Une semaine d’hôtels, de trains, de cuisine et de destruction

Lundi J’ai fait mariner des magrets. J’ai utilisé plusieurs vinaigres, plusieurs huiles, du miel, des épices. Le résultat m’a semblé convaincant mais ma marinade n’était pas opaque comme celle des produits de supermarchés, ça m’a inquiété. Le soir, mon appareil photo est mort : son objectif rétractable a cessé de se rétracter.

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Mardi, je me suis invité chez une amie, avec une autre, pour cuisiner. Il est rare que je cuisine, je ne sais pas faire grand chose. En vérifiant si les magrets avaient la bonne consistance, j’ai cassé une cuiller en bois, ma main a glissé, je me suis un peu brûlé un doigt. J’ai vu voler la poêle et les magrets sans avoir rien pu faire. Le linoléum est devenu une mare de graisse, mais n’oublions pas que la graisse de canard est la plus saine des graisses animales. De plus, notre hôte a elle-même renversé un verre d’eau à un moment donné, ce qui aurai peut-être pu me mouiller si c’était parti de mon côté, alors mettons que nous sommes quittes. Non parce que ça va bien, d’essayer de me culpabiliser, comme ça !
La nuit, j’ai dormis à l’hôtel Capucine, dans la chambre deux.
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Mercredi, je me suis senti rétrospectivement contrarié par une discussion de la veille. Du fait des vacances, le train de retour était assez vide et j’ai dormi dans la longueur d’une banquette de compartiment.
Jeudi, je suis allé à Lyon, pour les assises nationales des écoles d’art. Je n’avais pas très bien préparé le forum auquel je participais. Heureusement que le public n’a pas pu réclamer de remboursement (n’ayant rien payé). J’aurai au moins vu plein d’amis. J’ai aussi eu l’impression que Lyon était une véritable ville, un endroit peuplé et vivant. Il n’y en a pas énormément en France, enfin c’est la première que je vois. Je ne compte pas Paris parmi les véritables villes, c’est un musée plein de charme, où prolifèrent les Starbucks, les H&M et les mendiants dans les beaux quartiers, les kebabs, les taxiphones et les artistes en colocation dans les autres.
Le soir, après un discours de l’adjoint à la culture qui n’a fait que parler de nourriture, et après le cocktail dînatoire qui a suivi dans une salle à la décoration chargée, j’ai longuement erré à la recherche de mon hôtel. Une fois l’endroit trouvé, j’ai branché l’adaptateur de ma tablette dans la chambre, et l’objet a littéralement explosé, privant toute une moitié de la chambre d’électricité, et me privant de la possibilité de regarder la télévision, puisque la prise sur laquelle celle-ci était branchée se trouvait sur le même disjoncteur.

prise

Vendredi, à l’hôtel, après avoir cherché dix minutes comment ouvrir le tube de gel douche offert, je suis parti prendre le petit déjeuner. Il était bon, mais même si c’était un service prévu « à la demande », je n’ai pas osé réclamer à la dame de me préparer des œufs brouillés, alors que j’en avais très envie. Ça ne l’aurait certainement pas embêtée mais j’ai été timide. J’ai quitté Lyon à temps pour rentrer donner cours à Saint-Denis à midi. Je n’ai pas pu prendre le train avec ma directrice des études, qui s’y trouvait aussi, car le véhicule était constitué de deux rames accolées, et nous n’étions pas dans les mêmes. De plus j’avais un billet de première et elle, non.
La nuit qui a suivi, j’ai erré dans une ville à la recherche d’un hôtel mais tous étaient complets. Chaque réceptionniste m’assurait que le voisin aurait de la place, mais ça n’arrivait jamais. En désespoir de cause, j’ai décidé de quitter ce rêve laborieux et de me réveiller. Preuve que les solutions sont parfois à portée de main. J’y penserai la prochaine fois que je n’ai pas de chambre d’hôtel.
Samedi, j’ai eu un rendez-vous au café du couvent des Récollets à dix heures, soit deux heures avant son ouverture. Enfin on s’y est installés tout de même.
Dimanche, je ne peux pas dire ce qui m’est arrivé, car c’est demain.

Google est plus humain que moi

Un « captcha » cherche à vérifier si je suis humain pour m’autoriser, ou non, à commenter un article sur un blog. Sa question est la suivante :

1 + sept = ?

Je suis perplexe. Faut-il répondre « 8 » ou bien « huit » ?
Pour moi il y a deux réponses. Voire plus : je pourrais aussi répondre « mardi », puisque le premier septembre de 2015 était un mardi, ou « octobre », puisque septembre + un = octobre1.
J’ai demandé son aide à Google :

1+sept_google

C’était la bonne réponse.
Google est un humain plutôt plus fiable que je ne le suis, apparemment.

  1. On me propose aussi « 1sept » et « NaN », mais ces deux réponses sont un peu moins humaines que d’autres puisqu’elles correspondent à ce que répondraient tel ou tel système informatique. []

La probité

Jean-Yves Le Drihan a annoncé que s’il était élu président de Bretagne, il abandonnera la tête du ministère de la Défense, conformément à la règle du non-cumul qui a plus ou moins cours au sein du gouvernement auquel il appartient. Extraordinaire de présenter comme une preuve de probité politique le fait de chercher un poste de six ans pour remplacer celui que l’on est certain de perdre dans un peu moins de deux, et d’annoncer aussi que si l’on n’est pas plébiscité par les électeurs… On conservera néanmoins le pouvoir. Je n’ai aucune opinion sur Jean-Yves Le Drihan, sa carrière politique est sans doute similaire à celle de bien d’autres de ses collègues, mais c’est justement le problème : je ne parviens plus à prendre ces gens au sérieux, à les voir ces gens autrement que comme une pantomime oligarchique un peu pathétique.

Un jeune homme agité

Dans un vieux train de ma banlieue, un de ceux où il y avait encore des toilettes1, un type circule entre deux wagons avec fébrilité, faisant un bruit du diable chaque fois que le sas entre les wagons s’ouvre, car il transporte sur lui une sono invisible qui hurle un rap hardcore très impressionnant, agressif, où une bande d’hommes pousse des cris menaçants qui évoquent l’insulte, l’aboiement d’une meute, un zoo en panique, et parfois aussi le vomissement. Je n’ai rien compris aux paroles, mais j’ai identifié du Français.

...
Vu dans un de ces anciens trains à deux étages : les toilettes sont condamnées, mais les parois sont recouvertes d’un sympathique décor autocollant qui évoque les salles de bain.

Au bout de dix minutes, toujours plus énervé, le type frappe à la porte des toilettes, qui est fermée. Il cogne fort. Tous les gens qui se trouvent à proximité sont inquiets, sur leurs gardes, comme chaque fois que quelqu’un a un comportement étrange. Le type frappe comme un dément mais la porte ne s’ouvre toujours pas. À sa manière de frapper, on a l’impression qu’il sait que quelqu’un se trouve derrière la porte, mais il n’y a là personne. En fait, cela fait quelques années que les toilettes de ces trains à double-étage sont condamnées. La musique a changé, ce n’est plus du rap mais une espèce d’électro planante pas trop mal. Le gars de met dos à la porte, appuie son pied gauche contre la paroi qui y fait face puis envoie une ruade sèche et extrêmement sonore à la porte, qui s’ouvre du premier coup, comme dans les films où les gens ouvrent les portes d’un coup de pied. Le gars s’enferme. Plus de bruit, plus d’énervement, plus d’agitation.

  1. Dans les trains modernes, les toilettes ont disparu, en prévision du post-humanisme, car dans le futur, nous n’aurons plus de vessies — une fois de plus, la France se montre audacieuse : dans cent cinquante ans on pourra dire avec fierté « on a été les premiers à supprimer les W.C. ». []

Le nœud du problème

Éric Zemmour n’a pas la virilité exacerbée d’un Jason Statham, d’un Bruce Willis, d’un Hugh Jackman, d’un Idris Elba, d’un Sean Connery, d’un Samuel L. Jackson. Je ne me moque pas, hein : la plupart des hommes qui sont en train de lire ces lignes, et en tout cas celui qui les écrit, sont dans le même cas, et ne passeraient pas très bien sur l’affiche d’un film de la série Expendables.
Mais bon, Zemmour, ça le travaille visiblement plus que d’autres, ces questions de virilité, puisqu’une de ses obsessions est la manière dont les femmes, à l’en croire, ont pris le pouvoir dans la société française.
Il semble toujours à deux doigts de se lancer dans un monologue comparable à celui du général de brigade Jack D. Ripper dans Dr. Strangelove, qui provoque la troisième guerre mondiale parce que les communistes et les femmes altèrent la pureté de ses « precious bodily fluids ». Il y a une certaine folie dans les obsessions de Zemmour.

Au cours d’une émission télévisée, Sophia Aram, qui cite des passages du livre de Zemmour au cours de son dernier spectacle, a résumé la question sans ambiguïté1 :

sophia_aram_eric_zemmour_reactions

Sur Twitter, les réactions venues de gens visiblement obsédés par l’identité nationale, dont j’ai collecté un petit extrait (ci-dessus) sont d’une violence pénible à encaisser, mais n’en donnent pas moins raison à la cible de leurs attaques. Ils font à leur insu l’aveu implicite que toutes leurs obsessions de fierté nationaliste et leur panique xénophobe peuvent sans doute être réduites à un problème de manque d’assurance virile, et le fait de le dire — surtout si c’est une femme qui s’en charge — les fait sortir de leurs gonds.
Ce qui était attendrissant et rigolo avec un lutin2 médiatique névrosé devient un peu angoissant venant de dizaines de ses supporters. Dites-donc, les gars, vos mamans savent que vous êtes aussi perturbés ?

  1. Le titre de l’article du Figaro est un extrait des propos de Sophia Aram lors d’une discussion. Elle se moquait notamment du fait qu’Éric Zemmour reprenne comme une vérité la phrase d’un académicien oublié du siècle précédent qui affirmait que « Les femmes préfèrent les hommes qui les prennent sans les comprendre, aux hommes qui les comprennent sans les prendre ». []
  2. Avec son rire de lutin, son nez pointu, sa physionomie maigrichonne, Éric Zemmour m’a toujours rappelé le goblin Finaud (Gobbo), dans les aventures de Oui-Oui (Noddy), par Enid Blyton. []

Surprise ! (1992)

(une nouvelle que j’ai écrit il y a vingt-trois ans, retrouvée, scannée, corrigée. Pour bien faire, il faudrait la reprendre et l’améliorer, mais ça sera pour une autre fois)

Je n’aime pas les surprises. Pas du tout. C’est pour ça que jusqu’ici, je n’avais eu aucune envie d’ouvrir la caisse. Le vieux du labo m’avait répondu : «vous verrez, vous serez drôlement surpris ! drôlement !». Il avait un air drôle, en me disant ça. J’avais demandé «c’est quoi cette surprise ?», mais le directeur avait fait un geste pour que le vieux se taise, avant de me dire à moi : «c’est une surprise et c’est top secret, top secret absolument !… Si on vous dit ce que c’est, ça ne sera plus une surprise, forcément».
Forcément.

Tout ce que j’en savais, c’était ça : on avait mis dans la navette une caisse qui s’ouvrirait deux cent jours exactement après le décollage. C’était il y a un peu moins de deux cent jours, et à en croire la minuterie, «ça» aura lieu d’ici une trentaine de minutes.

J’aime si peu les surprises que j’en deviens paranoïaque. Je ne sais pas pourquoi, mais la minuterie de la caisse me rappelle la minuterie d’une bombe. Évidemment, je vois mal pourquoi bousiller un programme de deux milliards avec une bombe, qui, à voir la caisse, pèserait au moins deux cent kilos

Je me sens complètement stupide à regarder cette caisse, du coup, ça me rappelle tout un tas de trucs idiots, mais d’un autre coté, je n’ai vraiment aucune envie de rigoler.

Réfléchissons : je teste un programme ultra secret, top secret, qu’ils avaient dit Une caisse de deux cent kilos, ultra secrète ? Une sonde spatiale ? ridicule ! je ne pourrais pas la faire sortir de la navette, il n’y a pas d’ouverture suffisante.

Ah… C’est dans douze minutes.

Nerveux. Je vais faire une partie de Pac-man. Ca ne me détendra pas, mais au moins, ça occupe.

Je me demande ce que c’est, ce jeu, Pac-man … enfin, je veux dire je me demande d’où ils la sortent, cette histoire d’enzymes gloutons, de labyrinthes, de pastilles jaunes et de cerises-bonus. Ça ne ressemble à rien de ce qu’on trouve dans la nature, du moins pas à notre échelle, parce que bien sûr, ça rappelle les globules, lymphocytes et tout le toutim.

Sept minutes J’ai trouvé ! Dans la caisse, il y a un Pac-man ! Pas exactement un Pac-man, évidemment, mais quelque chose du genre, je veux dire un monstre, ou plutôt, un robot, une machine programmée pour me mettre en pièces, pour me désintégrer, pour me réduire en compote. Pourquoi me faire ça mais c’est évident : pour tester leur robot-monstre en apesanteur, ou pour évaluer la résistance du corps humain devant…

Cinq minutes ! Je disais ça pour rire, en fait ; deux cent jours dans l’espace rend un peu fêlé ! c’est l’ennui, c’est normal Quatre minutes. J’ai les foies, j’y tiens plus. Trois. Je déteste. Deux. Je déteste, je déteste, je déteste les surprises. Une. Calmons nous un peu.

Le compteur indiqua : «Zéro», et «ça» eut lieu. J’eus tout juste le temps de m’écarter pour ne pas recevoir un des côtés de la caisse sur le pied quand elle s’est ouverte. Recroquevillé les genoux sous son menton, un robot en position de fœtus entourait ses jambes de ses bras synthétiques. Un robot Humanoïde ! bien sûr, on n’aurait pas pu le confondre avec un humain, mais tout était fait pour qu’il y ressemble, dans la forme globale en tous cas, mais pas du tout pour la texture : un amas multicolore de matériaux composites, silicone, rilsan et vinyle à vue de nez. On aurait cru un gag : ses yeux, subitement, émirent de la lumière rouge, exactement comme dans la science fiction des années quarante où l’on ne pouvait poser un pied sur mars sans être accueilli par des robots, qui, mauvais hôtes, vous donnaient le sentiment d’être des intrus en vous bombardant – par les yeux – de rayons cosmicosismiques.

Deuxième phase. Le robot déploie ses jambes et commence à se lever, très doucement. Je suppose que cette lenteur a été calculée pour qu’il garde les pieds sur le sol, et n’aille pas — micropesanteur oblige — traverser la soute. Les calculs étaient mauvais. Le robot, continuant sa lente élongation, quitta le sol ferme pour aller, lentement, très lentement, vers le plafond. Subitement, il émit une musique. Un extrait des quatre saisons rendu méconnaissable ici par un enregistrement déplorable et aussi parce que son synthé était de la dernière qualité, à tel point qu’on aurait cru entendre le répondeur téléphonique de l’imprimerie de mon père. Du coup, à voir ce robot débile monter lentement vers le plafond, clignotant des yeux et jouant très mal Vivaldi, je ne pouvais m’empêcher de penser à un ascenseur un de ces ascenseurs qui font de la musique.

Cela dit, j’adore Vivaldi. Le vieux du labo le sait. Le directeur le sait aussi. Je suppose donc que c’était pour me faire plaisir. Changement. La musique S’arrête net, exactement comme le fait un répondeur téléphonique, et d’une voix très forte et métallique, le robot lance : «JOYEUX ANNIVERSAIRE !» «JOYEUX ANNIVERSAIRE !» «JOYEUX ANNIVERSAIRE !»

Anniversaire ? C’est_ mon anniversaire ? J’essaye de me souvenir, je vérifie …. oui, c’est exactement le jour de mon anniversaire.

Juste avant de se cogner au plafond, l’automate demande : «Com-ment allez vous ? Bien j’espère …» il se cogne et entame une lente descente vers le sol «Je suis très heureux de vous avoir vu. Nous avons fait bon voyage, n’est-ce pas ? Eh bien, je crois que je vais retourner dans ma boite, à présent. Ma compagnie vous aura fait plaisir, je sup-pose ? Vous ne vous sentirez plus jamais seul, car je reviendrais souvent vous voir ! Voulez-vous m’aider à refermer ma boite ?…» En disant cela, le robot commençait à reprendre sa position accroupie. Il ne se rendait pas compte. qu’il était à deux mètres cinquante de sa boite. D’un petit coup de pied, je montai le chercher, et, comme il me le demandait je refermai sa boite. Juste avant que je pose le couvercle, il dit : «… au revoir, à bientôt. Merci de votre aide. Permettez qu’à nouveau je vous souhaite un joyeux. anniversaire !»

Ses yeux s’éteignirent et je refermai le couvercle. Quelques minutes plus tard, je reçus un message de la base spatiale : l’équipe au grand complet me souhaitait elle aussi un joyeux anniversaire et voulait savoir ce que j’avais pensé de la surprise, laquelle aurait coûté fort cher, m’apprit-on, si les chercheurs, ingénieurs, et ouvriers n’avaient spontanément décidé de ne pas facturer les heures qu’ils avaient consacrées à mettre au point et construire le robot. Touchant. je les remerciai vivement : j’avais vraiment les larmes aux yeux., et je n’osai donc pas leur parler des petits défauts de leur cadeau.

Le robot fit à nouveau parler de lui six semaines plus tard. Sans prévenir, il fit un petit bruit, un «ponk !» étouffé. Sa boite était coincée. De la lumière rouge perçait par les fentes, et en tendant l’oreille j’entendis distinctement la musique, puis sa voix «Joyeux Noël ! Joyeux Noël ! il est exactement Minuit ! Joyeux Noël ! …» puis, un peu plus tard : «…Voulez-vous bien m’aider à refermer ma boite, s’il vous plaît ? Merci, à bientôt».

J’essayai plusieurs fois de desceller cette satanée boite, mais à dire vrai, j’étais incapable de me souvenir comment je l’avais fermée. Depuis, à chaque anniversaire, jour de l’an, fête nationale, et dieu sait quoi, ce stupide robot, coincé dans sa caisse, se cogne la tête, joue mal Vivaldi et déclame des imbécillités. je ne le supporte plus ! J’ai bien eu l’idée de le balancer dans le vide, mais sa caisse est juste un tout petit peu trop grosse pour passer par le sas. Je n’ose pas dire à ceux d’en bas que le temps et le travail qu’ils ont dépensé pour moi réussit juste à me donner le cafard. Et ce n’est pas tout. Depuis hier, mon siège grince.

J’avais pourtant payé ma dette

Dans un article je ne sais où je ne sais sur quoi, j’ai cliqué sur un lien qui m’amenait à un complément d’information qui avait dû m’intriguer.
Mais tandis que l’article se chargeait, la page a subitement été recouverte d’un voile noir au centre duquel est apparu une vidéo.
Autrefois on disait « une page de publicité » pour parler d’une séquence publicitaire à la télévision, mais aujourd’hui, pour une page web de publicité, on dit juste « une publicité ». Une fois la publicité passée, l’article n’est pas apparu, j’ai eu ceci à la place :

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Pas autorisé !
Quelle injustice ! Me refuser l’article alors que j’avais regardé en entier le film publicitaire. Je serais incapable de citer la marque mais je peux la raconter : dans un village de pays du Sud, un vieil homme, sollicité par une belle femme a priori un peu plus jeune et ostensiblement animée d’une humeur tendrement lascive, tente d’avaler un losange bleu que l’on supposera être un comprimé de Viagra® mais, maladroit — l’enjeu est de taille, comprenez-le —, envoie par erreur le cachet par la fenêtre. Il avait visé sa bouche, mais le médicament est passé à côté. On s’attend à une conclusion platement triste nous démontrant, par la déception de cet homme et de cette femme qui s’apprêtaient à passer un bon moment, que la vie affective, à un certain âge, gagne à être médicalisée. Mais en fait non, cette publicité ne provient pas d’un quelconque laboratoire pharmaceutique, elle émane d’une marque automobile. Après quelques rebonds sur des toits, le comprimé bleu s’engloutit dans le réservoir d’une automobile rouge dont le propriétaire, un homme jeune et à mon avis beau, venait de faire le plein mais sans avoir encore pris le soin de visser le bouchon. À mon avis, ce n’est pas très bon pour un moteur de mettre des cochonneries dans le réservoir mais j’admets que je ne suis pas spécialiste.
Dans le film, l’automobile voit sa carrosserie gonfler. Le type est étonné mais pas mécontent de cette évolution. Une femme très attirante qui passait par là regarde l’automobile en roulant des yeux d’un air intéressé. Une seconde très belle femme, qui passe à bicyclette, est distraite par cette vision. Enfin, une troisième femme à la physionomie plus commune et d’un âge plus avancé, semble elle aussi troublée par le véhicule, d’un air plus naturel, moins posé, et donc plus comique. Pour finir, on voit l’automobile rouler dans une campagne sans doute italienne. Au fond, le message n’est pas clair, mais bon, c’est pas ce qui compte : j’ai été attentif, j’ai regardé jusqu’au bout, pourquoi est-ce que je n’ai pas eu le droit de voir la page ? J’avais payé ma dette à la société.
À présent, je me sens embêté pour cet homme et cette femme qui voulaient profiter de la vie alors qu’ils ont clairement mangé leur pain blanc (enfin lui, en tout cas). Tout ça pour une publicité. Quelle cruauté.

Un peu de violence parisienne

Gare Saint-Lazare, j’achète un bretzel et un café. Arrive sur moi un clochard qui me demande si je n’ai pas une pièce à lui offrir pour je ne sais quoi — il a marmonné, la destination prévue pour l’argent n’était pas claire. Je lui réponds que non, désolé. En fait, j’avais très certainement une pièce, mais aucune envie de vérifier, les mains déjà occupées, si mon porte-monnaie contenait autre chose que des pièces de deux euros et de deux centimes, sommes inadaptées au don impromptu qui m’était réclamé.
Le type, qui jusqu’ici montrait un sourire timide et un corps voûté et hésitant relève la tête, prend un air très mauvais et, d’un pas décidé qui me pousse à me décaler un peu, me dit :
« toi, tu as une tête de FRANKENSTEIN ! ».
À ce stade, j’ai envie de croire deux choses :
– primo, qu’il voulait dire Albert Einstein. On me l’a déjà faite, celle-là, de me trouver une parenté avec Albert, et de confondre avec Frank.
– secundo, que cette agressivité subite n’est qu’un moyen pour m’autoriser à ne pas culpabiliser de n’avoir donné aucune pièce. Ça a très bien marché, d’ailleurs, tout éventuel sentiment de culpabilité m’a abandonné avant même de m’atteindre.

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Le même jour, en rentrant de l’université, fatigué — la semaine a été longue et je m’étais levé plus tôt que mon heure —, j’ai piqué du nez dans le métro. Il y a toujours des places assises station Saint-Denis Université, puisque c’est le terminus de la ligne 13.
Comme un automate, j’ouvre les yeux, station Saint-Lazare, ma destination. Je me lève, et un grand type bien mis, aux cheveux impeccablement blancs et bien coiffés, à mon avis en excellente forme physique, lance haut et fort : « ah, enfin, des jeunes se lèvent, les personnes âgées vont pouvoir s’asseoir sur les places qui leur sont RÉSERVÉES ! ». Il s’adresse apparemment à moi. En sortant, un peu hébété, je lui dis « Ben heu z’aviez qu’à demander, hé ! ». Mais le type feint de m’ignorer, sans parvenir à cacher complètement un air content-de-lui qui signifie que sa râlerie publique l’a défoulé et en quelque sorte vengé d’avoir dû passer une partie de son trajet debout. S’il me lit, j’aimerais que ce brave homme au faux-air de Jacques Perrin et de Jacques Derrida (appelons-le Jacques) sache que ça n’a pas du tout marché et que son cas me laisse rétrospectivement absolument indifférent. Peut-être aura-t-il plus de chance une autre fois ?

L’homme flou

Le Figaro ferait n’importe quoi pour un clic, apparemment.
Mais puisque depuis quelques jours tous les médias nous martèlent que le livre de François Fillon1 est un phénomène d’édition, on se doute que ce n’est pas une photo de Christine Boutin (qui ne porte pas de cravate) ni de Jean-Vincent Placé, bien que ce dernier ait, dit-on (dit-il, en fait), suivi un régime sérieux.

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Puisque Fillon a vendu 50 000 exemplaires de son livre « Faire »2, on peut imaginer qu’il va vendre plus. En effet, les slogans « Succès de la rentrée », « Vu à la télé » ou « Numéro 1 aux USA », font vendre, c’est vieux comme les camelots de foire.

Je m’interroge sur le sens subliminal du tweet du Figaro et de cette photo floue de François Fillon. Veut-on nous faire comprendre que ce type a quelque chose de pas net ?

  1. Ancien premier ministre français, connu pour l’exploit d’avoir supporté Nicolas Sarkozy quatre ans et onze mois, c’est à dire quarante-neuf mois de plus que moi. C’est sans doute pour percer ce mystère et dans l’espoir d’anecdotes croustillantes sur l’énervé de Neuilly que le public achète ce livre. []
  2. Faire, mais faire quoi ? C’est un peu comme « réformer », « faire », ça ne veut rien dire en soi… []