Un homme aux abois

Les réseaux sociaux sont toujours prompts à railler les représentants de la classe politique et, à cette fin, s’emparent de manière impitoyable du moindre prétexte : une photo ridicule, une petite phrase douteuse, une citation erronée, l’utilisation d’un mot inventé ou dont on a mal maîtrisé la connotation.
C’est ce qui s’est produit ce matin avec François Fillon, qui expliquait à Jean-Jacques Bourdin être incapable de faire des économies :

– Est ce que vous arrivez à mettre de l’argent de côté ?
– Moi ?
– Oui.
– Personnellement, non. Non.
– 35% des Français y parviennent, je sais pas si vous avez vu ce chiffre.
– Hmmm.
– Non je vous dis ça comme ça, je vous dis ça comme ça.

Sans surprise, cette séquence en a fait ricaner plus d’un : sur sa récente déclaration de patrimoine, François Fillon estime à 275000 euros ses revenus pour la seule année 2016 — qui n’est pas sa meilleure. Il possède trois demeures, il a déclaré avoir deux montres dont chacune vaut le prix d’une petite automobile neuve, on sait désormais qu’il se fait habiller à l’œil par des amis, on sait qu’il dispose d’une automobile avec chauffeur (en tant qu’ancien premier ministre) et se fait prêter des voitures de course (dont il ne prend pas bien soin),… La plupart de Français auront tendance à juger que François Fillon, faisant partie du 1% les plus fortunés, n’a pas des conditions de vie trop difficiles, et supposeront qu’avec 20 ou 30 000 euros par mois (selon les estimations), il n’est pas si difficile d’alimenter sa caisse d’épargne, voire d’en dépasser assez rapidement le plafond (23 000 euros). Mais peut-être avons-nous tort. Il existe deux sortes de pauvretés : la pauvreté objective, qui consiste à ne pas avoir suffisamment d’argent pour vivre, et une pauvreté subjective, qui consiste à se sentir pauvre1.

Plutôt que de ricaner, nous devrions nous poser la question du rapport de François Fillon à l’argent. Apparemment obsédé par le luxe et les privilèges2, du genre à réclamer des cadeaux (normalement quand on est poli on ne demande pas, et on ne dit pas ce qu’on veut comme cadeau), il est aussi le premier ministre qui aura le plus brutalement fait augmenter le déficit de l’État français, du fait notamment de l’incapacité de son gouvernement à voir venir la crise financière de 2008.

L’évolution du déficit de l’État (source : Les Décodeurs)

Avant l’élection présidentielle, pensant au cas de Nicolas Sarkozy, François Fillon avait dit qu’on ne pouvait pas être candidat à la présidence de la République si on était inquiété par la justice : « imagine-t-on le Général de Gaulle mis en examen ? ». Il a par la suite changé d’avis en découvrant qu’il était lui-même mis en examen, et il a eu raison : cette procédure, que l’on nommait autrefois « inculpation », ne prouve pas une culpabilité, elle n’atteste que de la présence d’indices graves dans l’enquête dont elle constitue une étape.

Donc d’accord, imaginons le président De Gaulle mis en examen, tant pis pour la légende, et disons-nous que ce n’est pas grave, qu’on n’est pas au niveau des Balkany, et que Marine Le Pen c’est sûrement pas mieux, etc. Admettons.
Mais pouvons-nous raisonnablement confier le budget de la Nation à quelqu’un qui commence à manger des pâtes à l’eau le vingt du mois ? Croire qu’on améliore le niveau de l’emploi en envoyant 600 000 agents de l’État chez Pôle-emploi ? Croire que celui qui a creusé les déficits de l’État est celui qui connaît le moyen de les réduire ? Imagine-t-on le Général de Gaulle sous tutelle des services sociaux pour cause de surendettement ?
Franchement, la droite, dépêchez-vous de proposer quelqu’un d’autre, c’est plus possible.

  1. Feu mon beau-père Franko appelait les gens qui se sentent toujours pauvres tout en n’étant pas du tout à plaindre des « clochards ». []
  2. Il suffit de se rappeler le nombre de fois où il a préféré voyager en Falcon 50 qu’en qu’en TGV ou en automobile, sans gain de temps substantiel mais pour un coût horaire de près de 5000 euros, c’est à dire le prix de deux semaines de croisière d’agrément dans les Caraïbes. []

4 réflexions sur « Un homme aux abois »

  1. Samuel

    Sur le sujet de « sentir pauvre », je te conseille le livre « Pourquoi êtes-vous pauvres ? », de William T. Vollmann (Actes Sud)

    Répondre
  2. m—lilin

    Bon, après, pour être tout à fait honnête, la crise de 2008, il n’y a pas grand monde qui l’a vue venir…
    On peut ensuite se questionner sur les réponses politiques qui lui ont été données, sur les choix économiques faits pour en réduire les conséquences, mais pas sur la préscience de cette chose qui a étonné tout le monde et même ceux-la qui l’ont provoquée !

    Répondre
    1. Jean-no Auteur de l’article

      @m—lilin : c’est peut-être de la vantardise a posteriori, mais pas mal de gens ont dit qu’ils avaient lancé l’alerte avant. Ceux qui disent à présent qu’une seconde crise se profile.

      Répondre
  3. Elias

    « Mais pouvons-nous raisonnablement confier le budget de la Nation à quelqu’un qui commence à manger des pâtes à l’eau le vingt du mois ? »
    si le panier percé était un candidat de gauche on peut être sûr qu’on aurait droit à cet argument de la part des droitards (je me souviens qu’il y a deux ans de ça un membre – bien à droite – de ma famille tirait argument de la déclaration de patrimoine de Christiane Taubira pour soutenir qu’on ne pouvait pas confier de responsabilité à une personne incapable d’épargner …)
    Honnêtement, je pense que l’argument n’a de valeur qu’ad hominem ; sur le fond je pense que quelqu’un qui a du mal à tenir son budget privé peut gérer correctement un budget public car il aura beaucoup moins de réticence à limiter les dépenses des autres que les siennes …
    Bref la malhonnêteté et les conflits d’intérêts de FF me paraissent beaucoup plus graves que son côté panier-percé.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.