Laniakea

De toutes les cosmologies mythiques que j’ai un peu étudiées, je ne vois que la mythologie hindoue et la mythologie nordique qui développent un vrai sens de l’immensité du temps et de l’univers. Toutes les autres semblent étriquées et savent à peine extrapoler le faible champ de vision humain.

En voyant les nouvelles représentations de Laniakea, l’amas de galaxies où se trouve la voie lactée, je pense tout de suite à Yggdrasil, l’arbre-univers qui relie notre monde, Midgard, aux huit autres royaumes : Muspellheim, Niflheim, Ásgard, Helheim, Vanaheim, Jötunheim, Álfheim et Svartalfheim.

laniakea

Laniakea est un super-amas, qui contient l’amas de la Vierge, dans lequel se trouvent dix mille galaxies, dont la Voie lactée, banal regroupement de quatre cent milliards de soleils (à tout casser), où se trouve justement notre étoile et ses poussières que sont Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et Pluton.

Adieu Nicolas

Difficile de ne pas repérer cet étudiant plus âgé que les autres, fébrile, décalé, qui posait des questions incongrues, qui n’avait pas toujours le sens, comme on dit.
Les premières fois qu’il m’a parlé, j’ai eu un peu peur, en me rappelant quelques étudiants passés aux conditions psychologiques particulières, mais il s’est avéré intelligent et sympathique et je pense que l’école entière a vite apprivoisé sa bizarrerie. Les écoles d’art servent à ça aussi, à accueillir ceux qui ont du mal à se trouver une place dans le monde. Je ne sais pas les détails, je ne sais pas ce qu’il s’est passé mais j’apprends aujourd’hui qu’on l’enterre mardi.

À quand un Pulitzer collectif pour la presse française ?

Joe Cocker est mort, et Valérie Trierweiller tweete, pour lui rendre hommage : « n’oubliez jamais Joe Cooker ». Elle supprime rapidement son tweet, mais certains ont eu le temps de faire une capture d’écran et quelques personnes ricanent. En effet, si les Français sont mauvais en anglais et écorchent sans vergogne les noms étrangers, ils ont appris le mot « cooker » à l’école (ou sur les emballages d’électroménager) et le distinguent du mot « cocker » (qui est une race canine bien connue). Ils peuvent donc étaler leur érudition à peu de frais.
La presse francophone, de La Dépêche au Parisien, avec l’audace qui la caractérise, a consacré pas moins de quinze articles à ce tweet erroné pourtant prestement retiré, et aux réactions suscitées par lui.
Les Français n’aiment que râler, c’est bien connu. Dans notre pays on ne félicite pas assez souvent les grands reporters qui, au péril de leur vie, vont chercher l’information exclusive, on ne parle pas assez des donneurs d’alerte qui dénoncent la corruption et on ne célèbre pas assez la finesse des analystes politiques les plus talentueux. C’est un scandale, et il me semble, en conséquence, que la presse française, dans son ensemble, mériterait un Prix Pulitzer collectif pour la réactivité et la sagacité dont elle a fait preuve dans sa couverture du Tweet scandaleux et ridicule de Valérie Trierweiler.
Surtout que pendant ce temps-là, on ne pense pas à Hong Kong, à Kaboul, au Nigéria, au Soudan, au Congo, à Daesh. Pendant ce temps-là on pense encore moins, bien entendu, aux décisions du gouvernement et à la non moins pitoyable activité de son opposition. Et on pense encore moins, bien sûr, au ridicule de la presse toute entière.

Les enfants qui couvrent les adultes

Ma voisine L*, âgée de dix ans, a reçu une mauvaise appréciation pour un exercice de langue française. Il lui fallait placer les verbes correctement conjugués sur des pointillés dans un texte. Le polycopié lui est revenu raturé de rouge pour chaque verbe. Sa mère ne voyait pas quelles fautes sa fille avait commises, elle a demandé à Nathalie de le lui confirmer, et j’ai regardé aussi : L* avait en fait totalement réussi l’exercice, et ce sont les correction de son institutrice qui étaient toutes fausses et qui composaient un texte écrit dans un français incompréhensible.
La mère de L* n’a pas osé faire remarquer à l’institutrice ses manquements, qui ne sont pas les premiers, mais L* l’a fait, et sa professeure lui a répondu : « c’est à discuter ». En croisant L* ce matin, allant acheter le pain, je lui ai dit que j’aurais adoré scanner son exercice raturé et mettre l’image sur Internet.
La fillette m’a regardé d’un air soucieux et m’a dit : « Oh non, il ne faut pas, je me sentirais trop coupable ».

École de rêve

J’ai rêvé de la rentrée à l’école d’art du Havre. C’était une grande bâtisse dans un parc, qui rappelait plus une maison de retraite un peu ancienne. Sous des arches, la nuit, j’ai vu des étudiants en plein workshop qui prenaient des bains de peinture, et j’ai tenté de me rappeler du sujet de mon propre workshop, sans y arriver. Quand j’ai passé la grille pour aller en ville, on fermé derrière moi, et je me suis dit : zut, minuit passé, c’est fermé, je vais devoir faire le tour pour re-rentrer. Malgré l’heure, un gars tondait le gazon.

Le naïf

On m’écrit par e-mail :

« Allez, reviens sur Twitter, ma timeline est devenue ennuyeuse à mourir, il n’y a plus jamais rien de drôle à lire depuis que tu es parti ».

Cuisant échec, donc. Pendant toutes ces années, je tentais de tenir des conversations sérieuses, et je découvre avec stupéfaction que mes lecteurs se payaient ma fiole. J’étais à Twitter ce que le Douanier Rousseau fut à la peinture. Et cette révélation de la duplicité de mes lecteurs devrait me donner envie de revenir ? Y’a des limites !

Spoiler : la mort

J’ai rêvé que j’étais mort.
Si vous n’avez pas peur que ça vous gâche la surprise, je peux vous raconter comment ça se passe, et sinon, eh bien ne lisez pas.

Alors quand on meurt, on continue d’exister parmi les vivants. On les voit mais eux ne nous voient pas, et on ne peut pas vraiment les toucher. On essaie de faire des « tok tok » et d’écrire des trucs avec des épingles pour faire comprendre aux vivants qu’on est à côté d’eux, mais c’est épuisant et ça marche mal. J’ai réussi à vaguement communiquer avec mon frère, qu’il se dise « ah c’est bizarre dis-donc, et si… », et ça m’a suffi, au fond j’ai compris que c’était un peu vain, d’essayer de causer aux vivants. J’ai vu qu’on essayait d’inhumer mon corps avec des mocassins noirs en cuir un peu chics mais qui ne me ressemblaient pas du tout. Nathalie est morte en même temps que moi, on se promenait donc partout bras dessus bras dessous. Pour les morts, la température est estivale, qu’il fasse nuit ou jour, qu’on soit en automne ou en hiver. On passe le temps à croiser des gens qu’on connaît et à avoir des conversations superficielles avec eux, du genre « ah, je savais pas que tu étais mort » , « ça y est, on se retrouve finalement, hé, hé ! » ou « ah on a été tristes quand on a su… ». Mais au fond on ne s’attarde pas beaucoup, soit parce qu’on n’a pas grand chose à se dire, soit parce qu’on se dit qu’on a tout le temps. Mort, on a l’âge que l’on avait au moment du trépas, mais dans un état de santé idéal, on a les artères de son âge, donc. Alors tout le monde est assez beau et joyeux. On passe sa vie à se balader, à manger sur des tables installées à l’extérieur, à aller au cinéma, à aller à la piscine (où tout le monde est complètement nu), et à écouter des conférences dans des musées.

Il y a les conférences données par des camarades trépassés, où tout le monde se tient sagement coi, et des conférences données pour et par des vivants, où les morts discutent sans gêne, puisque personne ne les entend. C’est un peu pénible pour ceux que ça intéresse malgré tout, et j’ai vu comme ça une conférence d’astrophysique où les morts jacassaient si fort que je me suis retrouvé forcé à me placer juste devant le conférencier, à quelques centimètres de son visage, pour pouvoir l’écouter. Les conférences données par les morts ne me semblent pas être les meilleures. Enfin je n’ai assisté à aucune, mais j’ai vu une dame d’âge mûr et au physique avenant faire une annonce disant : « bon, alors je vous rappelle que demain * fait sa conférence à telle heure, ce sera au musée, hein, ne vous trompez pas cette fois-ci ! ». L’érudit local mentionné souriait avec une timidité feinte qui masquait mal l’orgueil qu’il éprouvait à l’idée d’être considéré comme un conférencier considérable par cette femme qu’il trouvait, ça se voyait dans ses yeux, si belle et désirable. Un moment aussi doux pour lui que d’aller coller sa joue sur la généreuse poitrine tiède de sa bienfaitrice. La forme un peu bête de son sourire le disait bien. La dame ne semblait en vérité porter aucun intérêt à la conférence elle-même, et n’a pas pensé à en annoncer le sujet. S’y rendrait-t-elle autrement que par devoir ? Elle voulait surtout éviter au conférencier de se retrouver devant une salle vide, triste spectacle auquel il était sûrement habitué. Mais je pense qu’il se moquait d’avoir un public, car sa vraie heure de gloire, la seule chose qui comptait, c’était ce moment précis où cette femme faisait semblant, pour quelques instants, de le juger important.

Ce matin, des vivants m’ont demandé où dorment les morts, s’il faut vivre en collocation. Je n’en sais rien, je n’ai pas l’impression que l’on continue à dormir, une fois mort. On apprend en tout cas vite qu’il faut constamment lever le pouce dans la rue pour faire savoir aux éventuels collègues morts que l’on est dans le même état qu’eux, car sinon, on se rentre dedans : lorsque l’on est mort, on ne voit pas la différence entre les vivants et les autres. Toutes les rues sont encombrées, animées à n’importe quelle heure, tellement il y a de morts. Comme les morts ont tous l’air récents, sans doute n’est-ce qu’un état transitoire, mais personne n’a aucune information sur le sujet.

Voilà, vous êtes prêts.