Stéphane

J’ai rencontré Stéphane au Lycée professionnel Quinault. Il avait grandi dans le milieu du cirque, il n’était pas spécialement athlétique mais il nous impressionnait en marchant sur les mains. Je lui dois pas mal de choses, et avant tout, le goût de la musique et du cinéma. À une période, j’avais un canapé pliable réservé chez lui et sa mère, Rose, dans la banlieue Est de Paris. Grâce à Stéphane, j’ai pu voir en concert Prince et James Brown. On allait au cinéma, on allait au café, avec notre bande d’amis : Fabrice, Marie-Neige, Sophie, Anne, Christelle et Angel. Tous les deux, nous avons aussi suivi les cours de prise de vue de Scott Macleay à l’American Center, et je crois que la photo ci-dessous a été prise à cette occasion. Ou alors à l’école — c’était une école de photo. J’ignore son auteur.

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Nos années de lycée terminées, Stéphane est parti vivre et travailler dans le Sud de la France. Il m’a offert à ce moment là les 33 tours Amazing Grace (Aretha Franklin), Shaft (Isaac Hayes), There’s a riot going on (Sly & Family Stone) et What’s Going on (Marvin Gaye), des disques qui m’accompagnent toujours aujourd’hui.
On s’est un peu perdus de vue.
Un jour il est revenu à Paris, je lui ai montré une bande dessinée à laquelle je travaillais, qui racontait l’histoire d’une hyène qui veut venger son meilleur ami, l’indien qui l’a recueillie. Stéphane m’a dit quelque chose comme « Mais, c’est naïf ! », et je me suis dit « Ah, quel con, il a rien compris ». Il n’avait pas perçu le caractère sciemment absurde de mes pages, et ça m’a déçu de lui mais sans doute aussi de moi-même car j’ai ensuite abandonné l’histoire là où elle en était, vexé. J’ai même plus ou moins abandonné l’idée de faire de la bande dessinée tout court. Peut-être qu’il avait raison et que ce n’était pas très bon, d’ailleurs : avec le temps j’ai appris que ce n’est pas parce qu’on a eu l’intention de mettre quelque chose dans une œuvre que le public l’y verra. Le public a toujours raison, on ne peut pas lui raconter de boniments, il aime, ou il n’aime pas, et s’il ne perçoit pas les intentions, ça ne sert à rien de lui dire qu’il a tort, il faut revoir sa copie.

Le hasard et le temps qui passe ont fait que nous ne nous sommes plus jamais revus mais je ne pensais pas que ça serait définitif.

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Un jour, un autre ami de la même époque, un tout petit peu moins perdu de vue (plus parisien, pour tout dire), m’a écrit pour me dire que Stéphane venait de mourir d’un cancer, le 16 mai 2007, il y aura bientôt dix ans, donc.
Sa mère, Rose, vient de m’écrire, et ça me fait bien plaisir. Il aurait eu cinquante ans dimanche.

(nota : je n’ai demandé à personne l’autorisation de publier ces photographies, si leur présence en ligne chagrine quelqu’un, qu’il se manifeste : je ne me souviens plus du tout de l’identité de la personne qui a pris la première – les trois autres sont de moi)

4 réflexions au sujet de « Stéphane »

  1. Ton texte me touche énormément.
    J’ai rencontré Stéphane un jour de mars 1988, il allait avoir 21 ans et moi 26. ce fût un coup de foudre!
    Ce soir là nous étions enrôlés sur une tournée du Cirque de Pékin et ne nous sommes plus quitté jusqu’à sa disparition.
    Il a toujours gardé le goût de la musique, du cinéma et des expositions. Il aimait aussi la fête entre amis autour d’une bonne table et finir la soirée dans des danses endiablées avec les filles qui le « harcelaient ». Moi il m’impressionnait (et d’autres) quand il faisait du monocycle.
    Il me parlait souvent de toi et de sa « bande ». Il me disait qu’il déconnait de ne pas essayer de vous voir ou de vous contacter. Il revoyait Angel et croisait parfois Fabrice à la Fnac quand il montait sur Paris.
    Cela me fait un bien fou de savoir qu’il n’est pas tout à fait oublié.
    Tel une étoile filante il a traversé ma vie mais sa présence reste éternelle dans ma tête et dans mon cœur.
    Pascal

    1. @Pascal : merci d’avoir pris le temps de commenter, je suis touché à mon tour, bien sûr. Eh oui c’est comme ça, la vie passe et on se perd de vue, et puis un jour, il est trop tard. Restent les souvenirs.

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