À l’accueil, j’explique que je n’ai pas réussi à avoir de rendez-vous sur le site Doctolib, car j’ai perdu mon mot de passe, j’ai droit à une erreur lorsque je demande à le réinitialiser (j’imagine que ça a un lien avec le fait que je n’ai pas de téléphone mobile) et pas le droit de créer un nouveau compte avec le même numéro de téléphone (fixe).
« — Aucun problème ! Vous venez pour du Pfizer ou du Moderna ?
— Euh, je sais pas, j’y connais rien. La dernière fois, j’ai eu Pfizer »
La dame survole les deux tas de papier qui sont devant elle, sa main semble hésiter, elle me regarde, et finalement elle choisit la feuille qui indique Pfizer. Bon.
Je remplis ma feuille, cochant toutes les cases qu’il faut, et j’attends mon entretien avec le médecin qui doit vérifier que tout va bien et qui est chargé de répondre à mes questions médicales ou pratiques.
« — Vous avez été en contact avec des gens déclarés positifs il y a moins de quinze jours ?
— Oui oui, presque toute ma famille était positive après Noël.
— Mais ! Vous êtes cas-contact, vous ne devez pas sortir !
— Ah mais ça a changé, maintenant si on a été testé négatif quatre jours après, on peut aller travailler, c’est ce que j’ai fait cette semaine. J’ai fait quatre tests : un PCR et trois antigéniques.
— En auto-tests ?
— Deux en auto-tests, un officiel.
— Les auto-tests ça marche pas.
— Ah. Oui, il paraît. Mais bon.
— Vous êtes sûr que vous n’êtes pas cas-contact ?
— Selon les règles en vigueur depuis le trois janvier, je ne suis pas cas-contact.
— Le trois janvier, vous dites ? Je vais vérifier. »
Il se lève, va à la table voisine où une jeune médecin s’entretient avec un autre candidat à la vaccination. Il l’écoute attentivement puis revient.
« — Ah oui, vous avez raison, la règle a changé.
Mais dites-donc, vous avez demandé un Pfizer ! Vous avez plus de trente ans, il fallait demander du Moderna, pourquoi on vous a donné le formulaire Pfizer !?
— Beuh je sais pas, la dame à l’entrée m’a demandé… J’ai dit que la dernière fois c’était du Pfizer… c’est tout… »
Le médecin, qui avait jusqu’ici l’air un peu au bout du rouleau, sans une étincelle d’énergie, me fixe avec un regard intense et me dit d’un ton grave, appuyant bien chaque mot :
« — Il n’y a presque plus de doses, vous savez ! »
Puis il me laisse filer, comme s’il me faisait un cadeau mais qu’il attendait que je me sente piteux comme celui qui a égoïstement pris l’ultime caramel de la boite des Quality Street sans demander si quelqu’un d’autre le voulait, comme celui qui finit la dernière bouteille, comme celui qui a mangé tous les bretzels, les olives et les cacahuètes, alors que d’autres n’en ont pas eu, comme celui qui demande les dix baguettes qui restent, alors qu’il y a la queue derrière lui à la boulangerie.
Comme un vrai salaud.