Nouvel extrait des souvenirs de mon arrière-grand-mère, Florence Adeline Chamier-Deschamps (1884-1972).
Ma famille jugea convenable que je fis une visite à l’oncle de mes demi-frères, issus du premier mariage de ma mère et je dus me soumettre à ces exigences. Il s’agissait d’un amiral en retraite dont la femme, décédée, exerça jadis les fonctions de dame d’honneur de la Reine. Inutile de vous dire que je me sentis mal à l’aise devant cette perspective. Ma Tante fit de son mieux pour me préparer à cette visite me recommandant une attitude d’extrême réserve. Habillée d’un tailleur impeccable (don de mon oncle), je me rendis donc à son hôtel privé dans un quartier aristocratique de Londres. Introduite dans ce sanctuaire par un valet en culottes courtes je fus introduite auprès de l’amiral entouré de nombreux neveux aspirant à l’héritage. L’accueil fut glacial et je fus interrogée sur un ton d’évidente supériorité et oubliant toutes les recommandations de ma chère Tante, mon naturel prit le dessus et je leur fis part de mes conceptions évidemment neuves et incomprises dans un vieux monde.
Après un court laps de temps je pris congé d’eux et fus escortée de la même manière qu’à l’entrée. Alors je poussai un soupir de soulagement en sortant de ce monde huppé qui me déplut royalement. En rentrant à la maison ma Tante me pressa de questions. Je répondis simplement: « Je leur dis ma façon de voir en toutes choses et cela fut tout ». A quelque temps de là ma Tante me tendit une lettre venant de l’amiral. Elle avait les larmes aux yeux étreinte par l’émotion. « Oh Florence c’est un conte de fées. Il consent à vous prendre chez lui en reconnaissance de ce que ton père a fait pour les siens. Il ne sous-estime pas sa tâche étant donné le manque d’éducation première reçue mais il est confiant dans le résultat final moyennant un redressage complet ». Voilà les paroles peu compatibles avec mon tempérament ultra indépendant. Mon refus fut net mais poli malgré la déception infligée à ma Tante si imbue de notions de classe.
Les fêtes de Noël approchèrent à grands pas, et tout le monde déploya une activité fiévreuse. C’est le moment où les cœurs anglais s’ouvrent tout grands à la générosité et la charité. Il faut que chacun ait sa part de joie. Donner est le mot d’ordre suivi par tous.
A côté de toutes les richesses apparentes de la grande ville existent les taudis, les bas-fonds où s’accumule tant de misère humaine. L’Angleterre laissa entrer jadis les exilés de l’Europe Centrale et tous les déshérités de la terre à la recherche de la liberté et d’un asile. Cela fut un flot incessant d’êtres humains dénudés [sic] de tout, s’entassant les uns sur les autres cherchant à gagner leur pain quotidien. A cette époque de l’année l’occasion se présenta à moi pour pénétrer dans ces quartiers pour faire une distribution de vêtements chauds, de victuailles, de jouets et d’autres objets utiles et réchauffer ne fusse-ce que pour un jour ces malheureux. En voiture accompagnée d’un policeman j’ai foncé dans ce quartier avec mon chargement. Descendue de voiture je fus assaillie par un foule affamée et malgré la protection du policeman, mes vêtements furent déchirés et mis en morceaux. C’est vous dire la violence de l’assaut et le désir poussé jusqu’à la sauvagerie pour obtenir l’objet convoité. Longtemps après je fus hantée par cette vision impensable de cette misère grouillante humaine.
Londres à la Noël présenta un aspect tout nouveau pour moi sous son manteau de neige1. Chaque foyer, comme il se doit dans un pays de traditions, fête ce jour de réjouissance. Le houx et le gui ornent les maisons, et les menus varient suivant les possibilités de chacun mais le pudding arrosé d’alcool flamboie sous tous les toits. L’Arbre de Noël bien étincelant et surtout bien garni est aussi de règle et tout le monde reçoit des cadeaux soigneusement préparés.
(rédigé en 1966, transcrit par Daniel Lafargue)
- Florence a grandi en Australie, elle a donc dû découvrir la neige cette année-là. [↩]
Ses memoires, ainsi que celle de votre grand-pere, sont excellentes a lire. Une epoque passionante a suivre, elle me font d’ailleurs fortement penser au premier livre de la serie « le siecle » de Ken Follett que j’ai devore il y a quelques temps.
Elles sont en ventes quelques part ?
@Joss non non. Mais en fait je ne sais même pas si j’ai le droit moral d’en publier des extraits. Mon père, qui s’est chargé de les transcrire, est d’accord, mais je pense que c’est à son père à lui – le fils de Florence -, qui fête ses 99 ans dans deux semaines, que je devrais demander. Mais il n’est pas trop sur Internet.
En tout cas, juridiquement, ces textes ne sont pas dans le domaine public puisque leurs auteurs sont morts il y a moins de soixante-dix ans, je pense que je n’ai tout bêtement le droit de rien en faire !
Théoriquement, en effet, il te faut l’accord des ayants-droits, c’est-à-dire des descendants. Comme tu en fais partie…
Je suis confrontées aux mêmes problématiques avec Augustin et j’ai indiqué à mes proches ma volonté de travailler sur ses archives et de publier mes recherches. Personne ne s’y est opposé.