(en fouillant mes archives, je tombe sur ce court texte imprimé avec une imprimante matricielle et daté de décembre 1991. J’aurais pu changer la ponctuation et une partie du vocabulaire, qui ne ressemblent plus à ma manière d’écrire aujourd’hui, mais j’ai préféré laisser le texte tel qu’il a été écrit à l’époque. Je ne pense pas qu’il y ait un sens profond à chercher)
Un caillou sur le bord d’un chemin, et qui était persuadé d’être une montgolfière, vit passer près de lui le pape, Jésus Christ et tous les saints. Le caillou, croyant que ces hommes n’étaient rien d’autre que des hommes comme les autres, espérait secrètement que l’un d’entre eux déciderait de monter dans la nacelle – puisqu’une montgolfière a une nacelle – et qu’ainsi ils s’envoileraient. Ici, je dois m’arrêter pour signaler que les cailloux – celui-ci du moins – s’imaginent que ce qui fait voler une montgolfière n’est pas l’air chaud qui gonfle la toile mais l’homme dans la nacelle. Le miracle survint lorsque Jésus posa son doux regard sur le caillou qui venait justement de frapper (sans bouger, pourtant) l’ongle incarné du gros orteil du messie (Jésus marche pieds nus). Le sauveur prit le caillou dans sa main, puis le jeta le plus haut qu’il pût (Habituellement, on jette les cailloux horizontalement, mais pour Jésus, c’est vers le haut), au cri magique de « Père ! je veux des chaussures ! ». Le caillou retomba sur la tête de Saint-Pierre, qui en fut fâché, ce qui déclencha un débat musclé entre le sauveur, Saint-Pierre, le pape et tous les saints.
Le caillou réfléchit un peu. Tout, depuis sa rencontre avec le Messie avait changé. Il savait maintenant (lui le caillou des chemins peu fréquentés, lui par conséquent inculte et ignorant) que l’on pouvait voler sans qu’un homme montât dans une nacelle. Il suffisait donc de dire « Père, je veux des chaussures », et c’était tout. Il essaya de prononcer la phrase plusieurs jours et plusieurs nuits durant, mais rien n’y fit, les cailloux ne parlent pas. Il essaya bien de pleurer mais pas une larme ne coula sur les joues qu’il n’avait pas. Ce fut pour lui l’âge de raison. Il n’était qu’ un caillou, et enfin il le savait. il voulut prêcher, expliquer à tous les cailloux qu’ils n’étaient que des cailloux, mais il en fut incapable physiquement, et quand bien même il aurait pu le faire, les autres ne l’auraient pas écouté : ils n’écoutent qu’eux-mêmes et se persuadent en leur for intérieur qu’ils sont des montgolfières.
En fait, ce ne sont que des cailloux.