Dieux tués au marteau-piqueur

À coup de masse ou de marteau-piqueur, des types de l’État islamique détruisent les trésors archéologiques du musée de Ninive, à Mossoul, en Irak. Officiellement, bien sûr, ils luttent contre l’idolâtrie, dans la tradition du prophète dont ils se réclament, qui avait lui-même détruit les trois-cent soixante objets votifs de la Kaaba, à l’exception d’un aérolithe, la célèbre « pierre noire ».

Il semble que les petits artefacts archéologiques ne sont pas détruits : ils sont vendus pour alimenter les caisses de l'État Islamique. On ne voit en tout cas que des grandes pièces être détruites.
Il semble que les petits artefacts archéologiques ne sont pas détruits : ils sont vendus pour alimenter les caisses de l’État Islamique. On ne voit en tout cas que des grandes pièces être détruites.

Mais ils savent bien qu’il n’y a là aucune idole, puisque plus personne ne prie les anciens dieux assyriens Assur, Ea, Marduk, Enlil, Pazuzu ou Ishtar. Ces divinités n’existent plus que dans des musées, alors les fracasser par refus de l’idolâtrie, c’est leur donner une une importance, qu’elles n’espéraient plus, comme si ceux qui les détruisent étaient les seuls à les prendre au sérieux. Un peu comme la papauté de la fin du Moyen-âge s’est subitement mise à donner du crédit à la pratique de la sorcellerie, l’interdisant et la pourchassant comme si sa magie était réelle. Ou comme un théoricien de l’Opus Dei, plus récemment, est parti en croisade contre les Pokémons qui, mélangeant les règnes animaux, végétaux et minéraux, sont selon lui d’essence diabolique. En détruisant ces dieux retraités, les soldats de l’État islamique montrent le peu de confiance qu’ils ont dans leur propre Dieu : ils n’y croient pas eux-mêmes, ils doivent faire disparaître toute trace des dieux précédents pour que le leur soit unique.
En détruisant ces statues ils détruisent surtout l’idée même de l’histoire, du passé, ils détruisent des vestiges d’une des plus anciennes cités du monde, de l’endroit où l’on a découvert des tablettes racontant l’histoire du roi Gilgamesh et de son ami Enkidu — tablettes qui avaient stupéfait le public, à la fin du XIXe siècle, en prouvant que le déluge raconté par la Genèse n’était vraisemblablement que le pastiche d’un récit mésopotamien.
Heureusement, plusieurs destructions ne sont que symboliques, puisque nombre des pièces exposées ne sont que des moulages en plâtre, ainsi qu’on le devine en voyant la facilité avec laquelle certaines statues sont brisées. De ces copies, les originaux sont à Londres, en sécurité. On accuse de manière redondante la Grande-Bretagne ou la France d’avoir rempli leurs musées archéologiques en pillant divers pays, mais cet épisode nous rappellera que, au Louvre ou au British Muséum, les anciens dieux assyriens sont bien soignés.

La statue jumelle de ce taureau ailé à tête humaine, vieux de près de trois mille ans, se trouve au British Museum.
La statue jumelle de ce taureau ailé à tête humaine, vieux de près de trois mille ans, qui vient d’être détruit, se trouve au British Museum.

Bien sûr, ces destructions sont avant tout une opération de communication, un message : les barbares ne sont pas des irakiens révoltés contre l’idolâtrie, ce sont des guerriers internationaux, ils se moquent de l’histoire plusieurs fois millénaire de l’Irak mais ils savent que la destruction, les immolations, les défenestrations, les viols et les décapitations font horreur au monde entier, et c’est bien au monde entier qu’ils s’adressent. C’est le monde entier, le monde civilisé qu’ils veulent terrifier, dont ils veulent éprouver la fragilité, dont ils testent les limites, avec leur entreprise nihiliste, dévastatrice et suicidaire.

2 réflexions au sujet de « Dieux tués au marteau-piqueur »

  1. D’après cet article : http://blogs.artinfo.com/artintheair/2015/02/27/misreporting-of-islamic-state-looting-does-damage/

    – Il ne restait quasiment que des copies en platre dans le musée de Mosoul, les ouvres originales ayant été rapatriées à Bagdad avant la prise de la ville par Daesh.

    – Daesh tire un revenu substantiel du trafic d’antiquités donc leur politique semble être : on détruit les copies (pour la com’) et on vend les originaux (pour le pognon).

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