Pourquoi je ne comprendrai jamais la psychanalyse

(Pour un long trajet en train, vendredi dernier, j’ai acheté le Charlie Hebdo de la semaine. J’aime bien avoir un journal dans le train, même si je ne le lis en général pas très attentivement. Souvent, ce journal est Charlie Hebdo, que je n’ai pas d’états d’âme à abandonner sur place : si quelqu’un d’autre veut le lire, si quelqu’un veut vérifier que Charlie n’est pas exactement le brûlot raciste que disent certains, eh bien libre à cette personne de le faire. Tout ça pour dire que je n’ai plus le dernier Charlie Hebdo sous la main, et que je vais parler d’un article de mémoire)

L’article est celui d’un psychanalyste1, qui parle d’un client âgé de dix-sept ans qui a fait un séjour dans une institution psychiatrique après des crises d’angoisse et des bouffées délirantes. En enquêtant, le praticien découvre un élément majeur de l’affaire : le jeune homme était très engagé dans les luttes contre la loi Travail, a beaucoup manifesté, et ses crises d’angoisse sont directement consécutives à une forte exposition à des gaz lacrymogènes.
La suite est intéressante : pour moi qui ne réfléchit pas très loin, l’affaire est entendue : les gaz lacrymogènes sont de puissants neurotoxiques interdits en temps de guerre comme arme contre ses ennemis, mais étrangement autorisés en temps de paix comme moyen de calmer les citoyens qui ne se tiennent pas sages. Il existe plusieurs molécules différentes de gaz utilisés par les forces de l’ordre mais il semble que plusieurs d’entre celles qui sont employées sont connues pour provoquer, justement, de fortes crises d’angoisse chez ceux qui y ont été exposés — et pour causer des séquelles durables de l’appareil respiratoire, mais c’est une autre question, peut-être2.

Sylvain SZEWCZYK (CC BY 2.0)
Photographie de Sylvain Szewczyk (licence CC BY 2.0)

Si vous faites le même raisonnement que moi, peut-être aurez-vous du mal à comprendre les conclusions du psychanalyste auteur de l’article. Pour lui, l’important est invisible pour les yeux, et les yeux ne pleurent pas à cause du gaz ni à cause du tarif de la consultation, mais pour des raisons plus profondes et moins triviales : le jeune homme a dans sa famille quelqu’un qui n’est pas revenu des camps, et qui avait d’ailleurs son âge. Alors voir les fumées policières et lire des slogans tels que « CRS=SS » ou « Bernard Gazeneuve » lui a fait remonter les heures les plus sombres de l’histoire de sa famille, qu’il tentait jusqu’ici de refouler avec énergie. Le gaz ne lui a pas fait du mal, il lui a rappelé le gaz des camps d’extermination. Par association d’idées.

Voilà exactement ce qui me gène profondément avec la psychanalyse : elle écarte ce qui est évident, au profit d’une improbable construction intellectuelle qui relève du se non è vero è bene trovato : si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé.
Ce qui impressionne souvent, avec la psychanalyse, c’est que c’est une marotte de gens intelligents, et l’intelligence force le respect. C’est un peu comme le complotisme. Il s’agit d’ailleurs peut-être de deux réponses semblables (l’une appliquée à la psychologie, l’autre à l’actualité) à un même sain besoin de regarder au delà des apparences. Mais l’une et l’autre souffrent d’un même caractère systématique : ce qu’on voit est faux, ce qu’on ne voit pas est vrai, ce qui semble simple doit être complexifié jusqu’à perdre tout lien avec une quelconque réalité, et ce qui ne relève pas du jeu intellectuel sophistiqué est décidément trop trivial pour mériter d’être considéré.
Je sais ce qu’on va me dire : je prends un exemple extrême, pas forcément représentatif de toute la profession, etc. Mouais.

  1. Le goût béat pour la psychanalyse est pour moi la plus horripilante scorie du passage du sinistre Philippe Val à la tête de l’hebdomadaire bête-et-méchant. []
  2. Peut-être, mais peut-être pas, car rien n’est plus angoissant que d’avoir des problèmes pour respirer, surtout en en ignorant les raisons. []

Le Dieu miséricordieux

Les malheureux Charb, Tignous et Cabu se sont fait imposer cette semaine une légion d’honneur dont beaucoup pensent qu’ils l’auraient refusée de leur vivant. Ce geste autoritaire de la part de l’État est assez banal : d’innombrables gens morts dans les tranchées où on les avait envoyés contre leur gré, souvent contre leurs convictions personnelles, en sont revenus  médaillés. Il n’en reste pas moins un peu malhonnête de laisser entendre que les journalistes de Charlie Hebdo sont « morts pour la France », comme il est malhonnête, du reste, de décider qu’un français terroriste n’est plus français. Je crois que, parmi les survivants — c’est à dire ceux qui pouvaient refuser ou accepter leur médaille —, seul l’urgentiste Patrick Pelloux (et je n’ai rien à y redire, ce n’est pas une critique) a reçu la décoration qui fait de lui, je le cite, «chevalier de la légion du bonheur d’être en France».

Pour la couverture du numéro anniversaire, Riss, qui, rappelons-le, a pris une balle dans l’épaule le 7 janvier, désigne le dieu monothéiste comme coupable :

assassin_court_toujours

J’apprends que cette image chagrine le président du Conseil français du culte musulman, Anouar Kbibech, qui dit dans Le Parisien :

«Globalement, nous avons besoin de signes d’apaisement, de concorde. Manifestement, cette caricature n’y contribue pas au moment où l’on a besoin de se retrouver côte à côte. Elle vise l’ensemble des croyants des différentes religions. Il faut respecter la liberté d’expression pour les journalistes mais aussi la liberté d’expression des croyants»

J’essaie de comprendre le message de manière un tant soit peu positive, mais ce que je lis en fait, c’est une mise en balance étrange : la liberté d’expression pour les journalistes, d’une part, et la liberté d’expression des croyants d’autre part, comme si ces deux libertés s’excluaient mutuellement. À moins de considérer le meurtre de journalistes comme une liberté d’expression des croyants, il n’y a pas de raisons que ces deux libertés soient incompatibles. Aucun journaliste de Charlie Hebdo n’a jamais réclamé la censure d’un curé ou d’un imam, critiquer les religions ne revient pas à leur interdire de s’exprimer, et la liberté des religions ne dont pas consister à nier la liberté des athées.
Enfin, ne devrait pas, puisque nous savons que dans bien des lieux et des époques il en va autrement. J’espère que le président français du Culte musulman proteste (au moins de manière intérieure — car après tout ce n’est pas spécialement son rôle) lorsque l’Arabie saoudite décapite des gens qui ont renoncé à leur religion.
Soyons honnête, une fugace bouffée de haine m’a envahi lorsque j’ai lu ces mots. Mais c’est vite passé, je me doute que cette personne ne comprend pas à quel point il est inacceptable pour ceux qui aiment la liberté d’imaginer que la paix se fasse au prix de l’interdiction de parler. Et puis je sais aussi que lors d’une interview, on peut être maladroit et mal inspiré, formuler son propos de manière à dire autre chose que ce qu’on voudrait si on avait eu un peu plus de temps pour le faire.
Le monsieur m’a finalement amusé :

«Je ne me reconnais pas dans cette image de Dieu contraire aux valeurs véhiculées par les religions monothéistes. Dieu est pour moi symbole de miséricorde. Un Dieu miséricordieux, c’est un Dieu qui incarne des valeurs de paix, de fraternité»

Bien sûr, le body-count de quelques millénaires d’existence du Dieu miséricordieux contredit un peu son penchant pour la paix et la fraternité, mais ce qui m’amuse le plus dans cette citation, c’est le début de la première phrase : se reconnaître dans une image de Dieu, voilà qui semble assez présomptueux, mais que j’interprète comme l’aveu implicite de ce que ne sont pas les Dieux qui font les hommes, mais les hommes qui font les Dieux. N’est-il pas étrange, au fait, de se demander si un croyant doit souscrire à la vision qu’un athée donne de Dieu ? Il est évident que ce n’est pas de Dieu lui-même que veut parler Riss, mais bien de ceux qui prétendent être son bras armé.
Enfin, espérant peut-être donner le coup de grâce, l’interviewé termine en jugeant le dessin de Riss «médiocre sur le plan artistique». Eh bien voilà, on y arrive : ça c’est de la liberté d’expression ! La liberté d’expression des uns ne consiste pas à obliger les autres à se taire, ce n’est pas d’interdire un dessin, c’est le droit de donner son avis, y compris lorsqu’il porte sur un sujet aussi subjectif que l’appréciation d’un dessin.

Liberté de conscience, mais nuancier imposé

Pour la banque d’images Shutterstock, on a le droit de choisir en quoi on croit : on peut être athée ou normal. Par contre on ne choisit pas son nuancier, les athées n’ont droit qu’à des couleurs toutes tristes :

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On remarque que le mot-clé « Christian » amène souvent des images de groupes, tandis que les athées n’ont pas l’air sociables, ils sont généralement tout seuls.

Le doute religieux n’a pas l’air d’être une expérience très gaie non plus, comme on le voit avec l’image suivante qui montre un « jeune homme caucasien interpellant dieu pour lui demander pourquoi il permet tant de souffrance en ce monde ».

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Les fondements de la foi

Discuter de religion avec des croyants ouverts et disposant d’un haut niveau de connaissances en théologie et en philosophie est toujours assez intéressant, parfois déroutant : mettre autant d’intelligence au service d’une idée du monde qui ne pourra, par définition, jamais être prouvée, force le respect.

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Magique Croatie : Maja Šuput, la Madonna des Balkans se produisait pour la fête de Kukljica (Dalmatie), dédiée à Notre-dame-des-neiges.

Mais toute cette culture et cette astuce ne sont-elles pas qu’un vernis dédié à justifier et à rationaliser une croyance personnelle bien moins sophistiquée, plus enfantine, dont le fondement ne serait pas une foi sincère en une divinité, mais plutôt l’envie de croire en soi, en la famille, la culture, le pays dont on est issu ?

J’aime observer les étranges mélanges de genre, les télescopages qui se créent entre des religions à vocation universelle, telles l’Islam et le Christianisme, et la pratique effective de ceux qui s’en réclament.

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La fête de Saint Laurent1, dans le village de Kali en Dalmatie. Pendant les processions d’une figure taillée du saint patron du coin, les gamins achètent des armes en plastique. La tradition est ancienne, mais avant la guerre (finie en 1995), les armes étaient des jouets colorés. Aujourd’hui, il s’agit de répliques qui sembleraient pour la plupart très réalistes si elles pesaient un peu plus lourd.

L’essence de la religion ne se trouve pas dans les extases mystiques ou les traités de théologie, le fondement de la foi, c’est que des gens pensent que Jésus soutient le Hajduk de Split contre le Dynamo de Belgrade.
Ils ne croient alors en Dieu que parce qu’ils ont besoin d’imaginer qu’une puissance infinie a de la foi et de l’amour pour leur équipe de football, leur armée, eux-mêmes.

  1. Gardien des biens de l’Église au troisième siècle de notre ère, Saint Laurent a fâché l’empereur du moment, qui réclamait l’intégralité des biens de la papauté, en lui amenant des orphelins et en affirmant qu’il s’agissait là l’unique trésor de l’Église. L’astuce n’a pas fait rire l’empereur, qui a supplicié le saint sur un gril. []

Croyants, mon œil

Certains croyants disent « Dieu va vous châtier ». Par impatience, peut-être, les mêmes n’hésitent parfois pas à se charger eux-mêmes de l’exécution du jugement divin. D’autres encore expliquent quels livres saints sont les seuls bons, expliquent ce qu’il faut comprendre aux phrases obscures des textes sacrés et s’efforcent de trouver un sens obscurs aux pensées les plus claires. Ils n’hésitent pas à jurer qu’il n’y aura jamais de nouveau livre, de révision, et donc que l’éternel ne changera plus jamais d’avis sur rien.

"toutes nos lignes sont occupées mais un opérateur va vous répondre"
« toutes nos lignes sont occupées mais un opérateur va vous répondre. Dans un souci d’amélioration de nos services, cette conversation est susceptible d’être enregistrée. Coût de l’appel : 0,34 centimes la minute » –> on n’est jamais sûr de pouvoir parler directement à Dieu mais il a toujours besoin de fric et on trouve toujours des volontaires pour s’occuper de l’encaissement.

En affirmant savoir ce que l’entité divine pense, veut, va penser, voudra, fera, c’est à dire en dictant à Dieu sa conduite, ne sont-ils pas les plus grands blasphémateurs qui puissent être ? Ou plutôt, ne trahissent-ils pas le fond de leur pensée, consciente ou non, qui est qu’il n’est aucun Dieu, et que le mot « Dieu » n’est jamais qu’une manière de parler de soi ? « Dieu veut », « Dieu aime », « Dieu n’aime pas », sont autant de manières de dire « Je veux », « J’aime », « Je n’aime pas ». Ils n’exécutent pas la volonté de Dieu, ce qu’ils nomment Dieu n’a jamais été rien d’autre que le produit de leur volonté, et ce n’est donc pas un hasard si les ordres divins ne sont transmis qu’à un ou deux prophètes choisis, sans témoins.

Théorie du complot, religion et maturité

Je remarque que dès que l’on parle d’un complot, c’est à dire d’une stratégie cachée, des gens crient à la « théorie du complot ». Or l’histoire regorge évidemment de complots, et parfois de complots abominables et tordus, comme la tactique employée notoirement par les États-Unis (et sans doute bien d’autres) pour décrédibiliser ceux qui lui posent problème : infiltrer des groupes, les radicaliser, et les pousser à l’attentat pour les rendre impopulaires. Ça a fonctionné avec les Black Panthers, ça a fonctionné avec les groupuscules gauchistes européens, il suffit d’aller lire les articles Cointelpro et Stay Behind sur Wikipédia pour le vérifier.

Mais la « théorie du complot », telle que je l’entends moi, va plus loin que de supposer que les faits ne sont pas toujours ce que l’on dit qu’ils sont, elle en fait une règle et imagine que tout ce qui se passe, tout ce qui arrive, est le produit victorieux d’une intention déguisée, elle affirme que tous les plans aboutissent à ce à quoi ils étaient destinés. Que, par exemple, si l’Amérique a armé les djihadistes à l’époque de la guerre d’Afghanistan, il y a trente ans, ce qui est un fait, c’est que tout ce qu’a fait Ben Laden par la suite l’a été sous ordre direct de la CIA.
Au fond, la « théorie du complot » est exactement comme la croyance en un Dieu créateur : tout ce qui se passe a été planifié, et tout ce qui est planifié aboutit à ce qui était prévu. Pourtant, le docteur Frankenstein, tous les parents du monde et jusqu’à Dieu lui-même, peuvent attester que toute création finit presque invariablement par échapper à son créateur.

J’ai l’impression que la foi en un Dieu omnipotent autant craint qu’adoré, est pareille à la foi en une Amérique toute aussi omnipotente, attirante, fascinante, et évidemment détestée1, que c’est une simple question psychologique qui, sans faire du freudisme à deux sous, se rapporte aux parents, à leur autorité, au désir enfantin de se rassurer sur le fait qu’aucun phénomène ne saurait exister sans volonté, que tout est sous contrôle, qu’on peut douillettement se dédouaner de toutes ses responsabilités.
Ce pourrait être une raison de la haine puissante que les athées inspirent à certains croyants : si les non-croyants ont raison, alors chacun doit faire face au vertige de sa responsabilité individuelle, répondre de ses actes.
Un truc du genre.

  1. Et pareil avec toute autre entité réputée maître du monde : Illuminatis, Skulls & Bones, Reptiliens, Petits-gris, Francs-maçons, Juifs, Templiers, Jésuites, Papauté, Monsanto, etc. []

Il n’existe pas de religion de paix

Il est très à la mode de dire « l’Islam est une religion de paix ». Et c’est gentil, mais c’est faux, car il n’existe pas de religion a priori pacifique, et certainement pas parmi celles qui le claironnent. Et s’il en existe quand même, je doute qu’on les trouve parmi les cultes monothéistes, par principe intolérantes à la concurrence des autres et dont le body-count est monstrueux.

En préparant mon livre Les Fins du monde de l’antiquité à nos jours, je suis tombé sur un nombre ahurissant d’histoires de massacres motivés par des religions de paix. En lisant leurs textes fondateurs, en lisant aussi les histoires qui manquent à ces textes mais que reconstituent les historiens et les archéologues, le caractère potentiellement mortifère et totalitaire des religions est assez facile à établir.
Par charité, je préfère ne pas en dire beaucoup plus.

vaudois
Un massacre des Vaudois (des chrétiens), au nom du Christ, en 1655. Ceux qui survivront, sauvés par une mobilisation internationale (notamment française) subiront un assaut comparable par les dragons de Louis XIV quelques décennies plus tard. Un exemple parmi des milliers, j’ai bien pire sous le coude.

Par charité mais aussi parce que c’est sans doute pour le mieux, car heureusement, les croyants sont généralement beaucoup moins mauvais que leurs religions et bien moins odieux que les divinités qu’ils adorent. En fait, les religions ne façonnent pas les consciences, ou si peu, ce sont les gens qui créent les religions et qui décident la manière de les appliquer, la manière de les comprendre, qui décident ce qu’ils conservent et ce qu’ils laissent.
Parce que la religion est avant tout une manière de ne pas se sentir tout seul, et les rites, une manière de s’imposer une discipline personnelle ou collective.

Parfois, tout de même, la foi dans des livres qu’on lit comme on veut bien les lire sert de prétexte à défouler la pire violence, à piller, asservir, dominer, tuer. Mais on ne peut pas se cacher derrière un livre : ceux qui tuent le font parce qu’ils veulent bien le faire, et certainement pas pour prouver que leur Dieu d’amour est plus légitime que le Dieu d’amour du voisin.
Chacun est responsable de ses actes, et j’ai peur que la religion — parmi d’autres manifestations d’esprit collectif, comme le nationalisme, voire le patriotisme footballistique — soit avant tout un outil pour dédouaner le dévot des horreurs et des erreurs qu’il commet, en l’abritant non pas à l’ombre d’un quelconque dieu, mais derrière le nombre de ceux qui s’en réclament.

Il n’y a pas de religion de paix et d’amour, il n’y a pas non plus de religion de haine et de guerre, il n’y a que ce que les croyants voudront faire faire à leurs dieux1, ce sont eux qui choisissent.

  1. Henry David Thoreau a écrit : Every people have gods to suit their circumstances. On créé les divinités en fonction de ses besoins. Et j’ajouterais que, une fois la divinités installée, on lui fait dire qu’elle est d’accord avec ce que l’on fait, plutôt que de se mettre en accord avec ce qu’elle est censée avoir commandé. []

Parce que

La science explique « comment », la religion explique « pourquoi », aime-t-on à dire. Pourtant, la science explique souvent « pourquoi ? », puisque la plupart des « comment ? » induisent un « pourquoi ? ».
Évidemment, comme les enfants, on peut continuer à demander « pourquoi ? » à l’infini : « pourquoi l’oiseau chante ? » — « pour séduire » — « pourquoi séduire ? »« pour rencontrer l’âme sœur » — « pourquoi rencontre l’âme sœur ? »« pour se reproduire »« pourquoi se reproduire ? »« pour perpétuer ses gènes »,… À un moment, fatalement, on n’a plus rien à répondre.
Les religieux arrivent à ce moment-là, ils forgent des réponses simplettes destinées à donner une dernière réponse à toutes les questions, destinées ce qu’on arrête de se poser des questions. Ils ne cherchent aucunement le « pourquoi ? », ils cherchent juste à imposer leur « parce que », un « parce que » auquel ils ne croient pas forcément eux-mêmes, qui n’est pas spécialement crédible, qui est même, de préférence, absurde, car plus ce qu’on s’impose de croire est idiot et plus il est psychologiquement coûteux, et donc difficile, d’y renoncer. Ils ne sont pas forcément dupes de leur « parce que », mais ils en sont les propriétaires et les défenseurs, et cela leur servira de réponse universelle à toutes les questions de pouvoir qu’on se pose : « pourquoi je suis né pauvre et toi riche ? »« pourquoi la richesse des uns se fonde sur le travail des pauvres ? » — « pourquoi il faudrait se sacrifier pour sa patrie ? » — « pourquoi il faudrait aller tuer le voisin ? »« pourquoi les femmes doivent être moins bien traitées que les hommes ? » — « pourquoi il y a un roi ? » — « pourquoi je devrais avoir honte d’aimer x ou y ? » — « pourquoi je ne devrais pas avoir le droit de lire ce livre ? », etc.
Leur « pourquoi », ou plutôt leur « parce que », n’est donc qu’un outil de pouvoir, un moyen, un « comment », destiné à justifier l’organisation sociale. Et pas grand chose d’autre. Et quant aux mystères plein de poésie (la vie, la mort, la grandeur de l’univers) et aux principes moraux de bon sens (tuer c’est mal…), dont ils saupoudrent la foi, ils sont comme les îles paradisiaques des publicités de gels douche : un simple produit d’appel sans valeur contractuelle.

Vous avez le droit de fêter Noël, car…

  • Vous êtes chrétien et vous acceptez l’idée de fêter la naissance de Jésus le vingt-cinq décembre même si ce n’est sans doute pas sa vraie date d’anniversaire.
  • Vous êtes juif et vous trouvez sympathique de fêter l’anniversaire d’un des juifs les plus populaires du monde après Elvis Presley et Albert Einstein : Jésus de Nazareth.
  • Vous êtes musulman et vous trouvez naturel de fêter l’anniversaire d’un des prophètes majeurs de l’Islam, le messie ‘Īsā/Jésus.
  • Vous vous sentez héritier de l’Empire Romain, où l’on fêtait le retour du soleil après le solstice d’hiver, le vingt-cinq décembre, lors des Saturnales.
  • Vous vous sentez proches des Mithraïques, qui vouaient un culte au soleil invaincu (Sol Invictus), toujours dans l’Empire romain, justement à la même date.
  • Vous savez que l’Empire romain a disparu il y a des siècles, mais vous fêtez les fêtes romaines afin de protester contre la manière dont l’Église catholique s’est approprié des dates, des rites et des notions qui lui préexistaient.
  • Vous êtes druide, sataniste, wiccan, descendant ou sympathisant des amérindiens, ou membre de toute autre communauté new-age ou néo-paganiste, et, en conséquence, vous fêtez le retour du soleil après le solstice.
  • Vous êtes athée et vous trouvez qu’il n’y a aucune raison que seuls les gens qui affirment croire en ceci ou cela fêtent Noël mais vous disent que vous n’avez pas le droit de le faire vous-même.
  • Vous êtes d’origine hindie, bengalie, tamoule, chinoise, vietnamienne, cambodgienne, japonaise, coréenne, etc., et vous vous associez aux rites festifs qui ont du succès dans le pays où vous vivez (et qui parfois sont même fériés dans votre pays d’origine).
  • Vous avez longtemps vécu dans un pays où on fête Noël et vous avez ramené cette tradition avec vous.
  • Vous n’êtes dans aucun cas mentionné ci-dessus, mais les jours les plus courts de l’hiver constituent une période spéciale à laquelle vous appréciez de ralentir votre activité pour vivre un bon moment entouré de votre famille.
  • Vous vivez dans l’hémisphère austral, et pour vous, c’est le début des vacances d’été, ça se fête !
  • Vous trouvez qu’une fête est toujours bonne à prendre.
  • Vous aimez offrir et recevoir des cadeaux, et Noël est un moment traditionnel tout indiqué pour le faire.
  • Vous pensez que Noël est une fête commerciale et que, dans le but d’encourager l’économie, il faut saisir cette occasion de faire et de susciter des dépenses.
  • Vous êtes sadomasochiste bien gratiné et par conséquent vous savourez la cohue lors des achats de cadeaux de dernière minute dans la Fnac Saint-Lazare.
  • Vous appréciez de manger la bouillie de riz au lait, le småmat, la dinde aux marrons, le christstollen, le chapon, les boukètes et les cougnolles, la pašticada, la boudin, le turron, le gourounopoulo psito, les spéculoos, la bûche, le civet de lièvre, le Christmas pudding, le glögg (ou autre vin chaud), le panettone, ou tout autre plat ou boisson traditionnellement associés à Noël.
  • Vous adorez les décorations de Noël, comme le sapin, les guirlandes, les couronnes de houx, et les machins qui clignotent.
  • Vous avez une autre raison de le faire.
  • Vous n’avez pas de comptes à rendre, vous fêtez ce que vous voulez comme vous l’entendez, par exemple Noël.