La Grande guerre de « mummy » Florence

Un extrait des souvenirs de mon arrière-grand-mère, Florence Adeline Chamier-Deschamps (1884-1972). Malgré son patronyme francophone (ses ancêtres, protestants de la Drôme, avaient quitté la France après la révocation de l’Édit de nantes), elle était britannique, ce qui explique certaines tournures et quelques bizarreries dans l’usage de la conjugaison.

Mes arrière-grands parents Florence Chamier-Deschamps ("Mummy") et son mari Jean Lafargue ("Daddy") dans le jardin de la maison qu'ils ont achetée en 1948 et où mon frère Jérôme, moi-même et nos familles respectives vivons.
Mes arrière-grands parents Florence Chamier-Deschamps (« Mummy ») et son mari Jean Lafargue (« Daddy ») dans le jardin de la maison qu’ils ont achetée en 1948, où j’habite depuis mon enfance, comme mes propres enfants, et où ont grandi mon père, ma sœur et mon frère qui, comme moi, vit toujours là avec sa petite famille.

Partis en vacances pour Gavarnie, des bruits de guerre arrivèrent jusqu’à nous confirmés hélas par la suite. Daddy pourvu d’un sursis d’un mois partit précipitamment pour regagner l’usine de St Denis emmenant avec lui notre petit Claude qu’il déposa à Cognac chez sa sœur. Je suis restée seule à l’hôtel, une fausse couche me retint au lit, conséquence des secousses sans doute de la montée à âne jusqu’à Gavarnie. Je fus très impressionnée en quittant ce lieu désert en voyant afficher la déclaration de guerre en l’année 1914.

Je regagnai St Denis au bout de 4 jours, la priorité fut donnée aux trains à destination du front. Enfin réunis à la Centrale Electrique, nous suivions les événements avec angoisse. Nous apprenions que les Allemands étaient à Villers-Cotterêts. En même temps le parrain de Claude nous faisait savoir du Ministère de la Marine que le gouvernement prenait le chemin de Bordeaux et qu’il me fallait quitter Paris immédiatement. En effet je pris le dernier train en partance. De son côté Daddy rejoignit son régiment, impatient de prendre part à la défense de son pays. On était persuadé à ce moment que la guerre serait de courte durée. Puis ce fut la terrible attente des nouvelles. Le hasard voulut qu’un certain Capitaine revenu du front, raconta son remords d’avoir envoyé à une mort certaine un de ses hommes porteur d’un message et qu’il fut possédé du regard de cet homme. En l’occurrence il s’agissait de Daddy. Heureusement peu de temps après, un télégramme m’arriva de ce dernier m’annonçant qu’il était hospitalisé à Niort. De suite, je partis pour cette ville accompagné de notre petit Claude. Notre revoir fut tout de joie malgré la forte température du blessé. Son voisin de lit fut un typhique qui réclama à corps et à cris à manger. L’infirmière lui servit des haricots malgré nos protestations. Le résultat ne se fit pas attendre, il mourut peu après. Cela fut pour nous un spectacle navrant qui nous éclaira sur la confusion qui régna dans cette salle d’hôpital. A mon blessé, atteint aux deux jambes d’une balle, le chirurgien mit un drain pour évacuer le pus. Auparavant il était resté 8 jours sans soin d’où l’infection des deux plaies. Pendant un mois sa forte température se maintint à 40°. Alors le chirurgien toujours débordé se décida à l’opérer sans me cacher le danger qui en résulterait. On lui enleva le drain et aussitôt la fièvre baissa et chaque jour apporta une amélioration à son état si bien que l’intervention n’eut jamais lieu. Sa convalescence fut cependant longue égayée par la présence du petit Claude très précoce qui prenait déjà goût à rassembler les syllabes du journal de Papa L’Echo de Paris à l’étonnement et à l’admiration de tout l’entourage. Il n’avait pas encore atteint sa deuxième année. Au bout de quelques mois de repos, notre blessé avait repris des forces mais il restait une certaine faiblesse dans la jambe la plus atteinte. Il boitait. Une commission de médecins arriva à l’hôpital, et je fus consternée de constater que bon nombre de blessés qui me semblaient des déchets humains, soumis à l’examen médical, repartait avec l’étiquette (Bon pour le front). Il est vrai à cette époque que les choses de guerre n’allèrent pas très bien pour nos combattants. Enfin ce fut le tour de mon mari pour se présenter devant la commission. A mon grand soulagement on lui trouva des adhérences qui expliquaient la défaillance de la jambe.

A partir de ce moment nous errions tous les trois de dépôt en dépôt jusqu’au moment où il fut appelé dans une usine à Issy les Moulineaux où on lui confia la construction de bâtiments pour la fabrication de magnétos. Chose étrange, seuls les Allemands en possédaient les secrets. En effet, mon mari trouva là un contremaître allemand de nationalité. Il ne faut s’étonner de rien en temps de guerre! Nous nous installâmes dans un petit appartement Rue du Hameau et là naquit notre petit André qui fut très pressé pour faire son entrée dans le monde. Nous avions pris toutes les dispositions pour expédier Claude au bord de la mer avec notre bonne très sérieuse et expérimentée mais le jour même prévu pour leur départ je donnai signe d’un accouchement, un mois d’avance sur le programme. Lorsque l’on me présenta l’enfant je ne le trouvai point beau, vieillot avec un menton peu apparent. Heureusement chez les nouveaux-nés les transformations se font très rapidement et devant l’œuvre accomplie se manifesta l’admiration des parents. Il faut vous signaler que notre 5ème étage se trouvait dans l’axe de la Grosse Bertha, un gros canon placé à une centaine de kilomètres de Paris, insoupçonné de tous -. La guerre est toujours riche en innovations. Notre brave concierge carillonnait à notre porte dès que les sirènes donnaient l’alerte, en pure perte, car notre décision fut prise. Mieux valut rester tous les quatre réunis que descendre dans les caves au risque de prendre du mal. « Advienne qui pourra » fut notre devise. La guerre a ceci de particulier: elle aiguise l’esprit de l’homme et le rend fertile, en inventions pour tuer et après guerre c’est le retour aux réjouissances dont on fut privé depuis 4 longues années. En attendant le retour à la paix nous pûmes suivre le développement de nos fils.

Cependant nous avons connu des jours d’angoisse à leur sujet. Claude contracta une scarlatine compliquée d’une pneumonie et voilà que notre Benjamin entra en même temps dans un état somnolent refusant toute nourriture. Bien entendu nous eûmes recours à la faculté. Deux pontifes furent appelés en consultation qui ne nous donnèrent que des hypothèses peu réjouissantes. Craintivement je suggérai une scarlatine ayant aperçu une furtive éruption de rougeurs. Cette suggestion fut repoussée dédaigneusement. Sa langue ne fut pas caractéristique de cette maladie. Le temps passa, nous plongeant dans les pires craintes puis un beau jour l’enfant s’agita en réclamant sa bouillie. A partir de ce moment tout rentra dans l’ordre sans que nous sachions le fin mot de cette mystérieuse maladie. Enfin le jour de gloire arriva le jour de l’armistice. Tout le monde descendit dans les rues se côtoyant et s’interpellant. Ce fut le délire. Malgré toutes ces manifestations débordantes combien de familles furent touchées par cette guerre longue et meurtrière. Combien de fils et pères de famille ne répondirent plus à l’appel désespéré des leurs! Par la suite nous avons visité les champs de batailles impressionnants et cruels à voir. Toutes ces vision hallucinantes furent fixées à tout jamais dans nos mémoires.

(rédigé en 1966, transcrit par Daniel Lafargue)

Fauché aux jambes (1914)

Troisième extrait des souvenirs de la Grande Guerre par mon arrière grand-père, Jean Lafargue.

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Le 9 novembre 1914 j’arrivai avec mon régiment devant Ypres en Belgique ; le soir même nous prîmes place dans des tranchées de première ligne. Pendant toute la nuit je circulai entre celles-ci et le poste de commandement situé dans un village à quelques 5 ou 600 mètres en arrière.

Au petit matin du 10, j’entendis du bruit d’armes dans les tranchées allemandes à 50 mètres des nôtres, nul doute ceux-ci allaient attaquer au petit jour, or nos soldats n’avaient presque pas de munitions et uniquement des fusils, aucune mitrailleuse. Le danger était grand, il fallait au moins prévenir l’artillerie, mais nous n’avions pas de téléphone. Je décidai donc de partir, avec l’accord de mon chef, pour prévenir le commandant et l’artillerie, mais déjà le jour commençait à poindre. Je partis néanmoins en courant, mais à peine avais-je fait cinquante mètres qu’une très vive fusillade éclata, les Allemands tiraient sur moi. Je tombai, blessé aux deux jambes; un trou était près de moi, je m’y glissai, mais chaque fois que je relevais la tête, la fusillade recommençait.
Les artilleurs français, réveillés par celle-ci, arrosèrent alors d’obus le terrain où j’étais, croyant que les Allemands attaquaient là ; par chance, je ne fus pas atteint.

Ce jour là, les Allemands commencèrent cependant leur attaque d’Ypres, la bataille dura trois jours ; j’avais pu, avec les plus grandes difficultés gagner par mes propre moyens (car à ma compagnie on m’avait vu tomber et on me croyait mort) un petit poste de secours dans lequel je suis resté trois jours sans manger, entouré de malheureux Français et Allemands – qui râlaient et mouraient. Le quatrième jour je pus enfin être hissé sur une voiture de paysan qui m’amena dans un hôpital de campagne d’où je partis dans un train de blessés pour une destination inconnue. Au bout de plusieurs jours de repos, ravitaillé par des braves paysans qui faisaient arrêter notre train, j’arrivai à Niort, on me transporta au Lycée transformé en hôpital. Un chirurgien connu me donna des soins mais si mal à propos qu’un abcès interne se déclara dans une jambe, cet abcès détruisit les tissus musculaires, et aujourd’hui encore, plus de cinquante ans après, j’ai une faiblesse de la jambe qui m’oblige à marcher avec une canne. Une commission de trois médecins me déclarèrent inapte à faire campagne. Je fus alors envoyé à Paris pour participer à la construction d’une usine destinée à fabriquer des magnétos pour les moteurs d’avion et d’auto.

(rédigé en 1966, transcrit par Daniel Lafargue)

Hécatombe d’un régiment (1914)

Autre extrait des mémoires de mon arrière grand-père, Jean Lafargue (1884-1974).

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Une semaine plus tard, ce fut pour mes camarades et moi le vrai départ. Combien d’entre nous devaient en revenir? Bien peu certes, je n’en connais aucun, peut-être ai-je été le seul. Je n’insisterai pas sur ce triste sujet, je raconterai seulement un fait entre bien d’autres :

Notre régiment se trouve devant un village occupé par les Allemands. Trois attaques de ce village faites par des régiments d’élite ont déjà eu lieu sans résultat autre que la destruction quasi totale de ces régiments. Nous étions arrivés pour les remplacer. Le soir de notre arrivée le commandant de la compagnie et moi-même (qui suis un caporal fourrier, seul grade que j’ai accepté) allons voir le colonel pour connaître ses ordres. Le colonel est dans un trou, c’est un homme intelligent, sympathique, très distingué ; il téléphone au général et celui-ci ordonne d’attaquer le village le lendemain matin. Protestation très vive du colonel qui rappelle que trois régiments ont déjà été détruits sans aucune perte du côté allemand, que nous n’avons pas d’artillerie et que l’attaque dans ces conditions ne peut avoir que le même résultat que les précédents. Le général qui est à une cinquantaine de kilomètres en arrière, maintient son ordre formellement. «C’est bien, dit le colonel, mais pour que mon régiment consente à l’attaque, je serai obligé de me mettre à sa tête pour entraîner les hommes, et ce qui arrivera est facile à savoir. J’obéis, mais je proteste contre un tel ordre».
Le colonel se retourne vers nous et nous dit : «vous avez compris, demain nous attaquons, mais vous deux, vous resterez en réserve avec une section [25 hommes]». Le lendemain matin, un peu avant l’heure prévue, le capitaine m’envoie en mission près du commandant, en cours de route, j’entends le crépitement des mitrailleuses allemands pendant une ou deux minutes, puis plus rien. A mon retour quelques instants plus tard, je constate que mon capitaine n’est plus dans notre trou commun. Son ordonnance m’explique: dès le début de l’attaque, le lieutenant qui devait entraîner les hommes est tué, les hommes ne sortent pas des tranchées, le capitaine, voyant cela, se met alors à leur tête et puis plus rien, mais avant de partir ce capitaine de réserve qui était pour moi un ami, dit à son ordonnance :
«surtout que Lafargue ne cherche pas à me suivre».

Toute la journée je suis resté dans mon trou, tout était calme, je ne voyais rien. La nuit venue j’ai été me rendre compte avec prudence car les Allemands toujours invincibles étaient à une cinquantaine de mètres. J’avais de la peine à éviter de marcher sur les cadavres, je sautai dans la tranchée de ma compagnie, je finis par réunir une vingtaine d’hommes effarés. Ceux qui étaient partis à l’attaque (une centaine) étaient tous étendus sur le terrain, morts. Je me rendis alors au poste de commandement du colonel, celui-ci avait été tué ainsi que 800 hommes du régiment. C’était là le seul résultat de l’attaque comme prévu par le colonel. Un autre régiment vint nous remplacer le surlendemain. Ce n’est qu’un épisode, comme bien d’autres, j’ignore si le général comprit, vraisemblablement pas, ce jeu de manœuvre devait continuer pendant plusieurs années. Les états-majors, bien installés dans des châteaux à bonne distance du front, ordonnaient : «En avant !», sans tenir compte de la situation locale, exposée par des colonels qui, eux, étaient sur place. Mon dégoût de l’armé, né lors de mon service militaire, se mua en haine contre ces chefs orgueilleux et stupides.

(rédigé en 1966, transcrit par Daniel Lafargue)

La carte cycliste (1914)

Un extrait des mémoires de mon arrière grand-père, Jean Lafargue, né en 1884 à Laprade (Charente) et mort en 1974 à Cormeilles-en-Parisis (Val-d’Oise).

Jean Lafargue, convalescent après avoir été mitraillé aux deux jambes près d'Ypres en Belgique.
Au centre, Claude Lafargue et ses parents Florence et Jean, mes arrière-grand parents. Jean est convalescent après avoir été mitraillé aux deux jambes par les allemands près d’Ypres en Belgique, après quatre mois de guerre.

Avant cet incident, j’étais depuis quelques 15 jours au dépôt lorsqu’un ordre de l’autorité supérieure vint un soir: envoyer d’urgence au front tous les hommes disponibles. J’étais de ceux-ci, une cinquantaine d’autres restaient au dépôt, parce que malades ou hors d’état de combattre pour une cause quelconque. Une petite troupe d’une centaine d’hommes dont je faisais partie, partit quelques heures plus tard, presque clandestinement pour ne pas inquiéter la population.

Un train était stationné dans une petite gare voisine, nous le prîmes mais bientôt il s’arrêta, la voie étant coupée. Nous continuâmes la route à pied, mais quelle route, le capitaine commandant le détachement n’en savait rien, il n’avait pas de carte. J’avais quant à moi une carte cycliste de l’Est de la France, je la lui remis et nous tâchâmes de fixer notre position, mais où aller? Personne dans le pays, aucune trace d’autres troupes, solitude complète. Alors pendant trois jours nous errâmes, ramassant en chemin des débris d’équipements allemands : casques, sacs, fusils, épées… J’étais désespéré de ne rien voir, de ne rien entendre, quand un officier d’état-major surgit soudain et nous donna l’ordre de rentrer à notre dépôt. Nous trouvâmes heureusement un train pour ce retour. En gare de Troyes, le capitaine nous fit mettre en rang pour défiler dans la ville, nous étions fatigués, très sales, mais chacun de nous portait quelque trophée ramassé le long des routes, alors le bruit courut que nous venions de remporter une grande victoire, que nous avions repoussé les Allemands (nous ignorions, quant à nous, que la bataille de la Marne avait eu lieu et que les Allemands avaient en effet reculé). Les femmes au mépris de toute discipline se jetèrent sur nous, nous embrassant, nous couvrant de fleurs. C’était du délire, et nous n’y comprenions rien…

Arrivés au dépôt, nous apprîmes que, peu après notre départ, un contre-ordre nous avait intimé de rester à Troyes, mais nous étions déjà partis et personne ne savait où. Le lendemain, nouvel ordre d’envoyer de suite tous les hommes du dépôt en renfort, le commandant ne put qu’envoyer les inaptes puisqu’il n’en avait pas d’autres. Aucun de ces malheureux ne devaient survivre…

(rédigé en 1966, transcrit par Daniel Lafargue)

Il faut annuler le truc de football

Utilisation de fumigènes par les Ultras du PAOK Salonique George Groutas from Idalion, Cyprus
Utilisation de fumigènes par les Ultras du PAOK Salonique (photo George Groutas)

Mes chers compatriotes

Afin de prévenir des violences aussi prévisibles qu’inacceptables, je réclame dès aujourd’hui un report sine die du championnat d’Europe de Football, qui doit commencer le dix juin prochain et est censé durer un mois entier. En fait, je réclame un moratoire sur la pratique de ce sport.
Je réfute l’accusation de footbophobie, mais dans un esprit d’apaisement et de solidarité nationale et me défendant de tout amalgame, je demande aux nombreux amateurs modérés de se désolidariser de leurs semblables radicalisés et de condamner avec vigueur les excès de ces derniers. Afin d’assurer la sécurité des leurs, les instances dirigeantes du sport doivent prendre leurs responsabilités et faire en sorte que le football se pratique dans le cadre privé, amical et familial, le week-end, et sans faire de vagues. Les maillots spécifiques, les drapeaux, ainsi que les écharpes signalant l’attachement à des équipes ne devront plus être arborés dans l’espace public. Au delà du respect mutuel, c’est aussi une question de sécurité : une écharpe peut être dangereuse, notamment pour les conducteurs qui peuvent perdre le contrôle de leur véhicule en s’emmêlant, ou pire1. Et puis on doit avoir chaud avec ça, en juin, non ? Il ne s’agit pas de stigmatiser un sport en particulier, mais force est de constater que celui-ci est coutumier des dérives de tout genre, et il serait un peu naïf de ne pas vouloir l’admettre. De plus, l’obsession de la compétition, le vocabulaire guerrier, les slogans haineux et l’ensemble des rites qui sont associés à la passion du football étaient peut-être très sympathiques il y a six mille ans mais ne sont clairement plus adaptés aux enjeux humains modernes. Et ne parlons pas des coupes de cheveux spécifiques à cette culture, adoptées par d’innombrables supporters qui n’hésitent parfois pas à les appliquer à leurs fils2, imposant de cette manière à ces derniers un cruel marqueur social et d’insupportables airs de petites brutes qui les rendent certes populaires dans la cour de récréation, mais en mène plus d’un en prison ensuite. Soyons fiers de nos racines de cheveux !
Rappelons par ailleurs que de nombreuses équipes de Football sont financées par des pays étrangers. Selon nos calculs, ce sont près de 96% des équipes participantes à ce championnat d’Europe sont financées depuis l’extérieur de nos frontières ! Voilà qui, sans xénophobie aucune, pose quelques problèmes de souveraineté nationale. Restons fermes !
Et puis avec les attentats qui ensanglantent le pays, il n’est pas raisonnable d’autoriser les supporteurs d’équipes à se regrouper par dizaines de milliers, car cela fait d’eux des cibles faciles, c’est donc à leur bien-être que nous pensons en premier lieu.

En espérant que chacun saura se montrer responsable et compréhensif3.

  1. Citons l’exemple bien connu d’Isadora Duncan, tuée par son écharpe, prise dans les rayons de la roue de son automobile, alors que rien ne prouve qu’elle ne se rendait pas à un match de football. Sport et écharpes, on le voit, ne font pas toujours bon ménage ! []
  2. Le football est un sport notoirement non-mixte. []
  3. Avec un peu d’aide de Gallorum, que nous remercions au passage. []

Je suis une racaille de bobo tocard psychopathe à expulser et à signaler à la DGSI

Mercredi dernier, en passant devant le kiosque à journaux, je tombe sur cette « une » du Parisien/Aujourd’hui-en-France qui tente, s’appuyant sur un sondage, de rassurer les policiers quant à l’amour dont ils jouissent parmi la population :

les_francais_vous_aiment

Ça m’a fait rire, à cause de la photo de ces hommes casqués, en armure, derrière des boucliers, qui veulent de l’amour. Et aussi parce que, sondage ou pas, les Français n’aiment pas énormément avoir affaire avec leur police. Alors j’ai tweeté ceci :

les_gens_sont_mefiants

Comme chaque fois que je conteste l’action des policiers ou, comme ici, que je badine sur le sujet en espérant amuser la galerie, des dizaines de personnes sorties de je-ne-sais-où viennent m’insulter en m’expliquant la légitimité de l’action de la police et en me traitant de bobo, d’antifa, de bisounours, en me promettant qu’ils me taperaient dessus s’ils m’attrapaient, ou que je serais bien content qu’il y ait des policiers si je me faisais agresser (par ceux qui veulent défendre la police en me tapant ?), etc.
Ce sont les mêmes qui étaient ulcérés le mois dernier en lisant le slogan de la CGT : « La police doit protéger les citoyens et non les frapper / Stop à la violence », comme ici :

la_police_doit_frapper
Je me demande si le gars comprend que le contraire de l’affiche qu’il dénonce dirait : « La Police doit frapper les citoyens et non les protéger / Pas de frein à la violence »

En général, ces gens sont faciles à faire bugger, il suffit de leur répondre en disant quelque chose comme « je ne critique pas la police, je critique les ordres que lui donne le gouvernement ». Car ces défenseurs inconditionnels de la maréchaussée ne sont, en général, pas des électeurs du parti socialiste. Bien au contraire. Là, ils répondent un lapidaire « ok », « ah, d’accord » ou « bon, salut ».

Le record de la semaine, pour moi, c’est ce monsieur qui a commencé par me traiter de « connard d’antifa » (antifa == anti-fasciste).

connard_antifa

Ce dénommé Résistance75#NS2017 — pseudonyme qui signifie, je pense, que la personne vit à Paris, se considère en résistance (au manque de respect dont pâtissent les « forces de l’ordre » ?) et compte voter pour l’ancien président Nicolas Sarkozy aux prochaines élections  — m’a ensuite ajouté à une quantité extravagantes de listes Twitter :

listes

Je suis donc un tocard, un bobo couillon, il faut me signaler à la DGSI (qui a un fichier de tocards-bobos-couillons ?), je suis une racaille à expulser, un psychopathe, un gros con à bloquer, un gaucho et enfin, un int-griste (?).
Comme cette liste de listes m’a amusé, j’ai fait une capture d’écran aussitôt, et tant mieux, car quelques secondes plus tard, il m’était impossible de voir tout ça, et de répondre à l’auteur des listes, puisqu’il m’avait effectivement bloqué sur Twitter : je ne peux plus le lire, il ne peut plus me lire. Je ne suis même pas sûr qu’il puisse encore voir mon nom dans les listes où il s’est ennuyé à m’inscrire.

Enfin bref, je me suis fait un copain.

Suce mon doigt

Youtube. Pour une fois, j’ai laissé la réclame défiler. On me promettait que ça allait parler de rencontre, de partage et de nourriture, voire même d’amour, avec comme sujets d’expérience de vrais gens de la vraie vie, qui ont pour point commun d’être des célibataires aux abois. Une curiosité sans doute perverse, donc, m’a poussé à visionner le film pour constater le désastre.
Des gens jeunes et beaux aux physiques, à l’apparence vestimentaire, aux accents et aux phénotypes divers, sans doute un peu trop parfaits dans leurs genres respectifs pour qu’on croie qu’il ne s’agit pas d’acteurs, sont réunis par paire autour d’une table dressée qui contient les aliments qui les rassemblent, présentés d’une manière appétissante qui n’évoque pas vraiment l’annonceur (la marque de nourriture industrielle allemande Knorr). On apparie deux amateurs de viande, deux amateurs de plats pimentés, deux amateurs de poisson, deux amateurs de légumes, etc. Chaque membre du duo doit se faire nourrir par de celui ou celle qui partage sa table, qui a la charge de lui placer la nourriture dans la bouche.

knorrtaste

La suite est indescriptiblement cradingue : les uns jouent à se jeter de la nourriture comme on jette des sardines aux otaries pendant un numéro de cirque, et les autres se croient dans le film 9 semaines et demi, qui était déjà consternant en son temps, se bandant les yeux et miment plus ou moins des pratiques amoureuses : on ne se connaît que depuis deux minutes, mais suce mon doigt, je l’ai mis dans la sauce ! Des fois qu’on n’aurait pas compris que la frustration sexuelle peut se guérir par les briques de nourriture au bon goût de conservateurs. Chacun se dit ensuite charmé de l’expérience et ne rêve que de revoir la personne qui lui a donné la becquée.

La comm’ est capable de salir en une seule pub la rencontre, l’amour, la nourriture et le partage. Faut le faire, quand même. Ils sont forts. Ils tueront tout ce qui veut dire quelque chose, jusqu’à nous avoir rendu le monde aussi fade que ce qu’ils cherchent à nous vendre.

Italo Calvino à Cormeilles

Mon père possédait une toute petite salle dont il laissait l’usage à des associations de la ville, et principalement à l’association Plaisir de connaître, un cercle culturel sans subventions tenu par une mère et sa fille qui vivaient ensemble et semblaient n’exister que pour cette activité bénévole. Elles annonçaient leurs événements avec des affiches sérigraphiées dans le garage de leur pavillon1. Elles invitaient des conférenciers2 et projetaient des films3, dont les séances étaient suivies de débats érudits. Tout le monde clopait dans trente mètre carrés4, et l’endroit était un haut lieu de contestation au maire. Le mercredi, j’y faisais du théâtre, et notamment du théâtre de marionnettes.

En 1979, nous avons monté une adaptation en théâtre d’ombres des aventures de Marcovaldo, par Italo Calvino. L’auteur, qui vivait à Paris, à quinze kilomètres de chez nous, est venu en personne assister à la représentation, le 19 janvier 1980. J’étais excité comme une puce, je me souviens que j’avais tenté de faire de l’humour mais que j’avais été le seul à me comprendre. On transmet parfois mal son propos quand on a dix ans.

calvino

Il y a quelques heures, cherchant les légos de son enfance dans le grenier qui se trouve au dessus de mon bureau, mon frère a retrouvé un vieil album de photographies que je prenais avec mon premier appareil, un Kodak Instamatic pocket qui s’utilisait avec des films montés en cartouche, au format 110. Il reste six photos de cette soirée. On voit un peu le spectacle, on voit Calvino, et je reconnais deux jumelles qui étaient dans ma classe, dont le père était maréchal-ferrand, car ça existait encore. Je sais que les organisatrices ont pris d’autres photos, bien meilleures, dont une avec moi, mais elles sont mortes aujourd’hui.

Presque au même moment, mais je ne sais plus dire si c’était avant ou après, un ami de ma grand-mère, Robert Rocard — l’oncle de Michel, pour la petite histoire —, m’a confié sa traduction d’un recueil de contes populaires italiens réunis par Calvino, et laborieusement tapée à la machine par ses soins. J’en ai éparpillé les pages, car celles-ci n’étaient pas reliées.
Des années plus tard, j’ai réellement découvert, et profondément aimé, la littérature à la fois cérébrale et sentimentale d’Italo Calvino. Et j’ai longtemps été peiné de ne pas retrouver de photographies de cette soirée là.

  1. Le dessin des sérigraphies n’était pas réalisé par insolation, mais directement avec une peinture au latex. []
  2. je me souviens de René Dumont, de Jean-Claude Guillebaud et de Raymond Depardon. []
  3. je me souviens vivement de Phase IV, le film fantastique de Saul Bass, et de deux films de Kurosawa qui m’ont marqué à jamais, Les Sept Samouraï et Dersou Ouzala. []
  4. Souvenir erroné de ma part, j’avais dix-onze ans, cf. le commentaire de ma mère plus bas. []