La mort de Jacques Faizant

Non non non, je ne viens pas de découvrir que Jacques Faizant était mort alors que son décès a eu lieu en 2006. Je viens par hasard de me souvenir d’une histoire amusante.
Il y a dix ans, en août 2005, j’ai consacré une page assez lapidaire à Jacques Faizant sur Wikipédia. Elle ne contenait que ces deux lignes :

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J’y suis revenu quelques fois, en ajoutant des éléments. Certains étaient un peu douteux du point de vue des règles de neutralité de Wikipédia, car même si rien n’était vraiment faux dans l’article, la citation que j’attribuais à Faizant était sortie d’un chapeau (certainement exacte mais sans mention de source), certaines formules étaient clairement orientées (« une sensiblerie un peu mièvre à l’égard du Général De Gaulle ») et d’autres étaient dramatisées, comme le fait de dire que Faizant avait été « évincé » de son journal. Ce n’était pas un très bon travail de ma part, je suis obligé de le reconnaître.

Quelques mois plus tard, Jacques Faizant est mort. En lisant la nécrologie (non signée) du Monde, j’ai eu la surprise d’y voir une phrase intégralement tirée de « mon » article, et des formules ou des idées reprises assez littéralement.

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Encore mieux, les nécrologies de divers autres titres de la presse ne faisaient elles aussi que paraphraser l’article de Wikipédia, en changeant l’ordre et l’importance des éléments. Je crois que ces divers titres s’étaient en fait appuyés sur la dépêche AFP parue pour l’occasion.

C’est la première fois que j’ai constaté un usage aussi flagrant de Wikipédia dans la presse. Ça n’a bien entendu pas été la dernière. L’année suivante, Pierre Assouline entamait sa campagne contre Wikipédia qui était à ses dires un média irresponsable, puisque dépourvu de la déontologie, de l’objectivité et du professionnalisme de l’élite (dixit) du pays : les journalistes.

Aujourd’hui, les éléments contestables qu’on peut me reprocher d’avoir écrit dans l’article en ont disparu, et tant mieux, mais ils survivent dans les archives d’un quotidien de référence paraissant le soir.

Pessimiste, moi ?

Au Japon, le premier ministre Shinzo Abe demande aux universités du pays la suppression de l’enseignement des sciences humaines qui, selon son ministre de l’éducation, ne servent pas les besoins de la société, contrairement à l’enseignement des sciences « dures » et des technologies. Un tiers a d’ores et déjà accepté, les plus prestigieuses universités résistent.
Ceci étant dit, la méthode a le mérite de la franchise : en France, on poursuit le même résultat mais de manière bien différente : en supprimant des moyens et en augmentant la charge de travail, les obligations, en fixant des objectifs absurdes et en instaurant un étouffant climat d’évaluationnite. Et en regardant l’enseignement supérieur s’effondrer.
Le même gouvernement japonais revient sur la doctrine constitutionnelle qui impose le pacifisme au Japon et qui est en vigueur depuis plus de soixante ans. La rue résiste, les Japonais sont attachés au pacifisme et ne veulent pas spécialement envoyer de soldats épauler les États-Unis dans divers conflits moyen-orientaux, mais il n’est pas sûr que ça suffira à empêcher la réforme d’être entérinée. Non seulement le Japon risque de re-devenir un état martial (ce qui n’a jamais été son meilleur rôle, historiquement parlant), mais l’opinion du peuple n’est plus prise en compte par ses dirigeants.

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Daesh semble avoir d’abord été financé des monarchies du Golfe, qui y voyaient un outil apte à servir leurs intérêts dans la chute de tel ou tel régime de la région, et dans le cadre des conflits entre musulmans sunnites et chiites ou dans le but de faire définitivement disparaître juifs, chrétiens, zoroastriens, et autres groupes minoritaires. Aujourd’hui que la créature échappe à ses créateurs, l’Arabie Saoudite ne veut pas accueillir de réfugiés syriens (et tant mieux pour ces derniers, sans doute, car ce n’est pas le pays le plus sympathique avec les étrangers venus de pays plus pauvres), mais propose de financer la construction de centaines de mosquées en Europe occidentale pour continuer de faire tourner son épicerie : comme Lourdes chez les chrétiens et Disneyland chez les capitalistes, la Mecque est un passage presque obligé pour tout musulman, et par conséquent un business rentable qui se nourrit de l’argent d’une multitude de pauvres. Et avec la baisse du prix du pétrole, il faut bien trouver l’argent quelque part.

Les gouvernements européens veulent rétablir le contrôle aux frontières comme si à la première crise, au premier mouvent de panique médiatique, ils craquaient, et nous disaient : « finalement, ce sont les fachos, les nationalistes, qui ont toujours eu raison, nous on faisait semblant mais en fait on n’y croyait pas vraiment ». Et à l’école, tout en affirmant le contraire, on revient à l’esprit des programmes en histoire qui avaient court sous la troisième république : roman national fait de héros. Peut-être plus les mêmes héros, sans doute plus le même roman, mais apparemment la même ringarditude. Et une dictée par jour, histoire de faire croire qu’on n’apprenait plus l’orthographe à l’école. Comme une manière de dire : « finalement, c’est Zemmour et compagnie qui avaient raison, on faisait semblant mais on n’y croyait pas vraiment ».
Un grand bravo aux médias, c’est leur œuvre, puisqu’ils semblent prendre un malin plaisir à créer des alternatives caricaturales du genre : « êtes-vous pour les hippies permissifs ou faut-il apprendre à lire aux enfants ? » – « êtes-vous pour un moratoire sur la légendaire générosité des Français ou préférez-vous laisser des étrangers entrer chez vous et voler vos biens sans un merci ? » – « Allez-vous voter Marine Le Pen aux prochaines élections ou voulez-vous attendre encore un peu ? ».

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De nos jours, on répond aux problèmes par des lois. Non pas des lois qui proposeraient une solution claire à un problème bien circonscrit, mais des lois que ne comprennent même pas ceux qui les votent et où, en tout cas, aucun principe d’efficacité n’est pris en compte : Afin de promouvoir la laïcité (impartialité de l’État face aux religions), on cible spécifiquement les populations musulmanes ; Afin d’empêcher les jeunes filles de risquer leur vie à cause de l’anorexie, on met en prison ceux qui promeuvent l’anorexie sur Internet, c’est à dire les anorexiques qui se regroupent sur des forums ; Afin de lutter contre le trafic d’êtres humains, on précarise les prostituées et on pénalise leur clientèle ; bientôt, afin de lutter contre les ongles incarnés du pied droit, on instaurera l’obligation de se tirer une balle dans le gauche. Et si on n’est pas d’accord avec la loi, c’est qu’on est favorable à ce qu’elle affirme combattre.
Nos députés sont-ils eux-mêmes des imbéciles, ou bien tirent-ils parti de l’imbécillité croissante ? Aucune réponse à cette question ne me rassurera.

Autrefois on nous promettait que les robots supprimeraient les tâches ingrates et travailleraient pour nous. Aujourd’hui on nous annonce que les robots vont juste nous mettre au chômage, car ceux qui les possèdent ne veulent pas partager le labeur épargné ni l’argent économisé. Et puisque le nombre d’entreprises publiques est appelé à être réduit comme peau de chagrin (il paraît que ça va à l’encontre de la croissance, ce fameux indice qui fait primer l’argent sur ce qui en est fait), on ne risque pas que l’intérêt de tous prime sur les intérêts particuliers.

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Le monde qui est en train de se construire — ou de se détruire, c’est selon — fait de la peine. On n’était pourtant pas si loin d’arriver à une forme de la civilisation véritable, pourtant !
Espérons que nos descendants essaieront de faire mieux au prochain reboot.

(photos : rien à voir, deux-trois vues du Havre où je suis passé cette semaine)

Comment j’ai participé à faire courir la rumeur du décès d’Albert Jacquard

J’étais tranquillement devant mon mur Facebook lorsque je vois qu’un article du Point, partagé par deux amis, annonce la mort d’Albert Jacquard. Je clique, je vois la date : le 12 septembre à 12:33. Nous sommes le 13. Je vérifie sur Wikipédia qui confirme que le décès date du 11 septembre. Cela me rappelle aussitôt une anecdote sans intérêt que je m’empresse de partager sur Twitter :

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J’annonce la nouvelle à Nathalie : Albert Jacquard est mort. Elle veut le partager sur Facebook mais se refuse, contrairement à moi qui n’ai pas eu tant de scrupules, à le faire avec un article du Point. Elle se rend donc sur Google News à la recherche d’un article sur le sujet qui émanerait d’un média moins pouacre, mais impossible, personne n’en parle !
Ni une ni deux, je me rue sur Twitter pour me plaindre de l’algorithme de Google.

albert_jacquard_death_troubleshootingEt là, évidemment, tout le monde se paie ma tête, Albert Jacquard étant mort non pas il y a deux jours mais il y a deux ans et deux jours.
Du reste, je le savais, puisque j’en avais parlé sur Twitter à l’époque. On remarque que j’avais sorti la même anecdote et que Duncan m’avait répondu exactement la même chose :

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Parfois, Twitter, c’est un peu Un jour sans fin. Non pas parce qu’on se répète, car ça on le fait aussi dans nos conversations de tous les jours, mais parce que ce qu’on a dit, répondu, pensé tout haut, reste gravé dans le marbre de quelque data center lointain, et pourra être retrouvé : on peut oublier des choses soi-même, mais elles nous seront rappelées.

À présent, la rumeur de la mort toute récente d’Albert Jacquard va continuer à être diffusée, par ma faute, et ceux qui la propageront seront à leur tour raillés pour leur manque d’attention1. Je ne me souviens plus avec quelles personnalités mais ça m’était déjà arrivé. En fait, il m’arrive de temps en temps d’oublier que quelqu’un que j’ai connu, dont j’ai parfois été proche, dont j’ai parfois vu l’enterrement, est mort. La mort est une expérience un peu irréelle, on ne peut par définition jamais la vivre soi-même, et si on est capable d’accepter qu’une personne continue d’exister lorsqu’elle est sortie de la pièce où nous nous trouvons, pourquoi ne continuerait-elle pas d’exister après le jour où sa famille nous a envoyé son faire-part de décès ?

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Bon, ben, au revoir Albert Jacquard ! Désolé d’avoir participé à faire courir le bruit de votre décès, même si ça ne change pas grand chose.
Et une petite pensée pour les scientifiques humanistes de la télévision de mon enfance, les Tazieff, Jacquard, Cousteau, Bombard, Lévi-Strauss, qui nous disaient que le monde était grand, beau, mais aussi très fragile, et qui ont été remplacés dans le poste par des philosophes polémistes nationalistes mesquins pour qui il est urgent que chacun rétrécisse son horizon, ferme ses frontières et agite fièrement le drapeau de son minuscule pays.

  1. Mise-à-jour 13/09/2015 à 18:21 : parmi bien d’autres, le journal Sud-Ouest ou encore Michel Field ont fait la même erreur. Slate a écrit un article à ce sujet, j’y suis même cité !
    Mise-à-jour 15/09/2015 à 09:48 : 20 Minutes me cite aussi, mais vraiment de travers. Enfin, le grand quotidien belge Le Soir a consacré une page à l’affaire, et j’y suis même interviewé ! []

Le caillou, Jésus, le pape et tous les saints


caillou(en fouillant mes archives, je tombe sur ce court texte imprimé avec une imprimante matricielle et daté de décembre 1991. J’aurais pu changer la ponctuation et une partie du vocabulaire, qui ne ressemblent plus à ma manière d’écrire aujourd’hui, mais j’ai préféré laisser le texte tel qu’il a été écrit à l’époque. Je ne pense pas qu’il y ait un sens profond à chercher)

Un caillou sur le bord d’un chemin, et qui était persuadé d’être une montgolfière, vit passer près de lui le pape, Jésus Christ et tous les saints. Le caillou, croyant que ces hommes n’étaient rien d’autre que des hommes comme les autres, espérait secrètement que l’un d’entre eux déciderait de monter dans la nacelle – puisqu’une montgolfière a une nacelle – et qu’ainsi ils s’envoileraient. Ici, je dois m’arrêter pour signaler que les cailloux – celui-ci du moins – s’imaginent que ce qui fait voler une montgolfière n’est pas l’air chaud qui gonfle la toile mais l’homme dans la nacelle. Le miracle survint lorsque Jésus posa son doux regard sur le caillou qui venait justement de frapper (sans bouger, pourtant) l’ongle incarné du gros orteil du messie (Jésus marche pieds nus). Le sauveur prit le caillou dans sa main, puis le jeta le plus haut qu’il pût (Habituellement, on jette les cailloux horizontalement, mais pour Jésus, c’est vers le haut), au cri magique de « Père ! je veux des chaussures ! ». Le caillou retomba sur la tête de Saint-Pierre, qui en fut fâché, ce qui déclencha un débat musclé entre le sauveur, Saint-Pierre, le pape et tous les saints.

Le caillou réfléchit un peu. Tout, depuis sa rencontre avec le Messie avait changé. Il savait maintenant (lui le caillou des chemins peu fréquentés, lui par conséquent inculte et ignorant) que l’on pouvait voler sans qu’un homme montât dans une nacelle. Il suffisait donc de dire « Père, je veux des chaussures », et c’était tout. Il essaya de prononcer la phrase plusieurs jours et plusieurs nuits durant, mais rien n’y fit, les cailloux ne parlent pas. Il essaya bien de pleurer mais pas une larme ne coula sur les joues qu’il n’avait pas. Ce fut pour lui l’âge de raison. Il n’était qu’ un caillou, et enfin il le savait. il voulut prêcher, expliquer à tous les cailloux qu’ils n’étaient que des cailloux, mais il en fut incapable physiquement, et quand bien même il aurait pu le faire, les autres ne l’auraient pas écouté : ils n’écoutent qu’eux-mêmes et se persuadent en leur for intérieur qu’ils sont des montgolfières.
En fait, ce ne sont que des cailloux.

La volonté

J’aime ces petites victoires contre moi-même comme lorsque je trouve la volonté nécessaire pour m’empêcher d’acheter un DVD. Je suis un site, je me demande si c’est raisonnable, je sens bien que l’envie d’acheter monte et que je vais finir par cliquer, mais je réfléchis : quand est-ce que je trouverai le temps de le voir ? Est-ce qu’on doit vraiment être curieux des pires productions du cinéma de science-fiction ? Une petite voix finit par trouver la force de me convaincre en me disant : « une autre fois ». Je reprends ma respiration.
J’aime ces moments où je sens que tout n’est pas perdu, que je peux choisir le devoir contre le plaisir.
Évidemment, ça déraille un peu quand, pour me récompenser moi-même d’avoir bien fait, je décide d’acheter un autre film.

Les sauvages

Je remarque que, une fois âgé, Alain Delon (enfin l’image d’Alain Delon jeune) est devenu « l’ambassadeur » du parfum Eau Sauvage.
Je remarque que Johnny Depp est quant à lui le représentant du parfum Sauvage, et qu’il a tout juste cinquante-deux ans.

sauvages

J’en déduis que lorsqu’on commence à devenir un vieux beau, on a envie de se voir en sauvage. Et là j’imagine un cardiologue avec nœud papillon qui essaie de convaincre sa secrétaire d’aller en week-end à Cabourg.
Sauvage, quoi.
Si j’étais lacanien, je remarquerais que dans « sauvage » il y a « sauve » et « âge », donc, derrière la fragrance, ce cri : « sauve-moi de mon âge ».
Mais tu parles, la secrétaire, un mec qui a l’âge de son père, qui cocote et qui parle toute la journée de son classement au golf, du nombre de chevaux de sa voiture et de son redressement fiscal, ça ne la fait pas rêver.