Les rôles

Lu dans Direct Matin du vendredi 29 mai 2015 (#1698), page 12. On apprend qu’une parisienne de quarante-trois ans a été condamnée à trois ans de prison et 200 000 euros d’indemnisation pour avoir maltraité son compagnon de 37 ans, rencontré sur Internet, après que ce dernier ait perdu son emploi.

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Je me demande ce qui est le plus angoissant ici : que le procureur considère que le rôle naturel de l’homme est d’être bourreau et celui de la femme, victime, ou bien que les statistiques lui donnent raison.

Liberté de conscience, mais nuancier imposé

Pour la banque d’images Shutterstock, on a le droit de choisir en quoi on croit : on peut être athée ou normal. Par contre on ne choisit pas son nuancier, les athées n’ont droit qu’à des couleurs toutes tristes :

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On remarque que le mot-clé « Christian » amène souvent des images de groupes, tandis que les athées n’ont pas l’air sociables, ils sont généralement tout seuls.

Le doute religieux n’a pas l’air d’être une expérience très gaie non plus, comme on le voit avec l’image suivante qui montre un « jeune homme caucasien interpellant dieu pour lui demander pourquoi il permet tant de souffrance en ce monde ».

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La fortune

J’ai rêvé que je gagnais trois millions d’euros au Loto.
Avant de prendre le train pour rentrer du Havre, je le raconte à ma collègue Stephanie, et j’en arrive, du coup, à me persuader qu’il serait bête de ne pas jouer, quoique sachant très bien que je n’ai aucune chance.
Seulement voilà : comment avoir la certitude de n’avoir aucune chance de gagner si l’on ne joue pas ? Il reste un peu de temps avant mon train, je sors de la gare en courant, je traverse la rue, et là, sur le bureau de tabac, que vois-je ?

LA CAGNOTTE DU SOIR ÉTAIT PRÉCISÉMENT DE 3 MILLIONS.

La radio du bar-tabac jouait The Original Sin, d’INXS. Une chanson de mon époque. Un signe supplémentaire.
Je joue.
Et je gagne.

gagne

Eh oui, les rêves prémonitoires, ça fonctionne.
Y’a des ajustements à faire, notamment sur la somme empochée, mais ça fonctionne, comment le nier ?
La science n’explique pas tout.

La vie terrible du prosopagnosique

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En rêve, j’ai eu une longue conversation avec quelqu’un, sur l’art. Je lui parle du travail d’un ami, et, surprise, cet ami se trouvait justement à côté. C’était un endroit un peu animé, peut-être une fête, quelque chose comme ça, enfin un lieu où il n’était pas étonnant que l’ami se trouve. Je présente l’ami à mon interlocuteur, mais au moment de faire les présentations réciproques, je me trouve incapable de me souvenir du nom de ce type avec qui j’avais discuté si longtemps.
En fait je n’arrive même pas à me souvenir de qui il peut bien être, d’où je le connais. L’embarras monte, je cherche des périphrases, je gagne du temps, j’aimerais que le type se nomme de lui-même, ça ne vient pas.
Pour échapper à l’embarras intense, je n’ai trouvé aucun autre moyen que de me réveiller en sursaut. Ce qui est idiot, peut-être, car il n’est pas sûr que j’aie jamais connu ce type. Dans la vie, la même scène m’arrive parfois, et là, impossible de se réveiller.

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Charlize Theron doit avoir une vie très difficile. Elle figure régulièrement dans les classements des plus belles femmes du monde, et, même si on ne se sent pas spécialement ébloui par les blondes un peu cliché, il est difficile de ne pas admettre que celle-ci n’est pas exactement repoussante.

C’est pour ça, j’imagine, qu’elle essaie de temps en temps d’être laide. Il y a dix ans, elle a même obtenu l’Oscar de la meilleure actrice pour Monster, parce qu’elle y était méconnaissable, ayant pris plus de douze kilos, portant de fausses dents, et maquillée de manière à lui faire perdre sa beauté consensuelle.

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Mais bon, même si je la soutiens dans son combat contre sa propre beauté, je ne vais pas payer douze euros pour voir en stéréoscopie et sur grand écran une Charlize Theron chauve (il y a eu une épidémie de poux sur le tournage de Mad Max ?) et pas lavée depuis six mois, filmée par George Miller, réalisateur célèbre pour Babe 2: Un cochon dans la ville et Happy Feet.
Non mais ho.
J’attendrai le DVD.

(non, en fait je plaisante, ce film me donne très envie)

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À Raqqa, en Syrie, ville passée sous le contrôle de Daesh, les responsables de l’État islamique diffusent une liste des marques de vêtements proscrites.
La marque Nike est notamment visée, car en arabe (comme en français, qui le tient de l’arabe, justement), son nom évoque le coït.

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Lourd changement de sponsor pour le djihadisme, donc, car à voir les barbus qu’on croise ici, on croirait que les baskets Nike font partie de l’uniforme du croyant au même titre que le hijab chez les croyantes. Je me demande s’ils pensent que le prophète portait des baskets.

Une Odyssée de deux stations

Lu sur le site de l’école (publique) d’arts appliqués Duperré :

« Une grande partie des cours de mise à niveau a lieu à l’annexe 44 rue Dussoub, Paris 2e. Il peut donc être judicieux de choisir un logement plus proche de cette adresse que de la rue Dupetit-Thouars. »

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Et l’année suivante, puisque les cours ne sont plus à l’annexe, il faut déménager ? Et tout ça pour ne pas faire un kilomètre à pied (ou deux stations en métro) ?
Parfois, les problèmes des parisiens me dépassent.

Une loi qui clarifie les choses

Quatre cent trente-huit députés ont réaffirmé la peur qu’ils ont de leurs concitoyens en votant un texte qui « clarifie » les pouvoirs arbitraires en leur donnant la base juridique qui leur faisait défaut. Ce qui était illégal et exceptionnel devient légal et automatique, et le juge perd son pouvoir de contrôle au profit d’une commission consultative. Pour supprimer un délit, dépénalisons-le. Pour éviter de se justifier, on supprime l’obligation de rendre des comptes. Et si ça va pas, parles-en à ton cheval.
Peu de députés étaient présents dans l’hémicycle pendant les débats : il n’est pas certain qu’ils soient nombreux à comprendre le texte touffu qu’ils ont validé.

The Internet
The Internet

Les députés font partie des rares salariés qui décident de leurs propres revenus — revenus qui, en comptant le salaire, les indemnités de ceci et les indemnités de cela, dépasse les douze mille euros1. Leurs revenus ne sont pas concernés par la fameuse « loi Macron », qui « sécurise » la situation des entreprises au détriment des droits des salariés privés, ni par le gel des pensions de retraites, ni par la baisse constante du pouvoir d’achat de la plupart des salariés de la fonction publique, qui ne rattrape jamais l’inflation. Ce sont les députés aussi qui ont voté que la durée d’indemnisation des chômeurs n’excéderait pas deux ans (rarement atteint), tandis que leur indemnité à eux est garantie (quoique dégressive) pendant trois ans : ben oui, il faut bien compenser la volatilité et l’ingratitude des électeurs, ce n’est pas parce qu’on ne veut plus d’un député qu’on doit cesser de le rémunérer2.

Les députés, avec les sénateurs, font aussi partie des rares citoyens qui votent leur propre immunité judiciaire, laquelle est garantie pour la plupart des délits, si ce n’est la faute médiatique caractérisée : quand ça se voit trop, quand les médias causent un peu fort et que l’opinion publique grogne. C’est ce qui est arrivé à Patrick Balkany : ça se voyait trop, alors ses collègues ont voté l’ostracisme du galeux, car on ne sait jamais, ça pourrait être contagieux. Privé d’immunité, on comprend qu’il fasse partie du petit nombre qui a voté contre un projet de loi qui pourra le viser.
Balkany n’est pas unique à avoir voté « contre » : c’est aussi le cas de Marion Maréchal-Le Pen et de Gilbert Collard, qui, sachant que le texte passerait, peuvent s’y opposer sans risque de l’empêcher et jouer à peu de frais les chevaliers blancs de la liberté. À un niveau plus inconscient, peut-être été convaincus par l’argument qui consiste à dire que, si le Front National prenait l’Élysée, cette loi lui donnerait un pouvoir exorbitant et dangereux : ils sont particulièrement bien placés, après tout, pour savoir qu’il n’y a pas que des flèches dans leur parti. Sans compter qu’en attendant (puisse cette attente être éternelle) d’avoir les clefs de l’Élysée, le Front National, ses lingots et son service d’ordre pourraient bien être visés par la surveillance eux aussi : bien que voté au prétexte de la lutte contre le terrorisme, le champ d’application du texte est assez vague pour tout permettre.

...
imaginez que ça tombe entre leurs mains !

Bruno le Roux, qui dirige le groupe socialiste au Sénat, a un raisonnement bien tordu pour défendre le dispositif malgré le risque qu’il tombe un jour en de mauvaises mains. Il ne nie pas le danger, il explique en substance que, pour y échapper, il faudra désormais voter pour son parti, les autres pouvant faire un mauvais usage de leur pouvoir : « faites-en un critère de choix pour le jour où vous choisirez ceux qui doivent assumer les responsabilités ».

Effectivement, cette loi clarifie bien des choses. Mais comme l’a écrit le cardinal de Retz, On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens.
Ce que tout cela clarifie, pour moi, c’est que nos parlementaires, à un ou deux naïfs près, élus sur un malentendu, ne représentent qu’eux-mêmes. Et ce qui me fait peur, ce n’est pas tant la surveillance en elle-même que l’incompétence et la malveillance de ceux qui l’ont votée.

  1. Sans compter la gratuité des transports ferroviaires et des taxis à Paris. []
  2. On se souviendra que, il y a quelques années, les députés avaient changé le règlement de l’Assembler, empêchant les citoyens qui assistaient aux débats de venir munis de trombinoscopes pour savoir qui fait quoi, et beaucoup de nos parlementaires s’estiment « fliqués » par les sites tels que nosdeputes.fr et nossenateurs.fr, qui se contentent pourtant de rendre compte de leur activité et de leur présence. La surveillance, c’est pour les autres ! []

Le gars à qui on ne la fait pas

Emmanuel Todd a lu un jour dans ses chiffres démographiques que l’URSS allait s’effondrer, et comme c’est effectivement arrivé quinze ans plus tard, il est devenu, depuis, une sorte d’oracle de politique française. Parfois, ce qu’il raconte est du miel (Sarkozy est pas beau), parfois c’est plus bizarre, on a besoin d’attendre de voir pour y croire, comme lorsqu’il affirmait, il y a trois ans, qu’Hollande allait sauver la gauche.
Cette semaine, il publie un livre qui dit aux soixante-cinq millions de français qui n’ont pas manifesté le 11 janvier dernier qu’ils ont eu bien raison et que les cinq millions restants étaient de sacrés imbéciles, qui croient encore en François Hollande alors même qu’Emmanuel Todd a changé d’avis au sujet du « nouveau Roosevelt » (la formule est de lui) et qu’il conviendrait que tout le monde se mette à jour.

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Je comprends très bien qu’on refuse le chantage au « t’es pas Charlie ! », je comprends très bien que les gens qui n’ont pas manifesté n’aient en aucun cas à justifier ce choix, mais il me semble que ceux qui l’ont fait non pas plus à se justifier, et s’ils étaient cinq millions, ce n’est certainement pas parce que cinq millions de gens voulaient donner un blanc-seing à Hollande pour sa politique à venir : la foule n’était pas derrière Hollande et ses copains, ce sont eux qui se sont placés en tête du cortège, c’est très différent, et surtout, il me semble que peu de gens ont été dupes de quoi que ce soit. Si l’appel à la manifestation avait été de soutenir la politique du gouvernement, elle n’aurait sans doute pas rempli la place Saint-Michel1. J’ai l’impression que Todd est le seul dupe de la communication de l’Élysée, qui a voulu faire passer (sans grand succès, je pense) une manifestation populaire aux motivations visiblement nombreuses (allant du deuil à la peur) pour une sorte de plébiscite confus2 d’une loi en projet depuis des mois sinon des années. Il est un peu ridicule d’annoncer comme scoop, quatre mois plus tard, quatre mois trop tard, que l’union sacrée derrière le président n’était qu’une baudruche mal gonflée.

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Je suis forcé d’admettre que je n’ai pas lu le livre d’Emmanuel Todd3, et sans doute que les reviews, bonnes feuilles, citations et interviews en donnent une idée réductrice. D’ailleurs, lorsqu’il passe à la radio, Todd l’explique lui-même : il faut le lire plutôt que d’en entendre parler car on est forcément réducteur dans les médias. En attendant, ce qui m’apparaît ressemble surtout à de la cuistrerie et du mépris : chacun de nous serait incapable de réfléchir hors de son carcan démographique et culturel. Les musulmans seraient par nature une population faible, née pour être victime, à qui on doit s’adresser en chuchotant, parce que les pauvres, hein, c’est pas de leur faute s’ils sont comme ça, et ça leur fait beaucoup de mal quand on sous-entend que Dieu n’existe peut-être pas4… Tandis que les manifestants seraient eux des catholiques de la gauche molle, plus ou moins islamophobes, et plutôt plus que moins, réclamant le droit à insulter autrui sous couvert de laïcité.
Et puis bien sûr, il y a l’immanent Emmanuel Todd qui échappe à tous les déterminismes : on ne la lui fait pas, à lui, il y voit clair.

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On doit, désormais, s’excuser d’avoir été choqué de l’exécution méthodique des membres d’une rédaction de presse et de l’assassinat ciblé de juifs dans un hypermarché, et d’avoir tenté d’y apporter une forme de réponse qui n’a jamais été autre chose que l’expression d’une émotion ? J’ai l’impression que Todd ne veut pas voir que, même si le slogan est né spontanément le jour des meurtres, le « Je suis Charlie » est depuis longtemps une créature médiatique et politique derrière laquelle chacun met un peu ce qu’il veut, et depuis quelque temps, surtout autrui : « Je suis Charlie », c’est les autres.

Les gens qui n’ont pas manifesté le 11 janvier n’ont pas à s’excuser, pas plus que ceux qui l’ont fait, et personne n’a besoin d’une caution intellectuelle pour se justifier ou se rassurer.

  1. La manifestation du 11 janvier s’est tenue place de la Bastille, bien sûr. Mentionner la place Saint-Michel me fait rire tout seul car je sais qu’il faut environ cent personnes pour le faire, il s’agit d’une toute petite place parisienne. []
  2. Le lendemain de la manifestation, où j’étais présent, j’ai publié un article intitulé Entre un et quatre millions de pigeons où, comme bien d’autres, j’affirmais que ce n’est certainement pas « derrière » Hollande et ses amis que j’ai défilé. []
  3. Et je ne suis pas le seul, puisqu’il n’est pas encore sorti. []
  4. Mise-à-jour : je découvre après avoir posté la réjouissante réponse de Sophia Aram sur ce point. []