chiche !

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Essayons d’imaginer suivre ce programme.
Il faudrait déjà définir ce qu’est la France, mais disons que c’est le pays dont les frontières sont la mer Méditerranée,  les Alpes, les Pyrénées, l’Atlantique, la Manche, le Rhin, et bien entendu la ville de Quiévrain, connue pour séparer la France de la Belgique,…
Si l’on remonte à quelques siècles, notre territoire a malheureusement été assailli d’influences exogènes. En visitant le Louvre, par exemple, on est rapidement saisi d’horreur devant l’impureté de ce musée censé être la fierté de tous les Français : du mésopotamien, de l’égyptien, du grec,  de l’étrusque, du romain, du flamand, de l’italien en veux-tu en voilà… Et quant aux peintres bien français des siècles passés, ils partaient apprendre à peindre en Italie ! Pas grand chose à garder dans ce musée en dehors de ses murs. Et je ne parle pas de sa pyramide !

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La langue française elle-même est saturée d’influences latines, mais aussi de mots issus de langues très diverses, à commencer par l’arabe, qui en punition de deux cent ans de croisades nous a amené les mots « abricot », « alcool », « amiral », « aubergine », « café », « chèque », « chiffre », « chimie », « cordonnier », « coton », « douane », « épinard », estragon, « hasard », « jupe », « magasin », « matelas », « tasse », etc.
Pour être vraiment français, il faudra nous débarrasser de l’influence des peuples germaniques qui, fuyant les Huns, sont venus se réfugier chez nous : les Burgondes (qui fondèrent la Bourgogne et sa cour aux mœurs raffinées, qui a servi de modèle aux autres royaumes), les Goths, et bien entendu les Francs, qui n’avaient rien de bien intéressant mais nous ont laissé leur nom.

Bien entendu, pour que la culture française ne soit rien d’autre que française, il faudrait se débarrasser d’urgence des religions moyen-orientales sans gène qui se sont installées chez nous sans avoir été sollicitées, avec leur vocabulaire, leurs prières et leurs rites : le Judaïsme, l’Islam, et bien entendu, l’affreux Christianisme. Ces religions ne sont pas faites pour nos climats, elles viennent de pays désertiques où les gens écrivent à l’envers, ne connaissent qu’un Dieu et ne croient pas aux esprits. La première religion qui a existé dans nos contrées et qui a perduré des dizaines de millénaires durant était animiste et vénérait la nature.

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Toujours venue d’Orient, il faut que nous nous débarrassions de l’agriculture, cette pratique qui entend domestiquer la nature au profit de l’homme et qui n’est pas de chez nous : nous, Français, sommes des chasseurs-cueilleurs anthropophages.
D’innombrables aliments sont d’ailleurs bien peu français, et pour retourner aux sources, il faudra nous passer de tout ce qui vient des Amériques : cacao, cacahuète, tomate, maïs, haricots, pommes de terre, tabac, avocat, poivron et piment, topinambour, rutabaga, dinde, et courges diverses, telles que le potiron et les courgettes. Il faudra aussi éviter le concombre, le navet et le poulet, qui viennent d’Inde ; l’ail qui vient d’Asie occidentale ; la plupart des céréales (avoine, blé), le fromage, la bière, les lentilles, la moutarde, les amandes, les pois, les radis, la laitue et les carottes, qui sont des exportations moyen-orientales. L’oignon, le vin et la pomme nous viennent d’Asie centrale. L’idée de cultiver les fruits d’un arbre a été inventée en Palestine, avec la figue. Le thé, la poire, la pèche, le citron, la rhubarbe, et, curieusement, le Sarrasin, nous viennent de Chine. La cannelle, du Sri Lanka. Le café, l’artichaud et la pastèque, d’Afrique. Le pain est égyptien, les pâtes sont chinoises. les viennoiseries viennent d’Autriche et la pâtisserie, d’Italie.

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Un vrai français ne doit manger que des baies, des champignons, des asperges, du chou, des pissenlits, des orties, des châtaignes, du miel et des racines. Et bien entendu le gibier que l’on trouve dans nos forêts, les poissons que l’on trouve dans nos mers et nos rivières, le miel et les œufs d’oiseaux sauvages. Tout ça est bien suffisant, on peut cuisiner d’innombrables recettes avec ces aliments.
Le vrai français n’a pas l’électricité, puisque le courant alternatif nous vient du yougoslave Tesla ; ni le téléphone, qui nous vient de l’Américain Bell ; ni le train ou le football, qui sont anglais. Etc. La chaise nous vient d’Égypte, la fourchette et la monnaie, de Turquie. L’oreiller, de Mésopotamie. L’égout, du Pakistan. Le traversin, la baignade en maillot de bain, le chauffage central et l’eau courante, de Rome.
La Démocratie est grecque, tout comme la philosophie. La République est romaine, la Monarchie vient du moyen-orient. Le droit et l’écriture sont des inventions sumériennes ou égyptiennes. La géométrie et l’arithmétique sont grecques, l’algèbre est arabe.

Ah, et puis il y a l’homme, aussi, l’être humain. Cette vilaine bête vient d’Afrique de l’Est. Si la France était vraiment française, on n’y trouverait aucun homo sapiens.

Le complot des sacs en plastique blanc

Paris. Un mec d’une voix pressante me dit « hé m’sieur, m’sieur ! ». Je sens déjà l’embrouille, je me tourne quand même vers lui parce que je suis bien élevé, peut-être, mais en m’attendant à ce qu’il me demande une cigarette ou de l’argent, et en me préparant à refuser. Sous un bras il porte un grand sac en plastique blanc sale. Il me tend l’autre en désignant le sol : « Eh, il est tombé par terre… votre sourire ! ». Mes yeux ont suivi son index, le type est écroulé de rire, et d’un air mauvais il me dit : « Ha ! il a regardé ! Comme un con ! ». Le mot « con » est dit de manière particulièrement sonore et appuyée. Il rit en continuant de marcher d’un bon pas. Il n’y avait que lui et moi dans le périmètre. J’ai haussé les épaules d’incompréhension, mais j’aurais bien voulu le rattraper, lui demander pourquoi il avait eu besoin de me dire ça, d’être agressif.

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Une demi-heure plus tard, je suis à la Fnac. Ma fille aimerait avoir une compilation de Jacques Brel, et je compare les titres présents sur celles qui sont dans le rayon. De manière incompréhensible, aucune ne semble avoir Mathilde, qui une de mes chansons préférées. Je lis, je relis, j’essaie de me concentrer et de deviner les titres à demi recouverts par l’étiquette du prix. Subitement, je reçois un coup de sac en plastique — encore un sac en plastique blanc et sale, dont j’ignore le contenu — dans la main, qui fait voler les boîtiers de cd en l’air. Je me tourne, et je vois un type plutôt petit, mésomorphe, poilu, suant, qui me regarde d’un air de défi haineux et continue d’agiter son sac en me frôlant et en dansant sur ce qui passait dans le rayon, à savoir une chanson de Benjamin Biolay, sans doute de son dernier album. Je ramasse les Cds en restant sur mes gardes, et en disant quelque chose comme « Ça va pas bien ? ». Aucune réponse, il continue de me regarder en balançant son sac et en dansant, mais il recule. Je signale à deux vendeurs qui se trouvent tout près mais qu’il y a quelqu’un de bizarre dans leur rayon. Ils n’avaient rien vu. Ils le scrutent, en me disant « ah oui il a l’air… ». Et je les laisse avec le problème, bien réveillé par l’adrénaline.

Qu’est-ce qu’il y a dans l’air aujourd’hui ? Est-ce qu’on est dans une période d’éruptions solaires qui rend les fous méchants ? Est-ce qu’il y a de perturbateurs endocriniens dans les vieux sacs blancs en plastique qui rendent agressifs ?
Je comprends pas. Ou bien c’est moi qui ne vais pas assez souvent à Paris ces temps-ci ? J’ai perdu ma vigilance ? Il y a quand même beaucoup de gens qui ne vont pas très bien.

Pourquoi je ne comprendrai jamais la psychanalyse

(Pour un long trajet en train, vendredi dernier, j’ai acheté le Charlie Hebdo de la semaine. J’aime bien avoir un journal dans le train, même si je ne le lis en général pas très attentivement. Souvent, ce journal est Charlie Hebdo, que je n’ai pas d’états d’âme à abandonner sur place : si quelqu’un d’autre veut le lire, si quelqu’un veut vérifier que Charlie n’est pas exactement le brûlot raciste que disent certains, eh bien libre à cette personne de le faire. Tout ça pour dire que je n’ai plus le dernier Charlie Hebdo sous la main, et que je vais parler d’un article de mémoire)

L’article est celui d’un psychanalyste1, qui parle d’un client âgé de dix-sept ans qui a fait un séjour dans une institution psychiatrique après des crises d’angoisse et des bouffées délirantes. En enquêtant, le praticien découvre un élément majeur de l’affaire : le jeune homme était très engagé dans les luttes contre la loi Travail, a beaucoup manifesté, et ses crises d’angoisse sont directement consécutives à une forte exposition à des gaz lacrymogènes.
La suite est intéressante : pour moi qui ne réfléchit pas très loin, l’affaire est entendue : les gaz lacrymogènes sont de puissants neurotoxiques interdits en temps de guerre comme arme contre ses ennemis, mais étrangement autorisés en temps de paix comme moyen de calmer les citoyens qui ne se tiennent pas sages. Il existe plusieurs molécules différentes de gaz utilisés par les forces de l’ordre mais il semble que plusieurs d’entre celles qui sont employées sont connues pour provoquer, justement, de fortes crises d’angoisse chez ceux qui y ont été exposés — et pour causer des séquelles durables de l’appareil respiratoire, mais c’est une autre question, peut-être2.

Sylvain SZEWCZYK (CC BY 2.0)
Photographie de Sylvain Szewczyk (licence CC BY 2.0)

Si vous faites le même raisonnement que moi, peut-être aurez-vous du mal à comprendre les conclusions du psychanalyste auteur de l’article. Pour lui, l’important est invisible pour les yeux, et les yeux ne pleurent pas à cause du gaz ni à cause du tarif de la consultation, mais pour des raisons plus profondes et moins triviales : le jeune homme a dans sa famille quelqu’un qui n’est pas revenu des camps, et qui avait d’ailleurs son âge. Alors voir les fumées policières et lire des slogans tels que « CRS=SS » ou « Bernard Gazeneuve » lui a fait remonter les heures les plus sombres de l’histoire de sa famille, qu’il tentait jusqu’ici de refouler avec énergie. Le gaz ne lui a pas fait du mal, il lui a rappelé le gaz des camps d’extermination. Par association d’idées.

Voilà exactement ce qui me gène profondément avec la psychanalyse : elle écarte ce qui est évident, au profit d’une improbable construction intellectuelle qui relève du se non è vero è bene trovato : si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé.
Ce qui impressionne souvent, avec la psychanalyse, c’est que c’est une marotte de gens intelligents, et l’intelligence force le respect. C’est un peu comme le complotisme. Il s’agit d’ailleurs peut-être de deux réponses semblables (l’une appliquée à la psychologie, l’autre à l’actualité) à un même sain besoin de regarder au delà des apparences. Mais l’une et l’autre souffrent d’un même caractère systématique : ce qu’on voit est faux, ce qu’on ne voit pas est vrai, ce qui semble simple doit être complexifié jusqu’à perdre tout lien avec une quelconque réalité, et ce qui ne relève pas du jeu intellectuel sophistiqué est décidément trop trivial pour mériter d’être considéré.
Je sais ce qu’on va me dire : je prends un exemple extrême, pas forcément représentatif de toute la profession, etc. Mouais.

  1. Le goût béat pour la psychanalyse est pour moi la plus horripilante scorie du passage du sinistre Philippe Val à la tête de l’hebdomadaire bête-et-méchant. []
  2. Peut-être, mais peut-être pas, car rien n’est plus angoissant que d’avoir des problèmes pour respirer, surtout en en ignorant les raisons. []

Réflexion sans intérêt

(On finit par s’habituer à l’horreur des attentats, mais on finit aussi par s’habituer aux déclarations débiles qui accompagnent l’horreur. Et on ne peut pas toujours se retenir soi-même d’en émettre, ce que je fais ici — soyez indulgents et ne voyez là que le besoin de réfléchir à voix haute)

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Je sais bien qu’il faut attendre ce que dira l’enquête, mais plus j’en apprends sur Lahouaiej Bouhel et plus je me dis qu’il n’a rien à voir avec l’islamisme, je me dis qu’il a plutôt le même profil qu’Andreas Lubitz, l’Allemand qui s’était suicidé en emmenant avec lui cent quarante neuf autres passagers et personnels de l’avion dont il était co-piolote. Un mass-murderer tel que les États-Unis en produisent toutes les semaines, quoi, une de ces personnes qui peinent à vivre avec les autres et qui veulent mourir en emmenant un maximum de gens avec eux.
Sommes-nous dans une société qui produit plus que d’autres des gens inquiets de leur avenir, frustrés, malheureux ? Est-ce que leur médiatisation a transformé les suicides meurtriers en mode, ou est-ce qu’il s’agit juste d’en avoir eu les moyens, l’occasion, l’idée ? Est-ce que nous assistons à une épidémie d’un problème psychologique neuf ? Après tout il existe dans l’histoire plus d’un souverain ou d’un meneur de secte qui a fait payer ses problèmes psychologiques et son immaturité à des centaines, des milliers ou des millions de gens. Et finalement, est-ce tous que les gens qui se suicident en emmenant un maximum d’autres avec eux, en se vengeant du monde entier, ne sont pas les mêmes, qu’ils se donnent un prétexte idéologique ou non ?

Comment faire pour que les gens soient heureux ? Ou lorsqu’ils ne peuvent pas l’être — et du reste, ça serait impossible —, comment faire pour qu’ils apprivoisent leurs propres frustrations, leur solitude ? Tout ramener à une question de société de consommation (supplice de tantale perpétuel qui produit de la frustration en donnant à chacun l’impression — fondée — d’être submergé par l’abondance, et parfois torturé par le désir impuissant de posséder des biens ou des gens) serait un peu court, sans aucun doute, mais il doit y avoir quelque chose à réfléchir par là.

Soirée foot

Hendaye-Tarbes en famille, mon père conduit. La route m’endort, mais je suis réveillé par une clameur générale dans le véhicule : un furieux arrivé de nulle part nous a doublé par la droite, à toute bombe, alors que mon père se rabattait. Sans sa conduite débonnaire et ses bons réflexes, peut-être que je ne serais pas en train d’écrire en ce moment. J’ai tenté de photographier la plaque du chauffard, qui, devant nous, collait au cul des voitures qui le freinaient, et qui étaient pourtant à au moins cent trente à l’heure, la limite autorisée. Toujours aussi brusque, il est subitement sorti de l’autoroute et a disparu. Sur le chemin, d’autres automobilistes aussi pénibles se collaient, se pressaient, se doublaient de manière imprudente. On est un dimanche d’été, en début de soirée, il n’y a qu’une explication à cette frénésie : cette nuit il y a match.
Sur une aire d’autoroute, j’achète un best-of de Nina Simone, pour en faire cadeau à mes parents, car je sais que ça va leur plaire et je me doute qu’ils ne connaissent pas, ou pas bien. Et puis aussi parce que c’est exactement ce que j’avais envie d’écouter pour les derniers kilomètres du trajet. L’autoradio n’a pas un son parfait, mais la magie fonctionne, le paysage change pendant que la reine du jazz reprend Ain’t got no. Quand commence Feeling good, ma fille cadette demande si on peut monter le son.

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À la sortie d’une ville, on voit dépasser d’une fenêtre de voiture deux gosses grimaçants dont les bras tendus semblent vouloir nous dire quelque chose. Ils ont les joues bleu blanc rouge, et j’imagine qu’ils veulent nous dire qu’ils sont joyeux ou impatients que le match commence. Please don’t let me be misunderstood. Plus loin, le long d’une route toujours, un ballon vole, venu d’un petit jardin ou une cinquantaine de personnes sont entassées, habillées avec des maillots de football. Ambiance barbecue, il n’y a pas de place pour jouer, on comprend que le ballon ait eu envie de sortir de là. Here comes the sun. Beaucoup de drapeaux nous croisent, surtout français, un peu portugais.
À l’entrée de Villecomtal, un vélo rouge entouré de pots de fleurs nous rappelle qu’ici, des cyclistes ont été fauchés par un jeune militaire qui conduisait, ivre, de retour de permission. Huit ont été blessés, un est mort.
Ne me quitte pas. Le ciel est encombré, les champs de maïs sont mornement arrosés, mais tout ça a quelque chose de beau, avec la voix qui sort des enceintes. Une partie de la magie du cinéma vient de ce genre de moments : une caméra qui avance en regardant, et une musique qui n’avait aucun rapport jusque là, et qui en crée un.