Chouiner l’anticapitalisme

Je viens de lire Pleurnicher le vivant, un texte enlevé de Frédéric Lordon, dans le Monde Diplomatique, où l’auteur s’en prend, à coup de punchlines défoulatoires, à une série de douze articles que Le Monde a consacré à des « penseurs du vivant », qui si je comprends le résumé qu’en fait Lordon (je ne peux pas lire les articles qu’il fustige), désigne des gens plus ou moins soumis à l’influence de Bruno Latour et qui prêtent un point de vue aux arbres, aux Icebergs ou aux oiseaux, dans le but abominable de ne jamais dire que le Capitalisme était la cause de tous les malheurs1. Ainsi, les philosophes, les artistes, les écrivains, les zoologues ou les océanologues qui s’intéressent à la biodiversité, aux interactions du vivant et à l’harmonie de la nature, ne seraient que les benêts représentants d’une lucrative tendance éditoriale, les meilleurs alliés d’une dépolitisation de l’écologie, les tenants d’une radicalité feinte qui fait le jeu d’un greenwashing philosophique, artistique et littéraire parfaitement compatible avec l’ultra-libéralisme, lequel est justement la cause de tous les malheurs des lichens, des ours et des manchots-empereurs. Même s’il concède au passage que « être ornithologue et prendre fait et cause pour les oiseaux depuis sa position disciplinaire d’ornithologue est une chose très belle en soi, et surtout très incontestable », l’auteur cache mal son agacement, et va jusqu’à comparer des travaux scientifiques à un article du site parodique Le Gorafi qui prête la parole aux cafards. Peut-être m’abusè-je, mais cette lecture me donne la sensation diffuse que Frédéric Lordon reproche l’échec de Nuit debout à la trop grande importance qu’on y a donné aux thèmes écologistes (bienveillance, résilience,…), au détriment des oppositions politiques classiques du XIXe siècle, apparemment indémodables. Au passage, je reprocherais à l’auteur du texte de traiter par dessous la jambe une multitude d’auteurs sans doute bien différents les uns des autres, qui n’ont pour la plupart pas l’honneur d’être nommés2 et qui ne semblent former un ensemble qu’en tant qu’ils sont par lui honnis.

Danse des Otahïtiennes en présence du roi, détail du papier peint Les Sauvages de la mer du Pacifique, par Jean-Gabriel Charvet (1804), œuvre emblématique de son temps, qui célèbre de manière littérale et naïve l’«État de nature» cher à Rousseau ( « un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être point existé, qui probablement n’existera jamais » ), en même temps que la prédation du Pacifique par les explorateurs européens.

Passé une certaine irritation face à cette forme whataboutisme3, face à cette critique plutôt banale de la radicalité inoffensive (on est toujours le révolutionnaire de salon de quelqu’un d’autre !), et en mettant de côté quelques rapprochements assez incongrus (Elon Musk, Jeff Bezos, le blockchain et le solutionnisme technologique), on peut tenter de prendre au sérieux le texte et se poser cette question : est-ce qu’une sympathie avec le vivant, une empathie avec les animaux, est une manière de vider les grandes questions de leur charge politique4, et au fond, de préférer la nature aux sociétés humaines ?
Je venais à peine de lire la charge de Lordon quand je suis tombé sur une information : dans tous les pays développés, mais aussi en Chine, les jeunes ont de plus en plus tendance à préférer l’idée d’adopter un animal à celui de fonder une famille et de faire des enfants. Ça ne dérange pas le capitalisme, et la banque Goldman Sachs conseille à ses clients d’investir massivement dans le marché des animaux de compagnie. Voilà qui en dit sans doute long sur la manière dont ceux qui habiteront l’avenir l’envisagent en ce moment.
J’ai pensé aussi au roman Do Androids Dream of Electric Sheep?, par Philip K. Dick, où les question de l’empathie, des animaux et de la place de la nature, dans un monde ultra-urbain, écologiquement ravagé, ultra-capitaliste et totalement dépolitisé sont centrales5.
J’ai même pensé à Brigitte Bardot, qui semble n’être plus animée que par le célèbre adage « mieux je connais les hommes, plus j’aime les bêtes ».

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Bambi est de retour, et il n’est pas content !
(La bête du Gévaudan. Estampe allemande de 1764)

Il y a peut-être une question intéressante, derrière le texte de Frédéric Lordon, donc. Peut-être une opposition qui a un sens. Après tout il existe plusieurs écologies politiques parfois opposées : celle qui est motivée par la connaissance des données scientifiques, contre celle qui est motivée par une détestation de la science. Celle qui se complaît dans une forme de spleen collapsologique apocalyptique6. Celle qui croit que le salut viendra de l’ingéniosité technique et de la maîtrise scientifique. Celle qui est motivée par l’envie d’un futur meilleur, et celle qui croit que les réponses se trouvent dans une Arcadie perdue. Celle qui croit aux petits gestes et celle qui ne croit qu’au pouvoir des grands mots. Celle qui croit que le monde doit être aménagé pour nous et celle qui dit que c’est à nous de nous adapter au monde. Celle qui croit que l’Humain et le monde sont dans une Histoire et peuvent co-évoluer, face à celle pour qui l’Humain ne peut vivre en harmonie avec la nature qu’au sein de structures sociales (et notamment sexuelles) traditionalistes et rigides7. Ou encore celle pour qui nous sommes un intrus malfaisant, un bug dans le système du vivant qui, en notre absence, serait parfait8.
Et peut-être que chacun de nous est empreint non d’une seule de ces approches, de ces humeurs, mais de plusieurs à la fois, dans des proportions variables et à des niveaux différents : émotif, affectif, cognitif, cartésien…

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Il y a deux ans (et deux jours !), je me rendais au Havre pour rencontrer mes étudiants. À Rouen, le train est passé sous un nuage vraiment anormal, ne serait-ce que par son format : sans doute des kilomètres de long. Je l’ai aussitôt pris en photo. Les gens qui sont montés dans la voiture toussaient, l’odeur était âcre.

Je pourrais conclure en distribuant des bons points, en disant ce qui est bien et ce qui ne l’est pas, pour que ceux qui sont d’accord avec moi se disent que j’ai bien raison, et que les autres se disent que je suis un âne. Mais je préfère que nous nous posions, chacun à nous-mêmes, des questions, même si c’est bien sûr moins rassurant et confortable que d’avoir des certitudes et des réponses.

Je suis malgré tout certain d’une chose : l’état de notre planète n’est pas un petit sujet et, si nous étions un tant soit peu rationnels, ou un rien plus courageux, ce serait le plus grand sujet de l’élection qui se prépare. Sinon on peut parler de Zemmour.

  1. Personnellement, je comprends bien qu’on reproche le désastre écologique au capitalisme, qui repose sur la prédation, la conquête, le productivisme, tout cela dans une forme de fuite en avant, mais il me semble que les mêmes errements aient pu être observés dans des discours ou des réalités politiques qui se disaient anti-capitalistes… []
  2. Vinciane Despret, à qui il était difficile de ne pas penser, est absente du texte, mais pas le titre de son livre Habiter en oiseau. []
  3. Whataboutisme : on reproche à celui qui parle d’une chose de ne pas parler d’une autre dont on a décidé qu’elle était le vrai sujet… []
  4. La politique, c’est la vie de la cité, comme chacun sait. []
  5. Ces thèmes existent en sourdine dans le film Blade Runner, par Ridley Scott, mais me semblent plus présents (il faut que je le revoie) dans le récent Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve. Au passage, pour rester dans la dialectique marxiste, les « réplicants », qui sont pourchassés par le personnage principal, sont de beaux prototypes de prolétaires. []
  6. le monologue du professer Falken dans WarGames,… []
  7. Ravage de Barjavel, Lanza del Vasto, l’Anthroposophie,… []
  8. Avatar, Princesse Mononoke,… []

12 réflexions sur « Chouiner l’anticapitalisme »

  1. Jean-no Auteur de l’article

    Un ami me disait sur Facebook :

    Mmmmmh… Le drame écologique est tout de même le résultat d’une surexploitation des ressources, et cette dernière est une résultante du capitalisme. Après, à chacun son travail, l’ornithologue parle d’oiseaux, le biologiste des coraux et l’économiste atterré du capitalisme. Cependant, dans la mesure ou la catastrophe est d’origine anthropique et que le marché creuse dangereusement dans la pomme déjà exsangue, le texte de Lordon n’est pas complètement déconnant.

    Ce que je comprends bien, et qui m’a été l’occasion d’en rajouter un peu :

    La surexploitation des ressources existe dans d’autres systèmes que le système capitaliste, mais oui bien sûr, la cause est l’exploitation. La particularité du capitalisme, et je pense que c’est de ça que Lordon parle, c’est qu’il a toujours un truc à vendre, y compris des solutions (prétendues) aux drames dont il est lui-même le cause. Mais les gens à qui Lordon s’en prend, pour ceux dont je connais les idées, ne disent pas grand chose d’autre !
    Très curieusement, Lordon rate quelques perches : il parle d’Actes Sud et rappelle que sa directrictice Françoise Nyssen a été ministre de Macron mais pas qu’elle est liée à l’Anthroposophie — qui n’est pas pour rien dans un certain esprit anti-science chez les écolos. Il parle des gens qui veulent se mettre à la place des animaux, mais ne dit pas que c’est largement répandu dans un public qui va bien au delà des écrivains et philosophes : c’était l’objet d’une série d’été dans le Canard enchaîné, Michel Pastoureau a fait des best-sellers là dessus (dans une approche certes extérieure),… Il aurait pu parler aussi de l’étonnante montée du végétarisme, du véganisme, du souci du bien-être animal, qui montrent une forte envie de changer de rapport à la nature.
    Au fond, je lui reprocherais de traiter avec légèreté ce qui est sans doute effectivement un mouvement de fond (plus qu’une vogue éditoriale marketée), et sans doute parce que son explication du monde est dans le rétroviseur. Mais comme tous les gens nostalgiques d’un certain passé, il est attentif à ce qu’on perd (ici : l’engagement politique ?), et ce n’est pas inutile qu’il soit là pour en parler et pour le voir, bien sûr.
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  2. Enzo33

    Salut Jean-No,

    Le problème ici est, d’une part que tu t’en prends à l’une des mes icônes intellectuelles, et d’autre part que ce texte de Lordon, que j’ai lu aussi, s’insère dans un contexte épistolaire qui est celui de son blog, et qui ne s’arrête donc pas à ce billet.

    Sur le premier point, je connais ta capacité d’écoute et de modération en cas de désaccord, je vais tenter de mettre mes pas dans les tiens.

    Sur le deuxième point, je te résume en quelques phrases la pensée de Lordon, à la lumière de laquelle il écrit ce billet :

    1. Le capitalisme sous sa forme actuelle est une construction humaine, dont la visée (l’enrichissement indéfini de quelques-uns à court terme) conduit, lentement mais sûrement, à une catastrophe sociale et écologique pour tout le monde. Et comme toute construction humaine, elle peut être détruite et remplacée par une autre construction humaine.

    2. Le capitalisme dispose pour cela d’un terrain de jeu que les politiques de tous bords, depuis une quarantaine d’années, lui ont aménagé. A commencer par la construction européenne sous sa forme actuelle.

    3. Le capitalisme dispose des moyens de ses ambitions, et n’oublie pas d’englober dans sa logique le contrôle de l’ensemble des médias mainstream, qui sont un vecteur essentiel de cette domination car ce sont eux qui la rendent acceptable. Par exemple, je note les efforts tout particuliers que les médias ont déployés lors de la crise sanitaire pour faire de cette pandémie un choc « exogène », dont les causes seraient donc totalement extérieures à la logique du capitalisme.

    4. Lordon se dresse contre cette logique. Il l’explicite dans une formule que je restitue approximativement (mais elle est dans son blog) : « Tant que nous courrons derrière l’IPhone 15, la 7G et la voiture Google, nous aurons en suivant les canicules, les pestes et la montée des eaux ».

    5. Dans l’hypothèse où un gouvernement (de gauche, le camp de Lordon) entendrait défaire l’ensemble des dispositifs légaux nationaux et internationaux qui rendent possible la logique du capitalisme, ce dernier, attaqué dans sa logique même, ne manquera pas de riposter. Il reviendra alors au gouvernement en question d’accepter de rentrer dans un rapport de forces. De ce point de vue-là, l’expérience du gouvernement Tsipras en Grèce en 2015, dont Lordon parle longuement dans son blog, est un exemple à méditer pour la gauche française.

    6. Dans ce contexte, les « penseurs du vivant », pour intéressantes que soient leurs réflexions, n’esquissent aucune solution REELLE au problème le plus immédiat et le plus important, à savoir s’engager dans ce rapport de forces. Si c’était le cas, Le Monde ne leur aurait jamais ouvert ses colonnes. Et en effet, je crois que l’urgence n’est pas de savoir si le vivant est capable de penser, mais de cesser de détruire le vivant.

    7. Lordon esquisse enfin ce que pourrait être un « communisme désirable », dans une série d’articles qu’il a commencée lors du premier confinement, et qu’il a prolongée je crois dans un bouquin qu’il a publié ce printemps. L’auteur lui-même est conscient que le terme de communisme est un repoussoir qui a facilité le travail des journalistes, tous en chœur ayant brocardé un ouvrage archaïque sans avoir à en lire la moindre ligne. Mais Lordon expliquait récemment, dans une conférence, qu’il était prêt à troquer le mot « communisme » contre un autre plus présentable, mais qu’il n’en avait pas trouvé. Pour le reste, les réflexions de Lordon dans cette série de billets, notamment sur l’exercice de la démocratie à l’échelon local, me semblent tout à fait passionnantes.

    Sur le point 6, je ne suis pas certain de rejoindre complètement Lordon, du moins dans sa formulation : j’aurais tendance à les considérer comme inutiles mais inoffensifs, quand Lordon les considère comme un écran de fumée dissipant la réflexion sur ce que notre époque appelle réellement, et donc comme nuisibles.

    Je n’ai pas accroché particulièrement à ce billet de Lordon, en fait, parce que je trouve que son sujet est anecdotique, et qu’il ne traduit pas la qualité intellectuelle de son blog. Mais si tu as d’autres références à me faire lire sur la pensée politique, je suis preneur. Je cherche des gens qui réfléchissent à un renversement du monde actuel par un processus démocratique, qui sont conscients que les tenants du monde actuel ne manqueront pas de se défendre et qui le prennent en compte dans leur réflexion, et qui proposent un autre modèle basé sur l’Humain tel qu’il est, et non tel qu’on voudrait qu’il soit (comme un certain « Homme nouveau » si cher à nos Grands Timoniers du XXe siècle).

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      Je suis plutôt familier de la prose toujours assez dynamique de Lordon et en général, je ne déteste pas, mais j’ai l’impression qu’il se trompe en plaquant sa grille de lecture sur l’écologie « empathique ». Il reproche aux auteurs mentionnés de ne pas parler de Capitalisme, mais lui-même ne parle pas de l’Anthropocène (oui oui, moi aussi je sais whatabouter !), comme s’il suffisait de changer de régime économico-politique, voire de simplement changer son nom (car du point de vue de la Nature, ) pour tout arranger. La Hollande du XVIIe siècle, qui a gaillardement ravagé des écosystèmes ne s’appelait pas « capitalisme » (mais déjà libéralisme, certes). La Renaissance européenne, terriblement prédatrice (colonisation, esclavagisme, préemption des richesses naturelles) n’est devenue capitaliste que sur le tard. Est-ce que des écologies ravagées comme celles de la Chine, de l’ex-URSS, de la Corée du Nord, de l’Île de Pâques, des Mayas,… sont réductibles à leur mode de fonctionnement économique ? À mon tour de trouver Lordon léger sur ce point, et un peu naïvement « solutionniste » et anthropocentré : supprimons le Capital et tout sera réglé !
      Alors certes, se demander quel peut être le point de vue de la Nature peut sembler inutile, du moins n’apporte au mieux qu’un constat et au pire, est un exercice de ventriloquie assez vain. Mais dire que ça se substitue à des actions concrètes me paraît étrange.

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      1. StephV

        Bonjour, merci pour le partage de vos analyses.
        Concernant le point du whataboutisme, je ne vous suis pas dans votre réfutation : quel est le système économique dominant, hégémonique, etc., qui depuis « longtemps » et avec une accélération soutenue sur les 40 dernières années surexploite les terres, ravage notre écosystème, empoisonne les corps, si ce n’est le « capitalisme » (avec tous les épithètes que l’on peut ajouter : financier, néolibéral, etc.).
        Certes on peut se demander si tout autre système politico/économique passé aurait fait mieux, mais en quoi cela change-t-il le constat actuel ? Ici et maintenant, qui détruit, si ce n’est le capitalisme. Tout juste peut-on en tirer comme enseignement de ne pas reproduire les erreurs du passé, mais cela ne change pas le constat.
        Enfin, pour une réflexion plus feutrée et moins « punchlinesque » que Lordon, mais qui sur l’essentiel dit la même chose concernant l’entreprise de dépolitisation de l’écologie politique par ceux qui se disent « partisans de l’écologie », voir la recension de Abondance et Liberté de Pierre Charbonnier par Aurélien Berlan : https://www.terrestres.org/2020/11/02/reecrire-lhistoire-neutraliser-lecologie-politique/

        (pour être complet, Charbonnier a produit la réponse suivante, qui me paraît peu convaincante : https://www.terrestres.org/2020/11/12/faire-la-guerre-ou-faire-la-paix/ )

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        1. Jean-no Auteur de l’article

          @StephV : il y a un petit malentendu, je ne cherche pas spécialement à exonérer le capitalisme ou le libéralisme de leur responsabilité, même si je pense que le productivisme, l’accumulation et l’exploitation sont des traits communs à de nombreuses sociétés humaines, de longue date, et que ce qui est neuf c’est la puissance que donnent la maîtrise technologique et les outils économiques et politiques tels que la mise en commun de capitaux pour créer des fortunes, les sociétés anonymes (qui donnent une forme d’indépendance à l’argent) et l’exploitation… Le capitalisme, quoi.
          Mais je ne vois pas en quoi s’intéresser à la nature, et même aller jusqu’à lui prêter un point de vue, constitue une diversion. Et au contraire, je me demande si l’intérêt pour la rhétorique marxiste du XIXe siècle ne fait pas courir plusieurs risques, comme de ne pas voir que le capitalisme lui-même a changé d’échelle et peut-être de nature (au XIXe il avait besoin d’ouvriers, au XXe de consommateurs, et ensuite ?), de négliger que le communisme virtuel comme le communisme actuel (URSS, Chine, Corée du Nord) ont été tout aussi productivistes que le Capitalisme, ou enfin de croire qu’il suffit de faire la Révolution pour régler un problème en fait bien plus ancien : l’Anthropocène. Notre rapport au vivant est problématique, capitalisme ou non.

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  3. Enzo33

    Un dernier point, que j’ai aperçu en relisant mon com’ après l’avoir envoyé.

    Ton billet invite à discuter du vivant, conscient ou pas. Je ne te réponds pas sur ce point car je n’ai pour ainsi dire rien lu sur le sujet, et je serais bien en peine de te sortir quoi que ce soit d’autre que des slogans pêchés à droite ou à gauche, et donc dépourvus d’intérêt à mes yeux.

    En revanche, je me dois d’expliciter le mot « inutile » que j’ai employé à l’endroit des « penseurs du vivant ». C’est une question autant philosophique que politique, et qui a son importance. Mais quand bien même l’hypothèse de départ (« Le vivant est capable de penser ») aurait pris ses quartiers dans le débat public, et ne souffrirait même plus de véritable discussion car admise par le plus grand nombre, il y aurait tout de même matière à s’inquiéter pour le vivant. Car l’être humain, tout capable de penser qu’il soit, n’est guère bien traité dans un régime capitaliste. En d’autres termes, quand bien même nous serions tous d’accord sur le constat de la sensibilité du vivant, que sa protection dans les faits n’en serait pas acquise pour autant.

    Si je prends l’exemple du système de santé, je constate que l’accès du plus grand nombre à des soins est bien réel, selon des modalités qui elles sont discutables. La logique qui prévaut, celle du capitalisme, consiste à rendre les gens malades, à les soigner ensuite, et à les soigner d’autant mieux qu’ils auront les moyens de se payer des soins de qualité. En revanche, l’esquisse d’une réflexion du type « comment faire en sorte qu’il y ait moins de gens malades », idée anticapitaliste jusque dans sa formulation, me semble totalement absente du débat public, quoique bien présente dans la prose de Lordon.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      Le capitalisme qui vend des remèdes aux maux qu’il produit, la médecine qui a plus besoin de malades que de gens en bonne santé, Lordon en parle mais sa cible Bruno Latour peut tout à fait avoir le même genre de propos, et des gens comme Ivan Illich ou Jean-Pierre Dupuy, qui inspirent sans doute beaucoup des gens évoqués dans l’article, sont même les premiers observateurs méthodiques de cette question ! Je ne vois pas tant d’oppositions fondamentales, j’ai plus l’impression d’une querelle de personnes. J’aime bien Latour personnellement, parce qu’il est très sérieux mais n’a pas peur d’être un peu un escroc ou un farfelu, parfois : il teste des idées, des approches, des mots… Mais avec cette forme de politesse typiquement post-moderne qui consiste ne pas dire ou croire qu’il détient l’unique vérité.

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      1. Enzo33

        On est bien d’accord. C’est pour cela que je me disais, à propos de la dernière livraison de Frédo, que sa cible ne me semble pas prioritaire.

        Par contre, puisque tu lis le blog de la Pompe à Phynance, tu reconnaîtras, j’espère, que le « capitalisme » tel que décrit, analysé et combattu par Lordon, ne se résume pas à un mot, et qu’il recouvre tout un ensemble de mécanismes actuellement à l’œuvre. Là nous parlons uniquement de forme, mais quand je lis tes billets de blog, j’ai parfois l’impression que tu « radotes » un peu, et plus précisément que tu as tendance, quand tu utilises un mot, à te sentir obligé de donner le sens que tu donnes à ce mot. Sans forcément te rendre compte qu’un mois plus tôt tu avais déjà précisé ta pensée dans un post précédent. C’est l’excès inverse de celui que tu reproches à Lordon. Je suis pour ma part dans la position confortable de celui qui n’a pas de blog et qui ne publie pas autre chose que des commentaires, mais sans doute que je radote aussi. Peut-être d’ailleurs que je me trompe, et que tu ne radotes que sur la longue durée.

        Tout ça pour dire que Lordon choisit parfois mal ses cibles, mais sa pensée politique et économique – même si tu réduis son œuvre à son blog – n’est pas réductible à un simple « changement de mot ». Un changement de régime, çà oui. Quand Lordon parle de « capitalisme » et suggère de lui substituer le « communisme », il utilise des termes fortement connotés dans l’imaginaire collectif, qui ne servent pas sa cause. Mais quand il précise, au fil de ses billets, le sens qu’il donne à SON utilisation de ces deux mots, je crois que beaucoup sont susceptibles de s’y retrouver.

        Et je l’ai entendu une fois d’ailleurs, chez Schneidermann, indiquer pourquoi il ne répond quasiment plus aux (rares) sollicitations médiatiques dont il fait l’objet. Expliquer qu’il veut « abattre le capitalisme » et le remplacer par le « communisme », ça nécessite justement de détailler le sens qu’il donne aux mots qu’il utilise. Ce détail, il ne l’aura jamais à la télé, et guère plus à la radio.

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        1. Jean-no Auteur de l’article

          J’imagine bien que ce n’est pas qu’un mot, mais à ce jour, le renversement du capitalisme par Frédéric Lordon reste très virtuel !
          Sinon oui, je radote, pour plusieurs raisons. D’abord j’essaie d’être vraiment clair, d’éviter les malentendus (ça ne marche pas toujours), et puis je n’ai pas de mémoire, ça m’est déjà arrivé de m’interrompre au milieu d’un article en constatant que j’avais déjà posté le même deux semaines avant ! Et surtout, et ça a un lien avec les deux points précédents, j’écris en grande partie pour que mon lecteur (et notamment moi-même) sache dans dix ans, dans vingt ans, ce que je pensais aujourd’hui. Pour cette raison je m’efforce de bien contextualiser les choses, quitte à être lourd !

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  4. Weck

    Je trouve que tu caricatures trop dans ton propos. La liste en fin d’article des opositions est assez orientée avec peut-être même un poil de mauvaise foi… Il semble que tu ais une arrière pensée ou quelque chose qui te préoccupe et dont tu ne nous dis pas tout…

    Je trouve ces opositions intéressantes pour faire un débat à la télévision mais là, on est entre nous, on est pas obligé d’aller dans ce sens.

    Pour moi l’écologie, ou tout autre idéologie, n’a de sens que par rapport à l’humain. La terre s’en fout complètement. Bon, les animaux un peu moins, si on peut leur prêter des intensions de ce genre, vu qu’ils meurent en masse du fait de nos activités.

    L’écologie est donc une pensée qui remet au centre l’environnement, le lieu de vie, donc le rapport à la nature mais pour l’homme, pour rendre la vie plus acceptable. Que l’espèce humaine puisse vivre encore longtemps. Et pour ça il faut que la nature et les animaux ainsi que le climat se maintiennent.

    On pourrait penser que cette vision de l’écologie est purement mécanique. En fait oui, mais c’est parce que je la pense dans le cadre actuel qui est le capitalisme. Le capitalisme ne fait pas de sentiment, il s’adapte à une seule chose qui pourrait être l’argent, la loi du profit et compagnie. Du coup, une vision mécanique de l’écologie serait de dire, on prend en compte l’environnement car sinon on pourra plus faire de fric vu qu’il n’y aura plus rien.

    En fait, « mon » écologie va beaucoup plus loin, c’est juste une manière, dans un premier temps, d’essayer d’être audible parce qu’évidement si on met la nature, donc la vie au centre, on change le but de la société. On passe de l’argent à la vie.

    Je repense à Guattari avec ses trois écologie (de mémoire) : environnementale (c’est assez simple à comprendre), politique (les rapports entre les hommes), et mentale (la maturité de l’humanité). J’ai le sentiment que l’humanité en est encore à un stade adolescent. Dans la toute puissante, la croyance de son éternité, la gestion des pulsion assez approximative, une grande force mêlée d’une grande flême, une conscience aigue du monde et un je m’en foutisme crasse…

    Maintenant ce que tu développes sur le rapport du fait qu’on peut aimer les animaux et se désintéresser des humain est très intéressant. Il y a comme une forme de blocage psy dans cette maière courante de voir les choses. Je pense même qu’on est tous touché par ça (acheter un smartphone dernier modèle quand on connait les conditions de fabrication ainsi que l’impact environnemental (pour le coup, c’est l’objet anti-écolo par excellence, mieux vaut acheter une voiture fabriquer en Europe, enfin bref, je m’égarre…). Cette forme de disssonance cognitive provoque même une forte agressivité envers les porteurs du message écologiste et permet le retour des Trump, Bolsonaro et compagnie (qui, comme par hasard, sont des gens de droite qui méprisent l’environnement ET les hommes)(tu parles du fait que la destruction de l’environneemnt et le fait de gens de droite (capitalistes) mais pas que. En fait, on parle plutôt de productivistes : dans ce cas là on retrouve la convergence des destructeurs qu’ils soient capitaliste ou communiste (après, le commnisme n’a jamais été de gauche dans son application… mais c’est encore un autre débat)

    Décidement, cet article donne le tournis tant il y a de choses à dire…

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  5. Jean-no Auteur de l’article

    Il semble que tu ais une arrière pensée ou quelque chose qui te préoccupe et dont tu ne nous dis pas tout

    Je suis trop bavard pour ne pas dire tout, et incapable de dissimulation, donc non non, aucune arrière-pensée, je suis quelqu’un de très primaire !

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