(Pour un long trajet en train, vendredi dernier, j’ai acheté le Charlie Hebdo de la semaine. J’aime bien avoir un journal dans le train, même si je ne le lis en général pas très attentivement. Souvent, ce journal est Charlie Hebdo, que je n’ai pas d’états d’âme à abandonner sur place : si quelqu’un d’autre veut le lire, si quelqu’un veut vérifier que Charlie n’est pas exactement le brûlot raciste que disent certains, eh bien libre à cette personne de le faire. Tout ça pour dire que je n’ai plus le dernier Charlie Hebdo sous la main, et que je vais parler d’un article de mémoire)
L’article est celui d’un psychanalyste1, qui parle d’un client âgé de dix-sept ans qui a fait un séjour dans une institution psychiatrique après des crises d’angoisse et des bouffées délirantes. En enquêtant, le praticien découvre un élément majeur de l’affaire : le jeune homme était très engagé dans les luttes contre la loi Travail, a beaucoup manifesté, et ses crises d’angoisse sont directement consécutives à une forte exposition à des gaz lacrymogènes.
La suite est intéressante : pour moi qui ne réfléchit pas très loin, l’affaire est entendue : les gaz lacrymogènes sont de puissants neurotoxiques interdits en temps de guerre comme arme contre ses ennemis, mais étrangement autorisés en temps de paix comme moyen de calmer les citoyens qui ne se tiennent pas sages. Il existe plusieurs molécules différentes de gaz utilisés par les forces de l’ordre mais il semble que plusieurs d’entre celles qui sont employées sont connues pour provoquer, justement, de fortes crises d’angoisse chez ceux qui y ont été exposés — et pour causer des séquelles durables de l’appareil respiratoire, mais c’est une autre question, peut-être2.

Si vous faites le même raisonnement que moi, peut-être aurez-vous du mal à comprendre les conclusions du psychanalyste auteur de l’article. Pour lui, l’important est invisible pour les yeux, et les yeux ne pleurent pas à cause du gaz ni à cause du tarif de la consultation, mais pour des raisons plus profondes et moins triviales : le jeune homme a dans sa famille quelqu’un qui n’est pas revenu des camps, et qui avait d’ailleurs son âge. Alors voir les fumées policières et lire des slogans tels que « CRS=SS » ou « Bernard Gazeneuve » lui a fait remonter les heures les plus sombres de l’histoire de sa famille, qu’il tentait jusqu’ici de refouler avec énergie. Le gaz ne lui a pas fait du mal, il lui a rappelé le gaz des camps d’extermination. Par association d’idées.
Voilà exactement ce qui me gène profondément avec la psychanalyse : elle écarte ce qui est évident, au profit d’une improbable construction intellectuelle qui relève du se non è vero è bene trovato : si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé.
Ce qui impressionne souvent, avec la psychanalyse, c’est que c’est une marotte de gens intelligents, et l’intelligence force le respect. C’est un peu comme le complotisme. Il s’agit d’ailleurs peut-être de deux réponses semblables (l’une appliquée à la psychologie, l’autre à l’actualité) à un même sain besoin de regarder au delà des apparences. Mais l’une et l’autre souffrent d’un même caractère systématique : ce qu’on voit est faux, ce qu’on ne voit pas est vrai, ce qui semble simple doit être complexifié jusqu’à perdre tout lien avec une quelconque réalité, et ce qui ne relève pas du jeu intellectuel sophistiqué est décidément trop trivial pour mériter d’être considéré.
Je sais ce qu’on va me dire : je prends un exemple extrême, pas forcément représentatif de toute la profession, etc. Mouais.
- Le goût béat pour la psychanalyse est pour moi la plus horripilante scorie du passage du sinistre Philippe Val à la tête de l’hebdomadaire bête-et-méchant. [↩]
- Peut-être, mais peut-être pas, car rien n’est plus angoissant que d’avoir des problèmes pour respirer, surtout en en ignorant les raisons. [↩]