(une nouvelle que j’ai écrit il y a vingt-trois ans, retrouvée, scannée, corrigée. Pour bien faire, il faudrait la reprendre et l’améliorer, mais ça sera pour une autre fois)
Je n’aime pas les surprises. Pas du tout. C’est pour ça que jusqu’ici, je n’avais eu aucune envie d’ouvrir la caisse. Le vieux du labo m’avait répondu : «vous verrez, vous serez drôlement surpris ! drôlement !». Il avait un air drôle, en me disant ça. J’avais demandé «c’est quoi cette surprise ?», mais le directeur avait fait un geste pour que le vieux se taise, avant de me dire à moi : «c’est une surprise et c’est top secret, top secret absolument !… Si on vous dit ce que c’est, ça ne sera plus une surprise, forcément».
Forcément.
Tout ce que j’en savais, c’était ça : on avait mis dans la navette une caisse qui s’ouvrirait deux cent jours exactement après le décollage. C’était il y a un peu moins de deux cent jours, et à en croire la minuterie, «ça» aura lieu d’ici une trentaine de minutes.
J’aime si peu les surprises que j’en deviens paranoïaque. Je ne sais pas pourquoi, mais la minuterie de la caisse me rappelle la minuterie d’une bombe. Évidemment, je vois mal pourquoi bousiller un programme de deux milliards avec une bombe, qui, à voir la caisse, pèserait au moins deux cent kilos
Je me sens complètement stupide à regarder cette caisse, du coup, ça me rappelle tout un tas de trucs idiots, mais d’un autre coté, je n’ai vraiment aucune envie de rigoler.
Réfléchissons : je teste un programme ultra secret, top secret, qu’ils avaient dit Une caisse de deux cent kilos, ultra secrète ? Une sonde spatiale ? ridicule ! je ne pourrais pas la faire sortir de la navette, il n’y a pas d’ouverture suffisante.
Ah… C’est dans douze minutes.
Nerveux. Je vais faire une partie de Pac-man. Ca ne me détendra pas, mais au moins, ça occupe.
Je me demande ce que c’est, ce jeu, Pac-man … enfin, je veux dire je me demande d’où ils la sortent, cette histoire d’enzymes gloutons, de labyrinthes, de pastilles jaunes et de cerises-bonus. Ça ne ressemble à rien de ce qu’on trouve dans la nature, du moins pas à notre échelle, parce que bien sûr, ça rappelle les globules, lymphocytes et tout le toutim.
Sept minutes J’ai trouvé ! Dans la caisse, il y a un Pac-man ! Pas exactement un Pac-man, évidemment, mais quelque chose du genre, je veux dire un monstre, ou plutôt, un robot, une machine programmée pour me mettre en pièces, pour me désintégrer, pour me réduire en compote. Pourquoi me faire ça mais c’est évident : pour tester leur robot-monstre en apesanteur, ou pour évaluer la résistance du corps humain devant…
Cinq minutes ! Je disais ça pour rire, en fait ; deux cent jours dans l’espace rend un peu fêlé ! c’est l’ennui, c’est normal Quatre minutes. J’ai les foies, j’y tiens plus. Trois. Je déteste. Deux. Je déteste, je déteste, je déteste les surprises. Une. Calmons nous un peu.
Le compteur indiqua : «Zéro», et «ça» eut lieu. J’eus tout juste le temps de m’écarter pour ne pas recevoir un des côtés de la caisse sur le pied quand elle s’est ouverte. Recroquevillé les genoux sous son menton, un robot en position de fœtus entourait ses jambes de ses bras synthétiques. Un robot Humanoïde ! bien sûr, on n’aurait pas pu le confondre avec un humain, mais tout était fait pour qu’il y ressemble, dans la forme globale en tous cas, mais pas du tout pour la texture : un amas multicolore de matériaux composites, silicone, rilsan et vinyle à vue de nez. On aurait cru un gag : ses yeux, subitement, émirent de la lumière rouge, exactement comme dans la science fiction des années quarante où l’on ne pouvait poser un pied sur mars sans être accueilli par des robots, qui, mauvais hôtes, vous donnaient le sentiment d’être des intrus en vous bombardant – par les yeux – de rayons cosmicosismiques.
Deuxième phase. Le robot déploie ses jambes et commence à se lever, très doucement. Je suppose que cette lenteur a été calculée pour qu’il garde les pieds sur le sol, et n’aille pas — micropesanteur oblige — traverser la soute. Les calculs étaient mauvais. Le robot, continuant sa lente élongation, quitta le sol ferme pour aller, lentement, très lentement, vers le plafond. Subitement, il émit une musique. Un extrait des quatre saisons rendu méconnaissable ici par un enregistrement déplorable et aussi parce que son synthé était de la dernière qualité, à tel point qu’on aurait cru entendre le répondeur téléphonique de l’imprimerie de mon père. Du coup, à voir ce robot débile monter lentement vers le plafond, clignotant des yeux et jouant très mal Vivaldi, je ne pouvais m’empêcher de penser à un ascenseur un de ces ascenseurs qui font de la musique.
Cela dit, j’adore Vivaldi. Le vieux du labo le sait. Le directeur le sait aussi. Je suppose donc que c’était pour me faire plaisir. Changement. La musique S’arrête net, exactement comme le fait un répondeur téléphonique, et d’une voix très forte et métallique, le robot lance : «JOYEUX ANNIVERSAIRE !» «JOYEUX ANNIVERSAIRE !» «JOYEUX ANNIVERSAIRE !»
Anniversaire ? C’est_ mon anniversaire ? J’essaye de me souvenir, je vérifie …. oui, c’est exactement le jour de mon anniversaire.
Juste avant de se cogner au plafond, l’automate demande : «Com-ment allez vous ? Bien j’espère …» il se cogne et entame une lente descente vers le sol «Je suis très heureux de vous avoir vu. Nous avons fait bon voyage, n’est-ce pas ? Eh bien, je crois que je vais retourner dans ma boite, à présent. Ma compagnie vous aura fait plaisir, je sup-pose ? Vous ne vous sentirez plus jamais seul, car je reviendrais souvent vous voir ! Voulez-vous m’aider à refermer ma boite ?…» En disant cela, le robot commençait à reprendre sa position accroupie. Il ne se rendait pas compte. qu’il était à deux mètres cinquante de sa boite. D’un petit coup de pied, je montai le chercher, et, comme il me le demandait je refermai sa boite. Juste avant que je pose le couvercle, il dit : «… au revoir, à bientôt. Merci de votre aide. Permettez qu’à nouveau je vous souhaite un joyeux. anniversaire !»
Ses yeux s’éteignirent et je refermai le couvercle. Quelques minutes plus tard, je reçus un message de la base spatiale : l’équipe au grand complet me souhaitait elle aussi un joyeux anniversaire et voulait savoir ce que j’avais pensé de la surprise, laquelle aurait coûté fort cher, m’apprit-on, si les chercheurs, ingénieurs, et ouvriers n’avaient spontanément décidé de ne pas facturer les heures qu’ils avaient consacrées à mettre au point et construire le robot. Touchant. je les remerciai vivement : j’avais vraiment les larmes aux yeux., et je n’osai donc pas leur parler des petits défauts de leur cadeau.
Le robot fit à nouveau parler de lui six semaines plus tard. Sans prévenir, il fit un petit bruit, un «ponk !» étouffé. Sa boite était coincée. De la lumière rouge perçait par les fentes, et en tendant l’oreille j’entendis distinctement la musique, puis sa voix «Joyeux Noël ! Joyeux Noël ! il est exactement Minuit ! Joyeux Noël ! …» puis, un peu plus tard : «…Voulez-vous bien m’aider à refermer ma boite, s’il vous plaît ? Merci, à bientôt».
J’essayai plusieurs fois de desceller cette satanée boite, mais à dire vrai, j’étais incapable de me souvenir comment je l’avais fermée. Depuis, à chaque anniversaire, jour de l’an, fête nationale, et dieu sait quoi, ce stupide robot, coincé dans sa caisse, se cogne la tête, joue mal Vivaldi et déclame des imbécillités. je ne le supporte plus ! J’ai bien eu l’idée de le balancer dans le vide, mais sa caisse est juste un tout petit peu trop grosse pour passer par le sas. Je n’ose pas dire à ceux d’en bas que le temps et le travail qu’ils ont dépensé pour moi réussit juste à me donner le cafard. Et ce n’est pas tout. Depuis hier, mon siège grince.