Gaspard saura lundi

« — Ha ! ha ! T’as vu la coupe de merde qu’il a ?
Quoi ? Non je te parle de mon fils. Ses cheveux. T’as vu ?
C’était le salon de coiffure normal, mais là y’avait pas la coiffeuse de d’habitude.
Et encore, maman a rattrapé.
Bon… Et… Ah tu sais ? Elle t’a dit ? Mais c’est pas possible, les nouvelles vont trop vite, elle l’a même dit à papa ! C’est même pas fait, et tout le monde le sait !
… Bon en fait voilà, on s’est dit qu’on se manquait, alors on va réessayer.
Du coup, lundi j’annonce à Gaspard que c’est terminé.
C’était pas sérieux. Ça colle pas. On a tout essayé, mais quand ça veut pas, ça veut pas, tu sais. Et puis il a vingt-cinq ans, alors je vais lui dire qu’avec moi il perd son temps. C’est mieux. Mais je l’aime bien hein.

Ah, là je suis en mode rien à foutre, les partiels sont finis, rien à foutre.
Tu me passes mon fils ?
Allo mon cœur ! C’est ta maman. Tu me manques tu sais, mais je vais rentrer, j’arrive. Allo ? Allo ?
Ah. Ben ben s’il veut pas trop me parler… Allo ? Allo ! Ah dis-donc j’ai peur que ça coupe. Mamie je disais que je suis dans le train et que j’ai peur que ça coupe. Là j’arrive au Val de toute façon, je suis là dans dix minutes, à tout de suite. »

Le débat qui ne voulait pas de moi ce soir là

Une fois de plus, c’est en traînant sur Twitter et en lisant des phrases telles que « Valls est quand même meilleur orateur » ou « Hamon n’a pas tort sur la nature de la loi de 1905 #PrimaireLeDébat » que j’ai réalisé qu’un débat de la primaire du Parti Socialiste (et satellites) était en cours et que j’en avais raté plus d’une heure.
Je cours donc devant mon téléviseur.
Benoît Hamon (mon choix de dimanche dernier et prochain) et Manuel Valls débattent dans un esprit relativement civilisé, ils ne sont pas d’accord mais ils discutent, et malgré des approches difficilement conciliables on a l’impression qu’ils s’entendent sur le but à atteindre. En revanche, David Pujadas est insoutenable, il coupe constamment l’un ou l’autre des débatteurs (et plus souvent Hamon que Valls) pour « revenir à la question », ce qui dans son esprit revient purement et simplement à exiger des réponses absurdes à des questions mal posées. Il ne veut pas comprendre, il cherche à établir des oppositions idéologiques par des réponses sommaires à des questions difficiles.
Je ne sais pas si David Pujadas est bête, mais il connaît parfaitement son rôle d’animateur, qui est de poser des questions bêtes, de ne jamais prendre de hauteur, car il ne faudrait pas humilier le spectateur en se montrant subtil que lui ou en ayant un vocabulaire complexe. Mais parfois il fait trop de zèle. S’il est intelligent, alors il sous-estime gravement son public. S’il ne l’est pas, il faudrait lui trouver des émissions un peu moins importantes à animer.

Assez vite, j’ai envie d’intervenir : je veux tweeter pour me moquer de Pujadas, pour m’indigner au sujet de Pujadas, pour expliquer la faille logique de la position fourestobadinterrienne qu’a Manuel Valls à propos du voile, etc.
Mais voilà, je dois choisir : mon téléviseur se trouve dans une pièce de la maison, et l’ordinateur (d’où je tweete) dans une autre. J’ai bien tenté de faire tourner le direct de France 2 sur mon ordinateur, mais voilà, ma connexion, ou le site, ou les deux, n’ont pas le débit suffisant, et le débat est haché, laggue, s’interrompt.
Après une tentative malheureuse de quelques minutes, je déclare forfait : je ne pourrai pas écouter et tweeter. Je finis par choisir de ne plus regarder le débat : si je ne peux pas agir, participer au débat à ma manière (ou en tout cas m’exprimer, voire simplement me défouler et plaisanter), ça ne m’intéresse pas. Je n’ai plus vraiment la patience suffisante pour subir passivement des discours auxquels j’ai envie et besoin de réagir — fut-ce d’une manière aussi inoffensive qu’en donnant mon avis sans intérêt particulier aux gens qui me suivent sur Twitter.

Je suis un client One

Je payais mes achats à la Fédération Nationale d’Achats des Cadres des Halles lorsque la caissière a tenu à m’informer que j’étais désormais un client One, que j’avais droit à une carte One et que je devais aller réclamer cette dernière à l’accueil, qui se trouve juste avant la sortie — ou juste après l’entrée, selon que l’on arrive ou que l’on repart. La carte One, m’a-t-elle dit, me permettrait à l’avenir de faire la queue aux caisses réservées aux clients One, et non plus à sa caisse à elle, une caisse ordinaire. Je me suis rendu à l’accueil, et j’ai fait connaître mon souhait de pouvoir être officiellement porteur d’une carte One. J’ai donné mon ancienne carte, une carte jaune et noire, et le temps de me demander si mon adresse avait changé, je pouvais repartir avec ma carte argent et noire, ma carte One. Une carte qui signifie avant tout que j’achète beaucoup trop de choses dans cet endroit mais qui m’offre de nombreux avantages, comme la possibilité de recourir aux services d’un personnal shopper (ils mettent deux « n », bizarrement) en magasin ou de profiter d’invitation à des événements exclusifs. J’ai toujours rêvé de ces privilèges, ils sont désormais à ma portée.

En quittant la boutique de la Fédération Nationale d’Achats des Cadres, j’ai scruté les regards des passants que je croisais : est-ce que ça se voit sur ma tête ? Est-ce que ça se devine à ma démarche ? Est-ce que les gens peuvent se figurer que je suis un client One ? Est-ce qu’ils sont jaloux ?
J’espère que vous n’êtes pas jaloux, sachez que je resterai quelqu’un de simple et d’abordable malgré mon nouveau statut.

L’Évangile selon Caïus

Le centurion Caïus1 avait déjà eu affaire à cette secte juive quelques années plus tôt : un rabbin illuminé avait planifié un coup d’État contre Rome. Ses partisans n’étaient pas assez nombreux pour constituer une menace sérieuse et l’arrestation de leur chef, qu’ils disaient fils d’un Dieu, les avait tétanisés, tant ils semblaient convaincus que sa magie les protégerait de la puissance de l’Empire et les mèneraient même à le détruire. Plutôt que d’exécuter une poignée de fanatiques, le préfet avait préféré faire un exemple en crucifiant le rabbin comme un vulgaire assassin, persuadé que cela suffirait à ce que ses disciples l’abandonnent.
Le préfet Pilate avait eu toutes les peines du monde à comprendre la religion des juifs. À son arrivée en Judée, il avait fait scandale un peu malgré lui avec une histoire absurde d’images représentant l’empereur qu’il avait fournies comme enseignes pour les parades, alors que la proscription des images figuratives était un des plus puissants interdits de la religion locale. Pilate se contentait d’appliquer les usages de Rome, mais ici, rien ne fonctionnait comme ailleurs, et la logique implacable du plus grand empire qui ait jamais existé courbait inexplicablement l’échine face à un peuple qui refusait de célébrer l’Empereur et parmi lequel chaque mois un « nouveau Moïse » descendait d’une montagne en affirmant avoir le pouvoir d’imposer sa loi à Tibère.
Quelques années avant les incidents du jardin des oliviers de Jérusalem, Pilate avait eu à s’occuper d’un autre prédicateur, un homme nommé Jean et surnommé le Baptiste, qui reprochait de manière insultante au tétrarque Hérode son projet de mariage et excitait le peuple avec des idées de révolte. Les autorités religieuses juives officielles n’avaient pas défendu le Baptiste, qui méprisait leur pouvoir et contestait leur pouvoir, alors on l’avait fait emprisonner et tuer. C’est un de ses disciples, qui se disait son cousin et qu’on nommait Jésus le Nazaréen qui avait poursuivi son œuvre et que l’on avait finalement crucifié sur le mont-crâne, le Golgotha.
Le Nazaréen, qui était longtemps passé pour un mystique inoffensif et plutôt discret, préparait un coup d’éclat pour Pessa’h, ainsi qu’on le savait depuis qu’il avait demandé à ses disciples de s’armer2. Son trésorier, Judas Iscariote, sans doute effrayé par la tournure violente que prenaient les événements, l’avait dénoncé et avait aidé les soldats à l’identifier : l’homme était rusé et ne pouvait être distingué de ses disciples, au point que les autorités romaines connaissaient son pouvoir mieux que son nom et son nom mieux que son visage. Lors de l’arrestation, un de ses disciples avait tenté de tuer un serviteur du prêtre Caïphe, le blessant piteusement à l’oreille, mais Jésus avait eu la sagesse d’admettre que le combat était perdu d’avance et avait demandé à son ami de rengainer son arme. Ce même ami, Simon Pierre, s’était ensuite montré plutôt ingrat, désavouant son maître et prétendant ne pas le connaître. Comme les autres, il s’était enfui et avait disparu des rues de Jérusalem pendant trois jours, laissant la mère et les compagnes du rabbin gérer une communauté en état d’absolue sidération. La lâcheté dont il avait fait preuve face aux enquêteurs était sue de tous, mais Simon Pierre était beau parleur et il est parvenu en quelques jours à retourner l’affaire à son avantage et à reprendre le pouvoir, affirmant avoir été témoin de la résurrection du crucifié mystique (dont, effectivement, le corps avait été escamoté), jurant que ce dernier avait prévu et voulu cette trahison, et qu’il lui confiait, à lui, Pierre, le devoir et le pouvoir de mener le destin de sa communauté3.

C’est cet homme qui faisait désormais face au centurion Caïus et qui, avec un aplomb extraordinaire, admettait son implication dans deux meurtres. Simon Pierre se savait intouchable : la communauté qu’il dirigeait était désormais incomparablement plus nombreuse qu’à l’époque de son maître le Nazaréen, et depuis le renvoi du préfet Ponce Pilate et la révocation de son allié le grand prêtre Caïphe, il était exclu que l’administration impériale se fourvoie à nouveau en excitant des fanatiques religieux. De plus, Simon Pierre était plus habile que son prédécesseur, il ne chercherait pas à affronter l’Empire tant qu’on le laisserait exercer son pouvoir sur ceux qu’il appelait son troupeau de brebis et qui faisaient sa fortune, une fortune sans doute considérable bien qu’il persistât à ne se vêtir que d’un manteau de laine usée et à prêcher la pauvreté. Simon Pierre, qui considérait que les femmes ne devaient être qu’obéissance et discrétion — et ce fut là encore une trahison des principes de son maître —, avait évincé Marie, que Jésus appelait sa mère, et surtout Madeleine, la compagne favorite du Nazaréen, aussi belle qu’intelligente, sur qui le nouveau chef de la secte avait fait courir des rumeurs infamantes, s’assurant par cette manœuvre que cette femme ne pourrait lui disputer la place qu’il considérait lui étant due.
L’affaire qui attirait Caïus était la suivante : un couple de disciples de la secte avait vendu sa propriété pour en reverser le prix à la communauté. Simon Pierre avait jugé trop faible la somme qui lui avait été remise et avait devinié que les époux, Ananias et Saphira, avaient gardé pour eux une partie de l’argent récolté de la vente de leur bien. Fou de colère, Simon avait convoqué Ananias pour lui reprocher sa tromperie. Ensuite, lui-même ou un de ses gardes avait assassiné Ananias. De jeunes disciples furent appelés pour draper et ensevelir le corps aussitôt. La colère de Simon Pierre ne baissait pas et il convoqua Saphira, ignorante de ce qui venait de se produire, pour l’interroger à son tour. Celle-ci ne nia pas le prix de la vente de ses biens. Simon Pierre apprit à cette femme que son époux venait de payer chèrement leur sens de l’économie : en ne lui donnant pas tout, c’est Dieu que le couple avait trompé. Saphira ne sortit pas vivante elle non plus des quartiers de Simon Pierre et cette histoire servit d’exemple à toute la communauté4. Peut-être n’était-ce effectivement pas l’argent qui souciait Simon Pierre, mais bien l’obéissance aveugle et le don total de leur existence qu’il exigeait de ceux qui lui appartenaient.

Des morts violentes qui se sont produites sans témoin fiable, des cadavres ensevelis à la hâte et désormais introuvables, une communauté dont aucun membre ne voudra ni n’osera parler, un chef despotique qui se prend pour la main de Dieu et qu’il est impensable d’arrêter sans provoquer une émeute ou un carnage… Caïus se dit qu’il n’avait aucune chance d’obtenir justice pour Ananias et Saphira. Il irait retrouver leurs enfants, tenterait de les convaincre de cesser de dire partout que Simon Pierre avait assassiné leurs parents et les avait spoliés de leur héritage. S’il ne parvenait pas à les raisonner, il les ferait emprisonner, car la paix est à ce prix.
Caïus comptait les années qui le séparaient de son retour à Rome et des retrouvailles avec sa villa, il n’était pas question de s’embêter plus longtemps pour régler les litiges internes d’une bande de fous qui croient que la fin du monde est imminente et qui s’entre-tuent pour des questions d’argent. Avec un peu de chance, leur goût pour l’autodestruction les consumerait vite et ils disparaîtraient définitivement5.

  1. J’ignore si les centurions effectuaient des enquêtes policières dans la Judée romaine, ce centurion Caïus n’a peut-être jamais existé, son histoire est un prétexte fictionnel qui m’aide à raconter à ma façon l’histoire d’une galerie de personnages historiques et/ou relevant de la tradition religieuse chrétienne, et pour explorer le sous-texte des Évangiles et autres parties du Nouveau testament. []
  2. Luc 22:35 « Il leur dit encore: Quand je vous ai envoyés sans bourse, sans sac, et sans souliers, avez-vous manqué de quelque chose? Ils répondirent: De rien. Et il leur dit: Maintenant, au contraire, que celui qui a une bourse la prenne et que celui qui a un sac le prenne également, que celui qui n’a point d’épée vende son vêtement et achète une épée ». []
  3. Jean 21:16 « fais paître mes brebis ». []
  4. Actes 5:1 Mais un homme nommé Ananias, avec Saphira sa femme, vendit une propriété, et retint une partie du prix, sa femme le sachant; puis il apporta le reste, et le déposa aux pieds des apôtres. Pierre lui dit: Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, au point que tu mentes au Saint-Esprit, et que tu aies retenu une partie du prix du champ? S’il n’eût pas été vendu, ne te restait-il pas? Et, après qu’il a été vendu, le prix n’était-il pas à ta disposition? Comment as-tu pu mettre en ton cœur un pareil dessein? Ce n’est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu. Ananias, entendant ces paroles, tomba, et expira. Une grande crainte saisit tous les auditeurs. Les jeunes gens, s’étant levés, l’enveloppèrent, l’emportèrent, et l’ensevelirent. Environ trois heures plus tard, sa femme entra, sans savoir ce qui était arrivé. Pierre lui adressa la parole: Dis-moi, est-ce à un tel prix que vous avez vendu le champ? Oui, répondit-elle, c’est à ce prix-là. Alors Pierre lui dit : Comment vous êtes-vous accordés pour tenter l’Esprit du Seigneur? Voici, ceux qui ont enseveli ton mari sont à la porte, et ils t’emporteront. Au même instant, elle tomba aux pieds de l’apôtre, et expira. Les jeunes gens, étant entrés, la trouvèrent morte; ils l’emportèrent, et l’ensevelirent auprès de son mari. Une grande crainte s’empara de toute l’assemblée et de tous ceux qui apprirent ces choses. []
  5. Vous allez rire, ça ne s’est pas du tout passé de cette manière, la secte a prospéré, elle est devenue une base importante pour plusieurs religions (au nom desquelles on s’est effectivement entre-tué) et a même été la religion officielle de l’Empire romain ! []

L’hospitalité à l’époque biblique (Juges 19:1-30)

L’infortuné héros de l’histoire est un membre de la tribu de Lévi (comme Moïse) dont la concubine, infidèle, était retournée chez son père. Quatre mois passent, l’homme décide d’aller chercher sa compagne pour parler à son cœur et la convaincre de le suivre. Il est chaleureusement accueilli par son beau-père, qui lui offre le pain et la boisson et le traite si bien qu’il n’arrive pas à partir : chaque soir, l’hôte retient son beau-fils en lui faisant valoir qu’il est tard et qu’il est plus avisé de repousser le départ au lendemain. Après cinq jours, le Lévite refuse finalement l’hospitalité et préfère partir, malgré le déclin du jour, avec sa concubine, son serviteur et ses deux ânes. Ils arrivent devant Jebus (Jérusalem) mais, malgré la suggestion de son serviteur, il refuse d’y entrer : « Nous n’entrerons pas dans une ville d’étrangers, où il n’y a point d’enfants d’Israël, nous irons jusqu’à Guibea (…) ou Rama et nous y passerons la nuit »1. Sur la place de la ville, personne ne se propose pour leur donner l’hospitalité pour la nuit, mais finalement, un vieil homme qui rentrait des champs leur demande qui il sont et où ils vont, et se propose de les héberger, mais cela dégénère car les villageois qui s’étaient montrés si peu hospitaliers sont pris par l’envie de coucher avec l’étranger :

Le vieillard dit : Que la paix soit avec toi! Je me charge de tous tes besoins, tu ne passeras pas la nuit sur la place.
Il les fit entrer dans sa maison, et il donna du fourrage aux ânes. Les voyageurs se lavèrent les pieds ; puis ils mangèrent et burent.
Pendant qu’ils étaient à se réjouir, voici, les hommes de la ville, gens pervers, entourèrent la maison, frappèrent à la porte, et dirent au vieillard, maître de la maison : Fais sortir l’homme qui est entré chez toi, pour que nous le connaissions2.

Le vieillard est révolté par ce projet, et propose une solution qui arrange (presque) tout le monde : au lieu de coucher avec son invité, ses voisins n’ont qu’à coucher avec sa fille à lui ainsi qu’et avec la concubine du Lévite. Il suffisait d’y penser. Les villageois ne sont pas convaincus, alors le Lévite prend la situation en mains et jette sa compagne dehors.

Le maître de la maison, se présentant à eux, leur dit : Non, mes frères, ne faites pas le mal, je vous prie ; puisque cet homme est entré dans ma maison, ne commettez pas cette infamie.
Voici, j’ai une fille vierge, et cet homme a une concubine ; je vous les amènerai dehors ; vous les déshonorerez, et vous leur ferez ce qu’il vous plaira. Mais ne commettez pas sur cet homme une action aussi infâme.
Ces gens ne voulurent point l’écouter. Alors l’homme prit sa concubine, et la leur amena dehors. Ils la connurent, et ils abusèrent d’elle toute la nuit jusqu’au matin ; puis ils la renvoyèrent au lever de l’aurore.
Vers le matin, cette femme alla tomber à l’entrée de la maison de l’homme chez qui était son mari, et elle resta là jusqu’au jour.

L’histoire ne dit pas si l’homme a dormi paisiblement pendant que sa compagne se faisait violer par toute la ville, mais le lendemain, il s’attendait à ce que cette dernière reprenne la route comme si de rien n’était :

Et le matin, son mari se leva, ouvrit la porte de la maison, et sortit pour continuer son chemin. Mais voici, la femme, sa concubine, était étendue à l’entrée de la maison, les mains sur le seuil. Il lui dit : Lève-toi, et allons-nous-en. Elle ne répondit pas. Alors le mari la mit sur un âne, et partit pour aller dans sa demeure.

La pauvre était raide morte. Une fois arrivé chez lui, le Lévite a découpé sa concubine en douze morceaux pour les envoyer aux quatre coins du territoire.

Arrivé chez lui, il prit un couteau, saisit sa concubine, et la coupa membre par membre en douze morceaux, qu’il envoya dans tout le territoire d’Israël. Tous ceux qui virent cela dirent : Jamais rien de pareil n’est arrivé et ne s’est vu depuis que les enfants d’Israël sont montés du pays d’Egypte jusqu’à ce jour ; prenez la chose à cœur, consultez-vous, et parlez !

Le message a fait son petit effet et des centaines d’hommes de toutes les tribus d’Israël (sauf les Benjamins) se sont rendus à Guibea pour y tuer les pervers criminels. Comme ceux-ci ont été défendus par tous les Benjamins, des dizaines de milliers de gens sont morts, ainsi que le raconte le chapitre 20 du livre des Juges, qui précise que toutes les villes des Benjamins furent brûlés et qu’on sacrifia jusqu’à leur bétail. Après quoi, les onze tribus assaillantes regrettèrent d’avoir failli faire disparaître la douzième tribu, ils décidèrent de tuer tous les habitants de Yabesh, en Galaad3, car ceux-ci n’avaient pas pris part au conflit et n’avaient pas prêté serment de ne pas marier leurs filles aux Benjamins. On épargna leurs femmes vierges, qui ont ainsi pu être mariées aux six cent Benjamins survivants. Tout était arrangé !

  1. Guibea/Gibeon et Rama/Ramah sont deux villes bibliques qui appartenaient à la tribu de Benjamin. Ces deux villes sont identifiées comme El-Jib et Er-Ram, à 8km au nord de Jérusalem, en territoire palestinien occupé. []
  2. Dans la Bible, « connaître quelqu’un » est un euphémisme pour « avoir des relations sexuelles avec quelqu’un ». []
  3. Le pays de Galaad se trouve en Jordanie. []