La mort de Jacques Faizant

Non non non, je ne viens pas de découvrir que Jacques Faizant était mort alors que son décès a eu lieu en 2006. Je viens par hasard de me souvenir d’une histoire amusante.
Il y a dix ans, en août 2005, j’ai consacré une page assez lapidaire à Jacques Faizant sur Wikipédia. Elle ne contenait que ces deux lignes :

faizant_wikipedia

J’y suis revenu quelques fois, en ajoutant des éléments. Certains étaient un peu douteux du point de vue des règles de neutralité de Wikipédia, car même si rien n’était vraiment faux dans l’article, la citation que j’attribuais à Faizant était sortie d’un chapeau (certainement exacte mais sans mention de source), certaines formules étaient clairement orientées (« une sensiblerie un peu mièvre à l’égard du Général De Gaulle ») et d’autres étaient dramatisées, comme le fait de dire que Faizant avait été « évincé » de son journal. Ce n’était pas un très bon travail de ma part, je suis obligé de le reconnaître.

Quelques mois plus tard, Jacques Faizant est mort. En lisant la nécrologie (non signée) du Monde, j’ai eu la surprise d’y voir une phrase intégralement tirée de « mon » article, et des formules ou des idées reprises assez littéralement.

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Encore mieux, les nécrologies de divers autres titres de la presse ne faisaient elles aussi que paraphraser l’article de Wikipédia, en changeant l’ordre et l’importance des éléments. Je crois que ces divers titres s’étaient en fait appuyés sur la dépêche AFP parue pour l’occasion.

C’est la première fois que j’ai constaté un usage aussi flagrant de Wikipédia dans la presse. Ça n’a bien entendu pas été la dernière. L’année suivante, Pierre Assouline entamait sa campagne contre Wikipédia qui était à ses dires un média irresponsable, puisque dépourvu de la déontologie, de l’objectivité et du professionnalisme de l’élite (dixit) du pays : les journalistes.

Aujourd’hui, les éléments contestables qu’on peut me reprocher d’avoir écrit dans l’article en ont disparu, et tant mieux, mais ils survivent dans les archives d’un quotidien de référence paraissant le soir.

5 réflexions au sujet de « La mort de Jacques Faizant »

  1. C’est vrai : l’exemple que vous donnez est peu glorieux pour la presse. Il est d’ailleurs amusant de constater que l’article du « Monde » n’est pas signé. Mais précisément : c’est davantage l’exception que la règle : sur un article de presse, un journaliste engage la responsabilité de son nom, contrairement à une contribution anonyme sur l’encyclopédie en ligne.

    Et puis, même si l’on admettait que le fonctionnement éditorial de la presse n’est pas plus vertueux, est-ce vraiment un argument recevable en faveur du fonctionnement actuel de Wikipédia ? Peut-on justifier les insuffisances de l’une par celles de l’autre ? D’autant que, si la presse s’appuie discrètement sur Wikipédia, Wikipédia s’appuie ouvertement sur la presse.

    Ce que j’observe, pour ma part, c’est qu’une citation peut n’être pas sourcée sur Wikipédia pendant dix ans… ^^

    1. @Loys Bonod : les articles non signés ou encore les journalistes inexistants (il y a dans plusieurs journaux une tradition de pseudonymes collectifs pour les articles que personne ne veut assumer), ça n’est pas si rare.
      Mais ce n’est qu’une anecdote, elle est amusante mais je n’en tire pas de morale sur la supériorité de la presse sur wikipédia ou le contraire : l’un et l’autre ont leurs qualités, leurs failles, peu importe. Mais depuis que la presse est en ligne, elle s’est ajoutée un défaut qui est que les articles fallacieux sont rarement mis à jour (ou en tout cas il est rare que le contexte soit signalé lorsque ça devrait être le cas). C’est dommage. Au moins, Wikipédia n’a pas ce défaut là puisque la mise à jour est son principe de départ.
      Certes, la citation n’est toujours pas sourcée, et c’est dommage, mais là aussi, c’est quelque chose qu’on n’exige guère que de… Wikipédia.

  2. L’information sourcée, c’est le modèle même de Wikipédia, non ? C’est ce principe qui fait que tout le monde peut participer, y compris anonymement. Principe qu’à titre personnel je trouve dommageable.

    Le principe de la mise à jour permanente (qui n’est pas propre à Wikipédia) n’est pas si vertueux qu’on peut l’imaginer : il peut être aussi bien amélioration que dégradation, et dans tous les cas il est effacement de la responsabilité d’une part, de la mémoire d’autre part (comme dans 1984). Bien sûr, une patiente recherche dans l’historique d’un article permet à un internaute consciencieux d’identifier et de dater d’éventuelles erreurs passées : mais pour l’internaute pressé, celui qui ne recherche pas mais consulte, la page Wikipédia se présente comme de toute éternité.

    1. @Loys Bonod : je connais les inconvénients de la mise-à-jour permanente, notamment en cas d’intentions malveillantes (cf. le document qui décrit la stratégie « wikipédia » d’Alain Soral). Mais bon, les mauvaises mises-à-jour peuvent elles-mêmes être mises à jour. Wikipédia n’est pas un ouvrage figé, c’est un processus. Et je trouve pour ma part merveilleux que contre toute logique, toute intuition, malgré l’anonymat, malgré l’immédiateté, malgré l’absence de procesus de validation, que ça fonctionne malgré tout de manière suffisamment satisfaisante pour que, même ayant vu fonctionner l’encyclopédie libre de l’intérieur et en étant averti de ses failles, j’y voie un outil suffisant pour bien des usages. Et mieux que ça, en y participant, j’ai énormément appris : c’est ça aussi, le principe démocratique de Wikipédia, chacun peut lui-même acquérir des connaissance non pas en se faisant infliger un corpus encyclopédique, mais en allant chercher la connaissance ailleurs pour participer.

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