Facebook m’informe :
« Nous n’avons trouvé aucun visage à identifier »
Sachant que l’image en question est une photographie du plat que je viens de manger, je dois dire que ça me rassure !
Facebook m’informe :
« Nous n’avons trouvé aucun visage à identifier »
Sachant que l’image en question est une photographie du plat que je viens de manger, je dois dire que ça me rassure !
Je sais ce qu’on peut me dire : de quoi je me mêle ?
Comment ça s’est passé ? Est-ce qu’il a découvert en même temps que nous sa tronche en plan rapproché sur la couverture, ou est-ce qu’il a eu son mot à dire, est-ce qu’il s’est assis autour d’une table avec des représentants de sa maison de disques pour choisir la meilleure photo ? Tout est possible, avec la presse. La seule chose certaine, c’est que la dernière fois qu’il a fait la couverture du magazine, visage en très gros plan, sourire timide et yeux de cocker malicieux, les ventes avaient battu des records, et on peut légitimement supposer que si la direction du journal a imposé cette image contre l’avis des journalistes de sa rédaction et au risque de provoquer un vrai malaise chez ces derniers, c’est en pensant aux ventes à venir.
Sur la photo de 2013, le gars semblait dire : « on a passé de bons moments, tu te rappelles ? Je peux revenir ? Je vais beaucoup mieux, tu sais ». Celle de 2017, prise comme une suite, semble dire « je suis fatigué, maintenant, ouvre cette porte, j’ai compris la leçon ! ». Pathétique.
En 2021 est-ce qu’il se montrera en colère, un peu menaçant, avec l’air de dire que la plaisanterie a suffisamment duré ?
Geste d’humeur, acte manqué ou buzz orchestré, un employé du magazine a tweeté la couverture de la semaine en primeur, en y ajoutant une phrase que le chanteur n’a pas dite mais que la photographie semble signifier : « Dans toute cette affaire, la vraie victime, c’est moi… ». Le tweet, officiellement posté par accident, a été supprimé presqu’aussitôt.
La justice est passée, la peine est purgée. On dit que le gars « a payé sa dette », mais la bonne formule devrait être qu’il est « en règle administrativement ». Grand bien lui fasse. À présent, il doit gagner le pardon des autres. Mon fond chrétien — il faut bien que ça serve à quelque chose — me pousse à souscrire à la mythologie de la rédemption, mais sortir un disque pour donner aux Anglais des leçons à deux sous sur le Brexit, ça semble plutôt indécent et décalé qu’autre chose. Pour l’instant et pour longtemps, peut-être pour toujours, rien de ce que le chanteur pourra chanter ou dire ne me sera supportable. Pourtant je comprends bien qu’il n’a pas tellement le choix, il est chansonnier, c’est son métier, son talent, il doit avoir du mal à imaginer quoi faire d’autre. Si on me demande mon avis, je proposerais qu’il devienne pompiste en Alaska ou gardien de phare sur l’île Clipperton. Ou au moins, tant qu’à rester musicien, qu’il passe en coulisses, qu’il évite d’exposer son visage ou sa personne. Il pourrait par exemple écrire pour Michel Sardou, qui fait peut-être des chansons de con de droite sexiste mais qui au moins n’a pas la fin de l’existence de quelqu’un sur la conscience. Mais ça ne se passera pas, Sardou ayant eu la sagesse, lui, de prendre sa retraite.
Je n’éprouve pas de haine envers l’assassin de Marie Trintignant — quoique, en spectateur, j’aimais beaucoup cette dernière, sa voix grave, son œil un peu éteint, au point de redouter de revoir des films où elle apparaît —, je n’aurais aucune légitimité à éprouver un tel sentiment, mais les tentatives de come-back du chanteur provoquent chez moi une puissante et irrépressible bouffée d’irritation, parce que son envie de faire comme si tout était derrière lui me laisse la désagréable impression qu’il a été le premier à se pardonner, à s’absoudre, à vouloir effacer le passé, alors qu’il aurait dû être le dernier à le faire.
« Abri de Piscine » m’envoie un e-mail, et mon premier réflexe est de me demander quel co-utilisateur de site de généalogie m’écrit. Eh oui, « de Piscine », ça ne sonne pas comme de la grande noblesse, mais il y a une particule, et la généalogie, c’est particuleux. Depuis que je suis inscrit sur des sites de ce genre, je reçois des e-mails de cousins lointains qui m’annoncent la publication d’un livre sur une branche de leur famille ou me demandent quoi penser de tel ou tel document.
Quand samedi mon charcutier m’a donné le choix entre le jambon de Savoie et le jambon d’Auvergne, j’ai ressenti une familiarité, au sens étymologique du mot : j’ai eu l’impression qu’on me parlait de ma propre famille, puisqu’il s’y trouve, lointainement, des comtes de Savoie et des comtes Auvergne.
Depuis quelques semaines, d’abord mollement puis de manière soutenue et dernièrement déraisonnablement obsessionnelle, je me suis retrouvé possédé par le démon de la généalogie. Ça a commencé avec la mort de mon grand-père, qui m’a fait songer à la mort en général — mon grand-père est mort centenaire et j’approche la moitié de cet âge — et m’a poussé à relire les mémoires de mes arrière-grands parents paternels, qui m’a amené à la surprenante découverte du fait que l’acteur Daniel Craig et moi-même partageons de nombreux ancêtres — notre dernier ancêtre commun étant John Ezechiel Chamier, au XVIIIe siècle. J’ai au passage découvert l’existence de nombreux autres cousins et cousines hauts en couleur dans cette branche de huguenots émigrés en Angleterre et en Australasie, comme l’ingénieur et écrivain Néo-Zélandais George Chamier ou encore le pilote de la RAF Adrian Chamier et son épouse Edwina.
En soulevant le voile des nombreuses bases de données généalogiques que l’on trouve en ligne1, j’ai découvert que d’autres branches de ma famille paternelle, les Fressinaud Mas-de-Feix, les Font-Réaulx et les Beineix me menait assez loin, et faisait de moi un descendant de plusieurs rois de France, de Castille ou d’Angleterre, de ducs de Normandie (dont le viking Rollon), voire d’empereurs byzantins. Bien sûr, toutes les personnes dont la famille est européenne, nord-africaine ou proche-orientale depuis plusieurs générations partage de nombreux ancêtres « récents »2. À trente générations (huit cent à mille ans) chacun de nous a 230 ancêtres, soit un milliard, et à soixante générations (un peu moins de deux mille ans), nous disposons chacun de 260 ancêtres soit plus de 1000000000000000000 personnes, ce qui est un million de fois plus que le nombre estimé des humains qui sont un jour nés sur cette planète. Autant dire qu’il y a des doublons, notre généalogie ressemble sans doute bien plus à un filet qu’à un arbre. Tous cousins, donc, plus ou moins lointainement, mais tous cousins. Si le fait est banal, il est tout de même amusant ou émouvant de parvenir à reconstituer des fils théoriquement exacts dans cette maille d’ascendants.
Après ces semaines d’exploration, j’ai la tête farcie de patronymes. Subitement, tout me semble prendre un sens différent : les gisants de la cathédrale de Rouen ou ceux de la basilique de Saint-Denis, auxquels j’ai consenti un regard distrait, sont mes quadragintisaïeux ! Cet été j’ai contemplé Orthez depuis la tour Moncade, édifiée par Gaston VII de Béarn, et j’apprends que je descends de cet homme, tout comme je descendrais (au conditionnel, car là c’est moins certain) se son ennemi Edouard 1er d’Angleterre et (avec plus de certitude, car par de bien plus nombreux rameaux), du père de ce dernier, Henri III Plantagenêt. Et la prochaine fois que j’arpenterais les « bulles » du festival international de la bande dessinée, je me sentirai un peu V.I.P. puisqu’Isabelle d’Angoulême est mon ancêtre par soixante-et-onze branches issues des enfants qu’elle a eu avec l’un ou l’autre de ses deux époux, à vingt et quelques (selon la branche, justement) générations (ci-dessous un extrait).
J’aime bien regarder la base de données Roglo me fascine particulièrement, car elle fait remonter la généalogie du grand-père de ma grand-mère paternelle à soixante-cinq générations, jusqu’à des rois Wisigoths, Parthes ou Perses du troisième siècle de l’ère commune, et même quelques empereurs romains d’occident et d’orient ! Ce serait formidable et extravagant si je n’arrivais pas aux mêmes ancêtres du côté de la mère de cette même grand-mère, ou encore du côté de mon grand-père paternel. En fait, en regardant la généalogie de bien d’autres gens, je constate qu’une fois mis sur les rails de familles aristocratiques documentées depuis quelques siècles, on aboutit toujours aux mêmes lointains ancêtres. Tous cousins, ça se confirme. J’ai cherché quelques noms au hasard : Honoré de Balzac ? cousin ! Armand Jean de Richelieu ? cousin ! Bertrand Du Guesclin ? Vingitisaïeul. Je suis même descendant d’Oldéric-Manfred de Turin, marquis de Suse, ce qui ne nous dit pas grand chose, mais qui est surtout cousin germain d’Hardouin d’Ivrée, éphémère roi d’Italie dont je ne connais l’existence que parce qu’il a donné son nom aux cartes Arduino, inventées dans l’école de design (elle aussi éphémère) d’Ivrea.
Curieusement, je n’ai réussi à établir aucune parenté, même lointaine, avec des gens célèbres portant le même patronyme que moi, tels le dramaturge Édouard Lafargue ou le socialiste Paul Lafargue3
Tout ça est distrayant mais si l’on regarde les choses en détail, on constate que de nombreuses filiations sont difficiles à établir avec certitude. L’enregistrement de l’État-civil n’est devenu systématique qu’au seizième siècle, sous François premier, et reste bien incomplet. Avant cette époque, ce sont surtout les gens ayant eu un peu de biens (et donc des procès, des héritages et autres actes juridiques) dont on retrouve la trace, et plus on remonte, plus il faut appartenir à de grandes maisons, éventuellement royales, pour que des documents soient disponibles. Descendu au premier millénaire, il n’est pas rare que les personnes citées ne soient connues que par une vague mention, un indice, sans qu’on puisse être certain de l’identité de leurs parents, sans savoir si on ne les confond pas avec des homonymes, etc. À ce stade là, à moins d’appartenir à une lignée royale (et encore, certaines sont bien obscures), les archives n’existent plus vraiment, et les personnages identifiés sont de plus en plus souvent des hypothèses d’historien : untel pourrait être le fils de… pourrait être le seigneur de… qui a participé à telle bataille… C’est peut-être ce qui est le plus intéressant avec la généalogie, même pratiquée de manière très amateure, comme je le fais : on constate progressivement la disparition des sources et la fragilité des certitudes.
Une chose me frappe : si les dates de naissance des ancêtres un peu lointains sont souvent estimées plus que connues, les dates de décès sont souvent plus certaines, de même que les dates d’épousailles, c’est à dire les deux moments de l’existence où l’argent entre en ligne de compte pour les autres : alliances entre familles et succession. Bien entendu, c’est la lignée des aînés mâles qui est généralement la mieux documentée, puisque ça a longtemps été celle qui hérite, mais on trouve aussi beaucoup de documents signés par des femmes… pour renoncer à leur héritage au profit de leur frère.
À titre plus personnel, je suis époustouflé par la sédentarité d’une grande partie de mon ascendance : nombre de mes ancêtres d’il y a cinq siècles vivaient dans le rayon de vingt kilomètres où se situe le village où certains de mes cousins produisent actuellement leur fromage4, et où je possède (plutôt symboliquement, car je ne dispose pas de titre de propriété), avec eux une fraction de forêt. Cette sédentarité est certainement une illusion : ce sont les ancêtres les plus sédentaires qui, du fait même de leur sédentarité, sont les mieux documentés.
Ma famille française — le côté de mon père, puisque ma mère est norvégienne —, est en tout cas issue de la Creuse, de la Haute-Vienne et de Charente. Entre autres villes qui reviennent souvent, je note La Jonchère-Saint-Maurice, Sauviat-sur-Vige, Confolens, Saint-Junien (où se trouve le caveau familial), Saint-Yiriex, Oradour, Limoges, Angoulême. Mon nom de famille vient quant à lui plutôt de Gironde, et notamment de Bègles. Ma famille huguenote, du côté de la mère de mon grand-père paternel, les Chamier, est originaire du Gard, de la Drôme et de l’Ardèche — mais a fini par émigrer en Angleterre puis dans ses lointaines colonies, notamment à Madras, Sydney et Auckland.
S’il semble que tous les gens qui peuvent remonter leur généalogie sur cinq siècles puissent finir par se découvrir descendants du roi Wisigoth Alaric, beaucoup voient leur arbre généalogique s’arrêter bien tôt. Mais ça va changer, car le progrès de la numérisation des archives, de la mise à disposition en ligne de bases de données géantes et, enfin, les progrès (et surtout la baisse du coût) de l’identification génétique vont continuer de bouleverser ce domaine, et si vous ne pouvez pas établir aujourd’hui votre cousinage plus ou moins distant avec Conan Meriadec, avec Attila, avec Wu Zetian ou avec Njinga du Ndongo, vous le pourrez sans doute bientôt. En tout cas qu’on le sache ou non, qu’on choisisse sa légende ou qu’on amasse des documents sérieux, on vient toujours de quelque part.