Les mots se sentent importants

(encore une de ces tentatives de suicide (réseau-)social dont j’ai le secret : non seulement je m’attaque à des vaches sacrées du petit monde libertaire-alter-truc, auquel je m’identifie plus ou moins, mais en plus je le fais avec un article interminable que tout le monde lira en diagonale, et que j’illustre de manière incompréhensible)

Les gens du collectif Les mots sont importants sont intelligents, éloquents, bien formés, et on trouve plus d’un article important, justement, sur leur site. Ils défendent les exclus, les ostracisés, les racisés, difficile d’être contre le principe. Mais souvent, les articles que j’y lis me restent sur l’estomac, à cause de leur absence de perspective progressiste : beaucoup de constats, peu de propositions, et beaucoup de contradictions.
Je viens de lire l’opium du peuple de gauche, article que Pierre Tevanian consacre au refus des religions et j’essaie de comprendre : l’athéisme serait un luxe d’enfants gâtés, donc il faut le critiquer, par solidarité avec ceux qui vivent sous le joug de divinités absurdes, et au prétexte que ce n’est pas parce qu’on ne croit pas en Dieu qu’on ne croit en aucune autre absurdité,… et tout ça en citant pêle-mêle Michel Onfray et Nadine Morano ? Onfray est certes athée libertaire, selon sa définition en tout cas (pour moi plutôt réac’ égoïste), mais Nadine Morano a au contraire plus d’une fois revendiqué son attachement à sa culture catholique.
Quel rapport, donc ?

"Time and Death their thoughts impart, On works of learning and of art." Hand-colored aquatint by Thomas Rowlandson.

« Le temps et la mort et ce qu’ils transmettent au travail de la connaissance et de l’art » (Thomas Rowlandson). Ne cherchez pas de lien particulier avec l’article, c’est juste pour faire joli. Les mots sont peut-être importants, mais les images sont libres.

« Les mots sont importants », en tout cas, quel beau titre, plein d’importance, justement, plein de hauteur philosophique. On utilise des mots sans y penser, tous les jours, mais en fait ils sont importants, dis-donc ! C’est comme « Le savoir est une arme, maintenant, je sais » (Ministère AMER) ou « Dieu m’a donné la foi » (Ophélie Winter), c’est à dire que c’est difficile à prouver et que plus on creuse, moins on trouve ce que ça peut vraiment apporter à notre lecture du monde, mais ça reste séduisant à entendre, rien qu’en lisant la phrase, on a l’impression d’avoir compris un truc. Je n’ai pas appris la philosophie à l’école — je ne suis pas allé au lycée —, mais je dois dire que cette discipline, vue de loin, et avec tout le respect que je dois aux grands auteurs qui s’y sont illustrés, me semble entretenir un curieux fétichisme envers les mots, faisant comme s’il existait, contenue dans un mot, la forme pure d’un concept (beau, amour, temps, vérité,…), et comme si l’usage véritable que la plèbe fait du dictionnaire souillait cette belle pureté. Les mots vivent, pourtant. Même les mots de « les mots sont importants » évoluent : sur ce site on fustige désormais l’emploi du mot « islamiste » pour « fondamentaliste musulman » (et effectivement, la définition du mot « islamiste » n’est pas claire), mais on l’y utilisait il y a quelques années dans l’exact même sens que David Pujadas.
On se renseigne, on apprend, on évolue, tout bouge, quoi. Particulièrement les mots. Peut-être faudrait-il moins s’attacher aux mots qu’à ce qu’il décrivent selon le contexte1.
Il me semble que c’est sur le site Les Mots sont importants que j’ai lu un article qui faisait remarquer, avec pertinence, que lorsqu’un blanc norvégien commet un massacre au nom d’un idéal identitaire, il est obligeamment présenté par les médias comme un « déséquilibré », tandis qu’un Mohammed Merah, lui, devient le représentant d’un milliard et demi de musulmans dont on débat pour savoir s’il en existe des « modérés ». C’était bien de remarquer ce genre d’iniquité lexicale. Mais dans un article récent du même site, je lis que les journalistes et caricaturistes de Charlie étaient « racistes », et que « s’ils ne méritaient évidemment pas de mourir », leur massacre peut être réduit à avoir vu leur droit à l’irréligion et l’anticléricalisme « tragiquement nié par des malades ». Des « malades », autant dire des gens qui ne sont pas responsables de leurs actes. Et d’ailleurs ils n’ont pas vraiment fait des morts, ils ont juste nié des principes, tragiquement. Ce même article n’hésite pas à comparer Charlie Hebdo à Pierre Laval, l’âme damnée de la Révolution nationale pétainiste2, ni à analyser la ligne politique de Charlie Hebdo à l’aune d’un dessin du presque octogénaire Albert Uderzo (qui sauf erreur n’a pas fait partie de la rédaction de Charlie), ni, enfin, à considérer que le slogan Je suis Charlie signifie  en réalité  « je suis blanc et j’emmerde les bougnoules », la preuve étant qu’un « Charlie » n’est pas un « Rachid » ni un « Mohammed »34.

"La mort et l'antiquaire" (Thomas Rowlandson).

« La mort et l’antiquaire » (Thomas Rowlandson). Ça aussi c’est pour faire joli. Rowlandson est un des plus grands caricaturistes du tournant du XVIIIe au XIXe siècle, avec James Gillray et Isaac Cruikshank (père de George).

Tous ces normaliens qui passent un temps considérable à expliquer, pour leur bien, évidemment, à des français nés en France qu’ils sont en fait des « indigènes », qu’ils seront à jamais « racisés », qu’ils doivent se venger du passé, du présent, du futur, que leur carte d’identité est factice, seraient les coupables de ce qu’ils dénoncent avec tant de force s’ils avaient la moindre influence sur les principaux concernés. Mais en fait, ces derniers ignorent jusqu’à leur existence et, s’ils les rencontrent, les assimileront à la société qui, effectivement, les opprime et les rejette. Le jour où ils se vengent de toutes leurs frustrations (affirmant réparer une injustice lointaine la guerre américaine en Afghanistan ou l’Apartheid israélien), ils tirent dans le tas, et si on peut être assez ignorant pour confondre Charb avec Godefroy de Bouillon et les clients d’une supérette de la porte de Vincennes pour des colons en Palestine, il n’est pas sûr que des profs de philosophie ou de sociologie même très très tiers-mondistes puissent bénéficier de plus de discernement : ils sont, du reste, qu’ils le veuillent ou non, eux aussi les représentants d’un État ségrégationniste, dominateur et souvent impitoyable. Et en affirmant, pour leur bien toujours, aux prochains frères Kouachi qu’ils ne sont responsables d’aucun de leurs actes, qu’ils ne sont que des victimes, parce qu’ils sont colonisés, ils les traitent comme des objets sociologiques, comme des abstractions, pas comme des personnes, ce qui, à mon sens, est la plus abominable des insultes.

"Dr. Syntax Meditating on the Tombstones" (Thomas Rowlandson)

« le Dr. Syntax méditant sur les pierres tombales » (Thomas Rowlandson). Toujours aucun message à chercher dans ce choix iconographique.

Même s’ils sont inoffensifs, je ne comprends pas pourquoi des gens comme Pierre Tevanian ou Nacira Guénif-Souilamas (que j’ai découverte à Ce Soir ou Jamais récemment, mais il y en a plein d’autres d’idées proches) tentent si fort de convaincre des groupes discriminés que l’injustice qu’ils vivent a pour cause les inventions des philosophes des Lumières (et précurseurs ou héritiers), et qu’il faudrait traiter celles-ci comme de la verroterie de toubabs : « droits-de-l’homme », « liberté d’expression », « universalisme », « égalitarisme », « laïcité », « athéisme »,… Je vois mal en quoi accepter, institutionnaliser l’injustice, en faire un déterminisme irrémédiable5, arrange quoi que ce soit, ni en quoi il est avisé de désigner pour coupables de ces injustices et de ces humiliations des principes progressistes et émancipateurs — que l’on peut réviser, réfléchir, questionner, bien sûr, et dont on doit aussi questionner l’inefficacité, car ceux qui s’en frappent des médailles se gardent bien de les appliquer. Car oui, les pires personnes utilisent à présent le mot « laïcité » comme arme contre les musulmans ; oui, la « République » a été confisquée à ses citoyens ; et non, la « démocratie » n’est pas très démocratique ; et on a vu, avec les déclarations de Najat Vallaud-Belkacem6, ce que valait le concept de « liberté d’expression » appliqué à l’éducation nationale : quelque chose qu’on doit respecter sans poser de questions, en se taisant, sous peine de prison. D’une absurdité orwellienne.
Et bien sûr, tout aussi absurdes sont les injonctions ciblées à s’émanciper de gré ou de force : « Jette ton voile, Fatima ! ». Ou encore l’odieuse demande faite aux musulmans de se désolidariser des terroristes. Et la profusion/confusion des images qu’on nous balance.
Je sais tout ça, je comprends tout ça.

"Dr. Syntax preaching" (Thomas Rowlandson)

« Le Dr. Syntax prêchant » (Thomas Rowlandson). Là non plus, pas de message.

Mais ce n’est pas parce que les bonnes idées sont mal utilisées qu’il faut mettre les mauvaises sur un piédestal. Ce n’est pas parce que certains emploient les mots de travers, voire contre leur sens, qu’il faut abandonner ces mots !
Rappelez-vous : les mots sont importants.
Enfin c’est pas moi qui le dis…

  1. Je renvoie le lecteur à Alfred Korzybski et au constat qu’il faisait du caractère piégeant des mots. []
  2. Je cite : « Puisque ce sont des racistes, il n’est pas anodin, aujourd’hui, de choisir pour défendre la liberté d’expression, d’honorer la mémoire de ce journal-là : ce serait choisir, pour critiquer la peine de mort par exemple, non pas seulement de mettre en cause la manière honteuse dont on a exécuté un Pierre Laval, mais d’aller jusqu’à honorer sa mémoire en poussant tous les opposants à la peine de mort à assumer un « Je suis Laval » qui, espère-t-on, les répugnerait ». []
  3. À quoi je répondrais que le journal ne s’appelait pas « Rachid » ni « Mohammed », ceci explique cela. Il y avait un Mustapha Ourrad à la rédaction de Charlie Hebdo, et j’ai vu, lors des manifestations, des pancartes disant « Je suis Ahmed », en hommage à un des policiers tués. Je note par ailleurs que Charlie est un prénom anglo-saxon, à l’origine, que, sans réfléchir, j’associe au cinéaste britannico-gitan Charles Chaplin, aux jazzmens noirs Charlie Mingus et Charlie Parker, au Papa Tango Charlie de la chanson, et bien sûr au Charlie de « où est Charlie ? » et à Charlie Brown. Ce nom dérive bien d’un nom de roi chrétien germanique (Karl), mais il ne me semble pas véhiculer de manière si évidente une référence à une quelconque connivence islamophobe. []
  4. Repris sur le même site, l’article Nous sommes tous des hypocrites, publié sur les réseaux sociaux par Pacôme Thiellement, parle en partie de la même chose d’une manière plus intelligente. []
  5. Si je trouve que la philosophie a la maladie de trop croire aux mots, j’ai parfois l’impression que la sociologie a la manie de vouloir que les catégories qu’elle étudie restent étanches, refusant la circulation, le métissage, l’indifférence, l’envie d’émancipation, et promouvant finalement les conflits, les apartheids, les différences, et autres chocs de civilisations de mes fesses,… J’ai tendance, pour ma part, à juger l’humanité comme une seule espèce, pas la plus sympathique qui soit, mais que j’aime pour son incroyable créativité. Créativité qui va malheureusement  jusqu’à s’inventer des problèmes avec des mots ou des entités imaginaires. []
  6. Le 14/01 à l’Assemblée Nationale, lors des questions au gouvernement : « Même là où il n’y a pas eu d’incidents, il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves. Et nous avons tous entendu les « Oui je soutiens Charlie, mais », les « deux poids, deux mesures », les « pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ? » Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école, qui est chargée de transmettre des valeurs ». []

13 réflexions sur « Les mots se sentent importants »

  1. El Desdichado

    Merci pour ce billet très juste. Très juste et plutôt courageux, tant certains zélateurs de lmsi peuvent être parfois sectaires.
    Ce collectif, plutôt salutaire dans son intention, est trop souvent un arbitre autoproclamé du droit d’expression, qui a du mal a masquer un certain sectarisme et qui se complait parfois dans ce qu’il fait bien appeler de la masturbation intellectuelle.
    J’aurais préféré une autocritique de leur part qu’une critique d’un tiers, mais, hein : someone has to do the job.

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  2. Thomas Ragon

    Très bon billet. Je souscris totalement. On assiste au réveil de tous les conservatismes, de tous bords, à chacune de ces occasions. Les Cathos aussi se permettent de dire tout haut à quel point l’idée de laïcité n’a jamais été acceptée par eux. Une religion reste et restera prosélyte. Et nous autres (comment faut-il nous appeler ? Les progressistes ? Les vrais Républicains ?), comme tu le montre ici, nous sommes en position défensive. Mais comment reprendre l’offensive, par quels canaux… Question vieille de trente au moins, maintenant…
    Le texte de Pacôme Thiellement est aussi très bon, même si je crois qu’il n’est pas envisageable d’arrêter de blasphémer, même la « religion de l’opprimé, de l’humilié ». Et que toute « solution », avec les plus gros guillemets possibles, ne passera que par la prise en compte des humiliés du globe. Et cela se fera sans nous et contre nous, les humiliateurs en chef.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Thomas : je pense que l’idée des gens de Charlie, qui était peut-être idiote mais pas indéfendable, c’était de se dire que pour ne pas être raciste, le mieux était justement de traiter tout le monde pareil : on a bouffé du curé, on bouffera de l’imam et du rabbin. Et bien sûr, l’actualité s’y prête, vu l’obsession générale autour des religions. Je trouvais naïf de leur part de penser qu’ils seraient compris à l’étranger par des gens qui ne les liraient pas, mais apparemment la démarche était assez illisible ici même !
      La puissance des religions, c’est finalement cette capacité à brouiller les questions privées/publiques, choix individuel/pouvoir hiérarchique : on s’en prend à une église, c’est à dire une machine de pouvoir totalitaire, et on fait mal à des petites gens. C’est très vicieux.

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  3. El Desdichado

    La meilleure chose à faire pour démonter les excés de lmsi, c’est de suivre le lien que vous donnez vers cet article de 2003 où ils écrivent.
    « Plus largement, nous n’apportons aucune caution à quelque courant religieux que ce soit, et encore moins aux idées conservatrices (en particulier sexistes et homophobes) que, depuis toujours et sur tous les continents, la plupart des organisations religieuses véhiculent. »
    CQFD

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @El Desdichado : en allant voir les très vieux posts, sur archive.org (ils sont peut-être toujours présents actuellement sur le site, mais il est plus difficile de distinguer les périodes), à l’époque où LMSI était hébergé par Ornitho, je perçois un changement, on est passé d’un discours libertaire que je pourrais tenir à peu près identiquement (les religions, le racisme, les frontières, le sexisme, l’homophibie, servent à exploiter les pauvres) à un grand-écart théorique à mon avis plus difficile à soutenir, où un musulman qui refuse sa religion est en fait la victime des hommes blancs bourgeois hétéro cis blablabla, où tout le monde est homophobe-transphobe-sexiste mais si on est pauvre alors c’est pas grave c’est à cause des hommes blancs bourgeois hétéro cis blababla et quant aux gens gens qui rêvent de la possibilité d’abolir (y compris dans leurs propres têtes, car chacun de nous est mal élevé) les barrières sociales, sexuelles, etc., eh bien ce sont en fait des marchands de poudre de perlinpinpin républicaine. Et là, je ne vois plus où est l’espoir d’un mieux.

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  4. Elias

    J’approuve l’essentiel de votre article mais je ne suis pas sûr que LMSI soit si inoffensif … certes ils n’incitent pas à de mauvaises actions mais ils contribuent à la confusion intellectuelle : en cela ils sont nuisibles. Je crois qu’il faut sytématiquement répondre à ceux qui relaient leur discours et notamment en pointant que ces adeptes de la rhétorique du deux poids deux mesures, pratiquent abondamment ce qu’ils reprochent aux autres (si on fait la la fine bouche – non sans raison – sur l’utilisation du mot islamiste, il faudrait prendre les mêmes précautions quand il s’agit de lancer des accusations d’islamophobie). les mots sont importants? … chiche!
    Par ailleurs je ne sais pas à quoi vous comparez le texte de Pacome Thiellement quand vous le qualifiez de « plus intelligent ». A mon sens le « nous » dont il parle est une construction aussi profondément inepte que le « eux » qu’accusent les islamophobes.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Elias : je pense que LMSI, au pire, fabrique des gens comme le dénommé « Bougnoulosophe » (que l’on croise assez facilement sur le net…), qui essaie de donner une surcouche de prétention intellectuelle à sa rage personnelle.
      Sur le texte de Thiellement, disons que le personnage est proche du monde de la bande dessinée : je sais qu’il connaît plusieurs auteurs de Charlie Hebdo, peut-être même parmi ceux qui sont morts, ce qui donne à son point de vue une épaisseur un peu moins théorique. Ensuite, je ne suis pas d’accord avec lui, mais je ne suis d’accord avec personne sur rien, en ce moment 🙂

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  5. Lucas

    Bonjour,
    Je viens de tomber sur votre article, qui date déjà maintenant, mais j’aimerais réagir car il me semble assez significatif d’une certaine incompréhension actuelle, ou bien d’un refus de comprendre.
    Ce qui me semble regrettable ces temps-ci, à l’inverse de ce que vous dites, c’est justement que des mouvements clairement d’extrême gauche comme lmsi ou les Indigènes de la République aient toujours à montrer patte blanche (sans mauvais jeu de mot) et qu’ils ne soient jamais assez anti-religieux pour certains. C’est usant, à force. Qui a dit que l’anti-religion devait être la pierre de voûte de toute pensée révolutionnaire ? Cela semble particulièrement à côté de la plaque quand, comme moi, on est nourri d’auteurs comme René Guénon qui se situent sur un tout autre plan. Si l’anti-cléricalisme, l’anti-obscurantisme, bref l’anti-tout ce qui exerce le pouvoir de la bêtise, va forcément de soi quand l’on souhaite s’élever et briser ses chaînes, il n’y a en revanche aucune évidence théorique à affirmer que l’anti-religion est à revendiquer en soi et que cela se passe de justification, car encore faut-il définir ce que l’on considère par « religion ».
    Bref, c’est avec un certain agacement que j’ai lu votre post, qui, en plus de quelques remarques de mauvaise foi (j’en relève juste deux : « comme si l’usage véritable que la plèbe fait du dictionnaire souillait cette belle pureté », alors que vous savez pertinemment que lmsi s’intéresse aux mots du pouvoir, plus précisément du monde médiatique et politique ; « qu’ils seront à jamais « racisés » », alors que personne n’a jamais dit « à jamais »), entretient cet état de fait insupportable qui voudrait que certains textes aient à rajouter des alinéas à chacune de leurs phrases pour répéter qu’ils sont bien contre la religion méchante, tandis qu’un certain athéisme militant n’est jamais à soupçonner d’inconscient raciste. C’est dommage de retomber ainsi dans la confusion que vous dénoncez, car ce qu’il faudrait dire pour être vraiment logique c’est : bien sûr que l’athéisme n’est pas raciste en soi, mais bien sûr aussi que la foi n’est pas réactionnaire en soi (et encore faudrait-il s’entendre sur la notion de « progressisme », qui à mon sens n’est pas forcément de gauche quand on la revendique comme une posture civilisationnelle, industrielle, économique).
    Agacé de devoir ponctuer chaque explication psycho-sociologique d’acte terroriste par « ah mais je ne les excuse pas, ils sont responsables », afin d’obtenir le soupir de soulagement et les applaudissements chaleureux des philosopho-politistes. Ce genre d’injonction, c’est la défaite de la pensée, c’est la mort de la science. (Et pourtant je suis très sartrien, mais quand on veut bien le lire et le comprendre, Sartre c’est bien autre chose que « responsabilité responsabilité responsabilité, pas d’excuse pas d’excuse pas d’excuse » répétés en boucle comme un perroquet : chaque être vit dans une situation, qui est un faisceau de déterminismes et de possibilités.)
    Ce dont on devrait plutôt discuter, c’est de stratégie. Dans ce domaine, on attend toujours l’éclair de lucidité. Cela devient lessivant de perdre son temps sur des mots et des grandes idées, là-dessus je vous rejoins.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Lucas : je ne dis pas que l’anticléricalisme doive être la clef de voûte de toute pensée révolutionnaire, mais j’ai, moi, une profonde aversion pour le pouvoir religieux, et je ne changerai évidemment pas de point de vue sur ce point pour être gentil avec ceux qui subissent plus ou moins volontairement ce genre de pouvoir. Même si mon mauvais esprit remonte de temps en temps à la surface, j’essaie néanmoins de ne pas être méprisant, blessant, méchant, bien sûr, car à quoi bon, et je m’efforce même de ne pas traiter les croyants en simples d’esprit, je prends acte de leur besoin de quelque chose dont je n’ai jamais connu, moi, le besoin.
      Bien entendu, la notion de « progrès » ou celle de « modernité » ne peuvent plus être comprises naïvement. Depuis le nazisme, disent certains, mais on doit au moins remonter à la « Renaissance » : ses guerres de religion, ses colonies, son esclavagisme. Mais bon, reste que quelle que soit leur histoire, certaines branches de la gauche dite extrême me semblent prêtes à jeter le bébé avec l’eau du bain lorsqu’ils présentent les émancipations universalistes/internationalistes comme des principes hypocrites qu’il faut abandonner (quant aux zindigènes, je ne sais pas ce qu’il leur reste d’extrême-gauche, au fait !).

      Répondre
      1. Lucas

        En tout cas, les mots sont importants dans le sens où tout dépend ce que l’on définit par « universalisme », « internationalisme », « pouvoir religieux », « extrême gauche », « émancipation » et on n’en a pas fini… Tant que ces mots n’auront pas un contenu clair et précis, dont chacun peut avoir une intuition nette et commune, on est condamné aux dissertations de langage.
        Je pense personnellement que ce qu’il y a de con dans le « pouvoir religieux », c’est le pouvoir. Le « religieux », je ne sais pas ce que c’est, ça peut être tout et rien, ça peut être une vision magnifiquement juste du monde et alors pourquoi être contre, ou bien ça peut être une hypocrisie énorme et alors il faut s’en dépouiller le plus possible. Tout ce que l’on construit par-dessus, c’est déjà du social. Ce que je reproche aux anti-religieux à la Charlie, c’est de trop croire en la religion comme quelque chose qui a une existence propre. Je dirais presque qu’être anti-religieux c’est être un faux athée car on croit encore en la religion à défaut de croire en Dieu, or la religion c’est rien, c’est tout, c’est plus complexe que ça.

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        1. Jean-no Auteur de l’article

          @Lucas : si on ne parle que d’une explication du monde, alors ce n’est plus de la religion, c’est de la philosophie, de la spiritualité,… Le principe même de la religion est de lier des gens par des pratiques, des dogmes, des croyances.
          Je pense que l’universalisme ou l’internationalisme sont des principes clairs, mais il est évident aussi qu’il leur arrive d’être employés contre leur propre sens : quand la locution « droits de l’homme » est accaparée par le groupe qui se trouve en position de force et imposé comme un crachat aux autres, on n’est plus dans l’universalisme, et quand « l’internationalisme » s’avère être le nom de l’impérialisme russe, le sens est perdu, bien sûr.

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          1. Lucas

            Dans ce cas, je précise que je ne pense pas que « lier des gens par des pratiques, des dogmes, des croyances » soit mauvais en soi, indépendamment du contenu de ces pratiques, dogmes, croyances. Ce qui me semble être le principal défaut (et peut-être le seul, car oui, je me sens plutôt « anarchiste ») de la pensée libertaire, c’est qu’elle affirme que certains faits sociaux sont mauvais en soi, sans établir profondément ce qui est mauvais dans leur contenu (ou en tout cas moins bien que le mieux) mais en considérant simplement leur construction. Ceci s’explique bien entendu par le contexte socio-historique de la naissance de cette pensée, mais maintenant que nous avons une vue plus large, une distance critique, d’autres apports, nous devrions quand même pouvoir complexifier tout ça, décortiquer, voire même, pour certaines postures irréfléchies, déconstruire. Car sinon, cela se rapproche d’un certain relativisme anti-intellectuel et, pour le coup, « progressiste » dans le sens péjoratif du terme : « je me fiche de savoir si cette organisation conceptuelle du monde est juste ou pas, bonne ou pas, viable ou pas, je dis qu’il faut être contre parce qu’il faut être contre et qu’on peut faire mieux ». Or, on doit lutter contre une structure parce qu’elle nous révulse en elle-même, pas parce que son échafaudage ne nous plaît pas.

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