Trafic d’armes : la France a peur

Le député « souverainiste » Nicolas Dupont-Aignan a fait cinq cent mètres en voiture avec, dans son coffre, un fusil mitrailleur Kalachnikov trafiqué pour ne plus pouvoir blesser quiconque. Le fondateur du parti « debout la France »1 est passé devant le poste-frontière de Menton et là, personne n’a fouillé son coffre, personne n’a tenté de l’arrêter. Ce n’est pas très étonnant puisque chacun sait que, depuis près de vingt ans, le poste-frontière de Menton est désaffecté et on peut circuler sans entraves entre la France et l’Italie, et ce, quoi que l’on ait mis dans son coffre. De la même manière, les fortifications de Paris ont été remplacées par le boulevard périphérique et on peut désormais entrer dans la capitale sans devoir payer l’octroi.
J’hésite à trancher : est-ce que l’opération médiatique de Dupont-Aignan est plus idiote que celle des activistes de la « Ligue du nord » italienne qui avait manqué se noyer en tentant de prouver que la traversée entre la Libye et l’île de Lampedusa était une promenade de santé2? Au moins, leur tentative burlesque, dont on ne sait pas si elle était courageuse ou juste inconsciente, constituait une manière expérimentale de vérifier ou de contredire ce que disent les uns et les autres sur la facilité qu’il y a à entrer sur le territoire européen sans y être invité. Dupont-Aignan n’a fait que vérifier ce que tout le monde savait déjà : on peut circuler librement dans l’espace dit « de Schengen ». Mais bon, « It’s not a bug, it’s a feature », comme on dit en informatique.

trafic

Ce qui m’étonne, c’est la manière dont grand nombre de médias racontent la micro-aventure de Dupont-Aignan et font semblant d’y voire une épopée, une action presque choquante, donc culottée, destinée à établir que l’Europe est, dixit« une passoire » : « Jusqu’où ira la communication politique ? » (Le Figaro) ; « Européennes : Dupont-Aignan passe la frontière avec une Kalachnikov » (Le Parisien) ; « Comment un élu de la République a-t-il mis la main sur une arme de guerre interdite à la vente sur le territoire français ? » (Huffington Post) ; « Le député de l’Essonne n’a pas hésité à flirter avec la ligne jaune, voire à la franchir » (Europe 1).
Je n’accuse personne de complaisance : chaque article que j’ai lu était d’ailleurs discrètement moqueur, soulignant implicitement le caractère ridicule de l’opération, ce qui est mérité,  mais du coup, je me demande pour quelle raison ces mêmes médias font semblant de croire qu’il y a quelque chose à tirer de cette action piteuse. Est-ce juste que ça permet de remplir une colonne de journal sans trop se fouler ? Est-ce pour ne pas être accusé de ne jamais donner la parole à Dupont-Aignan ? Est-ce par pitié envers les malheureux attachés des presse du député ? Un peu de tout ça à la fois ?

  1. Quand on dit aux gens de se mettre debout, ça me rappelle la messe, où il faut se lever et s’asseoir sur commande, et bien entendu les autres types d’éducation à l’obéissance, notamment le dressage des chiens. []
  2. Ces amuseurs avaient réussi à mettre le feu à leur propre canot en lançant une fusée de détresse. Lire : Ils manquent de se noyer lors d’un coup de com’ anti-immigration.
    Edit : on me dit ici et là que cette histoire pourrait bien relever de la légende, cf. commentaires. []

3 réflexions sur « Trafic d’armes : la France a peur »

  1. Wood

    Pour l’histoire des nationalistes italiens, il y a un sérieux doute sur sa véracité. L’article du Huffington Post indique :

    UPDATE: Doubts have now been cast about the veracity of the story, with the secretary of the Modena Lega Nord saying he had not heard of the men involved. The Malta Independent and the Italian news sites have now taken down their versions of the story.

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  2. ianux

    Pour revenir sur la citation tirée du Huffington Post, il est tout à fait légal d’acheter et de posséder une Kalachnikov (un AK-47 en l’espèce, je présume), sous réserve de la possession d’une licence de tir et d’une autorisation préfectorale de détention d’arme de cette catégorie. La seule contrainte est que les modèles autorisés à la vente en France sont de type semi-automatique (on tire une balle à chaque pression sur la détente, sans avoir besoin de réarmer, contrairement à l’automatique où on vide le chargeur tant qu’on a le doigt appuyé sur la détente). Dans cette configuration (modifiable, mais ça devient illégal du coup), ce terrible engin de guerre est considéré légalement comme une simple carabine.
    Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la détention d’arme est un droit en France, certes largement encadré (et heureusement bien sûr). D’ailleurs, avec sa « grande » tradition de chasse (perçue comme un droit gagné par la plèbe contre la noblesse d’ancien régime – intouchable donc), la France se classe parmi les pays possédant le plus grand nombre d’arme à feu par habitant dans le monde.

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