Les hanches ne mentent pas

Chaque fois que l’on mène un combat, « ils » nous disent qu’il y a d’autres priorités, « ils » nous disent de nous taire, « ils » nous confisquent la parole. Et chaque fois, leurs injonctions morgueuses doivent nous conforter dans notre voie, car elles signifient que nous dérangeons et donc, que nous avons raison de nous tenir debout dignement pour parler de ce qui compte pour nous.
Par exemple aujourd’hui j’ai envie de parler de Shakira.

Eh bien oui elle a un joli sourire.

Mardi soir, après l’enregistrement d’une émission de radio PiedNu, où j’ai chanté le début de Gabrielle, par Johnny Hallyday1, j’ai montré des clips aux étudiants,  amis et collègues qui se trouvaient là. Beaucoup de clips : les Animals, France Gall jusqu’à Bébé Requin, de la new-wave belge, britannique, suisse ou allemande, du Mireille Mathieu, etc., etc.2

Vidéo pas terrible mais vue deux milliards de fois ! Et personne pour faire remarquer à la dame qu’elle s’est trompée et qu’elle est dans les toilettes des hommes !

De fil en aiguille, j’en suis naturellement arrivé à Mariah Carey3. Et après elle, à Shakira4. Habituellement je quitte les soirées avant les étudiants, parce que je suis un vieux, et que se coucher plus tôt et éviter les excès fait partie du trip vieux5, mais cette fois, c’est moi qu’on ne pouvait plus arrêter et ce sont les étudiants qui, peu à peu, sont partis se coucher sous divers prétextes dont le moins crédible était « on a cours avec Jean-Noël demain » alors que j’ai bien dit que mon cours du lendemain était annulé. Les rares qui soient restés jusqu’au bout par politesse ont assisté avec un embarras sidéré à mes envolées lyriques, à mes alternative facts relatifs au nombre d’octaves maîtrisées par Mariah Carey et à mes tentatives d’imitation de chorégraphies r’n’b. C’est vraiment dommage mais un barbu de 95 kilos ça ne fait pas du tout le même effet en se dandinant qu’une bombe latine peroxydée et permanentée, c’est comme ça. J’ai honte de rien, ça aussi ça fait partie du trip vieux, mais au fond de moi je sais que je ne pourrai pas danser comme Shakira et ça me fait de la peine.

wakawaka-é-é

Tout d’abord je dois préciser que je n’aime pas spécialement la musique de Shakira. C’est de la variété internationale plutôt moins réussie que d’autres. J’aime en revanche la voix de la chanteuse, malgré une rauquerie palatale, une voix de glotte un peu comique qui rappelle la Grenouille Kermit. Je trouve son sourire particulièrement avenant et je trouve injuste qu’on me mime une opulente poitrine en disant « oui oui c’est ça, son sourire ! » d’un air narquois6, car je maintiens qu’elle a un très beau sourire (ce que j’appelle le sourire va de la bouche aux yeux). J’aime aussi sa manière de danser, malgré des convulsions un brin agressives et mécaniques parfois, je vais en reparler plus bas. J’ai toujours été admiratif et envieux des gens qui savent utiliser leur corps, Je me reconnais très bien en Nanni Moretti, dans le film Caro Diario, lorsqu’il court derrière Jennifer Beals dans une rue de Rome pour lui dire à quel point sa manière de danser dans Flashdance avait pu l’inspirer7. Toute cette santé, c’est beau8.

Un sourire charmant, un beau corps plein de santé et d’énergie, une voix, que demander d’autre ? La musique ? Arh, oui, ça c’est dommage, la musique n’est pas très bonne. Ni mauvaise, du reste, elle est juste faite pour s’écouter sans écouter. Alors je ne l’écoute pas. J’aime bien Shakira, mais je n’achète pas ses disques et je ne suis pas au courant de la sortie de ses morceaux. Ses clips ne sont pas très bons non plus, en général. Dans La Tortura, quand Shakira n’est pas couverte de mazout, elle est stalkée par son voisin, un latin-lover à la voix éraillée avec un faux-air de Joann Sfar, qui la regarde par la fenêtre puis vient le peloter (en rêve, peut-être) pendant qu’elle coupe des oignons en pleurant. C’est quand même pas banal, comme situation, et le gars ne l’aide pas du tout, la ratatouille ne risque pas d’être prête rapidement.
Le clip Hips don’t lie m’émeut curieusement, car au cinq-centième visionnage j’ai remarqué que l’on ne voit jamais la chanteuse à l’image en même temps que Wycleff Jean, avec qui elle est pourtant censée chanter en duo. Non seulement les deux artistes ont tourné le clip séparément9 mais je soupçonne qu’ils n’ont même pas enregistré la chanson ensemble. Si ça se trouve ils ne se sont jamais rencontrés, ou alors comme ça, en passant, dans un avion par exemple, et ils se sont dit « tiens, on n’a qu’à faire un disque », et puis ils ont laissé filer le temps, et finalement chacun s’est rendu compte que son planning était incompatible avec celui de l’autre. J’aime bien Wycleff Jean mais bon, même avec emploi du temps chargé, on fait l’effort de rencontrer les gens, non ? Oui parce qu’à mon avis c’est de sa faute à lui. Shakira on voit bien qu’elle n’a pas la grosse tête, et qu’elle s’arrange pour être serviable. Sur certains plans on voit Wycleff et ses copains, et sur d’autres, Shakira toute seule qui se dandine en mimant et en chantant un état de sensualité exacerbé (« when you talk like that / You make a woman go mad (…) Reading the signs of my body (…)  I’m on tonight you know my hips don’t lie (…) All the attraction, the tension / Don’t you see baby, this is perfection »). Seulement on n’y croit pas vraiment. Déjà quand on vous jure qu’on ne vous ment pas (Hips don’t lie), c’est qu’il y a un problème. Mais ensuite, il y a quelque chose d’un peu sec dans les contorsions de l’artiste, quelque chose d’un peu trop professionnel et appliqué pour être passionné. Au fond elle rappelle surtout la pauvre jeune femme de la publicité Mister Cocktail qui dansait toute seule dans un coin de bar et prétendait en souriant que « Sans l’alcool la fête est plus folle ». Je pense souvent à cette femme, je me demande ce qu’elle est devenue. Je crois qu’elle n’avait pas d’amis, et c’est vraiment triste parce qu’elle avait l’air d’une gentille fille.
De la même manière, cette Pauvre Shakira a la gloire et le talent, mais au fond d’elle-même, elle est solitaire et peut-être même malheureuse.

Mais bon les gens s’en foutent hein, ils sont dans leur petite vie, leurs petits trucs égoïstes, incapables de faire un pas vers l’autre. C’est quand même triste.

  1. J’ai juste chanté le premier mot, en fait, quand il dit : « Gabrielle ». J’ai bien senti que pour certains ça avait le goût de trop peu, mais bon, je n’allais quand même pas chanter toute la chanson ! []
  2. Je me souviens de : Pat Metheny & Orchestrion, Improvisation #2 ; Johnny Hallyday, Elle est terrible ; Johnny Hallyday, Les portes du pénitencier ; The Animals, The house of the rising sun ; France Gall, Bébé requin ; France Gall et Maurice Biraud, La Petite ; France Gall, Chanson indienne ; France Gall, der Computer nummer drei ; France Gall, Baby pop ; Mireille Mathieu, Qu’elle est belle ; T.C. Matic, Putain putain ; Telex, Moscow Disco ; Polyphonic Size, Mother’s little helper ; Polyphonic Size, Je t’ai toujours aimée ; Elli et Jacno, Anne cherchait l’amour ; Edith Nylon, Femme sous cellophane ; Robert Görl, Mit Dir ; Kraftwerk, Radioactivity ; Señor Coconut, Radioactivity ; Yello, Oh yeah ; Art of Noise, Close (to the edit) ; Art of Noise, Moments in love ; The Jackson 5 : Looking through the window ; Michael et Janet Jackson : Scream ; Mariah Carey, All I want for christmas ; Mariah Carey, X-Girlfriend ; Mariah Carey & Jay-Z, Heartbreaker ; Mariah Carey, Bliss ; Mariah Carey, Honey ; Mariah Carey, Fantasy ; Tom Tom Club, Genius of love ; Tom Tom Club, Wordy Rappinghood ; Shakira, Waka Waka ; Shakira, Je l’aime à mourir ; Francis Cabrel, Je l’aime à mourir ; Shakira feat. Wyclef Jean, Hips don’t lie. []
  3. J’ai dit ce que j’avais à dire sur Mariah Carey il y a dix huit ans dans cet article. []
  4. Shakira est son vrai prénom. Son nom complet est Shakira Isabel Mebarak Ripoll, elle est née en  1977 en Colombie. []
  5. Pour Noël, n’hésitez pas à offrir Vieille peau, par Pochep, éditions Fluide Glacial. []
  6. Oui oui Anne-Laure, c’est à toi que ça s’adresse ! []
  7. Mais comme chacun sait, ce n’est pas Jennifer Beals qui danse, elle est doublée pour ces scènes. Eh oui, les ambiances tamisées et les jolis contre-jours, c’était pour ça. []
  8. De manière très injuste ce sont les gens qui ont un beau corps plein de santé qui ensuite ont des maladies articulaires, musculaires, osseuses. Si le bon dieu existe, c’est vraiment une teigne. []
  9. Il y a juste un plan où on les voit ensemble mais je crois que c’est une incrustation ! []

En kiosque cette semaine

Je sais ce qu’on peut me dire : de quoi je me mêle ?

Comment ça s’est passé ? Est-ce qu’il a découvert en même temps que nous sa tronche en plan rapproché sur la couverture, ou est-ce qu’il a eu son mot à dire, est-ce qu’il s’est assis autour d’une table avec des représentants de sa maison de disques pour choisir la meilleure photo ? Tout est possible, avec la presse. La seule chose certaine, c’est que la dernière fois qu’il a fait la couverture du magazine, visage en très gros plan, sourire timide et yeux de cocker malicieux, les ventes avaient battu des records, et on peut légitimement supposer que si la direction du journal a imposé cette image contre l’avis des journalistes de sa rédaction et au risque de provoquer un vrai malaise chez ces derniers, c’est en pensant aux ventes à venir.
Sur la photo de 2013, le gars semblait dire : « on a passé de bons moments, tu te rappelles ? Je peux revenir ? Je vais beaucoup mieux, tu sais ». Celle de 2017, prise comme une suite, semble dire « je suis fatigué, maintenant, ouvre cette porte, j’ai compris la leçon ! ».  Pathétique.
En 2021 est-ce qu’il se montrera en colère, un peu menaçant, avec l’air de dire que la plaisanterie a suffisamment duré ?
Geste d’humeur, acte manqué ou buzz orchestré, un employé du magazine a tweeté la couverture de la semaine en primeur, en y ajoutant une phrase que le chanteur n’a pas dite mais que la photographie semble signifier : « Dans toute cette affaire, la vraie victime, c’est moi… ». Le tweet, officiellement posté par accident, a été supprimé presqu’aussitôt.

Pas envie de voir sa tronche

La justice est passée, la peine est purgée. On dit que le gars « a payé sa dette », mais la bonne formule devrait être qu’il est « en règle administrativement ». Grand bien lui fasse. À présent, il doit gagner le pardon des autres. Mon fond chrétien — il faut bien que ça serve à quelque chose — me pousse à souscrire à la mythologie de la rédemption, mais sortir un disque pour donner aux Anglais des leçons à deux sous sur le Brexit, ça semble plutôt indécent et décalé qu’autre chose. Pour l’instant et pour longtemps, peut-être pour toujours, rien de ce que le chanteur pourra chanter ou dire ne me sera supportable. Pourtant je comprends bien qu’il n’a pas tellement le choix, il est chansonnier, c’est son métier, son talent, il doit avoir du mal à imaginer quoi faire d’autre. Si on me demande mon avis, je proposerais qu’il devienne pompiste en Alaska ou gardien de phare sur l’île Clipperton. Ou au moins, tant qu’à rester musicien, qu’il passe en coulisses, qu’il évite d’exposer son visage ou sa personne. Il pourrait par exemple écrire pour Michel Sardou, qui fait peut-être des chansons de con de droite sexiste mais qui au moins n’a pas la fin de l’existence de quelqu’un sur la conscience. Mais ça ne se passera pas, Sardou ayant eu la sagesse, lui, de prendre sa retraite.
Je n’éprouve pas de haine envers l’assassin de Marie Trintignant — quoique, en spectateur, j’aimais beaucoup cette dernière, sa voix grave, son œil un peu éteint, au point de redouter de revoir des films où elle apparaît —, je n’aurais aucune légitimité à éprouver un tel sentiment, mais les tentatives de come-back du chanteur provoquent chez moi une puissante et irrépressible bouffée d’irritation, parce que son envie de faire comme si tout était derrière lui me laisse la désagréable impression qu’il a été le premier à se pardonner, à s’absoudre, à vouloir effacer le passé, alors qu’il aurait dû être le dernier à le faire.

Eurovision 2017

Pour vous, hier, j’ai regardé l’Eurovision.
Je déteste quatre vingt quinze pour cent de ce que j’y entends mais j’aime bien ce spectacle quand même, impossible de dire pourquoi. À titre professionnel, je m’intéresse au travail réalisé sur les décors, souvent très high-tech (mais plutôt moins impressionnants cette année que d’autres). Et pour je ne sais quelle raison, l’habitude, sans doute, la distribution finale des notes m’hypnotise.
Norway, one point. Norvège, un point.

Image faussement glitchée, masque de soudeur serti de diodes façon Daft Punk bricolé et mélodie pop sucrée,… La Norvège a tenté de faire quelque chose mais on ne comprend pas bien quoi, on a l’impression du résultat du travail de plusieurs personnes qui ne se seraient jamais consultées.

Un jour par an, on prend des nouvelles de tout un tas d’autres pays du continent (élargi à des contrées telles que l’Azerbaïdjan, Israël et l’Australie) qui malgré l’éloignement géographique et culturel s’avèrent capables de contribuer à une même culture musicale composée de chansons que (je crois) presque personne n’aurait l’idée de composer dans un autre cadre, où des bad boys tout droit sortis de publicités pour gels capillaires pédalent dans une soupe eurodance 1990 et où la chanteuse Azérie tente de ressusciter la new wave berlinoise d’avant la chute du mur sur une mélodie variétoche improbable. L’Eurovision est un lieu hors du temps ou les époques se télescopent et où chaque pays tente avec plus ou moins de succès de faire valoir son identité, parfois à coup de polyphonies folkloriques, de percussions traditionnelles ou de violons tziganes.
Je dois dire que quand la chanteuse roumaine au physique de Kylie Minogue, en duo avec un faux rappeur, s’est mise à lancer de virtuoses yodles tyroliens avec une voix à la Dolly Parton, sur des rythmes militaires, je me suis dit que j’aurais dû lire en détail le projet de Frexit de François Asselineau.

...
Freddy Mercury et Luciano Pavarotti ont enregistré un duo. Le chanteur qui représentait la Croatie parvient au tour de force d’incarner les deux chanteurs à lui tout seul, puisqu’il est leur synthèse physique, vocale et artistique — avec un petit quelque chose d’Elton John et la barbiche de George Michael. Il est célèbre pour son homophobie affirmée, puisqu’il a notamment dit que les gays et lesbiennes ne sauraient bénéficier des mêmes droits que les hétérosexuels car ce serait « un retour à Sodome et Gomorrhe ». Son pays, il faut le dire, n’est pas spécialement gay-friendly et a même changé sa constitution par référendum pour interdire par avance toute possibilité d’un mariage homosexuel. Avec la Russie, la Serbie (cf. l’excellent film La Parade) et l’horrible Tchétchénie, est-ce que tous les pays dits « de l’Est » ont cette même fixation malsaine et parfois mortifère ? (je me pose vraiment la question)

Chaque année, les commentateurs français se plaignent de voir que les points sont distribués par « blocs » : bloc slave, bloc adriatique, bloc caucasien, bloc balkanique, bloc scandinave, bloc anglo-saxon (désormais renforcé par l’Australie), bloc baltique, bloc Mitteleuropéen… Le bloc francophone n’est pas très soudé et il n’existe pas de bloc « crâneurs arrogants », alors la France se retrouve un peu isolée et n’a pas remporté la compétition depuis quarante ans. La dernière fois c’était l’année de la naissance d’Emmanuel Macron, avec la victoire de la franco-portugaise Marie Myriam. Moi qui n’ai pas de mémoire, je m’en souviens comme si c’était hier. Hier, justement, c’est le Portugal qui a gagné, avec une chanson atypique servie par la jolie voix retenue d’un jeune homme dont on nous a appris qu’il attendait une greffe cardiaque et que sa santé est si fragile que sa sœur a fait les répétitions à sa place.

Au moment de l’annonce des points remis par Israël, le présentateur a dit avec tristesse que cette quarante-quatrième participation de son pays à la compétition serait la dernière du fait de la décision du gouvernement de Benjamin Netanyahu de démanteler l’audiovisuel public israélien.

On ne parle généralement pas de politique à l’Eurovision. Mais cette année, la Russie s’est vue disqualifiée de la compétition puisque la chanteuse qui représentait l’empire avait donné des concerts en Crimée, territoire disputé par la Russie et par l’Ukraine, pays organisateur cette année. L’an dernier, l’Ukraine avait remporté le concours avec une chanson inhabituellement sombre qui évoquait la déportation des Tatars de Crimée en 1944.

Mon bilan de l’édition de cette année est globalement négatif, tout était assez mauvais, rien ne m’en reste, j’ai perdu une soirée à regarder des gens se dandiner sur de la mauvaise musique. La France avait envoyé un R’n’b vaguement orientalisant d’orchestre de mariage ou de bar mitzvah, plus facile à oublier que la chanson de l’année précédente, du même compositeur. J’ai tout de même bien aimé la voix de la chanteuse belge, celle, légèrement voilée, de sa collègue allemande, et peut-être bien aussi celle de leur concurrente polonaise mais je n’ai entendu qu’un extrait de sa chanson.
Oui, je sais, tout ça n’est pas très intéressant, mais il fallait que je le dise à quelqu’un. Et ce quelqu’un, ce fut toi, infortuné lecteur.

Le régional de l’étape

Lorsqu’il a fallu nommer le nouveau théâtre de ma ville, les habitants ont fait leurs suggestions. Le nom le plus populaire a été celui d’un chanteur vivant : Michel Delpech, natif de la ville.
Ce n’est pas ce qui a été finalement retenu, mais le chanteur de Wight is Wight, pas rancunier pour un sou (mais correctement rémunéré, m’a-t-on dit) est tout de même venu donner un concert dans notre théâtre —  je me demande même si ce n’est pas lui qui a inauguré la salle. Si son nom n’avait pas été retenu, c’est notamment parce qu’entre temps il avait été constaté que le chanteur de Pour un flirt avec toi n’était absolument pas natif de la ville. Il semble qu’il y ait vécu quelques années de son adolescence, et que ça ait suffi à faire de lui un citoyen d’honneur semi-légendaire que tout le monde se vantait d’avoir presque eu comme camarade de classe dans tel ou tel établissement scolaire de la ville.

Je me demande si beaucoup de villes françaises se considèrent elles aussi un peu propriétaires de Michel Delpech. Je me demande dans combien d’endroit il a été invité à donner des concerts parce que la population se sentait liée à lui. J’aimerais bien écrire l’histoire d’une ancienne célébrité de la chanson dont le business-model aurait consisté à faire croire aux gens qu’il a vécu parmi eux et que s’ils ne l’ont pas personnellement connu, ils l’auraient pu.

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Michel Delpech est mort hier, à l’âge de soixante-neuf ans.

Dans sa chanson Inventaire 66, Delpech raconte tout ce qui se passait à l’époque, et terminait de manière comique chaque couplet par ce qui ne changeait pas : « Et toujours… le même président ». Quand j’étais enfant, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, j’avais la même impression en regardant la télévision : toujours les mêmes chanteurs. Chaque jour à midi chez Danièle Gilbert, chaque samedi soir dans Numéro 1, on subissait Claude François, Sylvie Vartan, Michel Sardou, Mireille Mathieu, Joe Dassin,… etc., etc., et bien sûr, Michel Delpech. Tous ces chanteurs de variété ont quasiment disparu du jour au lendemain avec l’arrivée des radios privées et du Top 50, qui nous faisaient entendre ce que nous écoutions vraiment, et pas ce que la télévision et la radio publiques jugeaient bon pour nos oreilles. Dans mon paysage musical personnel, Michel Delpech est resté associé à ces chanteurs de variété que nous avions vu disparaître du paysage audiovisuel avec un certain soulagement, comme le génération Michel Delpech s’était sans doute sentie victorieuse en voyant le Général De Gaulle abandonner le pouvoir.

De temps en temps, à présent, je réécoute Michel Delpech, ou plutôt, je l’écoute, car beaucoup de ses chansons m’étaient plus ou moins inconnues. Les deux titres qui m’avaient marqué, jusqu’ici, étaient Le Loir et Cher et Pour un flirt avec toi, que je n’aimais pas et que je n’aime pas plus à présent. Mais je comprends à présent ce que sa voix, sa bonne tête et ses ritournelles ont de plaisant. Pour aucune raison explicable, j’aime particulièrement Le Chasseur, et je ne déteste pas des tubes tels que Que Marianne était jolie, Wight is Wight et Quand j’étais Chanteur.