Dictionnaire des idées reçues 2.0

On vous envoie un texte bien écrit avec lequel vous voulez ne pas être d’accord, sans avoir d’arguments à lui objecter ? C’est embêtant !
On vous fait visionner un extrait télévisé où quelqu’un qui vous est antipathique dit quelque chose de sensé, vous place face à une contradiction morale ou logique, et vous ne savez pas comment réagir ? Je vous comprends !
Votre idole philosophique, politique, éditocratique, se paie une honte cosmique face à un contradicteur qui vous déplaît ? C’est embarrassant.
Chaque fois que nos préjugés sont bousculés par un raisonnement imparable ou des informations solides, nous sommes victimes d’une forme de stress déplaisant. Afin d’évacuer ce sentiment, et à défaut de pouvoir contrer le propos sur le fond, nous devons disqualifier la personne qui l’a émis.

Avez-vous envisagé de recourir à la pensée mécanique, aux automatismes dialectiques, aux arguments-réflexes, à tout ce que le psychologue Robert Jay Lifton nommait les Thought-terminating-clichés (« cliché interrupteur de réflexion ») ?
C’est très commode, ça vous aidera à retrouver votre tranquillité d’esprit chaque fois que vous êtes sur le point de vous dire « et si j’avais tort, en fait ? » . Et ça aidera vos amis victimes du même problème à éviter de trop réfléchir eux aussi. N’oubliez pas : réfléchir réclame énormément d’énergie, c’est donc une activité à ne pratiquer qu’avec modération. Essayer de se souvenir pourquoi on est irrité par telle politicienne, tel journaliste, est parfois trop difficile, il faut donc trouver une raison rapide, un principe imparable qui coupe court à tout examen ultérieur.

Dans ce but, je propose de réaliser une liste (à étendre) de personnes, associées à un poncif disqualifiant. Une telle liste vous permettra d’être parmi les premiers à dégainer et vous donnera l’air supérieur sur les réseaux sociaux, car dans tout mouvement de meute, il est plus valorisant d’être le premier à mordre que le dernier à aboyer.

Idéalement, ces poncifs devront être fondés sur des faits vérifiés. C’est pourquoi nous éviterons ceux qui ont été inventés, même lorsqu’ils sont utilisés si intensivement qu’ils ont fini par devenir des vérités pour ceux qui les émettent, malgré les rectifications factuelles (exemple : « Najat-Vallaud Belkacem voulait imposer l’Arabe à tous les écoliers dès la primaire »).

Marine Tondelier : « a invité Médine »

Dominique de Villepin : « a reçu de l’argent du Qatar »

Edwy Plenel : « a accepté un débat avec Tariq Ramadan » ; « a organisé un débat avec Macron en 2017 sur Mediapart »

Marlène Schiappa : « a publié un livre humoristique sur le sexe »

Virginie Despentes : « a « compris » les frères Kouachi »

Médine : « a été invité par Marine Tondelier »

Florence Foresti : « le 28 février 2020 elle a quitté son boulot avec un quart d’heure d’avance alors qu’elle était très bien payée ».

[n’importe quelle actrice/mannequin qui accuse un producteur, réalisateur, photographe, etc. de viol ou harcèlement] : « à l’époque elle était bien contente d’avoir un rôle » ; « elle fait ça pour se faire de la publicité » ; « Elle surfe sur la vague Metoo » ; « Elle aurait dû en parler avant ».

[toute victime de violences policières] : « On n’a pas vu ce qui se passe avant la séquence »

[un journaliste molesté par les forces de l’ordre] : « Ce n’est pas un journaliste, c’est un militant »

[Toute personne liée à l’Université Paris 8] : « Il y a eu un « atelier non-mixte » un samedi en avril 2016, donc cette université [et ses 1000 profs et ses 20 000 étudiants] sont des communautaristes à la solde de Daech ».

Ségolène Royal : « a inventé le néologisme bravitude »

Audrey Pulvar : « a des lunettes hors de prix en écailles de tortue »

Christine Boutin : « est mariée à son cousin »

Omar Sy : « a refusé un selfie, n’est pas si sympa que ça »

Jean-Luc Mélenchon : « n’est pas vraiment de gauche, est propriétaire de son appartement »

Vikash Dhorasoo : « tapait moins sur le capitalisme quand il était joueur de foot. N’a jamais marqué un but »

Vous m’en trouvez d’autres ? (pas seulement de droite, il y en a aussi de beaux à gauche j’imagine).
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Guide universel des pratiques numériques : comment passer son anniversaire sur Facebook

Il n’est pas toujours facile de savoir comment se comporter sur Internet, et particulièrement sur les réseaux sociaux. Je propose de rédiger un guide de bonnes pratiques, starting now avec cette question que chacun se pose : que doit-on faire sur Facebook le jour de son anniversaire ?

Un anniversaire est événement spécial pour chacun d’entre nous, et sur Facebook, ce jour est plus spécial encore, c’est Facebook qui le dit.
Les choses commencent peu après minuit lorsqu’une ou deux personnes nous souhaitent un bon anniversaire. Nous ne connaissons pas forcément bien ces personnes, alors ça nous inquiète : pourquoi les autres se taisent-ils ? En fait, ce n’est que le lendemain que Facebook signalera à tous nos amis que nous fêtons notre anniversaire. Se pose alors une autre question inquiétante : pourquoi ces personnes que nous ne connaissons que de loin en loin sont au courant de notre date de naissance, et que nous veulent-elles exactement ?
Le matin suivant, Facebook nous présente une vidéo animée de paquets, de gâteaux et de feux d’artifice. Cette vidéo affirme que toute l’équipe de Facebook (23 000 employés) tient à célébrer ce jour et à nous féliciter. Eh bien c’est faux, dès qu’on creuse un peu on s’aperçoit que personne chez Facebook n’est réellement au courant du jour de notre anniversaire et qu’il n’y a pas vraiment de discussions en interne à ce sujet.

Quel baratineur, ce Mark Zuckerberg !

Facebook nous propose alors un choix difficile : partager cette vidéo embarrassante qui aura pour vertu de bien montrer à tous nos contacts que ce jour est celui de notre anniversaire, ou bien ne pas la partager, parce que la publier laisse penser qu’on veut vraiment trop faire savoir au reste du monde que c’est notre anniversaire ? À chacun de chercher la réponse à cette équation au fond de son cœur. Une stratégie astucieuse consiste à partager la vidéo, assortie d’un commentaire railleur, comme par exemple « Ha ha trop bizarre cette vidéo que Facebook me propose, lol, mdr ». Mais cette astuce commence à être trop connue et ressemble à une quête désespérée d’attention, même lorsque l’amusement exprimé est sincère. Dans le même registre, avec les mêmes motivation, on peut publier des captures de publicités ciblées qu’on a reçues par e-mail, pour se moquer, ou s’indigner : « comment est-ce que cette boutique en ligne a obtenu ma date d’anniversaire ?! ».

Arrivent enfin de nouveaux messages d’amis plus proches que les deux stalkers bizarres de minuit. Une journée-marathon commence alors : l’œil rivé sur votre écran, vous comptez les absents et les présents en feignant l’indifférence.
Le lendemain, dès minuit une, trois ou quatre personnes vous souhaitent « un bon anniversaire en retard », en prétendant avoir raté l’information le jour idoine. Sont-elles sincères, ou bien cherchent-elles à se démarquer de la foule ? Vous ne le saurez jamais.

Ce sera alors le moment pour vous de poster un message disant que vous n’avez pu remercier individuellement chacun de vos amis et que vous êtes touché par tous leurs gentils messages. C’est une manière de faire remarquer à ceux qui ne vous l’ont pas souhaité à temps, ni même après, que votre anniversaire vient de passer (certains s’excusent alors en commentaires), c’est une manière aussi de faire croire que vous vous êtes trouvé submergé d’amour, et enfin, c’est une une tactique pour éviter de remercier individuellement des gens que vous n’aimez pas et qui ne vous aiment pas mais qui se sont malgré tout sentis forcés de vous laisser un message, comme vous le ferez pour eux un jour.

Tout cela a fait des dégâts. Vous ne digérez pas la blague d’un ami sur votre âge, ni le fait qu’un autre n’ait à aucun moment pris la peine de s’associer à la chorale qui célébrait votre anniversaire. Vous n’avez plus qu’à attendre trois-cent soixante quatre jours pour que ces personnes rattrapent ces impairs, mais ça ne changera rien : au fond de vous, vous savez bien que vous êtes seul.