Un jour, un auteur de bande dessinée que j’admire depuis plus de trente ans m’a demandé comme ami Facebook. Je ne sais pas pourquoi, on ne se connaît pas personnellement, nous avons quelques amis en commun, peut-être que j’ai dit sur leur mur des choses qui l’ont intéressé, enfin voilà, il a voulu être mon ami et ça m’a beaucoup flatté : ce n’est pas tous les jours qu’un souvenir d’adolescence vous montre des marques d’intérêt, si superficielles qu’elles fussent. Mais bon, nous n’avons pas eu beaucoup de rapports et à deux ou trois reprises, je me suis dit qu’il n’aimait pas beaucoup qu’on le contredise, et surtout pas quelqu’un comme moi, qu’il ne connaît ni d’Ève ni d’Adam. Je ne sais pas si c’est son tempérament, ou si on se raidit avec l’âge, ou si on perd patience lorsque l’on a un certain statut… Enfin je sais que les trois sont possibles, mais je ne sais pas ce qui est déterminant dans son cas. Récemment il a prévenu qu’on n’aurait pas le droit de le contredire au sujet du Burkini, qu’il serait intraitable, qu’il refusait toute discussion — pas de discussion pour les ennemis de la liberté, de la démocratie, enfin de tous les gens qui ont une autre opinion.
La suite est simple. Aujourd’hui, ce grand auteur a écrit quelque chose d’injuste à quoi je ne pouvais pas ne pas réagir. Pourtant j’ai envisagé de me retenir, car je savais très bien ce qui allait se passer. Je l’ai contredit sur son interprétation de la manière dont Cécile Duflot avait parlé de la question du Burkini lors d’une interview : pour ce monsieur, Duflot soutenait avec ardeur la sulfureuse tenue de bain, tandis que pour moi, elle demandait à parler de choses plus importantes, notait que tout le monde avait un avis sur ce que les femmes doivent faire de leur corps, et affirmait son ras-le-bol des questions religieuses.
Je ne suis pas duflotiste pour deux sous, mais je trouvais la charge injuste. L’auteur a fini par me dire que pour lui, une personne qui ne dit pas qu’elle veut l’interdiction du Burkini le soutient : défense d’être nuancé, de prendre du recul, si vous n’êtes pas avec nous, alors vous êtes contre nous. Puis une ou deux personnes sont venues parler non plus de Duflot mais bien du Burkini, et j’ai participé à la conversation, notamment pour rappeler qu’il était paradoxal d’affirmer participer à la libération des femmes en leur interdisant quelque chose (sophisme ! m’a-t-on dit). La dernière chose que j’ai postée, avec le vague espoir de détendre l’atmosphère, aura été le distrayant billet d’humeur de Sophia Aram sur le sujet. Peut-être que ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, car j’ai été éjecté, viré, bloqué. Adieu.
On m’a transmis l’épilogue, auquel je ne peux pas accéder moi-même (je préfère masquer le nom de mon contradicteur pour que ma déception ne soit pas contagieuse) :
Être enseignant n’est pas toujours bien vu, c’est un argument récurrent dans ce genre de discussion houleuse : on est perçu comme dominateur, autoritaire, etc. Je suis mal placé pour en juger mais je ne me suis jamais senti le plus professoral des professeurs, et au contraire, j’aime discuter, y compris avec des gens qui ne sont pas d’accord avec moi. Et même, quoique ça soit moins confortable, je dirais que les conversations les plus utiles, celles qui aident à progresser, sont justement celles que l’on tient avec des gens qui ont une autre opinion.
Mais tout ça n’est pas grave. Ce qui me gène plus, c’est de constater à quel point certaines discussions deviennent impossibles, à quel point la nuance ou la prise en compte de points de vue qui ne sont pas les siens deviennent insupportable, dès que l’on parle de la visibilité de l’Islam. Le contexte des attentats explique bien la chose, mais semaine après semaine, les Daech et compagnie obtiennent un peu plus de ce que leur psychologie autodestructrice recherche : la haine, la bêtise, le refus de l’autre, le refus du dialogue.
Je pense qu’il n’y a rien à faire. Je suis un peu déçu par cette planète et par son espèce réputée dominante.
(mise à jour du lendemain : j’ai signalé cet article à l’auteur de bande dessinée dont je parle, qui m’a répondu par un mail assez apaisé où il m’explique pourquoi le sujet le met hors de lui et pourquoi le fait que son indignation ne soit pas partagée le fâche)