Une jolie réflexion de Romain Gary sur la valeur de l’irrespect :
François Bondy : Tu ne peux tout de même pas refuser tout choix politique ?
Romain Gary : La vérité politique est faite de moments, de rencontres avec la vérité historique, c’est une ligne qui court en zigzags et en oscillations à travers tous les partis, et je me force de suivre cette ligne et les partis qu’elle traverse momentanément. Mais il y a autre chose. La seule obligation sacrée que j’attribue à l’art ou à la littérature, c’est la recherche des vraies valeurs. Je crois qu’il n’y a rien de plus important pour un écrivain, dans la mesure où il se soucie de la vérité. Or seuls le manque de respect, l’ironie, la moquerie, la provocation même, peuvent mettre les valeurs à l’épreuve, les décrasser, et dégager celles qui méritent d’être respectées. Une telle attitude — et c’est peut-être ce qu’il y a de plus admirable dans l’histoire de la littérature — est pour moi incompatible avec toute adhésion politique à part entière. La vraie valeur n’a jamais rien à craindre de ces mises à l’épreuve par le sarcasme et la parodie, par le défi et par l’acide, et toute personnalité qui a de la stature et de l’authenticité sort indemne de ces agressions. La vraie morale n’a rien à redouter de la pornographie — pas plus que les hommes politiques, qui ne sont pas des faux-monnayeurs, de Charlie Hebdo, du Canard enchaîné, de Daumier ou de Jean Yanne. Bien au contraire : s’ils sont vrais, cette mise à l’épreuve par l’acide leur est toujours favorable. La dignité n’est pas quelque chose qui interdit l’irrespect : elle a au contraire besoin de cet acide pour révéler son authenticité.
Dans : La nuit sera calme (1974), entretien fictif entre Romain Gary et son ami François Bondy. C’est en fait Romain Gary qui fait les questions et les réponses.