Le gars devait avoir la quarantaine, et une dégaine de rescapé des années 1970, avec moustache, cheveux longs, jean’s fatigué, bottes et guitare.
On était en 1985. Il est entré dans le métro, dans une station aérienne de la ligne Charles-de-Gaulle-Nation-Sud. La Motte-Piquet, peut-être. Je ne sais plus.
Il a commencé à chanter.
Il nous parlait d’un temps que les moins de vingt ans ne pouvaient pas connaître, ce temps où Montmartre accrochait ses lilas jusque sous les fenêtres. Une belle histoire, lui qui passait des nuits à son chevalet à retoucher le galbe d’un sein, elle qui posait nue, ils crevaient de faim mais hé, ils avaient l’amour, et au matin, ils s’asseyaient enfin devant un café-crème.
Fallait-il qu’ils s’aiment et qu’ils aiment la vie !
J’ai trouvé cette chanson merveilleuse, incroyablement bien écrite, émouvante, nostalgique, forte. Moi aussi je trouvais qu’aujourd’hui Montmartre semblait triste avec ses lilas morts, ses touristes et ses junkies.
Quand ce chanteur de métro, un gars tout simple ma foi, a fini de chanter, je suis allé lui donner une pièce : dix francs. C’est ce que j’avais sur moi, et ça me coûtait vraiment, je me privais de mes gauloises et de mon repas de midi, mais je n’avais pas de monnaie et j’avais vraiment aimé sa chanson.
Longtemps j’ai espéré le revoir, pour lui dire qu’il avait assez usé ses bottes dans le métro, pour essayer de le convaincre d’aller tenter sa chance auprès des maisons de disques.