Est-ce que c’est moi le méchant ?

(Conversation par mail avec un étudiant, entre hier et ce matin. Je remarque que je commence par le tutoyer mais que je passe au voussoiement dès que je comprends que son déficit de note n’est pas dû à une erreur de ma part mais au fait que je ne l’ai jamais vu ! est-ce que c’est moi le méchant ? Ça va m’empêcher de dormir)

Bonjour Monsieur Lafargue la situation est délicate le secrétariat ma informer qu'il me manquer qu'une seule note pour valider ma licence c'est celle de votre cour Atelier Multimédia du second semestre. Aujourd'hui compter comme absent même une note inférieur à 10 me permettrait de valider ma licence. Je vous remercie de m'envoyer une note par mail que je puisse l'envoyer au secrétariat. Bien à vous

Ah bizarre, tu peux me rappeler quel était ton boulot ?

je voulais réaliser un mini site interactif qui regroupe des artistes parisiens dont mes camarades de classe malheureusement il n'a pas aboutie faute de connaissance en code

ah, tu n’as fait aucun rendu ?

je nai pas rendu mon projet car il n'etait pas fini

Bon, ben je suis désolé, mais je ne peux rien pour vous !
Je ne demande aux étudiants ni d’avoir des compétences en connaissance du code, ni de finir les choses, mais d’y travailler régulièrement. Je ne suis vraiment pas embêtant, mais là je ne comprends même pas comment vous pouvez imaginer que ça passe ! Évidemment que je ne peux pas vous noter, voyons.

mettais zero s'il vous plait

Déjà je n’ai pas envie de faire ça, ça me semble absurde, mais en plus pour donner des notes si longtemps après l’arrêt des notations, il faut remuer ciel et terre, se faire engueuler par le secrétariat, et tout ça pour mettre un zéro !
Personne ne vous force à faire des études, personne ne vous forcera à les terminer, vous êtes seul responsable de vous-mêmes et de vos choix !

L’école du mercredi

Je remets la main sur mon cahier de catéchisme.
Car oui, j’ai fait mon catéchisme. J’ai même été enfant de chœur. Pourtant, pour autant que je m’en souvienne, je n’ai jamais été croyant, et j’ai fini par comprendre qu’à peu près toute ma famille était athée ou agnostique (tout en ayant une culture religieuse), mais des copains m’avaient vendu les soporifiques séances du mercredi comme une sorte d’école où on ne faisait que dessiner : comment résister ?
L’arnaque ! Des dames de catéchisme revêches qui nous envoyaient des regards de démentes de films d’horreur si on avait eu le malheur de rater une séance d’endoctrinement ou une messe; un curé gentil mais pas très fin ; des copains qui avaient une vision bien hypocrite de la religion à laquelle ils adhéraient pourtant…  Bref, j’aurais bien tort de me plaindre, j’ai énormément appris.

catechisme_1

Je me rappelle que j’avais été impressionné d’entendre mon père dire « mon père » au curé en venant m’inscrire — j’ignorais tout de ce code. Et je me souviens encore que ma mère — de culture protestante — avait été choquée que le prêtre, qui trouvait que j’étais trop vieux pour commencer en première année, me demande de mentir et de faire croire que j’avais déjà fait une année de catéchisme ailleurs. C’est dans ce genre d’occasion qu’on voit la différence entre les catholiques et les parpaillots, j’imagine : les premiers font du mal en étant hypocrites, les seconds se font du mal en ne l’étant pas.

catechisme_2

En tout cas, je remarque une chose : quand je faisais des dessins niais et sans texte, les dames de catéchisme écrivaient « B » ou « TB » sur mes dessins. Par contre, les dessins un peu comiques avec des phylactères n’ont pas eu droit à des « TB » ni à des « B ».
Si on avait voulu me forcer à choisir entre la foi et la bande dessinée, on ne s’y serait pas pris autrement. Devinez qui a gagné.

Le carrosse doré

(une conversation récente me donne envie de publier ici cette nouvelle, écrite il y a quatre ans à Kali, en Croatie, en même temps que je mettais la dernière main à mon livre Les fins du monde de l’antiquité à nos jours. Les revues auxquelles je l’ai soumise l’ont trouvée trop courte. Étant moi-même un lecteur lent, sinon fainéant, j’ai toujours adoré les micro-nouvelles)

Célestine de Beaulapin était une femme dont l’esprit et la beauté enchantaient la cour de Louis le quinzième. Elle tenait régulièrement salon et les plus grands intellectuels, les Diderot, les Rousseau, les Grimm, les d’Holbach et bien d’autres (dont elle ne retenait pas toujours les noms) se pressaient pour être invités à sa table et s’y illustrer dans des conversations philosophiques de la plus haute volée. Le roi lui-même n’aimait rien mieux que de fausser compagnie à son intrigante maîtresse, la Pompadour, pour aller s’oublier entre les satins et la peau douce et parfumée de Célestine. Elle n’était pas une fille facile, ça non, mais que peut-on refuser à un roi, et qui plus est, à un roi qui savait se montrer si délicat amant ? Il n’était même pas si vieux. Il l’emmenait à la tombée de la nuit dans un carrosse doré tiré par un équipage de huit chevaux, et ils se rendaient tous deux jusqu’à un parc charmant rempli de fontaines, de rocailles, de grands et beaux arbres et de statues imitées de l’antique qui regardaient les amoureux d’un air complice, éclairés par la lune et par les torches que tenaient des domestiques muets. Elle se donnait régulièrement à lui en ronronnant sur tous les tons des « oh, sire ! » qui signifiaient, selon les cas, que l’audace du monarque la faisait rougir, ou que sa vigueur la transportait sur les plus hautes cimes du plaisir,

La livrée de Célestine était impressionnante, des centaines d’hommes et de femmes dédiaient leurs journées à faciliter son quotidien : manger, circuler, faire salon, se lever, s’habiller, se déshabiller, se laver, il n’est rien de tout cela qu’elle aurait pu faire sans ses serviteurs. Sa toilette ne mobilisait pas moins de trois belles jeunes femmes, toutes fraîches, propres, parfumées, aux bonnes joues roses, aux rires enjoués et aux plaisanteries légères. Elle était aimée de ses gens, car elle savait les remercier de leur labeur d’un discret sourire, d’une caresse sur la joue, et parfois même d’une tape sur l’épaule, ce qui semblait toujours un peu surprenant de familiarité virile venant d’une frêle et belle jeune femme. Oui, Célestine était heureuse. Mais ce qu’elle aimait par dessus tout, ce n’était ni la fréquentation du roi, ni le commerce des grands intellectuels, ni même les parties de jeu où elle perdait avec fièvre des millions pour gagner avec dédain des milliers, ruinant par là son époux, un homme fade avec qui elle avait convenu depuis longtemps d’éviter les rencontres.

Ce qu’aimait vraiment Célestine, c’était ses trois meilleures amies, Barbara du Luxembourg, Émilie de l’Oise et Alison du Neuf-trois.

Toutes trois se voyaient généralement deux fois par jour. Celles qui s’étaient levées avant midi prenaient leur petit déjeuner ensemble, et aucune n’aurait manqué à leurs rendez-vous d’après souper, où elles bavardaient généralement jusqu’à ce que le sommeil les gagne et que chacune rentre chez elle. Leur grand plaisir était de médire sur toutes leurs fréquentations, ou d’échanger des ragots sur les grands noms du temps : « Savez-vous que le baron d’A* s’est entiché d’une danseuse de l’Opéra ? Il rampe devant elle, qui sait en profiter pour se faire offrir toutes les choses dont, pourtant, aucune fille du peuple n’a besoin. C’est d’un drôle ! ». « Madame de T** a quitté Paris pour six mois : son amant l’aura faite grosse et voilà qu’elle part enfanter à la campagne ! Songe-t-elle vraiment que Paris ne le saura pas ?».

Lorsqu’elles ne pouvaient pas se voir, elles échangeaient des billets, qu’elles confiaient à des porteurs. Célestine avait un forfait confortable qui lui permettait d’envoyer cent billets de 140 caractères chaque jour. Si elle dépassait le nombre, le serviteur refusait tout simplement de se charger du transport, sans risque de dépassement. La mère de Célestine avait décidé de souscrire ce forfait après une facture exagérée qui avait valu à la jeune femme une conversation aussi désagréable que banale : « je ne peux pas te faire confiance », « avec ce que je gagne à l’hôpital », « et puis ton père qui paie la pension quand ça le chante »« et sa pouffiasse qui trouve qu’il me donne déjà trop », « quand tu ne vivras plus sous mon toit et que tu auras un emploi stable, tu dépenseras ton argent comme tu le voudras », etc.

Elle savait qu’elle n’était pas à plaindre : ses trois amies avaient des forfaits plus restrictifs que le sien et leurs parents étaient plutôt plus sévères. Même s’il lui arrivait de piquer des crises et même si elle passait son temps à se plaindre de sa « daronne », elle savait bien que sa mère l’aimait beaucoup et que c’était pour son bien qu’elle s’inquiétait parfois de voir sa fille passer tant de temps au XVIIIe siècle et si peu à éplucher les journaux d’annonces d’emploi.

Tornade (1977)

En 1975, Len Wein, Chris Claremont et Dave Cockrum ont repris une série délaissée par les éditions Marvel : X-Men. Ils y ont introduit quelques personnages marquants : Colossus, Diablo, Wolverine, et Storm — appelée Tornade, en Français. Je lisais déjà les aventures des X-Men dans Special Strange, il est curieux que j’aie eu envie de donner le nom Tornade à mon super-héros. Quelqu’un a écrit 77 au crayon sur le cahier.

tornade_comics

J’avais créé un autre super-héros, nommé Super Ware, dont les pouvoirs assez difficiles à expliquer étaient liés aux emballages Tupperware. Dans le civil, Super Ware s’appelait Harry Cover. Mes jeux de mot me semblaient particulièrement astucieux.

Quand j’étais zombie

1988, je pense. J’apprenais la publicité à l’Académie Charpentier. C’était avant Photoshop et Illustrator, à une époque où tout se faisait à la photocopieuse, au cutter, à la gouache et au tire-ligne, mais je ne m’intéressait pas trop au graphisme et à la communication, seul m’intéressait vraiment le dessin.
J’avais un camarade bavard passionné de cinéma, David M., qui m’a proposé un jour d’être acteur sous sa direction pour un court-métrage fantastique, où je devais jouer le rôle d’un zombie. On a profité de l’absence des parents de David pour tourner le film, en Super 8, dans son pavillon d’une banlieue cossue du Nord de Paris.
J’imagine que la photo est de David.

occulte

Mon vieil ami Frédéric G., rencontré pendant mes années de Lycée professionnel, a fabriqué mon masque. Je l’ai gardé pendant les trois jours qu’a duré le tournage. L’histoire racontait l’ultime rêverie d’un homme en train de mourir qui s’imagine que sa meurtrière est une sorcière qui le ressuscite et le transforme en zombie pour l’assassiner à nouveau, mais qui parvient à se venger. J’ai passé mon temps avec un pull-over impreigné d’hémoglobine Deschiens — de l’authentique sang (de veau, je crois), qui s’achetait en pharmacie.

Le dernier matin, le scénariste, qui, comme le réalisateur je crois, était amoureux de l’actrice, Constance B., et qui avait été tenu à l’écart du tournage pour cette raison, est arrivé subitement avec un fusil. Je ne sais plus quel était son but, mais sur le coup c’était logique. David a couru chercher une arme, le katana décoratif de son frère, je crois. Je me suis interposé, plus par épuisement que par esprit de chevalerie. J’ignore si nous avons frôlé le fait-divers ce jour-là. J’en garde un souvenir très confus.

interposition
reconstitution…

La colle que m’avait donné Fredéric pour faire tenir le masque provenait bien d’une boutique de prothèses de cinéma, mais n’était pas du tout destinée au visage. Il m’a fallu plusieurs jours pour enlever ma tête de zombie en latex et j’ai ensuite gardé l’air d’avoir pris un méchant coup de soleil pendant des semaines.

Le film a été diffusé dans une émission fantastique sur une chaîne du câble mais n’a lancé la carrière d’aucun des intervenants, même si je vois que David, le réalisateur, est désormais critique de cinéma.
J’en avais une cassette VHS, plus tard reportée sur DVD, mais je ne les retrouve pas.

Premier fanzine (comment j’ai inventé l’Inspecteur Gadget)

J’ai dix ans, je suis en cours moyen 2, et je décide de me lancer dans un journal avec ma sœur Caroline, mon copain Fabrice de L. et son frère Marc. Je ne connaissais pas le mot fanzine, j’avais l’ambition de devenir un magnat de la presse locale. Je suis allé chez un imprimeur qui se trouvait dans la grand’rue, pour lui demander combien coûterait de tirer cent exemplaires du le journal. Sa femme et lui ont trouvé le projet attendrissant, et ils ont photocopié les pages deux à deux en cinquante exemplaires, avant de les séparer avec un massicot géant qui a taillé dans la ramette avec la même facilité que si c’était du beurre.
J’avais un peu peur du tarif, puisqu’on n’avait pas répondu à ma question à ce sujet, mais (ouf !), c’était un cadeau.

journal_de_cormeilles

L’imprimeur n’avait pas bien réfléchi à la question de la reliure, et avec les autres, j’ai dû coller toutes les feuilles deux à deux avant d’agrafer les cahiers complets. Je n’ai pas retrouvé le second numéro, au tirage plus confidentiel encore, qui était imprimé à la « pierre humide », un système d’impression autographique. Il n’y a pas eu de troisième numéro.

En le relisant, je réalise que Jean Chalopin n’est pas allé chercher très loin son Inspecteur Gadget (sorti quatre ans plus tard !) : il devait avoir lu les pages consacrées à l’agent 000000,00123 dans Le Journal de Cormeilles, il n’y a pas d’autre explication crédible !

Le Ciottigate (et moi, et moi, et moi)

Éric Ciotti était déjà un champion du faites-ce-que-je-dis-pas-ce-que-je-fais en matière de laïcité1, on apprend qu’il en est de même en termes de service national, puisqu’il réclame le rétablissement de cette institution alors qu’il a fait en son temps des pieds et des mains pour en être exempté.
Bien entendu, rien ne dit qu’on n’ait pas le droit de changer d’opinion ni que l’on doive avoir vécu quelque chose pour le souhaiter à autrui, mais bon, comme chantait Boris Vian, S’il faut donner son sang (ou ici, surtout, son temps) / Allez donner le vôtre / Vous êtes bon apôtre / Monsieur le Président (du Conseil général). On peut néanmoins soupçonner nombre de membres de la classe politique de ne pas se sentir tout à fait solidaires des Français dont ils régentent l’existence, il suffit pour s’en convaincre de comparer l’évolution du droit du travail toute en « souplesse » que promeuvent pour le commun des mortels Les Républicains tout autant que le Parti Socialiste, avec la qualité du traitement que s’appliquent à eux-mêmes les élus d’un certain niveau, qui se serrent les coudes pour s’octroyer des avantages sociaux généreux et une pérennisation de revenus qui amortissent confortablement tous les aléas du vote populaire.

ciottigate

Ce qui est choquant dans le « Ciottigate », c’est justement la solidarité parlementaire : Estrosi demande à Fillon de demander au ministre de la Défense de l’époque, Jean-Pierre Chevènement, de dispenser son attaché parlementaire (il n’est pas indifférent qu’il signale ce statut) d’avoir à donner douze mois de son existence à la Patrie. Estrosi et Fillon étaient membres du RPR, et Chevènement, membre du Parti Socialiste. On remarque au passage que la lettre est arrivée sur le bureau du ministre un jour avant qu’il quitte ses fonctions. Je n’ai rien contre le fait que des gens issus de partis différents soient capables de collaborer les uns avec les autres, ça devrait même être comme ça que fonctionne la démocratie, mais il est dommage qu’ils ne semblent y arriver que lorsqu’il est question de se protéger en tant que membres d’une même classe.

Bref. Fillon dit à présent que « la pratique était courante » (mais n’allez pas croire qu’elle a disparu du fait d’une moralisation des pratiques des parlementaires, elle a disparu… avec le service national), et n’a pas de souvenir particulier de ce cas. Ciotti dit découvrir le fait et explique avoir été exempté (apparemment in extremis : l’incorporation était prévue pour le mois de février, la lettre date de janvier) au titre de « soutien de famille », car son épouse venait justement de tomber enceinte.
C’est là que cette histoire me parle personnellement.
En effet, à l’époque, j’essayais moi-même d’échapper au service national. Ma femme ne venait pas de tomber enceinte, j’étais déjà père d’une petite fille ! Je serais mal placé pour faire la leçon à ceux qui n’étaient pas plus tentés que moi par l’idée de s’acquitter de leurs obligations patriotiques sexistes car j’avais moi-même tout tenté pour y couper, et notamment, bien sûr, de dire que j’étais « soutien de famille », puisque j’étais bel et bien père !2 Si les textes disaient qu’il fallait avoir trois enfants, et non un, pour être exempté, ils ajoutaient qu’il était néanmoins possible d’assouplir la règle dans les cas « d’une exceptionnelle gravité ». Je trouvais ma situation exceptionnellement grave, évidemment, puisque c’était la mienne, alors je suis passé devant le Tribunal Administratif pour m’en expliquer3. J’ai assisté à une matinée d’audiences étranges (des gens un peu largués faisant face à des interdictions de chéquiers à la Poste ou des coupures EDF ou PTT), et lorsque mon tour est arrivé, j’ai raconté ma situation.
Le juge a pris un air commisérant et m’a assuré qu’il était bien désolé pour moi mais que la loi était claire comme de l’eau de roche : je devais effectuer mon service, je n’avais pas trois enfants. J’ai posé la question des cas « d’une exceptionnelle gravité », et le juge m’a fait comprendre (sans me demander ce que ma situation avait de dramatique) que cette mention n’était pas destinée aux gens comme moi.
Je sais désormais à qui elle l’était !

Est-ce que j'avais une tête à vouloir faire mon service militaire ? J'ai longtemps cru que pour les gens de mon âge, c'était une idée insoutenable, mais c'est justement dans les Alpes-Maritimes (aujourd'hui dirigées par Éric Ciotti), à Auribeau-sur-Siagne, que j'ai rencontré pour la première fois des jeunes pour qui effectuer son service militaire était non seulement une évidence, mais qui voyaient tout projet d'y échapper comme une preuve qu'on n'est "pas un homme" (fameux renversement : on se fait soumettre à un bizutage malsain en fonction de son sexe et il devient une preuve qu'on "mérite" ce qu'on n'a entre les jambes que par un coup du sort chromosomique). Nous étions ciinq parisiens (Bobo, Banga, KayOne, moi-même, et enfin Megaton - qui deviendra bien plus tard le réalisateur de blockbusters que l'on sait)
Est-ce que j’avais une tête à vouloir faire mon service militaire ?
J’ai longtemps cru que pour les gens de mon âge, c’était une idée insoutenable, mais c’est justement dans les Alpes-Maritimes (aujourd’hui dirigées par Éric Ciotti), à Auribeau-sur-Siagne, que j’ai rencontré pour la première (et dernière) fois des jeunes pour qui effectuer son service militaire était non seulement une évidence et un devoir, mais qui voyaient tout projet d’y échapper comme une preuve qu’on n’est « pas un homme » (fameux renversement : on se fait soumettre à un bizutage malsain en fonction de son sexe et il devient une preuve qu’on « mérite » ce qu’on n’a pourtant entre les jambes que par un coup du sort chromosomique). Nous étions cinq parisiens venus, à la demande du maire, peindre une fresque (Bobo, Banga, KayOne, moi-même, et enfin Megaton – qui deviendra bien plus tard le réalisateur de blockbusters que l’on sait), et pour nous, ce décalage entre la vision qu’on avait de l’absurdité de la vie de chambrée à Paris et le discours viriliste des villageois de notre âge de l’arrière-pays cannois a constitué une grande source d’étonnement.

Me faire engueuler dans une caserne par des petites brutes à la coupe en brosse ne me tentait pas plus que ça, j’ai choisi d’effectuer un service civil, d’être « objecteur de conscience ». Ce statut était mystérieux, car il était interdit d’en parler, de le conseiller, et aucune brochure de l’armée n’en parlait. Il fallait connaître une phrase magique (« Je refuse de porter les armes pour motif de conscience », ou quelque chose comme ça) que personne n’avait droit de vous souffler (mais qu’une fonctionnaire en uniforme d’un bureau militaire m’avait écrit sur un papier — elle n’avait pas le droit de la dire à haute voix).
J’ai ensuite passé vingt longs mois (le service civil était deux fois plus long que le service en costume) à travailler au Ministère des affaires sociales et de la santé, à réparer les ordinateurs dans un service informatique particulièrement inefficace où les rares à avoir un peu de goût et de compétence pour le métier étaient un contractuel privé et moi-même — l’objecteur payé une misère pour pallier des fonctionnaires dysfonctionnels. J’y ai appris des choses, et notamment, que je ne travaillerais jamais pour une administration kafkaïenne de ce genre, où, à l’exception de la garde rapprochée de la personne qui occupe le bureau ministériel (j’y ai connus Bernard Kouchner, Simon Veil et Philippe Douste-Blazy), presque personne n’a la moindre conscience de ce à quoi il sert. Un jour je raconterai cette parenthèse absurde.

Tout ça pour dire que, considérant les délais, et considérant la réalité du statut de « soutien de famille », je dois informer Éric Ciotti que c’est probablement bien son piston qui a joué un rôle déterminant pour lui permettre de se soustraire à la conscription. Et s’il a tout mon soutien dans cette démarche passée, je ne le juge pas bien placé pour réclamer une réhabilitation du service national, et je considère que cette affaire en dit surtout long sur le monde auquel il appartient depuis ses jeunes années, un monde qui n’est clairement pas celui du vulgaire.

  1. Il prend régulièrement parti pour une extension de la laïcité pour les musulmans, mais réclame qu’on inscrive les « racines chrétiennes » de la France dans la constitution — on ne pourra pas y inscrire ses racines de cheveux, je pensais qu’il était bouddhiste, d’ailleurs. Ou Bruce Williste ? Ou bien Tondu-à-la-libérationniste ? []
  2. Ma fille avait déjà deux ans lorsque j’ai été incorporé. Je n’étais en revanche pas exactement « soutien », puisque j’étais encore étudiant, mais je voulais travailler… Or faire son service national ne m’apportait que 24 francs par jour et l’obligation de rester prisonnier d’une caserne : ce ne sont pas ces 24 francs qui allaient permettre à ma compagne et à ma fille de vivre correctement. []
  3. J’avais déjà commencé mon service depuis quelques mois lorsque j’ai été convoqué, deux ans après en avoir fait la demande, les procédures sont plus longues pour les gens qui ne sont pas attachés parlementaires, il faut croire. []

Hijab-bière

Vu sur la grand’place de Bruxelles, un homme équipé d’un smartphone photographiant une femme, vêtue d’un hijab, avec comme décor les stands du Week-end de la bière et l’hôtel de ville.
L’histoire qui se cache derrière cette scène remonte à des millénaires et couvre des distances immenses.

hijabiere

La bière, issue de la fermentation de céréales, est aussi ancienne que l’agriculture et, comme elle, a vraisemblablement été inventée en Mésopotamie, royaume antique situé à cheval entre les actuels Irak et Syrie, et qui correspond plus ou moins au territoire revendiqué par l’État Islamique en Irak et au Levant, organisation qui proscrit toute boisson à base d’alcool, telle la bière, mais promeut en revanche la consommation d’un autre psychotrope, le Captagon, une amphétamine qui plonge ses soldats dans un état d’euphorie guerrière. Le Captagon a été synthétisé par l’entreprise allemande Degussa A.G., tristement célèbre pour avoir été le principal producteur de gaz Zyklon B, utilisé dans les camps d’extermination nazis pendant la seconde guerre mondiale. Le nom alcool vient de l’arabe al-khôl. Le khôl est une substance cosmétique et médicinale utilisée notamment au Maghreb.
Comme la bière, le hijab tire son origine de la Mésopotamie. Dans le code d’Hammurabi, le port du voile est le privilège et l’obligation des femmes libres. Dans les lois de Teglath-Phalasar, quelques siècles plus tard, le port du voile est le privilège et l’obligation des femmes et des filles d’hommes libres, ainsi que des prostituées sacrées. Il est interdit aux esclaves et aux prostituées non-sacrées. Sans s’appuyer sur des textes sacrés clairs à ce sujet, une majorité des savants de l’Islam semble s’entendre pour prescrire le port du voile aux femmes musulmanes, du moins depuis l’éclosion d’un islam néo-traditionnel lié à la fondation des Frères musulmans, à de nombreux conflits post-coloniaux, à la Révolution islamique iranienne et à la fortune des monarchies pétrolières du Golfe persique.
Le smartphone est un téléphone doté des fonctions d’un ordinateur, devenu largement populaire dans le monde entier depuis la création de l’iPhone, en 2007. L’iPhone a réglé tous les problèmes d’interface posés jusqu’alors grâce à l’emploi d’un écran tactile, mais son existence dépend fortement de l’approvisionnement en oxyde d’indium-étain, un matériau conducteur et transparent à la fois. L’Indium est une terre rare dont la production est essentiellement réalisée par la Chine, au prix de problèmes environnementaux importants, et sous la menace d’une pénurie imminente. Les smartphones sont généralement équipés d’appareils-photo.
Bruxelles a été définitivement installée comme capitale de la Belgique — le pays de la bière — en 1839, qui est aussi la date de l’invention de la photographie, ou plus exactement, la date à laquelle la France a offert au monde, à l’initiative du savant Arago, le brevet du daguerréotype, invention de Louis Jacques Mandé Daguerre, peintre né à Cormeilles-en-Parisis en 1787 dans ce qui est actuellement la boulangerie-pâtisserie de Monsieur et Madame Fifre, à qui j’achète mon pain du mardi au dimanche.

Êtes-vous un agent de la CIA sans le savoir ?

sabotageLa CIA a »déclassifié » le manuel de sabotage mis au point par son ancêtre l’OSS en 1944, et dont les conseils sont toujours pratiqués aujourd’hui.
Il contient une section entière sur la manière d’organiser le travail et les réunions :

  • Toujours suivre la voie hiérarchique, ne jamais permettre que celle-ci soit court-circuitée
  • Se lancer régulièrement dans d’interminables discours, avec anecdotes personnelles et commentaires patriotiques
  • Chaque fois que possible, reporter les décisions en attente d’un supplément d’information et de réflexion
  • Élargir toutes les réunions à un grand nombre de personnes — jamais moins de cinq
  • Chaque fois que possible, amener des questions non-pertinentes
  • Chicaner en permanence sur le vocabulaire précis à employer pour les communiqués, rapports, compte-rendus
  • Revenir sur des questions tranchées lors des précédentes réunions, et sur le bien fondé des décisions passées
  • Conseiller d’éviter la hâte, de se montrer raisonnable
  • S’inquiéter de savoir à qui appartient telle ou telle décision, se demander si elle appartient à un groupe, ou si elle peut entrer en conflit avec le règlement d’un échelon supérieur
  • Demander des ordres écrits, les comprendre de travers, poser des questions sans fin à leur sujet
  • Tout faire pour reporter l’exécution des ordres, ne rien fournir avant d’avoir totalement terminé
  • Ne pas demander de fournitures avant d’avoir épuisé son stock
  • Demander du matériel de haute qualité et difficile à se procurer, expliquer que le matériel médiocre fait faire un travail médiocre
  • En confiant des tâches, toujours commencer par ce qui n’a pas d’importance, et confier les travaux importants aux travailleurs inefficaces et mal équipés
  • Réclamer la perfection sur les tâches sans grande importance, renvoyer toute réalisation imparfaite, mais accepter les productions dont l’imperfection n’est pas apparente
  • Faire des erreurs d’acheminement, afin que le matériel ne se trouve jamais au bon endroit
  • En formant de nouveaux travailleurs, leur donner des instructions incomplètes ou pouvant les induire en erreur. Cajoler les médiocres, leur donner des promotions, brimer les bons, se plaindre injustement de leur travail
  • Imposer des réunions alors qu’il y a des tâches plus urgentes
  • Démultiplier la paperasse, faire des doublons
  • Multiplier les procédures et les autorisations à tous les niveaux. Se débrouiller pour que chaque décision soit approuvée par trois personnes là où une suffirait
  • Suivre les règlements à la lettre
  • Se tromper dans les quantités, les noms, les adresses
  • Tenir de longues correspondances avec des autorités
  • Mal ranger les documents
  • Lors d’un appel important, affirmer que le supérieur est occupé
  • Faire de la rétention de courrier
  • Diffuser des rumeurs dérangeantes qui ressemblent à des secrets d’initiés
  • etc.

J’ai peur que la CIA soit infiltrée dans toutes les administrations françaises. J’ai même peur que chacun d’entre nous soit parfois un peu un agent de la CIA.