J’apprends que le ministère de l’intérieur recense les tweets qui se réjouissent du massacre dans les locaux de Charlie Hebdo, avec pour projet d’engager des poursuites judiciaires qui pourront coûter cher à leurs auteurs : jusqu’à sept ans de prison. Je suis allé voir des tweets de ce genre, des tweets qui considèrent douze assassinats comme une réponse équitable à des dessins1.
Je ne sais pas si j’aurais dû chercher à les lire, ils me donnent la nausée par leur nombre et par la décontraction de leurs auteurs à deviser de vies humaines brutalement interrompues, entre des considérations sur un match de football, sur leurs vies de lycéens ou sur la pizza qu’ils projettent d’acheter.
Voilà un aperçu, qui, j’imagine, ne tombe pas sous le coup de la loi (on en trouve de franchement plus dérangeants, en tout cas), mais pour lequel je préfère tout de même masquer les visages et les noms :

On peut aussi très aisément trouver aussi toutes sortes de théories complotistes, nées dès les premières minutes de la tragédie.
Le plus intéressant dans ces théories n’est pas tant qu’elles soient absurdes2, c’est que ceux qui les relaient semblent s’y raccrocher y compris lorsqu’elles sont résolument incompatibles. J’ai vu par exemple une personne qui était à la fois satisfaite de voir sa religion vengée dans le sang, mais qui considère que le policier abattu sur la vidéo ne l’a pas été (les assassins avaient des balles à blanc ? Des armes en plastique ?), qui est « troublé » par le changement de couleur des rétroviseurs de la voiture d’une image sur l’autre, trouve l’histoire de la carte d’identité un peu grosse, accuse les journalistes d’avoir été prévenus avant, et enfin considère que les meurtriers, qu’il appelle ses « frères », ne sont pas réellement morts. Si l’on croit à tout ça en même temps, on ne peut comprendre les motivations d’aucun acteur de la tragédie. Tout le monde n’aime pas la logique.
Si tous ces tweets mettent mal à l’aise, il ne faut à mon avis pas pour autant les punir (sauf appel au meurtre bien entendu) et encore moins les censurer, il faut avant tout les lire, pour essayer de comprendre la psychologie et le système de références de leurs auteurs. On ne guérit pas la rougeole en cognant sur chaque bouton avec un marteau, ni en les cachant. Les idées qu’expriment ces tweets ne vont pas disparaître juste parce que nous tournons la tête ailleurs. Il faut comprendre ce qui a déraillé, comprendre pourquoi, dans un pays réputé prospère, bénéficiant d’un système éducatif théoriquement partagé, des adolescents ou de jeunes adultes se sentent à ce point frustrés, humiliés, victimes d’injustice, qu’ils sont prêts à se réjouir du meurtre d’une poignée d’auteurs de dessins de presse.
- Voir aussi les témoignages de profs de collège et de lycée, dont beaucoup d’élèves ont mal réagi à la « minute de silence » imposée, faisant des commentaires relativisants ou même approbateurs. [↩]
- Mon « information » complotiste favorite restera une photo montrant François Hollande faisant un selfie sur les lieux de la tragédie, le sourire aux lèvres… Montage, évidemment. [↩]