Italo Calvino à Cormeilles

Mon père possédait une toute petite salle dont il laissait l’usage à des associations de la ville, et principalement à l’association Plaisir de connaître, un cercle culturel sans subventions tenu par une mère et sa fille qui vivaient ensemble et semblaient n’exister que pour cette activité bénévole. Elles annonçaient leurs événements avec des affiches sérigraphiées dans le garage de leur pavillon1. Elles invitaient des conférenciers2 et projetaient des films3, dont les séances étaient suivies de débats érudits. Tout le monde clopait dans trente mètre carrés4, et l’endroit était un haut lieu de contestation au maire. Le mercredi, j’y faisais du théâtre, et notamment du théâtre de marionnettes.

En 1979, nous avons monté une adaptation en théâtre d’ombres des aventures de Marcovaldo, par Italo Calvino. L’auteur, qui vivait à Paris, à quinze kilomètres de chez nous, est venu en personne assister à la représentation, le 19 janvier 1980. J’étais excité comme une puce, je me souviens que j’avais tenté de faire de l’humour mais que j’avais été le seul à me comprendre. On transmet parfois mal son propos quand on a dix ans.

calvino

Il y a quelques heures, cherchant les légos de son enfance dans le grenier qui se trouve au dessus de mon bureau, mon frère a retrouvé un vieil album de photographies que je prenais avec mon premier appareil, un Kodak Instamatic pocket qui s’utilisait avec des films montés en cartouche, au format 110. Il reste six photos de cette soirée. On voit un peu le spectacle, on voit Calvino, et je reconnais deux jumelles qui étaient dans ma classe, dont le père était maréchal-ferrand, car ça existait encore. Je sais que les organisatrices ont pris d’autres photos, bien meilleures, dont une avec moi, mais elles sont mortes aujourd’hui.

Presque au même moment, mais je ne sais plus dire si c’était avant ou après, un ami de ma grand-mère, Robert Rocard — l’oncle de Michel, pour la petite histoire —, m’a confié sa traduction d’un recueil de contes populaires italiens réunis par Calvino, et laborieusement tapée à la machine par ses soins. J’en ai éparpillé les pages, car celles-ci n’étaient pas reliées.
Des années plus tard, j’ai réellement découvert, et profondément aimé, la littérature à la fois cérébrale et sentimentale d’Italo Calvino. Et j’ai longtemps été peiné de ne pas retrouver de photographies de cette soirée là.

  1. Le dessin des sérigraphies n’était pas réalisé par insolation, mais directement avec une peinture au latex. []
  2. je me souviens de René Dumont, de Jean-Claude Guillebaud et de Raymond Depardon. []
  3. je me souviens vivement de Phase IV, le film fantastique de Saul Bass, et de deux films de Kurosawa qui m’ont marqué à jamais, Les Sept Samouraï et Dersou Ouzala. []
  4. Souvenir erroné de ma part, j’avais dix-onze ans, cf. le commentaire de ma mère plus bas. []

8 réflexions au sujet de « Italo Calvino à Cormeilles »

  1. « dont le père était maréchal-ferrand, car ça existait encore. » Tu veux nous faire croire que tu as grandi au XIXe siècle ?

    Maréchal-Ferrant ça existe toujours, il n’y en a ni plus ni moins que durant ton enfance, et c’est quasi-exclusivement, comme à l’époque, lié à l’équitation de loisirs.

    1. @Wood : mais quand j’étais petit, il y avait des fermes chez moi, tu sais ! L’atelier du maréchal-ferrand (pour l’équitation de loisir, sans aucun doute) se trouvait dans la grand’rue. S’il en existe toujours dans ma ville, ce n’est plus là.

      1. Les anneaux des murs encore visible çà et là par chez nous étaient surtout encore utilisés pour de l’utilitaire. A la Frette, des gens tiraient des ânes et des baudets avec du lilas et des pommes de terre. A Cormeilles, Daphné m’a dit voir passer de temps en temps des chevaux qui trimbalaient des trucs. Docilement accrochés au murs comme dans un bon vieux western. Aujourd’hui les chevaux Cormeillais passent encore, montés par des flics municipaux… Ceux de loisirs sont cantonnés dans les bois.

        1. @pierre : je me souviens aussi de charrettes tirées par des chevaux; mais c’est trop loin pour que je sache s’ils sont sortis d’une photographie, de mon imagination, ou si je les ai vraiment vus.

  2. Merci pour la belle histoire dont les images ont un un petit côté lanterne magique ! L’on irait au bout du monde pour voir des spectacles d’enfants, je comprends Italo Calvino. Mon père me lisait d’ailleurs Le baron perché, enfant, c’est resté un souvenir merveilleux, pour nous deux.

  3. Pour une fois ta mémoire te fait défaut! Sur un point de détail cependant: on ne clopait pas au local! La vue d’une cigarette rendait Françoise quasi hystérique, et les fumeurs étaient priés de sortir sur le trottoir. Quelques quinze ou vingt ans plus tard, Françoise est morte d’un cancer du poumon, mais les séances au local n’y étaient pour rien.

    1. @Marit : ah oui, je me souviens qu’elle détestait le tabac et qu’elle avait été brûlée, aussi. Je ne sais pas pourquoi je revois les gens fumer.

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