    L’affaire Bastien Vivès a réveillé de vieux démons. Il s’est trouvé plus de 500 femmes et hommes, se revendiquant pour la plupart créatrices et créateurs de BD, pour exiger l’annulation d’une exposition sans que personne ne l’ait vue, par un manifeste confus où se mêlaient arguments critiques recevables, indignation féministe contre des propos anciens, revanches personnelles, jalousie d’artistes ignorés – et surtout délire parano-puritain.
    Dans ce méli-mélo, des créateurs s’engagent POUR la censure, ce qu’on n’avait plus vu en Occident depuis l’hystérie du psychiatre fou Fréderic Wertham et le Comics code de 1954. En effet, dans leur texte, ces imagicides(1) dérapent en demandant au festival d’Angoulême de rédiger et d’appliquer une charte d’engagement, « afin que les futures sélections et programmations du festival soient réalisées dans le respect du droit des personnes minorisées ainsi que dans l’égalité de leurs représentations. » En un mot, un nouveau « Comics code », comme celui dont les dégâts sur la BD US durant 40 ans ont été dévastateurs, et malgré son abolition pèsent encore sur la création outre-Atlantique.
    Sous prétexte de défendre des minorités opprimées qui ne leur ont rien demandé ou le combat féministe qui méritait mieux, les signataires expriment leur alignement sur les plus bruyants puritains étatsuniens que quatre ans de trumpisme ont sorti de leur marginalisation.
    Rappelons ici que malgré son insolence et son sens de la provocation (qu’on a évidemment le droit de ne pas apprécier et de lui retourner de façon identique), Bastien Vivès n’a dans l’état de nos informations commis aucun délit, n’a brutalisé personne, n’a violé aucune femme, ni sodomisé aucun enfant, ni même incité qui que ce soit à le faire, il a juste dessiné des histoires dont les fantasmes sont pour tout dire assez banals. Que diraient nos Talibans de la BD si leurs propres fantasmes étaient exhibés devant tout le monde ? Qui serait alors le plus monstrueux ? Au moins, Vivès se met à nu dans ses albums, ce qui depuis Jean-Jacques Rousseau constitue une part importante de la création littéraire et artistique. La BD autobiographique est même devenue un genre qui a donné aussi bien Fabrice Neaud que la vague Girly.
    Au-delà, dans tout puritanisme suinte la phobie non seulement du sexe mais celle du corps lui-même, qui hante depuis des centaines d’années tous les censeurs de l’univers: « Il faut détourner l’esprit des images corporelles » paniquait déjà au IVe ou Ve siècle un certain Augustin dont l’Église a fait un « saint ». C’est bien ce dont il s’agit ici, dans cette vision asexuée de l’enfance qui ravirait les militants de la Manif pour tous, et cette terreur de sexes trop visibles à leurs yeux effarés.
    Les signataires voudraient dicter désormais aux artistes le contenu de leurs œuvres, les contraindre à dessiner, imaginer, penser, selon des normes définies par 500 personnes qui s’autoproclament défenseurs de victimes… de papier. Eh oh, Staline est mort, il y a 70 ans ! Les artistes officiels, ça n’existe encore que dans les plus dures dictatures.
    Paniqués par de simples images, on rêve ! Cette kouachisation des esprits a tellement envahi la population depuis janvier 2015, que même ceux qui vont en être victimes s’en font désormais les défenseurs. Nous sommes là en plein « syndrome de Stockholm » où les (futures) victimes réclament leur flagellation.
    Parce qu’il se pourrait bien qu’avec le durcissement idéologique qui saisit le monde, nos gentils signataires soient à leur tour, plus vite qu’ils ne l’imaginent, victimes d’une censure, d’une contrainte indésirable, d’une violence intellectuelle comme celle qu’ils prônent ici. Qui aura envie de les défendre alors ?
    Toute cette tragédie ‒ car c’en est une, moins pour Vivès que son talent sauve, que pour le mental de 500 personnes emportées par leur manque de réflexion ‒ sombre dans le ridicule et restera dans l’histoire de la culture comme les honteux précédents de Dame Anastasie. Leur pseudo-analyse des albums de Vivès est toute aussi fantasmée que leur contenu.
    Alors amusons-nous quelques minutes: imaginons un instant l’application stricte de leur projet de « charte ». Dénonçons alors l‘ignoble œuvre de ce Yankee nommé Walt Disney. Depuis les années 1940, il inonde les revues pour la jeunesse du monde entier avec ses histoires de Donald. Qu’y voit-on ? Un humain animalisé en canard, vêtu humainement, mais dont tout le bas du corps est à poil, bien qu’à plumes, exposé au regard de nos innocents bambins, le cul en l’air, ainsi qu’une humaine animalisée en cane et dévêtue de semble façon. Pire: il y aussi dans ces histoires les trois jeunes neveux de Donald, des enfants animalisés, eux aussi le cul nu; ils vaquent à longueur d’épisodes devant le héros qui n’est, tenez-vous bien, même pas leur père mais un oncle, espèce parentale qu’on sait fortement encline à la pédophilie familiale. Or, les personnages de Disney ne sont pas plus caricaturaux que ceux de Bastien Vivès. Ils sont eux aussi une incitation à la pédopornographie sur ces enfants et à un viol sur cette femme ainsi exposée au rut du héros ‒ dont elle porte de surcroît le même patronyme (Duck), ce qui pourrait ajouter l’inceste à l’abomination.
    Les publications Disney doivent d’urgence être bannies des kiosques, des festivals, des écoles et des bibliothèques. Démolissons les statues de Disney à Anaheim et à Disneyland ! Brûlons les kiosques à journaux qui diffusent le Journal de Mickey et Picsou magazine ! À l’exemple du célèbre peintre Il Braghettone qui rhabilla les personnages du pornographe Michelangelo, re-gouachons ces personnages dans les albums déjà parus !
    Et pour conclure, pour que ceux qui n’ont pas compris qu’ »on ne combat pas les images avec des non-images »(2) et qu’ils sachent ce que ça fait d’être ostracisés, prenons une mesure simple: cessons immédiatement et définitivement à la fois de les lire et d’acheter leurs albums. Je le fais dès maintenant et garde la liste de ces justiciers et justicières sur moi.

    Yves FRÉMION

    1. Terme figurant dans Images interdites, tome 1 de Bernard Joubert et Yves Frémion (Alternatives, 1989).
    2. Christian Bruel, éditeur pour la jeunesse, Contact, 1989.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      Je ne comprends pas complètement le parallèle avec Disney : si on y voyait Donald faire des trucs pas nets à ses neveux, je doute que ça serait publié autrement que (ça a déjà existé du reste) sous forme de fanzines underground.
      Je ne sais pas non plus si le lien avec la mise-à-nu rousseauiste a quoi que ce soit de pertinent, puisque Vivès revendique non pas l’autobiographie mais le fantasme et la provoc’. Cette référence à l’autobiographie « honnête » me semble un contresens.
      Enfin, Fredrick Wertham a été bien plus intéressant que la réduction qui a été faite de ses écrits, car il ne se trompait pas sur tout, le problème est plus la manière dont il a été utilisé pour justifier censure et auto-censure.

      Je retiens en revanche cette phrase, qui me semble d’une absolue pertinence : « Parce qu’il se pourrait bien qu’avec le durcissement idéologique qui saisit le monde, nos gentils signataires soient à leur tour, plus vite qu’ils ne l’imaginent, victimes d’une censure, d’une contrainte indésirable, d’une violence intellectuelle comme celle qu’ils prônent ici. »

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      1. Rubens

        Jean-No, j’ai envisagé à plusieurs reprises de répondre à ton texte initial, faute de temps je ne suis pas intervenu. Mais je pourrais difficilement être plus d’accord avec le post de Relay, qui synthétise tout ce que j’aurais à dire sur le sujet. Certes, les comparaisons pourraient être mieux choisies, mais le fond demeure, intact, herculéen et particulièrement pertinent.

        Les censeurs de la pensée n’ont, de toute façon, nul besoin de procéder à une analyse biaisée de l’œuvre de Bastien Vivès. Je constate que Roman Polanski n’a pas été mieux traité que Vivès, et dans le cas de Polanski ce sont ses agissements – bien réels – qui étaient en cause, mais pas son œuvre. Je n’ai pas vu tous les films de Polanski, mais à ma connaissance aucun n’aborde le thème des violences sexuelles sous un angle complaisant envers les bourreaux. Bastien Vivès pourrait bien dessiner des cœurs et des arbres , ça ne changerait rien.

        J’ai une solution, que j’ose à peine écrire en ces temps où il importe tant de débusquer le mal là où il s’exhibe et – surtout – là où il se cache : on a le droit de ne pas aimer Bastien Vivès, de lui prêter (sans doute à raison) une mentalité d’ado attardé, de ne pas aimer son dessin, de trouver louche la récurrence (réelle et supposée) de ses références à l’inceste et à la pédophilie. Et, si l’on coche une de ses cases, il suffit de ne pas acheter ses œuvres et de ne pas se rendre à ses expositions. Tout comme nous avons la liberté de ne pas aller voir le prochain Polanski. Mais il n’appartient à aucun d’entre nous de décider à la place des autres de qui a voix au chapitre dans l’espace public.

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        1. Jean-no Auteur de l’article

          @Rubens : le post de Relay est en fait un post d’Yves Frémion — grand connaisseur des images (Papiers Nickelés, notamment), ancien pilier de Fluide Glacial, pataphysicien, auteur de science-fiction et même un temps député Vert ! Il est d’une génération très sensible à la question du musellement de la liberté d’expression, préoccupation qui se perd un peu !

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          1. Rubens

            @Jean-No ; j’avais bien compris. J’ignorais par contre que Frémion était un ancien député Vert. Je le sens mûr pour aller dire deux ou trois choses à Sandrine Rousseau…

            Trop de choses à dire… pas le temps, pas le temps.

          2. Jean-no Auteur de l’article

            Il a été député européen, membre du conseil régional d’Île-de-France, chez Les Verts puis EELV… Mais apparemment il est dans un autre parti à présent, Régions et peuples solidaires, un groupe anarcho-écolo, enfin autonomiste, pacifiste, antiraciste, europophile et partisan d’une France organisée de manière plus fédérale. Si j’ai tout compris. Fondé par Max Simeoni. Renaud-le-chanteur en fait partie.

  17. Chantal Montellier

    L’ affaire Vivès, une crise de croissance du milieu de la BD? Paraphrasant le philosophe Alain Badiou je poserai cette simple question: -de quoi les obscènes fantasmes graphiques de Bastien Vives sont-ils.le nom? Et qu’en est il dans tout cela,de la « DÉCENCE COMMUNE » si chère à Orwell et Michèa? Mais la décence n’est pas très commerciale, et ne rapporte guère, n’est ce pas chers éditeurs? Ñ’est ce pas les Requins ( pas si marteaux que ça côté bizness)… Pauvre Bastien V. qui n’a rien vu venir, tout à ses délires « trangressifs » et ejaculatoires… Et sinon, autre question, le milieu de la bande dessinée vit-il enfin, avec cette lamentable « affaire Vivès », sa crise de puberté (tardive), et son problématique passage à l’âge adulte? (Mieux vaut tard que jamais). Autre question: la responsabilité de l’Artiste a t-elle une valeur égale à sa liberte?.. Seuls les enfants et les idiots pensent être libres de tout faire et tout dire, il me semble… Les sphincters du surmoi de l’AAArtiste, à moins d’etre en capilotade, doivent lui permettre de se retenir, et d’éviter les incontinences des pré-puberes… Sur un autre thème: Le journal féminin « Ah!Nana », tombé sous les coups de la censure, (à la demande de l’épouse du dessinateur de l’Humanite, Jean Effel dit-on), peut-il espérer renaître de ses cendres un de ces jours? Cela sans craindre d’être frapper encore, dans l’indifference générale? Et les dessinatrices dites engagées dans mon genre, peuvent-elles espérer éviter le Black listage, pour cause de solidarité trop voyante avec ce qu’il reste de classe ouvrière?… Je n’attends aucune réponse et surtout pas d’Yves Fremion, obsédé semble t-il par le croupion des canards… écologie oblige. Mieux vaut en rire, n’est-ce pas? Quand au pauvre Bastien, qui vu sous un certain angle fait figure de victime sacrificielle et de chevreau émissaire, je lui souhaite de se remettre de ce lynchage, et de méditer cette phrase passée à la postérité d’un célèbre philosophe allemand, dont je n’ai jamais su orthographier le nom, contrairement à celui de Marx: » Ce qui ne nous tue pas nous fait grandir. » Mais nous laisse rarement indemne. Rares, en effet, sont ceux qui après avoir été mis au bûcher, renaissent de leurs cendres, mais c’est cette épreuve qui nous apprend, si l’on est un phoenix, ou pas.

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