Un anniversaire

Il y a vingt ans très exactement, le 20 novembre 2000, donc, je me suis rendu au Terminus-Nord, brasserie parisienne située face à la gare du Nord (où j’arrivais d’Amiens), pour rencontrer pour la première fois des gens que je fréquentais virtuellement depuis quelque temps1.

Il s’agissait des membres d’une mailing-list consacrée à un auteur de bande dessinée qui n’avait pas trente ans à l’époque mais commençait à faire parler de lui — d’abord plus comme scénariste que comme dessinateur —, le désormais célèbre Joann Sfar. Joann intervenait surtout lorsqu’on parlait de son travail, mais comme ce sujet de conversation s’est progressivement tari, celui qui servait de prétexte au groupe a fini par le délaisser, nous laissant au fond libres de continuer à bavasser à tout autre sujet. La mail-list avait été lancée en juillet 1999, il semble qu’elle soit inactive depuis mars dernier, du fait d’un problème technique (j’ai tenté d’y écrire ces jours-ci, mais les e-mails me sont revenus), mais comme son inactivité ne semble pas avoir alerté grand monde, sans doute cela signifie-t-il que le lieu a vécu. Le pic d’activité de la liste a été l’année 2006, avec près de 30 000 messages échangés2.
Les amitiés, en revanche, sont restées et perdurent sur les réseaux sociaux, notamment. Bien sûr, il y a des perdus de vue, ou des gens vraiment lointains, les rares, ceux qui n’ont fait que passer, mais au fil des ans, on a vu les enfants des uns et des autres grandir, on a vu certains passer du statut d’étudiant à celui de professionnels aguerris de tel ou tel domaine (très divers). On a régulièrement mangé ensemble, on s’est entre-invités les uns chez les autres, on a parfois attendu les douze coups de minuit ensemble, et plusieurs d’entre nous se sont retrouvés collègues sur des projets professionnels divers. Toute une histoire.
Bon anniversaire la Meuleuh !

  1. À une exception, Ronan L., que je connaissais auparavant, mais qui n’est pas resté longtemps membre du groupe. []
  2. J’ai absolument tout conservé, en dehors de l’année 2007 où, pour une raison technique, je ne recevais plus les messages. []

Fibre sans mobile

La fibre arrive dans ma rue. Enfin.
Mon actuel fournisseur d’accès m’avait démarché il y a quelques semaines dans des termes suspects et incohérents, dans le but, je suppose, de m’obliger à m’engager pour un an avant que la concurrence puisse me démarcher à son tour. J’étais intéressé, mais le commercial qui m’avait appelé semblait trop pressé pour être honnête.
Fait rédhibitoire, j’étais assuré de perdre mon numéro de ligne fixe.

Et puis ce matin, un conseiller Orange (concurrent, donc) est passé chez nous pour expliquer longuement l’offre qu’il pouvait proposer. Il a aussi laissé un papier avec son numéro de mobile dans la boite-aux-lettres, au cas où on perdrait le papier qu’il nous avait remis en mains propres. Et il en avait aussi glissé un dans une fente de la porte d’entrée. Un peu plus tard, une femme du service technique a appelé, elle aussi pour nous convaincre que c’était le bon jour pour s’équiper. Enfin, un troisième gars a lui aussi téléphoné, toujours pour la même raison et toujours avec le même employeur, ou presque : il a commencé par parler d’Orange, mais au fil de la conversation il s’est révélé appeler pour le compte de Sosh, la filiale discount d’Orange — ce qui expliquait une curieuse différence de prix et, ai-je compris ensuite, une différence de service.

 » — Quel est votre modèle de box actuel ?
— Je n’ai pas de box. J’utilise un simple modem ADSL.
— Ah. Mais vous n’avez pas Internet alors ? Pourtant vous m’avez donné votre adresse e-mail, plus tôt.
— J’ai Internet, j’ai Internet ! Je n’ai pas de « box » mais j’ai bien Internet. Enfin c’est pareil, une « box », c’est un modem, hein. Laissez tomber.
[soupçonneux] Mais vous recevez vos e-mails ?
— Ben oui, évidemment !
— Vous êtes sûr ?
— Mais oui ! »

J’imagine le gars qui, à la cantine, racontera a ses collègues qu’il a eu au téléphone un vieux sénile qui croit aller sur Internet sans box.

« — Vous recevrez une Livebox 4 alors, c’est le tout dernier modèle.
— Mais avec Sosh c’est pareil, non ?
— Oui mais là vous vous engagez un an. Avec Sosh vous pouvez résilier à tout moment.
— Et c’est moins cher.
— Oui, c’est moins cher.
— Mais quelle est la différence, alors ?
— La différence c’est que le débit est moins important
— Ah bon, eh bien je veux le meilleur débit, hein. »

Quand j’ai dit que je préférais payer plus cher pour un meilleur service, le conseiller a changé de casquette et est devenu un conseiller Orange.
Sans tout ce démarchage, j’avais en fait déjà choisi Orange, car même s’ils sont un peu chers, eux seuls me promettent que je conserverais mon numéro de téléphone. Quand on n’a pas de téléphone mobile, c’est quelque chose d’important.
C’est là qu’arrive le gag.

« — Bon, eh bien si vous me garantissez que je conserve mon numéro de téléphone fixe, je suis intéressé.
— Très bien, alors il faut que vous choisissiez un créneau horaire pour qu’un technicien vienne vous installer la fibre. Ça peut être jeudi 26 ou samedi 28.
— Euh bon, samedi 28 alors.
— Nous allons maintenant choisir votre point de retrait pour récupérer votre Box
[pourquoi diable est-ce que le technicien ne peut pas l’amener lui-même ?]
— Oulah, déjà ?
— « Ambonbons ».
— Hein ?
— « Sommeil et santé ».
— Excusez-moi je ne comprends pas bien…
— « Esso »… « O Pneu »… « Picard »… « Pressing de la gare »…
— Ah… D’accord, ce sont les points de retrait… Bon, eh bien Pressing de la gare, je vois où c’est.
— Bien. Maintenant, il me faudrait votre numéro de téléphone mobile…
— Je n’ai pas de téléphone mobile !
— …pour que le technicien puisse vous prévenir s’il y a un changement.
— Eh bien ils n’ont qu’à m’appeler sur le fixe, ou bien il suffit qu’il n’y ait pas de changement. Moi je serais là !
— Il va me falloir un numéro de téléphone mobile, alors.
— Mais je vous dit que je n’en ai pas, pas du tout. Aucun.
— Il me faut votre numéro de téléphone mobile afin de vous prévenir par SMS de toutes les étapes de l’expédition de votre box.
— Je n’ai pas de téléphone.
— Alors celui de votre fille [tiens, comment il sait que j’ai une fille ?].
— Ma fille part à Naples, ça n’a aucun intérêt qu’elle reçoive à Naples des SMS qui lui parlent de l’expédition d’un colis chez moi.
— Il me faut un numéro de portable pour pouvoir finaliser votre dossier.
— Je n’ai pas de moyen…
— N’importe quel numéro. Celui de quelqu’un que vous connaissez.
— Mais c’est absurde ! »

« — Garçon s’il vous plait je voudrais un café crème. Avec deux croissants
— je m’excuse monsieur nous n’avons plus du tout de croissants
— ah ben ça fait rien alors je vais prendre autre chose […] vous avez qu’à me donner un café nature, alors. Un café nature avec deux croissants
— je me suis peut être mal exprimé, je vous dis que nous n’avons plus du tout de croissants
— Là ça change tout, s’il n’y en a plus, forcément, je peux pas en avoir. Je vais prendre autre chose. Je vais prendre n’importe quoi. Du lait. Vous avez du lait ? Donnez-moi une tasse de lait. Avec deux croissants. « 

« — Je suis d’accord mais il faut que vous me communiquiez votre numéro de téléphone mobile s’il vous plait afin que je puisse finaliser votre dossier et afin de vous tenir au courant de l’avancement de votre dossier.
— Eh bien je ne sais pas, envoyez-moi des mails. Ou appelez-moi sur mon fixe. Mais je n’ai pas de téléphone.
— C’est très inhabituel de ne pas avoir de téléphone.
— Eh oui, il paraît.
— Il me faut votre numéro de téléphone mobile afin de finaliser votre dossier et de vous tenir au courant de l’arrivée de votre commande.
— Mais je vous dis que je ne peux pas vous donner un tel numéro ! »

[Nathalie, qui se trouvait à côté, a alors pris le téléphone et dit un peu plus énergiquement que moi que nous n’avions pas de téléphone mobile. Le conseiller a alors appelé sa supérieure qui a pu débloquer la situation. Elle m’a annoncé qu’elle m’envoyait un mail « récapitulatif ».

« — Vous avez bien reçu le mail ?
— Euh, attendez, attendez voir, non, pas encore.
— C’est très important, dès que vous le recevez il faut valider.
— Vous pouvez peut-être raccrocher, je verrai ça à tête reposée. Ah, voilà le mail, il arrive, je regarde, je clique… Oh… Euh… Apparemment je viens d’accepter un contrat ! « 


« — Oui, c’est votre accord, l’installation va pouvoir être mise en route. Je vous souhaite une bonne journée. »

J’ai légèrement l’impression de m’être fait forcer la main, presser par des gens qui ont sans doute plus besoin de moi que je n’ai besoin d’eux, mais avec un peu de chances, j’aurai la fibre dans quinze jours.