Le Havre. Mon train est à quai pour encore quelques minutes.
Une adolescente fluette d’une quinzaine d’années, aux cheveux très blonds, presque blancs, passe dans l’allée du wagon d’un pas décidé et lourd, étonnamment lourd, en fait, pour son gabarit, car je doute qu’elle atteigne quarante kilos. Je la vois sur la plate-forme qui crie quelque chose que je n’entends pas bien en direction d’une personne qui se trouve à l’extérieur. Elle passe le sas et continue à courir dans le wagon suivant. Je la perds de vue. Le train part. Quelques minutes plus tard, elle revient en sens inverse du même pas énergique et sonore et s’assoit juste derrière moi, devant les sièges d’une femme et de ses deux enfants. Elle leur parle, j’imagine qu’ils ont un lien peut-être familial. Je lis un peu puis je m’endors.
à Yvetot je suis réveillé par du chahut et beaucoup de confusion. Un bref cri de douleur, un « hé ! » ou un « aïe ! », et des insultes : « connasse ! pouffiasse ! t’es précoce ! ». L’adolescente fonce dans l’allée en faisant un doigt d’honneur, tournant finalement la tête pour crier « t’es une salope ! ». Elle sort du train qui repart presque aussitôt. J’essaie de l’apercevoir sur le quai mais elle a disparu.
En passant, elle a frappé la tête de la jeune fille qui se trouve derrière moi. Sa mère se demande surtout ce qu’elle a jeté : « C’est un papier ? C’est quoi ? Oh, c’est un préservatif ! Elle t’a jeté un préservatif ! ». Le fils, maigrichon avec une houpette blonde, des taches de rousseur et un survêtement noir synthétique, regrette son manque de présence d’esprit, il explique qu’il aurait pu faire un croche-pattes à la jeune malpolie, pour qu’elle tombe. Ni sa sœur ni sa mère ne relèvent son propos, alors il le répète plusieurs fois. La mère répète : « un préservatif ! ». Sa fille explique : « C’est Chloé F*, c’est une cassos, l’autre jour elle m’a traitée de cassos ! ».
« — Bon, vas sur Facebook ! Ça me plait pas trop, cette histoire ! Elle va voir ! Je ne vais pas en rester là, c’est moi qui te le dis ! Je vais la défoncer, j’ai pas dit mon dernier mot ! ».
Apparemment, Facebook ne fonctionne pas : entre Yvetot et Rouen on capte pas bien. Le garçon continue de regretter à voix haute de ne pas avoir pensé à faire un croche-pattes. À Rouen, la petite famille descend.