Quatre cent trente-huit députés ont réaffirmé la peur qu’ils ont de leurs concitoyens en votant un texte qui « clarifie » les pouvoirs arbitraires en leur donnant la base juridique qui leur faisait défaut. Ce qui était illégal et exceptionnel devient légal et automatique, et le juge perd son pouvoir de contrôle au profit d’une commission consultative. Pour supprimer un délit, dépénalisons-le. Pour éviter de se justifier, on supprime l’obligation de rendre des comptes. Et si ça va pas, parles-en à ton cheval.
Peu de députés étaient présents dans l’hémicycle pendant les débats : il n’est pas certain qu’ils soient nombreux à comprendre le texte touffu qu’ils ont validé.

Les députés font partie des rares salariés qui décident de leurs propres revenus — revenus qui, en comptant le salaire, les indemnités de ceci et les indemnités de cela, dépasse les douze mille euros1. Leurs revenus ne sont pas concernés par la fameuse « loi Macron », qui « sécurise » la situation des entreprises au détriment des droits des salariés privés, ni par le gel des pensions de retraites, ni par la baisse constante du pouvoir d’achat de la plupart des salariés de la fonction publique, qui ne rattrape jamais l’inflation. Ce sont les députés aussi qui ont voté que la durée d’indemnisation des chômeurs n’excéderait pas deux ans (rarement atteint), tandis que leur indemnité à eux est garantie (quoique dégressive) pendant trois ans : ben oui, il faut bien compenser la volatilité et l’ingratitude des électeurs, ce n’est pas parce qu’on ne veut plus d’un député qu’on doit cesser de le rémunérer2.
Les députés, avec les sénateurs, font aussi partie des rares citoyens qui votent leur propre immunité judiciaire, laquelle est garantie pour la plupart des délits, si ce n’est la faute médiatique caractérisée : quand ça se voit trop, quand les médias causent un peu fort et que l’opinion publique grogne. C’est ce qui est arrivé à Patrick Balkany : ça se voyait trop, alors ses collègues ont voté l’ostracisme du galeux, car on ne sait jamais, ça pourrait être contagieux. Privé d’immunité, on comprend qu’il fasse partie du petit nombre qui a voté contre un projet de loi qui pourra le viser.
Balkany n’est pas unique à avoir voté « contre » : c’est aussi le cas de Marion Maréchal-Le Pen et de Gilbert Collard, qui, sachant que le texte passerait, peuvent s’y opposer sans risque de l’empêcher et jouer à peu de frais les chevaliers blancs de la liberté. À un niveau plus inconscient, peut-être été convaincus par l’argument qui consiste à dire que, si le Front National prenait l’Élysée, cette loi lui donnerait un pouvoir exorbitant et dangereux : ils sont particulièrement bien placés, après tout, pour savoir qu’il n’y a pas que des flèches dans leur parti. Sans compter qu’en attendant (puisse cette attente être éternelle) d’avoir les clefs de l’Élysée, le Front National, ses lingots et son service d’ordre pourraient bien être visés par la surveillance eux aussi : bien que voté au prétexte de la lutte contre le terrorisme, le champ d’application du texte est assez vague pour tout permettre.

Bruno le Roux, qui dirige le groupe socialiste au Sénat, a un raisonnement bien tordu pour défendre le dispositif malgré le risque qu’il tombe un jour en de mauvaises mains. Il ne nie pas le danger, il explique en substance que, pour y échapper, il faudra désormais voter pour son parti, les autres pouvant faire un mauvais usage de leur pouvoir : « faites-en un critère de choix pour le jour où vous choisirez ceux qui doivent assumer les responsabilités ».
Effectivement, cette loi clarifie bien des choses. Mais comme l’a écrit le cardinal de Retz, On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens.
Ce que tout cela clarifie, pour moi, c’est que nos parlementaires, à un ou deux naïfs près, élus sur un malentendu, ne représentent qu’eux-mêmes. Et ce qui me fait peur, ce n’est pas tant la surveillance en elle-même que l’incompétence et la malveillance de ceux qui l’ont votée.
- Sans compter la gratuité des transports ferroviaires et des taxis à Paris. [↩]
- On se souviendra que, il y a quelques années, les députés avaient changé le règlement de l’Assembler, empêchant les citoyens qui assistaient aux débats de venir munis de trombinoscopes pour savoir qui fait quoi, et beaucoup de nos parlementaires s’estiment « fliqués » par les sites tels que nosdeputes.fr et nossenateurs.fr, qui se contentent pourtant de rendre compte de leur activité et de leur présence. La surveillance, c’est pour les autres ! [↩]