Hendaye-Tarbes en famille, mon père conduit. La route m’endort, mais je suis réveillé par une clameur générale dans le véhicule : un furieux arrivé de nulle part nous a doublé par la droite, à toute bombe, alors que mon père se rabattait. Sans sa conduite débonnaire et ses bons réflexes, peut-être que je ne serais pas en train d’écrire en ce moment. J’ai tenté de photographier la plaque du chauffard, qui, devant nous, collait au cul des voitures qui le freinaient, et qui étaient pourtant à au moins cent trente à l’heure, la limite autorisée. Toujours aussi brusque, il est subitement sorti de l’autoroute et a disparu. Sur le chemin, d’autres automobilistes aussi pénibles se collaient, se pressaient, se doublaient de manière imprudente. On est un dimanche d’été, en début de soirée, il n’y a qu’une explication à cette frénésie : cette nuit il y a match.
Sur une aire d’autoroute, j’achète un best-of de Nina Simone, pour en faire cadeau à mes parents, car je sais que ça va leur plaire et je me doute qu’ils ne connaissent pas, ou pas bien. Et puis aussi parce que c’est exactement ce que j’avais envie d’écouter pour les derniers kilomètres du trajet. L’autoradio n’a pas un son parfait, mais la magie fonctionne, le paysage change pendant que la reine du jazz reprend Ain’t got no. Quand commence Feeling good, ma fille cadette demande si on peut monter le son.
À la sortie d’une ville, on voit dépasser d’une fenêtre de voiture deux gosses grimaçants dont les bras tendus semblent vouloir nous dire quelque chose. Ils ont les joues bleu blanc rouge, et j’imagine qu’ils veulent nous dire qu’ils sont joyeux ou impatients que le match commence. Please don’t let me be misunderstood. Plus loin, le long d’une route toujours, un ballon vole, venu d’un petit jardin ou une cinquantaine de personnes sont entassées, habillées avec des maillots de football. Ambiance barbecue, il n’y a pas de place pour jouer, on comprend que le ballon ait eu envie de sortir de là. Here comes the sun. Beaucoup de drapeaux nous croisent, surtout français, un peu portugais.
À l’entrée de Villecomtal, un vélo rouge entouré de pots de fleurs nous rappelle qu’ici, des cyclistes ont été fauchés par un jeune militaire qui conduisait, ivre, de retour de permission. Huit ont été blessés, un est mort.
Ne me quitte pas. Le ciel est encombré, les champs de maïs sont mornement arrosés, mais tout ça a quelque chose de beau, avec la voix qui sort des enceintes. Une partie de la magie du cinéma vient de ce genre de moments : une caméra qui avance en regardant, et une musique qui n’avait aucun rapport jusque là, et qui en crée un.