La rosette

Thomas Piketty refuse la Légion d’honneur, et il a bien raison.
Si l’on se trouve être une célébrité locale qui a œuvré pendant des décennies dans le domaine associatif, qu’on a rendu un service public (culture, social,…) par pure passion, alors les médailles, les saluts et les célébrations sont appropriées, l’État est dans son rôle. De nombreuses personnes reçoivent la Légion d’Honneur pour ce genre de raisons, mais les médias n’ont font pas leurs gros titres : madame rien-du-tout qui, pendant cinquante ans, a tenu le ciné-club d’un petit bled du Lot-et-Garonne, ça ne parlera qu’à la presse locale.
Lorsque l’État donne des médailles à Thomas Piketty, Mimie Mathy, Henry Proglio et Christophe, dont aucun n’a besoin de reconnaissance symbolique, puisqu’ils en disposent déjà, on comprend que c’est l’État qui a besoin des médaillés, ils deviennent un produit d’appel pour la Légion d’honneur, c’est en associant leur célébrité à la rosette qu’ils lui donnent sa valeur. Et plus embêtant encore, les « promotions » annuelles sont souvent le mariage de la carpe et du lapin, distinguant pèle-mêle des gens très bien et d’autres bien moins fréquentables : un industriel connu pour ses plans sociaux ; un politicien qui aurait plutôt fait de la prison pour corruption si la justice s’en était souciée ; un artiste dont le succès est notoirement inversement proportionnel au talent ; etc.
Accepter la médaille revient forcément à admettre d’être placé au même niveau que des gens dont on désapprouve la carrière, voire à un niveau inférieur, puisqu’il y a des grades. On peut refuser aussi par vanité, j’imagine, pour s’associer à la tradition de tous ceux qui ont refusé avant soi, parmi lesquels on trouve des gens au talent et aux mérites parfois considérables. Je me demande si c’est un luxe de célébrité : est-ce que des gens sans notoriétés refusent eux aussi ?

Monique Pinçon-Charlot, annoncée dans la promotion 2015, aurait en tout cas tort de refuser sa Légion d’Honneur : dans le milieu sur lequel cette sociologue enquête — le « grand monde » —, les distinctions de ce type peuvent être un sésame, même si, comme le savent bien les gens qui sont dans le Bottin Mondain, seule la Légion d’Honneur militaire compte vraiment, et seule la médaille du mérite agricole est effectivement difficile à obtenir.

2 réflexions au sujet de « La rosette »

  1. Pour répondre à « est-ce que des gens sans notoriété refusent eux aussi ? » :
    « Refuser » la Légion d’honneur ne signifie pas grand chose en tant que tel : le décret a été publié, la LH leur est attribuée. La seule chose que l’on peut faire pour la « refuser », c’est ne pas se faire remettre les insignes car on n’entre dans l’ordre qu’à l’occasion de cette cérémonie (c’est le cas uniquement pour les ordres nationaux, LH et Mérite).
    Et oui, il y a des gens qui, en ce sens, refusent sans tambour ni trompette. C’est à dire qu’il n’en ont juste rien à faire et n’organisent jamais cette remise. Je sais que c’était par exemple le cas de l’ancien président du CNL JF Colosimo. C’est sans doute le cas également d’autres gens ordinaires, mais on ne le saura jamais. Il est vrai qu’on fait moins parler de soi si on laisse juste pisser le mérinos par indifférence… et refuser avec éclat démontre qu’on attache beaucoup plus d’importance à cette fameuse LH que ne le fait le commun des mortels.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *