Mes super-héros

Quand j’étais enfant, les super-héros auxquels je m’identifiais n’étaient pas tant l’Homme araignée, Captain Mar-Vell, Batman ou Daredevil — j’aurais beaucoup donné pour être ces héros-là, bien sûr — que trois héros bien plus bizarres : le Gardien Uatu, Flèche-noire et monsieur Spock.

Flèche-noire, le « roi silencieux » de la race des Inhumains, dans les bandes dessinées de  Jack Kirby, me fascinait par la puissance qu’il incarnait : il n’ouvre jamais la bouche, car le son qu’il émet alors détruit tout ce qui se trouve à portée.

fleche_noire

J’aimais m’identifier à ce personnage cérébral et affectif dont la parole est d’autant plus rare qu’elle est mortelle.

Avec son énorme tête chauve et sa toge, Uatu ressemble à un énorme bébé. Appartenant à une race extra-terrestre quasi-divine, les Gardiens, il apparaît régulièrement au fil des aventures des Quatre Fantastiques. Sa vocation, comme tous ceux de son espèce, est d’observer la marche de l’Univers sans jamais intervenir.

gardien

Parfois, son attachement à l’espèce humaine le pousse tout de même à agir, notamment en fournissant des informations cruciales à ceux qui en ont besoin. Il est aussi au centre de la série spéculative « Et Si… », où des hypothèses diverses sont testées : « Et si… Spider-Man avait sauvé son oncle ? », « Et si… Jane Foster avait découvert le marteau de Thor ? », etc.

Enfin, découvert alors que j’étais un peu plus vieux, je me suis souvent pris pour Monsieur Spock, le scientifique du vaisseau Enterprise, dans la série Star Trek, qu’interprétait Léonard Nimoy, mort hier.

spock

Spock incarne la raison, la logique et le contrôle de soi. Véritable ordinateur aux oreilles pointues, sensible mais dénué de sensiblerie, il est souvent désespéré par les passions contre-productives des humains, qui le fascinent d’autant plus qu’il peine à les comprendre.

Les héros qui me semblaient les plus proches de ma personnalité, donc, étaient des cérébraux, des observateurs en marge de l’espèce humaine mais aimant la fréquenter, généralement passifs, mais sachant agir lorsque les événements l’imposaient1.

  1. Ce qui doit expliquer que j’aime les chats, qui sont un peu pareil : ils vivent à côté des humains, ils ne font pas grand chose de leurs journées, ils sont contemplatifs, mais une fois de temps en temps on constate qu’ils sont intelligents et capables. []

Dieux tués au marteau-piqueur

À coup de masse ou de marteau-piqueur, des types de l’État islamique détruisent les trésors archéologiques du musée de Ninive, à Mossoul, en Irak. Officiellement, bien sûr, ils luttent contre l’idolâtrie, dans la tradition du prophète dont ils se réclament, qui avait lui-même détruit les trois-cent soixante objets votifs de la Kaaba, à l’exception d’un aérolithe, la célèbre « pierre noire ».

Il semble que les petits artefacts archéologiques ne sont pas détruits : ils sont vendus pour alimenter les caisses de l'État Islamique. On ne voit en tout cas que des grandes pièces être détruites.
Il semble que les petits artefacts archéologiques ne sont pas détruits : ils sont vendus pour alimenter les caisses de l’État Islamique. On ne voit en tout cas que des grandes pièces être détruites.

Mais ils savent bien qu’il n’y a là aucune idole, puisque plus personne ne prie les anciens dieux assyriens Assur, Ea, Marduk, Enlil, Pazuzu ou Ishtar. Ces divinités n’existent plus que dans des musées, alors les fracasser par refus de l’idolâtrie, c’est leur donner une une importance, qu’elles n’espéraient plus, comme si ceux qui les détruisent étaient les seuls à les prendre au sérieux. Un peu comme la papauté de la fin du Moyen-âge s’est subitement mise à donner du crédit à la pratique de la sorcellerie, l’interdisant et la pourchassant comme si sa magie était réelle. Ou comme un théoricien de l’Opus Dei, plus récemment, est parti en croisade contre les Pokémons qui, mélangeant les règnes animaux, végétaux et minéraux, sont selon lui d’essence diabolique. En détruisant ces dieux retraités, les soldats de l’État islamique montrent le peu de confiance qu’ils ont dans leur propre Dieu : ils n’y croient pas eux-mêmes, ils doivent faire disparaître toute trace des dieux précédents pour que le leur soit unique.
En détruisant ces statues ils détruisent surtout l’idée même de l’histoire, du passé, ils détruisent des vestiges d’une des plus anciennes cités du monde, de l’endroit où l’on a découvert des tablettes racontant l’histoire du roi Gilgamesh et de son ami Enkidu — tablettes qui avaient stupéfait le public, à la fin du XIXe siècle, en prouvant que le déluge raconté par la Genèse n’était vraisemblablement que le pastiche d’un récit mésopotamien.
Heureusement, plusieurs destructions ne sont que symboliques, puisque nombre des pièces exposées ne sont que des moulages en plâtre, ainsi qu’on le devine en voyant la facilité avec laquelle certaines statues sont brisées. De ces copies, les originaux sont à Londres, en sécurité. On accuse de manière redondante la Grande-Bretagne ou la France d’avoir rempli leurs musées archéologiques en pillant divers pays, mais cet épisode nous rappellera que, au Louvre ou au British Muséum, les anciens dieux assyriens sont bien soignés.

La statue jumelle de ce taureau ailé à tête humaine, vieux de près de trois mille ans, se trouve au British Museum.
La statue jumelle de ce taureau ailé à tête humaine, vieux de près de trois mille ans, qui vient d’être détruit, se trouve au British Museum.

Bien sûr, ces destructions sont avant tout une opération de communication, un message : les barbares ne sont pas des irakiens révoltés contre l’idolâtrie, ce sont des guerriers internationaux, ils se moquent de l’histoire plusieurs fois millénaire de l’Irak mais ils savent que la destruction, les immolations, les défenestrations, les viols et les décapitations font horreur au monde entier, et c’est bien au monde entier qu’ils s’adressent. C’est le monde entier, le monde civilisé qu’ils veulent terrifier, dont ils veulent éprouver la fragilité, dont ils testent les limites, avec leur entreprise nihiliste, dévastatrice et suicidaire.

La réussite

Je me suis dit que le journalisme devait parfois être un bien triste métier en entendant un type de BFMTV dire quelque chose comme : « Et on se retrouve toute la matinée en direct du salon de l’agriculture pour suivre la visite de Nicolas Sarkozy ». J’ai éteint le poste, me disant que je pouvais bien vivre sans suivre de trop près cet événement majeur de l’actualité de mon pays.

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Le soir, j’ai vu quelques images. On voyait notamment l’ancien président s’adresser à des visiteurs du salon sur un ton populaire : « Ah oui, qu’est-ce qu’on s’prend avec c’te gouvernement, ah la la oui ma bonne dame ». Et les visiteurs d’acquiescer devant tant de clairvoyance.

C’est là que toute la vérité du personnage apparaît : il n’a jamais été l’héritier de De Gaulle ou de Jaurès, il s’inscrit dans une toute autre tradition : celle des représentants de commerce des comédies franchouillardes de la meilleure époque. Il est Jean Carmet fourguant son toxique alcool Vulcani (et ses pendules-cadeaux) dans Comment réussir quand on est con et pleurnichard (1974). Il est Jean-Pierre Marielle vendant des encyclopédies dans L’Entourloupe (1980).

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Un marchand d’aspirateurs à qui on ne cède que par pitié pour son œil triste, parce qu’il est un peu pathétique dans son entêtement, parce qu’il est un loser flamboyant. Parce que non seulement il est du genre à essayer de vendre un réfrigérateur à des eskimos, mais qu’en plus, il finit, à l’usure, par y parvenir.

Lettre-type

Très cher monsieur le préfet de [Département]

Je vous écris, en qualité de simple citoyen anonyme soucieux d’unité nationale pour vous signaler que je sais de source sûre que mon voisin, M. [Nom], résidant [Numéro, rue, code postal, ville] n’a pas vraiment l’esprit 11 janvier. Je lui trouve même l’air un peu 7 janvier. En effet, j’ai eu beau surveiller ses allées et venues pendant plusieurs semaines, il me semble qu’il n’est pas allé acheter le numéro « tout est pardonné » de Charlie Hebdo. J’ai vérifié son courrier, il ne se l’est pas fait livrer non plus. Par ailleurs, il a tenu des propos sur la Marseillaise et le drapeau bleu-blanc-rouge, affirmant que, je cite, « ce n’est pas ce que Cabu aurait voulu ». Enfin, il s’est moqué de l’allégorie de Plantu parue dans le journal Le Monde, où des hommes armés de simples stylos sont tués par des méchants terroristes sous le regard d’une colombe de la paix qui pleure. Ce manque de sensibilité est suspect.

En attendant que vos services se chargent de le châtier, j’ai pris l’initiative de crever les pneus de son automobile. Or ce monsieur m’a accusé sans preuve (il est impossible qu’il m’ait vu) d’être le responsable de l’état de ses pneus, et a porté plainte contre moi.
C’est pourquoi je me tourne aujourd’hui vers vous, sachant que vous saurez faire la part des choses et prendrez mon parti. Après tout, nous sommes Charlie !

[Date, Lieu, Signature]

Une arnaque bien fichue

Huit heures et demi du matin, téléphone. C’est Nathalie qui décroche. Grésillement pénible de call-center mal insonorisé, et interlocuteur à l’accent indien à couper au couteau, qui explique en anglais que son ordinateur Windows a un problème. Elle répond qu’elle est sur Macintosh et raccroche. Mais comme mon Windows a mis une heure à s’éteindre la nuit précédente, car il effectuait une de ses pénibles mises-à-jour, je ne peux pas m’empêcher de me demander si il n’aurait pas fallu écouter quand même.
Deux heures plus tard, nouveau coup de fil, mêmes conditions sonores désagréables, à la limite de l’audible. C’est moi qui ai décroché, cette fois. Un type m’explique qu’il faut d’urgence régler au plus tôt un problème sur mon ordinateur, que Microsoft UK reçoit des alertes… Je lui pose des questions auxquelles il ne répond pas : feinte ou incompétence, son anglais est vraiment très mauvais. Je finis par raccrocher.
Aussitôt, une femme me rappelle. Même son de ruche, même accent, mais son anglais est bien meilleur. Je me méfie toujours, mais elle connait mon nom et prétend pouvoir épeler mon numéro de licence : 888DCA60-FC0A-11CF-8F0F-00C04FD7D062. Elle me dit où le trouver sur mon ordinateur, et effectivement, ça s’y trouve. C’est le B.A.-BA de la prestidigitation : dire aux gens qu’on sait où se trouve quelque chose et les laisser vérifier. Ces interminables séries de chiffres, c’est crédible. Ceci étant, je me méfie toujours, et je teste la séquence de manipulations proposée (cmd, assoceventvwr) sur Google, ce qui m’amène aussitôt à des forums et des pages officielles de Microsoft qui m’expliquent qu’il s’agit d’une arnaque. Le numéro de série n’en est pas un, c’est juste une bête variable de la base de registre, tous les utilisateurs de Windows ont la même valeur au même endroit — je la reproduis dans l’article pour aider les prochains.
Victorieux, j’annonce à la dame que je l’ai confondue : « it’s a scam! ». C’est une arnaque. Une seconde voix féminine, suraiguë, se saisit du combiné et me crie : « Who told you this is a scam? ».  Qui vous a dit que c’était une arnaque ?
Je réponds que c’est Microsoft, et on me raccroche au nez.

Est-ce qu’on a essayé de me faire installer un programme qui transformerait mon ordinateur en ferme de spam ? En service pirate zombie ? Est-ce qu’on en voulait juste à mon numéro de carte-bleue ?
Je ne saurai pas. En tout cas, l’arnaque est bien fichue, assez professionnelle, même si elle ne doit pas avoir beaucoup de succès en France, puisque tout se passe en anglais (voilà qui aurait dû, plus que tout, me mettre en garde). J’ai signalé l’appel et son déroulement sur le site de Microsoft, qui ne prévoyait même pas, dans sa liste, qu’une victime de ce genre d’arnaque puisse toucher un non-anglo-saxon : la France n’était pas dans la liste des pays proposée.

Bitter biterrois

Ils ont raté le concours de la Police Nationale, ils n’ont (pour ce que j’en ai vu) que peu de compétences, et depuis l’informatisation des services, ils ne peuvent plus si facilement faire sauter les PVs de stationnement : qui veut être ami avec les policiers municipaux ?
Quand on a du mal à se faire aimer, on se rabat sur le respect, au sens de « tenir en respect », c’est à dire faire peur.
Les biterrois vont devoir apprendre à courir.

beretta_beziers

Le maire de Béziers communique avec un Beretta (plaqué or, ou c’est ce que laisse croire la photo ?) et un dialogue qui doit moins à l’Inspecteur Harry, souvent cité, qu’au Belmondo des années 1970s : « J’te présente mon nouvel ami, tagada tsoin tsoin, il s’appelle Beretta 92 ».

Quel pays de cons, quand même ! Et c’est pas fini. Le poisson pourrit par la tête, dit-on, mais parfois il pourrit aussi par le trou du cul. Je ne cite pas explicitement Robert Ménard, hein.
Le vrai problème de la démocratie, c’est qu’on n’a plus d’excuse, on ne peut pas se cacher : si on a des incompétents ou des ahuris aux commandes, c’est qu’une majorité (comme je plains les autres !) l’a bien voulu, et ça en dit beaucoup sur ce qu’elle vaut.

Et l’affaire du Formule 1 de Niort, on en parle ?

Je n’ai pas de sympathie pour Dominique Strauss-Kahn mais la joie mauvaise avec laquelle le procès du Carlton de Lille est suivi me met mal à l’aise. Ce n’est pas la première fois que je me dis que, en démocratie, comme dans le show-business, le public ne tolère de subir des élites ou de se créer des idoles que dans la perspective éventuelle d’assister à leur chute : on élit ses futures figures de carnaval, qu’on moquera, battra et brûlera. S’il y a au passage de sordides histoires de sexe, d’argent, ou pourquoi pas des meurtres, c’est du petit-lait.

L’affaire Strauss-Kahn mérite-t-elle objectivement de mobiliser tant de journalistes et de s’étaler en audiences interminables ? Ce que j’en retiens, c’est que des types étaient prêts à participer à des partouzes pour s’approcher du futur président de la République de l’époque… Ils ne se prostituaient pas moins que les femmes qu’ils embauchaient.
Il paraît que dans de nombreux secteurs économiques, les hommes qui font des voyages d’affaire se voient fournir le service de prostituées : ils ne les ont pas forcément réclamées, ils ne les paient pas, mais j’imagine qu’ils connaissent leur statut. La pratique porte des noms de code : « chambre garnie », « lit avec oreiller », et autres métaphores charmantes qui transforment un peu plus ces femmes en objets. Dans le film Soylent Green, les appartements chics sont fournis avec des femmes que l’on nomme furnitures : meubles.

L’affaire du Carlton de Lille pourrait être une belle occasion de parler de cette prostitution du monde des affaires dont certains me disent qu’elle est ordinaire, et qui en dit sans doute très long sur la place des femmes dans le monde de l’entreprise.

Tôt le samedi matin dans le tramway au Havre

Le Havre, dans le tramway, entre les stations « Mare Rouge » et « Rond-Point ».
Deux types, dans leur trentaine avancée, échangent des souvenirs sur les dessins animés de leur enfance. L’un a connu à la fois les Mystérieuses cités d’or et Bob l’éponge, il peut chanter les génériques mais s’excuse de connaître les dessins animés les plus récents parce qu’il les a regardés avec ses nièces.
L’autre est moins calé.
C’est samedi, à peine huit heures. Les deux hommes semblent rentrer d’une fête car ils débattent pour savoir s’il vaut mieux aller se coucher ou non. Le jour se lève tranquillement et on voit bien la Lune.

samedi_matin_mare_rouge

Un peu plus tard, je surprends une autre bribe de leur conversation. C’est l’amateur de dessins animés qui parle :

— …Non mais ça ferait deux voitures, c’est pas possible, moi je peux pas.
— …
— Franchement, attends, tu as vu la vidéo sur le travail des femmes ? Elle dure que sept minutes.
— Non je connais pas
— Ça explique que les femmes qui travaillent, en fait, ça arrange le capitalisme. Parce que ça fait double travail, donc double salaire, donc double consommation. Ça dure que sept minutes.
— Ah ouais
— Moi ça m’a fait réfléchir. Tu devrais regarder, ça dure que sept minutes.

L’éducation par la négative

Ma fille cadette, bonne élève, souffre en préparant un oral en espagnol pour le lendemain. Elle doit disserter sur les questions d’échanges culturels et de territoire, en s’inspirant des documents vus en classe, et en choisissant une problématique particulière.
J’essaie de discuter pour l’aider à débloquer son problème, mais à chacune de mes suggestions, elle m’explique « on n’a pas le droit ». Pas le droit de tout axer sur un document ou une œuvre, qui servirait de prétexte. Pas le droit de ne pas faire de plan. Pas le droit de faire un pas de côté, pas le droit de parler d’un film qu’on est seul à connaître, pas le droit de parler trop longuement des documents vus en classe, pas le droit de ne pas en parler, pas le droit, pas le droit, pas le droit. Juste l’obligation que le résultat ne soit pas trop « bateau », pas trop plat.

Que ce soit la consigne ou que ça soit la manière dont ma fille comprend cette consigne, il me semble qu’on est au cœur mêmes des pires travers de l’éducation nationale française, qui pose des contraintes en cascade, des injonctions négatives et réclame dans le même temps, et de manière pour le moins contradictoire,  de l’originalité et de l’indépendance. La mère de ma fille, elle aussi habituée à être bonne élève, a buté sur le même problème en devenant, de manière éphémère1, professeure des écoles : si j’ai bien compris, chaque enseignant doit construire ses cours en autonomie, mais en connaissant le programme, les consignes, les directives, autant dans les contenus que dans la méthode pédagogique, et en dépensant une énergie considérable à « montrer patte-blanche » lors des inspections, ce n’est pas tant de bien faire, qui est demandé, que de rendre compte qu’on a suivi les règles…

Si on ajoute à ça la tendance de l’école française à faire reposer les évaluations sur le principe du piège (on cherche ce que vous ne savez pas, ce que vous n’avez pas compris, ce que vous avez mal fait), et avec l’idée que rien ne sera jamais assez bien, cette institution peut difficilement être autre chose que le royaume des double-contraintes2 et du stress, au sens d’Henri Laborit, c’est à dire une situation psychologique qui advient lorsque l’on veut répondre à un problème mais qu’aucune action n’est envisageable. On est alors prostré, et on ne peut survivre que par l’agressivité ou la fuite.

  1. Nathalie a préparé le concours de professeur des écoles tout l’an passé, et l’a passé avec succès, et même, bien classée. Mais après trois mois de stage, et malgré le plaisir qu’elle avait à aller à l’université la moitié du temps, elle a craqué et abandonné ce métier. J’espère qu’elle prendra le temps de raconter cette expérience. []
  2. Lire l’article de Wikipédia sur le sujet. []

La vérité ne se révèle qu’à l’épreuve de l’acide

Une jolie réflexion de Romain Gary sur la valeur de l’irrespect :

François Bondy : Tu ne peux tout de même pas refuser tout choix politique ?

Romain Gary : La vérité politique est faite de moments, de rencontres avec la vérité historique, c’est une ligne qui court en zigzags et en oscillations à travers tous les partis, et je me force de suivre cette ligne et les partis qu’elle traverse momentanément. Mais il y a autre chose. La seule obligation sacrée que j’attribue à l’art ou à la littérature, c’est la recherche des vraies valeurs. Je crois qu’il n’y a rien de plus important pour un écrivain, dans la mesure où il se soucie de la vérité. Or seuls le manque de respect, l’ironie, la moquerie, la provocation même, peuvent mettre les valeurs à l’épreuve, les décrasser, et dégager celles qui méritent d’être respectées. Une telle attitude — et c’est peut-être ce qu’il y a de plus admirable dans l’histoire de la littérature — est pour moi incompatible avec toute adhésion politique à part entière. La vraie valeur n’a jamais rien à craindre de ces mises à l’épreuve par le sarcasme et la parodie, par le défi et par l’acide, et toute personnalité qui a de la stature et de l’authenticité sort indemne de ces agressions. La vraie morale n’a rien à redouter de la pornographie — pas plus que les hommes politiques, qui ne sont pas des faux-monnayeurs, de Charlie Hebdo, du Canard enchaîné, de Daumier ou de Jean Yanne. Bien au contraire : s’ils sont vrais, cette mise à l’épreuve par l’acide leur est toujours favorable. La dignité n’est pas quelque chose qui interdit l’irrespect : elle a au contraire besoin de cet acide pour révéler son authenticité.

Dans : La nuit sera calme (1974), entretien fictif entre Romain Gary et son ami François Bondy. C’est en fait Romain Gary qui fait les questions et les réponses.