Du C-4 dans le Lycra®

Encore une étrange conversations sur Facebook.
Pour décrire sommairement le contexte, ces commentaires répondaient à un statut sur Facebook, dont l’auteur expliquait que, sans défendre ce que symbolisent les vêtements de ce genre, il désapprouve le principe d’une interdiction du Burkini, car ses motivations profondes sont douteuses et ses effets contre-productifs…
Afin de ne pas rendre trop personnelle cette conversation, et parce que mon but n’est pas de me moquer, j’ai enlevé ce qui permettait d’en identifier les auteurs. Mes interventions sont signées en orangé.

le_burkini_au_C-4

À vrai dire, je ne connais que de loin en loin celui dont les interventions sont en noir, et nous ne sommes pas amis sur Facebook. À ma connaissance, il est loin d’être idiot. Mais voilà, il est prêt à tout pour justifier une interdiction de baignade1, jusqu’à imaginer des attentats « kamikazes » particulièrement invraisemblables.

Juste après avoir écrit sa dernière réponse, il m’a bloqué2. Mais comme ses posts sont publics, j’ai pu utiliser le compte Facebook de quelqu’un d’autre à la maison pour aller faire des captures à cette conversation qui m’est désormais défendue, ainsi que du message qui suit, posté par l’intéressé sur son propre mur, et par lequel je me suppose visé :

le_burkini_au_C-4-epilogue

Je poste cette conversation pour mémoire. Pour que dans dix ans, on se rende compte que la panique d’une partie des gens aujourd’hui n’a rien à envier à la paranoïa anticommuniste de la période du sénateur McCarthy aux États-Unis ou autres épisodes de fièvre et d’obsession.

  1. Le conseil d’État a rendu son jugement il y quelques minutes, estimant que l’arrêté contesté « a porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle ». Reste à savoir si cela signifie que le Burkini est de l’affaire ancienne, ou s’il va devenir un enjeu électoraliste. []
  2. Gens qui bloquez, arrêtez de le faire après avoir répondu, on ne peut pas vous lire ! []

Un mot que je n’ai jamais vraiment compris

Partout sur les réseaux sociaux, et dans le monde entier, circulent les images pathétiques d’une femme à la plage, encerclée par quatre policiers municipaux qui la forcent à choisir entre retirer le voile qu’elle porte sur la tête et quitter la plage. Même quelqu’un comme Caroline Fourest, qui combat avec ardeur ce que représente le voile en termes historique et symbolique, et propose de répondre au Burkini par la pratique du nudisme, voit dans ces arrêtés municipaux anti-Burkini un dévoiement de la laïcité.
Mais ce n’est pas de ça que je veux parler.

On
On admire la tactique des policiers, qui encerclent la dame en bleu : pas question qu’elle se sauve. On ne le voit pas bien sur les images, mais elle ne porte pas un burkini, juste un fichu sur la tête.
L’image ne met pas mal à l’aise tous les anti-burkinistes. Quelqu’un m’a soutenu que la situation devait être comparée symétriquement à l’Iran : là-bas, les femmes étrangères sont forcées de se plier à la coutume locale et portent le voile. Voici où nous en sommes : l’obligation de porter les vêtements décrétés convenables par le régime des Mollah depuis 1979 est désormais ptésentée comme un modèle. Dans notre cas, ce n’est pas pour plaire à une divinité exigeante, mais au nom de la liberté et de l’émancipation des femmes. Beaucoup de gens me disent que le burkini est anecdotique, que c’est un moyen pour faire oublier le chômage, le nucléaire et autres grands problèmes. J’ai peur que ça ne soit pas si simple : comme souvent, les questions apparemment négligeables font affleurer les vagues de fond de la conscience collective, et il y a vraiment de quoi s’inquiéter, tant pour le traitement des musulmans que pour la facilité avec laquelle le climat de peur actuel rend possible une diminution des libertés.

Sur Twitter, j’ai vu quelques personnes s’indigner des photographies de la plagiste voilée, pour la scène montrée, bien sûr, mais aussi parce que le visage de la femme est visible. Je cite un tweet sur le sujet : « est-ce que la dame qui a été humiliée par les policiers à Nice aimerait que ces images soient sur le net ? ».
Effectivement, c’est une question qu’on pourrait lui poser, mais ce qui m’a étonné dans la phrase, c’est l’idée induite que la raison de refuser la publication de la photo est d’avoir subi une humiliation.

Même des personnes qui combattent ce que symbolise le voile, comme Caroline Fourest, pointent le ridicule de la psychose actuelle.
À présent, François Baroin voit le « Burkini » comme un élément de « terreur ». Je me demande s’il va publier un arrêté municipal pour l’interdire dans la ville Troyes, dont il est le maire, mais qui n’est pas réputée pour ses plages. Les cadres du parti Les Républicains se sont engagées ces jours-ci dans un festival de déclarations idiotes, chacun étant soucieux de ne pas être celui qui aura l’air tiède. Les plus sages se taisent, et peut-être ont-ils raison de le faire car l’électeur de base de leur parti n’est peut-être pas prêt à écouter sans irritation des propos réfléchis. Mutatis Mutandis, la psychose actuelle me rappelle l’anticommunisme américain de la guerre froide.

Cette réaction me fait mesurer à quel point j’ai du mal à comprendre le concept d’humiliation, surtout dans ce genre de contexte. Je comprends la définition, bien sûr, mais je ne comprends pas le sentiment. Pour beaucoup de gens il semble pourtant évident qu’on peut se sentir diminué par la volonté d’un autre. Pour moi, on ne peut se sentir rabaissé et ridicule, que si on a participé à l’être, si on est au moins en partie responsable de sa dégradation. Cela ne peut pas venir de l’extérieur. Les policiers qui se mettent à quatre pour appliquer un décret municipal à la formulation sybilline et qu’ils semblent avoir retenu comme le droit de chasser les musulmanes affichées de la plage sont ridicules. La mairie est ridicule. Le maire de Nice qui constate ce ridicule et menace de poursuivre ceux qui diffusent ces images est ridicule1. La France, complètement électrique sur ces sujets, est devenue internationalement ridicule cette semaine2. Comment la personne tracassée, qui n’a pas accepté les règles du jeu qu’on lui impose, pourrai-elle se sentir déshonorée ? Elle se plie à une contrainte contre laquelle elle n’a pas beaucoup de marge de manœuvre, ce n’est pas elle qui a le pouvoir de distribuer des amendes, ce n’est pas elle qui porte une matraque ! Le déshonneur est dans l’autre camp. Je crois que je suis beaucoup trop orgueilleux et protégé pour comprendre ce concept.

  1. Belle démocratie, qui veut qu’on n’ait pas de droit de regard sur l’activité des forces de l’ordre… La loi, heureusement, n’est pas de son côté : « Les policiers ne bénéficient pas de protection particulière en matière de droit à l’image, hormis lorsqu’ils sont affectés dans les services d’intervention, de lutte anti-terroriste et de contre-espionnage spécifiquement énumérés dans un arrêté ministériel (…) La liberté d’information, qu’elle soit le fait de la presse ou d’un simple particulier, prime le droit au respect de l’image ou de la vie privée dès lors que cette liberté n’est pas dévoyée par une atteinte à la dignité de la personne ou au secret de l’enquête ou de l’instruction ». []
  2. La prochaine fois qu’on brûlera une ambassade de France dans un pays musulman, ce sera pour ça, sans doute — non pour le Burkini en lui-même mais pour cette image d’une police qui persécute les membres d’une religion qui est celle d’un être humain sur quatre. []

Retour au calme

Un geste à éviter sur les plages se sécher les cheveux peut être interprété comme une tentative de radicalisation.
Attention, se sécher les cheveux sur une plage peut être interprété comme un signe de radicalisation.

Afin d’apaiser les tensions qui agitent le monde depuis quelques milliers d’années déjà, je propose que l’on interdise toute religion dont les dévots n’auront pas été fichus de produire, sous quinzaine, une preuve tangible de l’existence de leur dieu, ou de leurs dieux.

Petite déception

Un jour, un auteur de bande dessinée que j’admire depuis plus de trente ans m’a demandé comme ami Facebook. Je ne sais pas pourquoi, on ne se connaît pas personnellement, nous avons quelques amis en commun, peut-être que j’ai dit sur leur mur des choses qui l’ont intéressé, enfin voilà, il a voulu être mon ami et ça m’a beaucoup flatté : ce n’est pas tous les jours qu’un souvenir d’adolescence vous montre des marques d’intérêt, si superficielles qu’elles fussent. Mais bon, nous n’avons pas eu beaucoup de rapports et à deux ou trois reprises, je me suis dit qu’il n’aimait pas beaucoup qu’on le contredise, et surtout pas quelqu’un comme moi, qu’il ne connaît ni d’Ève ni d’Adam. Je ne sais pas si c’est son tempérament, ou si on se raidit avec l’âge, ou si on perd patience lorsque l’on a un certain statut… Enfin je sais que les trois sont possibles1, mais je ne sais pas ce qui est déterminant dans son cas. Récemment il a prévenu qu’on n’aurait pas le droit de le contredire au sujet du Burkini, qu’il serait intraitable, qu’il refusait toute discussion — pas de discussion pour les ennemis de la liberté, de la démocratie, enfin de tous les gens qui ont une autre opinion.

La suite est simple. Aujourd’hui, ce grand auteur a écrit quelque chose d’injuste à quoi je ne pouvais pas ne pas réagir. Pourtant j’ai envisagé de me retenir, car je savais très bien ce qui allait se passer. Je l’ai contredit sur son interprétation de la manière dont Cécile Duflot avait parlé de la question du Burkini lors d’une interview : pour ce monsieur, Duflot soutenait avec ardeur la sulfureuse tenue de bain, tandis que pour moi, elle demandait à parler de choses plus importantes, notait que tout le monde avait un avis sur ce que les femmes doivent faire de leur corps, et affirmait son ras-le-bol des questions religieuses2.
Je ne suis pas duflotiste pour deux sous, mais je trouvais la charge injuste. L’auteur a fini par me dire que pour lui, une personne qui ne dit pas qu’elle veut l’interdiction du Burkini le soutient : défense d’être nuancé, de prendre du recul, si vous n’êtes pas avec nous, alors vous êtes contre nous. Puis une ou deux personnes sont venues parler non plus de Duflot mais bien du Burkini, et j’ai participé à la conversation3, notamment pour rappeler qu’il était paradoxal d’affirmer participer à la libération des femmes en leur interdisant quelque chose (sophisme ! m’a-t-on dit). La dernière chose que j’ai postée, avec le vague espoir de détendre l’atmosphère, aura été le distrayant billet d’humeur de Sophia Aram sur le sujet. Peut-être que ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, car j’ai été éjecté, viré, bloqué. Adieu.
On m’a transmis l’épilogue, auquel je ne peux pas accéder moi-même (je préfère masquer le nom de mon contradicteur pour que ma déception ne soit pas contagieuse) :

ilavaitprevenu

Être enseignant n’est pas toujours bien vu, c’est un argument récurrent dans ce genre de discussion houleuse : on est perçu comme dominateur, autoritaire, etc. Je suis mal placé pour en juger mais je ne me suis jamais senti le plus professoral des professeurs, et au contraire, j’aime discuter, y compris avec des gens qui ne sont pas d’accord avec moi. Et même, quoique ça soit moins confortable, je dirais que les conversations les plus utiles, celles qui aident à progresser, sont justement celles que l’on tient avec des gens qui ont une autre opinion.

Mais tout ça n’est pas grave. Ce qui me gène plus, c’est de constater à quel point certaines discussions deviennent impossibles, à quel point la nuance ou la prise en compte de points de vue qui ne sont pas les siens deviennent insupportable, dès que l’on parle de la visibilité de l’Islam. Le contexte des attentats explique bien la chose, mais semaine après semaine, les Daech et compagnie obtiennent un peu plus de ce que leur psychologie autodestructrice recherche : la haine, la bêtise, le refus de l’autre, le refus du dialogue.
Je pense qu’il n’y a rien à faire. Je suis un peu déçu par cette planète et par son espèce réputée dominante.

(mise à jour du lendemain : j’ai signalé cet article à l’auteur de bande dessinée dont je parle, qui m’a répondu par un mail assez apaisé où il m’explique pourquoi le sujet le met hors de lui et pourquoi le fait que son indignation ne soit pas partagée le fâche)

  1. Non qu’on soit condamné à se raidir lorsque avec l’âge ou la notoriété, heureusement, mais ça se constate chez certains. []
  2. Extrait de l’interview« Franchement, c’est exactement ça que je refuse. Je refuse que le débat politique soit pollué, pollué, je dis bien pollué par un sujet ultra marginal (…) Quand c’est les mecs qui décident ce que les femmes doivent porter, trop court ou pas assez court, ça me pose toujours question. Ça c’est le premier point. Le premier point, c’est la liberté des femmes (…) Il y a des combats pour l’égalité femme-homme. Il y en a des très actuels. Aujourd’hui, les femmes sont toujours moins bien payées que les hommes, c’est elles qui subissent le temps partiel, c’est elles qui font les tâches domestiques, c’est… (…) Troisièmement, il faut arrêter, je dis bien arrêter en permanence de taper sur la tête des musulmans de ce pays (…) Qu’on nous foute la paix, globalement, un peu, avec la religion. Qu’on respecte la foi des uns et des autres. Il y a des gens qui croient, d’autres qui ne croient pas. Il y en a qui sont athées. Justement, c’est la liberté de croire, de vivre sa foi. Ça c’est essentiel. Mais qu’on arrête de systématiquement taper sur les musulmans de ce pays, c’est aussi une priorité parce que ça évitera d’attiser les tensions ». []
  3. Je viens d’écrire un article à ce sujet. []