Laisse tomber les figues

Un jour Jésus avait grand faim. Il aperçut un figuier de loin, mais quand il s’en est suffisamment approché, il a été forcé de constater que l’arbre n’avait pas de fruit, juste des feuilles. Et c’était tout à fait normal, car ce n’était pas du tout la saison des figues.
Alors le fils de Dieu maudit l’arbre en lui disant : « Que jamais fruit ne naisse de toi ! ». Le figuier s’est desséché et est mort quelques heures plus tard, ce qu’ont constaté les disciples lorsqu’ils sont repassés devant.
Le miracle les a bien épatés puisqu’il a été raconté par Marc et Mathieu1 et repris sous une autre forme par Luc2. Jésus a ajouté que cette destruction était la preuve que les prières sont écoutées et qu’il aurait aussi bien pu ordonner à la montagne de se jeter dans la mer, mais que ce jour-là il avait juste envie bouziller un pauvre arbre.

Comme de nombreux récits bibliques, celui-ci plait bien aux religieux qui y voient une preuve, vaguement assortie de menace, qu’il est important de leur donner du pognon au moment de la quête3.
J’y vois pour ma part une belle parabole décroissante : réclamer des fruits hors-saison fait du mal à la nature, qu’il faut apprendre à respecter, sous peine de la détruire.

  1. Lire : Évangile selon Marc, 11:12-14 et 11:20-24 ; Évangile selon Matthieu, 21:18-22. []
  2. Dans l’Évangile selon Luc (13:6-9), l’histoire devient une parabole sans épilogue. []
  3. C’est particulièrement vrai chez les pasteurs évangéliques, dont le ministère est une auto-entreprise en situation de féroce concurrence. Les mêmes aiment bien rappeler l’histoire d’Ananias et Saphira dans laquelle Saint-Pierre a zigouillé un couple de personnes âgées pour avoir leur argent, ou encore la Parabole des talents (Matthieu 14), qui rappelle que ceux qui ne rapportent pas d’argent à leur seigneur méritent la de tout perdre, et que ceux qui ne l’adorent pas doivent être tués (« amenez ici mes ennemis, qui n’ont pas voulu que je régnasse sur eux, et tuez-les en ma présence »). []

Mange un thali,
finance un taliban.

Un peu par hasard nous sommes, quelques collègues et moi-même, entrés dans un grand restaurant de kébabs, de grillades halal et de nourriture indienne. J’aime bien les restaurants halal car ils m’épargnent toute tentation de boire un verre de vin ou de bière à midi — chose que je ne m’autorise à cette heure qu’au restaurant, justement. Cet établissement, qui remplace depuis quelques années un grand restaurant chinois disparu pendant l’épidémie de covid-19, ne m’avait jamais fait envie, avec son décor extérieur sombre et lourd, mais bon, ce jour là, l’excellent restaurant indien où nous avons nos habitudes était inexplicablement fermé, alors nous sommes allés dans le suivant.
À l’intérieur, le comptoir est surplombé par les menus, à la manière dont sont agencés les fast-foods. Les employés portent un uniforme, à la manière des gens qui font le service, une fois encore, dans les fast-foods. Derrière eux on peut voir une grande armoire réfrigérée qui contient toutes sortes de boissons gazeuses et sucrées parfois inconnues, comme un soda à la fraise que celui qui a eu la témérité de l’essayer a décrit comme ayant « goût chewing-gum à la fraise quand le goût est presque parti et commence à devenir désagréable ». J’arrive à imaginer.
Mes commensaux ont demandé leur plat, l’un après l’autre avant d’aller s’asseoir, puis mon tour est arrivé. J’ai demandé un « poulet Madras »1. Je ne voulais pas la formule avec boisson et pain naan, ce que la jeune femme qui tenait la caisse semblait avoir beaucoup de mal à comprendre. Elle avait en fait les yeux tellement vides que j’avais l’impression de pouvoir voir derrière elle. Pendant qu’elle se faisait expliquer ma commande par deux autres employés qui, contrairement à elle je crois, n’avaient pas le français comme langue maternelle, j’ai eu le temps d’observer mon environnement. Il y avait notamment, posé, un flyer publicitaire appelant à l’achat d’accessoires vestimentaires wahhabites en synthétoche, et juste à côté, un tronc cylindrique comme ceux de la Croix-rouge, qui réclamait l’aumône pour ce motif : « Mosquée-Afghanistan ».

Le malaise a monté. Cela fait longtemps que j’ai accepté le fait qu’une partie de mes congénères humains ont besoin de divinités et de religion2, alors si des gens croient que financer une mosquée leur apportera quelque chose, ma foi, grand bien leur fasse. Mais une mosquée en Afghanistan ? Les Afghans ont souffert de quatre décennies de guerres voulues par des puissances plus ou moins lointaines, et les pays qui y ont participé, dont la France, n’ont pas de quoi être fiers de ce qu’ils ont obtenu il y a trois ans : l’installation, plus solide que jamais, d’une théocratie rétrograde et violemment misogyne. Or donner son obole pour une institution religieuse en Afghanistan, qu’est-ce que ça peut être de plus qu’envoyer de l’argent à des gens qui, au nom de leur religion justement, donnent le fouet à ceux dont ils jugent les amours immorales, ou les pendent, qui retirent les petites filles des écoles et leurs grandes sœurs des universités, et qui détruisent les statues vieilles de mille-cinq cent ans qui rappelaient par leur présence que leur pays a une histoire plus longue et riche que ce que certains voudraient croire.
Est-ce qu’il existe des gens qui, depuis la France, jugent que les Afghans ne subissent pas assez le joug des Talibans ? Je n’ai pas posé de question. Je ne voyais pas comment entamer quelque chose qui ressemblerait à une discussion politique, géopolitique ou philosophique avec la fille aux yeux vides ni aux deux gars qui se trouvaient de son côté du comptoir. Sur le coup, je n’en ai même pas parlé aux gens de ma table qui, je pense, n’ont rien vu.

J’ai mangé, j’avais faim, mais j’ai mangé sans grand plaisir car le plat m’a semblé plus gras et copieux que goûtu. Deux jours plus tard, le plat pèse encore sur mon estomac. Il pèse même encore plus, car cette question tourne encore : est-ce qu’il existe des gens qui, depuis la France, confortablement, souhaitent tout le mal du monde aux femmes afghanes ?

  1. Je me sens lié à Madras — désormais Chennai — depuis que j’ai appris qu’une rue y a été nommée en honneur d’un de mes ancêtres, Chamiers road. []
  2. J’ai accepté l’idée que le besoin de croire procède de raisons philosophiques, spirituelles, ou surtout, sociales (ritualisation, constitution de groupes), et qu’il n’y avait rien à y faire, qu’on ne convainc personne en faisant des démonstrations énervantes de l’absurdité des croyances, car de telles démonstrations renforcent les préventions plus qu’elles ne font passer le jour : face à l’humiliation de comprendre qu’on se ment — car toute foi, par exemple politique ou religieuse dans laquelle on a investi et autour de laquelle on a organisé son existence impose à mon avis de combattre ses doutes, et donc de s’abuser —, on n’a généralement le choix qu’entre s’agripper, parfois en se faisant violence voire en exerçant des violences, ou au contraire accepter le doute, au prix d’une blessure narcissique et d’une remise en question de nombreux aspects de son existence.
    Ouais, j’écris que j’ai abandonné l’idée de convaincre, mais je ne peux m’empêcher de donner des arguments un peu condescendants… Je suis conscient du paradoxe. []

Stock image gospel

(Luc 19 11:27, traduction par Louis Segond)

Ils écoutaient ces choses, et Jésus ajouta une parabole, parce qu’il était près de Jérusalem, et qu’on croyait qu’à l’instant le royaume de Dieu allait paraître.

Il dit donc : Un homme de haute naissance s’en alla dans un pays lointain, pour se faire investir de l’autorité royale, et revenir ensuite.

Il appela dix de ses serviteurs, leur donna dix mines1, et leur dit : « Faites-les valoir jusqu’à ce que je revienne ».

Mais ses concitoyens le haïssaient, et ils envoyèrent une ambassade après lui, pour dire :
« Nous ne voulons pas que cet homme règne sur nous ».

Lorsqu’il fut de retour, après avoir été investi de l’autorité royale, il fit appeler auprès de lui les serviteurs auxquels il avait donné l’argent, afin de connaître comment chacun l’avait fait valoir.


Le premier vint, et dit : « Seigneur, ta mine a rapporté dix mines ».

Il lui dit : « C’est bien, bon serviteur ; parce que tu as été fidèle en peu de chose, reçois le gouvernement de dix villes ».

Le second vint, et dit : « Seigneur, ta mine a produit cinq mines ».

Il lui dit : « Toi aussi, sois établi sur cinq villes ».

Un autre vint, et dit : « Seigneur, voici ta mine, que j’ai gardée dans un linge ; car j’avais peur de toi, parce que tu es un homme sévère ; tu prends ce que tu n’as pas déposé, et tu moissonnes ce que tu n’as pas semé ».

Il lui dit : « Je te juge sur tes paroles, méchant serviteur ; tu savais que je suis un homme sévère, prenant ce que je n’ai pas déposé, et moissonnant ce que je n’ai pas semé ; pourquoi donc n’as-tu pas mis mon argent dans une banque, afin qu’à mon retour je le retirasse avec un intérêt ? »

Puis il dit à ceux qui étaient là :
« Otez-lui la mine, et donnez-la à celui qui a les dix mines ».

Ils lui dirent : « Seigneur, il a dix mines.»« Je vous le dis, on donnera à celui qui a, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a ».

« Au reste, amenez ici mes ennemis, qui n’ont pas voulu que je régnasse sur eux, et tuez-les en ma présence ».

  1. La mine est une unité de mesure dont la valeur varie selon les endroits. À Athènes elle représentait un peu plus d’un demi-kilo d’argent. []

Le téléphone prêche

« — Allo monsieur Lafargue ? C’est madame B* nous ne nous connaissons pas mais je vous appelle à propos de la situation, j’aimerais savoir si vous pensez que les choses vous s’arranger à l’avenir par rapport à la situation que nous vivons en ce moment.
— Euh… Hein ? Mais vous appelez pourquoi, exactement
— Eh bien justement, avec la situation, nous ne pouvons pas nous déplacer mais nous appelons des gens pour discuter car nous pensons que les réponses se trouvent dans un très vieux livre…
(glacial) Ah.
— …La Bible.
— Une secte ! Ah eh bien je vous souhaite une bonne journée mais je vais devoir raccrocher.
— Ah mais justement nous… »

Shklong ! (fit le combiné)

Les carlins de Léon X

Afin de financer le dôme de l’église Saint-Pierre de Rome, le pape Léon X proposait de monnayer ses indulgences : en échange d’une certaine somme, le pécheur pouvait obtenir l’absolution. Ce commerce avait indigné le moine Martin Luther, ce qui a motivé l’écriture de ses 95 thèses puis la naissance de la Réforme :

  • L’absolution pour celui qui révèle la confession de quelque pénitent est taxée à sept carlins.
  • L’absolution pour celui qui abuse d’une jeune fille est taxée à six carlins.
  • L’absolution pour un prêtre concubinaire est taxée à sept carlins.
  • L’absolution pour un laïque coupable du même fait est taxée à huit carlins.
  • L’absolution pour celui qui a tué son père, sa mère, son frère, sa sœur, sa femme, ou quelque autre parent ou allié, laïque néanmoins, est taxée à cinq carlins.
  • L’absolution pour un laïque présent qui a tué un abbé ou un autre ecclésiastique inférieur à l’évêque, est taxée à sept, à huit ou à neuf carlins.
  • L’absolution pour un mari qui frappe sa femme de manière qu’il en survienne un avortement ou une couche avant terme, est taxée à huit carlins.
  • L’absolution pour une femme qui prend quelque remède pour se procurer l’avortement, ou qui fait quelque autre chose dans ce dessein et qui fait périr le fœtus, est taxée à cinq carlins.
  • Le père, la mère, ou quelque autre parent qui aura étouffé un enfant, paiera pour chaque meurtre quatre tournois, un ducat, huit carlins.
  • Celui qui a commis quelqu’un de ces crimes (sacrilèges, vols, incendies, parjures ou autres semblables) est pleinement absous, et son honneur rétabli dans toutes les formes et avec la clause inhibitoire, moyennant trente-six tournois et neuf ducats.
  • L’absolution pour tout acte d’impureté, de quelque nature qu’il soit, commis par un clerc, fût-ce avec une religieuse, dans le cloître ou ailleurs, ou avec ses parents ou alliées, ou avec sa fille spirituelle, ou avec une autre femme, quelle que ce soit; soit aussi que cette absolution soit demandée ou non du clerc simplement, ou de lui ou de ses concubines, avec dispense de pouvoir prendre les ordres et tenir des bénéfices. et avec la clause inhibitoire, ne coûte que trente-six tournois et neuf ducats.
  • L’absolution d’un laïque pour crime d’adultère donné au for de la conscience, coûte quatre tournois.
  • Une religieuse qui sera tombée plusieurs fois dans le péché de luxure aura son absolution et sera rétablie dans son ordre, quand même elle serait abbesse, moyennant trente-six tournois, neuf ducats.
  • L’absolution pour un prêtre qui tient une concubine, avec dispense de pouvoir prendre les ordres et tenir des bénéfices, coûte vingt et un tournois., cinq ducats, six carlins.
  • S’il y a adultère et inceste de la part de laïques, il faut payer par tête six tournois.
  • La permission de manger des laitages dans les temps défendus coûte, pour une seule personne, six tournois.

La question est de savoir ce que Léon X faisait de tous ces carlins !

L’Évangile selon Caïus

Le centurion Caïus1 avait déjà eu affaire à cette secte juive quelques années plus tôt : un rabbin illuminé avait planifié un coup d’État contre Rome. Ses partisans n’étaient pas assez nombreux pour constituer une menace sérieuse et l’arrestation de leur chef, qu’ils disaient fils d’un Dieu, les avait tétanisés, tant ils semblaient convaincus que sa magie les protégerait de la puissance de l’Empire et les mèneraient même à le détruire. Plutôt que d’exécuter une poignée de fanatiques, le préfet avait préféré faire un exemple en crucifiant le rabbin comme un vulgaire assassin, persuadé que cela suffirait à ce que ses disciples l’abandonnent.
Le préfet Pilate avait eu toutes les peines du monde à comprendre la religion des juifs. À son arrivée en Judée, il avait fait scandale un peu malgré lui avec une histoire absurde d’images représentant l’empereur qu’il avait fournies comme enseignes pour les parades, alors que la proscription des images figuratives était un des plus puissants interdits de la religion locale. Pilate se contentait d’appliquer les usages de Rome, mais ici, rien ne fonctionnait comme ailleurs, et la logique implacable du plus grand empire qui ait jamais existé courbait inexplicablement l’échine face à un peuple qui refusait de célébrer l’Empereur et parmi lequel chaque mois un « nouveau Moïse » descendait d’une montagne en affirmant avoir le pouvoir d’imposer sa loi à Tibère.
Quelques années avant les incidents du jardin des oliviers de Jérusalem, Pilate avait eu à s’occuper d’un autre prédicateur, un homme nommé Jean et surnommé le Baptiste, qui reprochait de manière insultante au tétrarque Hérode son projet de mariage et excitait le peuple avec des idées de révolte. Les autorités religieuses juives officielles n’avaient pas défendu le Baptiste, qui méprisait leur pouvoir et contestait leur pouvoir, alors on l’avait fait emprisonner et tuer. C’est un de ses disciples, qui se disait son cousin et qu’on nommait Jésus le Nazaréen qui avait poursuivi son œuvre et que l’on avait finalement crucifié sur le mont-crâne, le Golgotha.
Le Nazaréen, qui était longtemps passé pour un mystique inoffensif et plutôt discret, préparait un coup d’éclat pour Pessa’h, ainsi qu’on le savait depuis qu’il avait demandé à ses disciples de s’armer2. Son trésorier, Judas Iscariote, sans doute effrayé par la tournure violente que prenaient les événements, l’avait dénoncé et avait aidé les soldats à l’identifier : l’homme était rusé et ne pouvait être distingué de ses disciples, au point que les autorités romaines connaissaient son pouvoir mieux que son nom et son nom mieux que son visage. Lors de l’arrestation, un de ses disciples avait tenté de tuer un serviteur du prêtre Caïphe, le blessant piteusement à l’oreille, mais Jésus avait eu la sagesse d’admettre que le combat était perdu d’avance et avait demandé à son ami de rengainer son arme. Ce même ami, Simon Pierre, s’était ensuite montré plutôt ingrat, désavouant son maître et prétendant ne pas le connaître. Comme les autres, il s’était enfui et avait disparu des rues de Jérusalem pendant trois jours, laissant la mère et les compagnes du rabbin gérer une communauté en état d’absolue sidération. La lâcheté dont il avait fait preuve face aux enquêteurs était sue de tous, mais Simon Pierre était beau parleur et il est parvenu en quelques jours à retourner l’affaire à son avantage et à reprendre le pouvoir, affirmant avoir été témoin de la résurrection du crucifié mystique (dont, effectivement, le corps avait été escamoté), jurant que ce dernier avait prévu et voulu cette trahison, et qu’il lui confiait, à lui, Pierre, le devoir et le pouvoir de mener le destin de sa communauté3.

C’est cet homme qui faisait désormais face au centurion Caïus et qui, avec un aplomb extraordinaire, admettait son implication dans deux meurtres. Simon Pierre se savait intouchable : la communauté qu’il dirigeait était désormais incomparablement plus nombreuse qu’à l’époque de son maître le Nazaréen, et depuis le renvoi du préfet Ponce Pilate et la révocation de son allié le grand prêtre Caïphe, il était exclu que l’administration impériale se fourvoie à nouveau en excitant des fanatiques religieux. De plus, Simon Pierre était plus habile que son prédécesseur, il ne chercherait pas à affronter l’Empire tant qu’on le laisserait exercer son pouvoir sur ceux qu’il appelait son troupeau de brebis et qui faisaient sa fortune, une fortune sans doute considérable bien qu’il persistât à ne se vêtir que d’un manteau de laine usée et à prêcher la pauvreté. Simon Pierre, qui considérait que les femmes ne devaient être qu’obéissance et discrétion — et ce fut là encore une trahison des principes de son maître —, avait évincé Marie, que Jésus appelait sa mère, et surtout Madeleine, la compagne favorite du Nazaréen, aussi belle qu’intelligente, sur qui le nouveau chef de la secte avait fait courir des rumeurs infamantes, s’assurant par cette manœuvre que cette femme ne pourrait lui disputer la place qu’il considérait lui étant due.
L’affaire qui attirait Caïus était la suivante : un couple de disciples de la secte avait vendu sa propriété pour en reverser le prix à la communauté. Simon Pierre avait jugé trop faible la somme qui lui avait été remise et avait devinié que les époux, Ananias et Saphira, avaient gardé pour eux une partie de l’argent récolté de la vente de leur bien. Fou de colère, Simon avait convoqué Ananias pour lui reprocher sa tromperie. Ensuite, lui-même ou un de ses gardes avait assassiné Ananias. De jeunes disciples furent appelés pour draper et ensevelir le corps aussitôt. La colère de Simon Pierre ne baissait pas et il convoqua Saphira, ignorante de ce qui venait de se produire, pour l’interroger à son tour. Celle-ci ne nia pas le prix de la vente de ses biens. Simon Pierre apprit à cette femme que son époux venait de payer chèrement leur sens de l’économie : en ne lui donnant pas tout, c’est Dieu que le couple avait trompé. Saphira ne sortit pas vivante elle non plus des quartiers de Simon Pierre et cette histoire servit d’exemple à toute la communauté4. Peut-être n’était-ce effectivement pas l’argent qui souciait Simon Pierre, mais bien l’obéissance aveugle et le don total de leur existence qu’il exigeait de ceux qui lui appartenaient.

Des morts violentes qui se sont produites sans témoin fiable, des cadavres ensevelis à la hâte et désormais introuvables, une communauté dont aucun membre ne voudra ni n’osera parler, un chef despotique qui se prend pour la main de Dieu et qu’il est impensable d’arrêter sans provoquer une émeute ou un carnage… Caïus se dit qu’il n’avait aucune chance d’obtenir justice pour Ananias et Saphira. Il irait retrouver leurs enfants, tenterait de les convaincre de cesser de dire partout que Simon Pierre avait assassiné leurs parents et les avait spoliés de leur héritage. S’il ne parvenait pas à les raisonner, il les ferait emprisonner, car la paix est à ce prix.
Caïus comptait les années qui le séparaient de son retour à Rome et des retrouvailles avec sa villa, il n’était pas question de s’embêter plus longtemps pour régler les litiges internes d’une bande de fous qui croient que la fin du monde est imminente et qui s’entre-tuent pour des questions d’argent. Avec un peu de chance, leur goût pour l’autodestruction les consumerait vite et ils disparaîtraient définitivement5.

  1. J’ignore si les centurions effectuaient des enquêtes policières dans la Judée romaine, ce centurion Caïus n’a peut-être jamais existé, son histoire est un prétexte fictionnel qui m’aide à raconter à ma façon l’histoire d’une galerie de personnages historiques et/ou relevant de la tradition religieuse chrétienne, et pour explorer le sous-texte des Évangiles et autres parties du Nouveau testament. []
  2. Luc 22:35 « Il leur dit encore: Quand je vous ai envoyés sans bourse, sans sac, et sans souliers, avez-vous manqué de quelque chose? Ils répondirent: De rien. Et il leur dit: Maintenant, au contraire, que celui qui a une bourse la prenne et que celui qui a un sac le prenne également, que celui qui n’a point d’épée vende son vêtement et achète une épée ». []
  3. Jean 21:16 « fais paître mes brebis ». []
  4. Actes 5:1 Mais un homme nommé Ananias, avec Saphira sa femme, vendit une propriété, et retint une partie du prix, sa femme le sachant; puis il apporta le reste, et le déposa aux pieds des apôtres. Pierre lui dit: Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, au point que tu mentes au Saint-Esprit, et que tu aies retenu une partie du prix du champ? S’il n’eût pas été vendu, ne te restait-il pas? Et, après qu’il a été vendu, le prix n’était-il pas à ta disposition? Comment as-tu pu mettre en ton cœur un pareil dessein? Ce n’est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu. Ananias, entendant ces paroles, tomba, et expira. Une grande crainte saisit tous les auditeurs. Les jeunes gens, s’étant levés, l’enveloppèrent, l’emportèrent, et l’ensevelirent. Environ trois heures plus tard, sa femme entra, sans savoir ce qui était arrivé. Pierre lui adressa la parole: Dis-moi, est-ce à un tel prix que vous avez vendu le champ? Oui, répondit-elle, c’est à ce prix-là. Alors Pierre lui dit : Comment vous êtes-vous accordés pour tenter l’Esprit du Seigneur? Voici, ceux qui ont enseveli ton mari sont à la porte, et ils t’emporteront. Au même instant, elle tomba aux pieds de l’apôtre, et expira. Les jeunes gens, étant entrés, la trouvèrent morte; ils l’emportèrent, et l’ensevelirent auprès de son mari. Une grande crainte s’empara de toute l’assemblée et de tous ceux qui apprirent ces choses. []
  5. Vous allez rire, ça ne s’est pas du tout passé de cette manière, la secte a prospéré, elle est devenue une base importante pour plusieurs religions (au nom desquelles on s’est effectivement entre-tué) et a même été la religion officielle de l’Empire romain ! []

L’hospitalité à l’époque biblique (Juges 19:1-30)

L’infortuné héros de l’histoire est un membre de la tribu de Lévi (comme Moïse) dont la concubine, infidèle, était retournée chez son père. Quatre mois passent, l’homme décide d’aller chercher sa compagne pour parler à son cœur et la convaincre de le suivre. Il est chaleureusement accueilli par son beau-père, qui lui offre le pain et la boisson et le traite si bien qu’il n’arrive pas à partir : chaque soir, l’hôte retient son beau-fils en lui faisant valoir qu’il est tard et qu’il est plus avisé de repousser le départ au lendemain. Après cinq jours, le Lévite refuse finalement l’hospitalité et préfère partir, malgré le déclin du jour, avec sa concubine, son serviteur et ses deux ânes. Ils arrivent devant Jebus (Jérusalem) mais, malgré la suggestion de son serviteur, il refuse d’y entrer : « Nous n’entrerons pas dans une ville d’étrangers, où il n’y a point d’enfants d’Israël, nous irons jusqu’à Guibea (…) ou Rama et nous y passerons la nuit »1. Sur la place de la ville, personne ne se propose pour leur donner l’hospitalité pour la nuit, mais finalement, un vieil homme qui rentrait des champs leur demande qui il sont et où ils vont, et se propose de les héberger, mais cela dégénère car les villageois qui s’étaient montrés si peu hospitaliers sont pris par l’envie de coucher avec l’étranger :

Le vieillard dit : Que la paix soit avec toi! Je me charge de tous tes besoins, tu ne passeras pas la nuit sur la place.
Il les fit entrer dans sa maison, et il donna du fourrage aux ânes. Les voyageurs se lavèrent les pieds ; puis ils mangèrent et burent.
Pendant qu’ils étaient à se réjouir, voici, les hommes de la ville, gens pervers, entourèrent la maison, frappèrent à la porte, et dirent au vieillard, maître de la maison : Fais sortir l’homme qui est entré chez toi, pour que nous le connaissions2.

Le vieillard est révolté par ce projet, et propose une solution qui arrange (presque) tout le monde : au lieu de coucher avec son invité, ses voisins n’ont qu’à coucher avec sa fille à lui ainsi qu’et avec la concubine du Lévite. Il suffisait d’y penser. Les villageois ne sont pas convaincus, alors le Lévite prend la situation en mains et jette sa compagne dehors.

Le maître de la maison, se présentant à eux, leur dit : Non, mes frères, ne faites pas le mal, je vous prie ; puisque cet homme est entré dans ma maison, ne commettez pas cette infamie.
Voici, j’ai une fille vierge, et cet homme a une concubine ; je vous les amènerai dehors ; vous les déshonorerez, et vous leur ferez ce qu’il vous plaira. Mais ne commettez pas sur cet homme une action aussi infâme.
Ces gens ne voulurent point l’écouter. Alors l’homme prit sa concubine, et la leur amena dehors. Ils la connurent, et ils abusèrent d’elle toute la nuit jusqu’au matin ; puis ils la renvoyèrent au lever de l’aurore.
Vers le matin, cette femme alla tomber à l’entrée de la maison de l’homme chez qui était son mari, et elle resta là jusqu’au jour.

L’histoire ne dit pas si l’homme a dormi paisiblement pendant que sa compagne se faisait violer par toute la ville, mais le lendemain, il s’attendait à ce que cette dernière reprenne la route comme si de rien n’était :

Et le matin, son mari se leva, ouvrit la porte de la maison, et sortit pour continuer son chemin. Mais voici, la femme, sa concubine, était étendue à l’entrée de la maison, les mains sur le seuil. Il lui dit : Lève-toi, et allons-nous-en. Elle ne répondit pas. Alors le mari la mit sur un âne, et partit pour aller dans sa demeure.

La pauvre était raide morte. Une fois arrivé chez lui, le Lévite a découpé sa concubine en douze morceaux pour les envoyer aux quatre coins du territoire.

Arrivé chez lui, il prit un couteau, saisit sa concubine, et la coupa membre par membre en douze morceaux, qu’il envoya dans tout le territoire d’Israël. Tous ceux qui virent cela dirent : Jamais rien de pareil n’est arrivé et ne s’est vu depuis que les enfants d’Israël sont montés du pays d’Egypte jusqu’à ce jour ; prenez la chose à cœur, consultez-vous, et parlez !

Le message a fait son petit effet et des centaines d’hommes de toutes les tribus d’Israël (sauf les Benjamins) se sont rendus à Guibea pour y tuer les pervers criminels. Comme ceux-ci ont été défendus par tous les Benjamins, des dizaines de milliers de gens sont morts, ainsi que le raconte le chapitre 20 du livre des Juges, qui précise que toutes les villes des Benjamins furent brûlés et qu’on sacrifia jusqu’à leur bétail. Après quoi, les onze tribus assaillantes regrettèrent d’avoir failli faire disparaître la douzième tribu, ils décidèrent de tuer tous les habitants de Yabesh, en Galaad3, car ceux-ci n’avaient pas pris part au conflit et n’avaient pas prêté serment de ne pas marier leurs filles aux Benjamins. On épargna leurs femmes vierges, qui ont ainsi pu être mariées aux six cent Benjamins survivants. Tout était arrangé !

  1. Guibea/Gibeon et Rama/Ramah sont deux villes bibliques qui appartenaient à la tribu de Benjamin. Ces deux villes sont identifiées comme El-Jib et Er-Ram, à 8km au nord de Jérusalem, en territoire palestinien occupé. []
  2. Dans la Bible, « connaître quelqu’un » est un euphémisme pour « avoir des relations sexuelles avec quelqu’un ». []
  3. Le pays de Galaad se trouve en Jordanie. []

L’histoire du prophète Élisée

J’ai définitivement su que 2016 était l’année la plus horrible qui ait jamais été avant-hier lorsque ma fille cadette qui se trouvait debout à côté de moi, assis, m’a fait remarquer que les cheveux du dessus de ma tête s’éclaircissaient et qu’on percevait le rose de mon crâne.
Puisqu’il faut toujours échanger les tragédies contre de belles histoires, ça me donne l’occasion de raconter l’histoire du prophète Élisée.

Élisée (Elisha), disciple d’Élie, fut un prophète important, et près de trois mille ans après son temps, on continue de raconter ses miracles : il a ouvert le Jourdain en deux1 en se servant du manteau d’Élie2, a assaini une source polluée en y jetant du sel, a multiplié l’huile pour permettre à une femme de payer ses dettes, a ressuscité un enfant mort, a guéri un chef de guerre syrien de la lèpre (lèpre qu’Élysée a refilée à son serviteur, ce dernier ayant tenté d’extorquer de l’argent au syrien), prophétisé des victoires, des famines, des défaites, la fin de famines, des grossesses,… Il a accompli son ultime miracle un an après son décès, en ressuscitant un homme dont on avait placé le cadavre dans son tombeau3.

Élisée n’a pas fait que des miracles sympathiques, comme le raconte le second livre des rois (2:23-25) :

Il monta de là à Béthel ; et comme il cheminait à la montée, des petits garçons sortirent de la ville, et se moquèrent de lui. Ils lui disaient : Monte, chauve ! monte, chauve ! Il se retourna pour les regarder, et il les maudit au nom de l’Éternel.
Alors deux ours sortirent de la forêt, et déchirèrent quarante-deux de ces enfants.
De là il alla sur la montagne du Carmel, d’où il retourna à Samarie.

Vous avez bien lu : le prophète a demandé à Dieu d’envoyer des ours zigouiller quarante-deux mômes insolents. En ce temps-là, les châtiments corporels et les punitions collectives étaient tolérées.
Bref, Élisée était sympathique, serviable et talentueux, mais il était chatouilleux sur la question de la perte de cheveux.
À bon entendeur salut.

  1. Bien malin qui arrivera à raconter ce qu’ouvrir le Jourdain en deux signifie. []
  2. Élie avait fait le même tour lui-même quelques heures avant, puis avait été enlevé par un « char de feu », laissant Élisée seul avec son manteau. []
  3. On notera que Jésus s’est montré assez dédaigneux envers Élisée, dont il juge le rendement médiocre en termes de miracles : « Et il y avait plusieurs lépreux en Israël au temps d’Élisée le prophète ; et aucun d’eux ne fut rendu net, sinon Naaman, le Syrien. » (Luc 4:27). []

Charité bien ordonnée commence par ma gueule

En Hongrie aujourd’hui, on vote pour savoir si oui ou non le pays doit se conformer aux décisions européennes relatives à l’accueil des réfugiés. Comme 80% de ses compatriotes, une dame à qui on a tendu le micro votera « non ». Elle résume ça devant la caméra en disant : « Je prie pour que le NON passe ».

Je me demande si elle prie pour Belzébuth ou pour Satan, mais j’imagine mal qu’elle prie Jésus, car même si je suis le premier à taper sur la religion en général et les christianismes en particulier, mais je dois admettre une chose : s’il y a un point sur lequel les Évangiles sont à la fois modernes, universelles, belles et en aucun cas ambiguës, c’est bien sur l’accueil que l’on doit faire au pauvre et à l’étranger1.

"Je prie pour que le NON passe"
« Je prie pour que le NON passe » (une hongroise, sur BFM, le 02/10/2016)

C’est le genre de choses qui apporte de l’eau au moulin de ceux qui (et j’en fais partie) pensent que les gens brandissent les belles idées que contient leur religion le font souvent non pour s’en inspirer, mais pour se dispenser d’avoir à le faire2, et qui utilisent moins leur religiosité comme outil d’édification morale que comme un moyen de se bâtir une estime de soi : puisque je suis adepte de la religion de l’amour, de la charité ou de la paix, je suis dispensé d’aimer, d’être charitable ou pacifique. On trouve le même mécanisme dans d’autres engagements politiques et sociaux qu’en religion, bien sûr.

  1. Et d’ailleurs, la Torah aussi, sans être exempte de xénophobie, rappelle qu’on est toujours l’étranger d’un autre : Tu ne contristeras [ne feras de peine] point l’étranger ni ne le molesteras; car vous-mêmes avez été étrangers en Egypte. (Exode 22:20). []
  2. C’est ce que tend à démontrer une étude récente qui montrait que les enfants d’athées étaient plus altruistes que les enfants de croyants []

L’école du mercredi

Je remets la main sur mon cahier de catéchisme.
Car oui, j’ai fait mon catéchisme. J’ai même été enfant de chœur. Pourtant, pour autant que je m’en souvienne, je n’ai jamais été croyant, et j’ai fini par comprendre qu’à peu près toute ma famille était athée ou agnostique (tout en ayant une culture religieuse), mais des copains m’avaient vendu les soporifiques séances du mercredi comme une sorte d’école où on ne faisait que dessiner : comment résister ?
L’arnaque ! Des dames de catéchisme revêches qui nous envoyaient des regards de démentes de films d’horreur si on avait eu le malheur de rater une séance d’endoctrinement ou une messe; un curé gentil mais pas très fin ; des copains qui avaient une vision bien hypocrite de la religion à laquelle ils adhéraient pourtant…  Bref, j’aurais bien tort de me plaindre, j’ai énormément appris.

catechisme_1

Je me rappelle que j’avais été impressionné d’entendre mon père dire « mon père » au curé en venant m’inscrire — j’ignorais tout de ce code. Et je me souviens encore que ma mère — de culture protestante — avait été choquée que le prêtre, qui trouvait que j’étais trop vieux pour commencer en première année, me demande de mentir et de faire croire que j’avais déjà fait une année de catéchisme ailleurs. C’est dans ce genre d’occasion qu’on voit la différence entre les catholiques et les parpaillots, j’imagine : les premiers font du mal en étant hypocrites, les seconds se font du mal en ne l’étant pas.

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En tout cas, je remarque une chose : quand je faisais des dessins niais et sans texte, les dames de catéchisme écrivaient « B » ou « TB » sur mes dessins. Par contre, les dessins un peu comiques avec des phylactères n’ont pas eu droit à des « TB » ni à des « B ».
Si on avait voulu me forcer à choisir entre la foi et la bande dessinée, on ne s’y serait pas pris autrement. Devinez qui a gagné.