Les jeunes sont de plus en plus bêtes

Comme ça, sans raison, j’ai allumé la télévision. C’était le journal de vingt heures sur TF1, et le sujet était la baisse du quotient intellectuel : allons-nous vers Idiocracy ? (cité  au cours du documentaire).

Un constat : les gens très intelligents vont siroter des jus de fruit dans des bars vides.

Le sujet s’ouvre sur une conversation de membres du club Mensa (le club des gens qui ont un QI supérieur à 130 et qui veulent être membres du club des gens qui ont un QI supérieur à 130).
On commence par nous dire qu’ils parlent tous en même temps, très vite, que c’est normal si on se sent perdus, nous les simples spectateurs de TF1. Pourtant leur conversation ressemble surtout à une conversation, et si elle n’est pas intelligible c’est sans doute avant tout parce que la voix off couvre les voix. Les membres du club expliquent qu’avec eux tout va très vite, qu’ils ont une pensée très très divergente, que ça fuse dans tous les sens.
À ce stade, je crois, le spectateur est déjà écrasé : ça a l’air bien fatiguant, d’être plus intelligent que la moyenne. On ne se sent pas tellement concerné, donc, lorsque la séquence est conclue par cette question : le club Mensa parviendra-t-il toujours à recruter dans le futur ?

C’est le moment de demander à des gens qui travaillent en blouse blanche, à des chercheurs et à des universitaires, en commençant par ceux qui vont nous donner un petit frisson d’angoisse en nous expliquant que les perturbateurs endocriniens qui sont partout agissent sur le développement des neurones et sont susceptibles de l’altérer. Les schémas nous rassurent cependant immédiatement : on voit le ventre d’une femme enceinte, on voit un enfant, mais pas d’adultes en âge de regarder le JT de TF1 : la baisse des capacités intellectuelles, c’est les jeunes, hé, c’est pas nous !

On se sent encore plus rassuré lorsqu’une nouvelle brochette de savants, spécialisés dans la science de l’évaluation du quotient intellectuel, cette fois, nous explique qu’en fait ce n’est pas tant qu’on s’abêtisse, le problème, c’est plutôt qu’on plafonne : de même que les populations cessent de grandir dans les pays développés, l’intelligence cesse de progresser, mais le potentiel de notre cerveau reste le même et n’a d’ailleurs pas varié depuis le paléolithique.
Ouf !

«— Bon maintenant est-ce que vous pouvez vous mettre comme ça, une fesse sur la table, pour montrer un écran à cette demoiselle en faisant semblant de lui expliquer un truc ?
— mais je dois lui expliquer quoi ?
— vous inquiétez pas, dites n’importe quoi, ça sera couvert par le commentaire, mettez juste votre doigt sur l’écran »

Arrive le moment de la conclusion du sujet :

« Trop d’écrans, moins d’éducation, un environnement dégradé auront-ils raison de notre intelligence ? Impossible à dire aujourd’hui mais pas question de baisser la garde, bien au contraire. »

On ne sait pas trop ce que la dame entend par « pas question de baisser la garde » (au moment où elle dit ça on voit un jeune chercheur manipuler une pipette…).
On se demande d’où sortent « trop d’écrans » et « moins d’éducation », car s’il s’est trouvé des scientifiques pour évoquer les problèmes environnementaux comme l’exposition aux perturbateurs endocriniens, aucun n’a parlé ni des écrans, ni d’un manque d’éducation, mais comme c’est ce que les auteurs du sujet et/ou ses téléspectateurs veulent entendre, eh bien on l’évoque, sous forme pseudo-interrogative.
Ah ben oui dis donc ça doit être ça, les jeunes d’aujourd’hui passent leur vie sur des écrans et à l’école on leur apprends plus les départements, ou peut-être que si mais on leur apprend pas bien, avec cette méthode globale et Wikipédia et les calculatrices et la réforme de l’orthographe et tout et tout.

Il est bien entendu que par « trop d’écrans », on ne parle pas de la télévision, comme l’écran que le spectateur est en train de regarder, mais des smartphones et des tablettes. Sur des smartphones, on voit rapidement le jeu 2048 et puis Facebook. Sur la tablette, le logiciel Scratch, qui sert à enseigner les fondamentaux de la programmation informatique aux enfants notamment.

Nous voilà complètement rassurés : ce sont les jeunes générations qui sont bêtes, et même leur intelligence, tout ce qui nous dépasse, comme la manipulation des réseaux sociaux, les jeux incompréhensibles ou la programmation, rend stupide.

Un peu plus tard dans le même journal télévisé, on nous montre des recherches sur la croissance des plantes dans des fermes aquatiques. Chaque plant de fraises se trouve sous un dôme qui coûte dix mille euros, mais il pousse quatre fois plus rapidement, alors c’est peut-être la solution à la démographie galopante puisque, nous dit-on, en 2050 (année que n’atteindront pas tous les spectateurs actuels de TF1) il faudra nourrir neuf milliards d’êtres humains.

Ouf ! Encore sauvés, quoi, les problèmes des jeunes du futur sont presque déjà résolus. À se demander, quand même, si la crise de l’intelligence n’est pas liée au fait que le journal télévisé prend parfois un peu les gens pour des idiots.