Mon nom figure dans la base de données Wikidata, et on m’y attribue (à raison) trois « maîtres » qui sont les artistes et enseignants Pierre Carron (dont j’ai fréquenté l’atelier aux Beaux-Arts de Paris), Jean-François Debord (dont j’ai passionnément suivi les cours de morphologie au même endroit) et Jean-Louis Boissier, que j’ai eu comme directeur de DEA à l’université Paris 8 et avec qui j’ai collaboré sur de nombreux projets. Parmi les gens dont j’ai fortement subi l’influence directe, ont pourrait ajouter Jürg Kreienbühl, que j’ai bien connu et dont je me suis littéralement senti un disciple à une période de mon existence, ou encore le philosophe sinophile Kyril Rijik, dont je découvre avec surprise qu’il a eu le peintre néo-post-impressionniste Henri Martin comme grand-père.
Tout ça est très anecdotique, mais il est amusant de constater que, en faisant des sauts de « maître » en « maître », on parvienne à dresser ma généalogie d’élève jusqu’au maître de Giotto, Cimabue, en passant par Pontormo et Léonard de Vinci ! Tout comme c’est le cas avec chacun de nos ancêtres lointains, il ne reste sans doute rien des maîtres du passé dans mon propre travail, et ce d’autant plus qu’on ne peut pas dire que j’aie véritablement tenté de mener une carrière d’artiste.
Votre serviteur (1) a fréquenté l’atelier de Pierre Carron (2) Qui a fréquenté l’atelier de Gustave Corlin (3) élève de Jean-Léon Gérôme (4) qui a étudié auprès de Delaroche (5), issu de l’atelier d’Antoine-Jean Gros (6), élève de Gleyre (7), formé par Hersent (8), issu de l’atelier de Régnault (9), formé par Nicolas Bernard Lépicié (10) puis Charles-André Van Loo (11), Benedetto Luti (12), Anton Domenico Gabbiani (13), Vincenzo Dandini (14), Cesare Dandini (15), Francesco Curradi (16), Giovanni Battistat Naldini (17), Pontormo (18), Léonardo (19), Verrochio (20), Donatello (21), Bicci di Lorenzo (22), Lorenzo di Bicci (23), Spinello Aretino (24), Jacopo del Casntino (25), Taddeo Gaddi (26), Giotto (27) et enfn Cimabue (28). Par d’autres branches, je peux me relier à l’affichiste Cassandre, à Jean-Dominique Ingres et Jacques-Louis David, Andrea del Sarto, Fillipo Lippi, Masaccio, mais aussi des flamands tels que Jan Gossaert (« Mabuse »), Frans Floris et toute la famille Pourbus.
Comme toute généalogie, celle-ci est essentiellement une fiction, mais elle me plait bien ! Et les centaines d’étudiants que j’ai suivis au cours des vingt-huit dernières années peuvent à leur tour s’inscrire dans ce fil de près de huit-cent ans !
Le père de Nathalie est né et mort à Zadar, en Dalmatie. Sa famille est établie dans un village de pêcheurs, Kali, sur l’Île d’Ugljan, en face de Zadar. Je ne lis pas le croate et j’ai mis longtemps à trouver les archives d’État-civil croates en ligne, mais elles existent, jusqu’au début du XXe siècle, et sont accessibles gratuitement, comme en France ou en Norvège, et contrairement au Royaume-uni ou aux États australiens. Pour les archives publiques de la région de Zadar, on doit aller ici. J’imagine que les archives des autres comtés fonctionnent de la même manière. Le visionnage des pages fonctionne assez bien, mais sans indexation ni annotation, et surtout, sans possibilité de télécharger les documents (ni même d’enregistrer les images d’un clic)— enfin il y a une astuce qui permet d’y accéder tout de même.
Ces archives sont assez passionnantes comme témoins d’une longue histoire : la région a longtemps été sous administration italienne1, et les registres sont rédigés dans un curieux mélange linguistique qui varie selon les années. Les formulaires imprimés sont en italien. Les nombres sont écrits en chiffres arabes et en serbo-croate, mais les mois sont écrit, selon les périodes, en serbo-croate, en italien, ou encore en italien phonétique. Ainsi je suis tombé sur un mystérieux mois nommé « Žunja » (mais sans la diacritique) qui est en fait le moins de juin, « giugno » en italien, auquel est appliqué une déclinaison (d’où le « a »), et qui est transcrit en croate.
au centre : « rodgena 3·tri·Zunja 1819 » (« née le 3·trois·juin 1819 »)
On voit au passage les villes changer de nom : Zadar, sous administration italienne, s’appelait Zara, tandis que Kali a eu les noms successifs Calle, Kalle, Kale et Kali. Les documents sont de bonne qualité, plutôt lisibles, parfois étonnamment complets. Les mentions marginales (ajouter la date de décès à un acte de naissance, typiquement) apparaissent bien plus tôt qu’en France (après guerre !) et étaient même prévues dans les formulaires.
De manière très variable selon les périodes, certains actes peuvent être extrêmement détaillés, comme c’est le cas les actes de décès où sont parfois signalée l’identité et même la date de naissance des parents du défunt. Contrairement à ce que j’ai vu dans plein d’autre pays, les mentions de veuvages et de remariages n’apparaissent jamais — à moins que ça soit moi qui n’arrive pas à les comprendre. Je note que les règles de nommage des personnes changent avec le temps : parfois les patronymes se voyaient appliquer des déclinaisons ( Mišlov — Mišlova).
Le village de Kali est étonnamment homogène en termes de noms de famille et ce sont les mêmes qui reviennent année après année dans les registres. Il y a notamment beaucoup de noms en « ov » : Mišlov, Dundov, Franov, Vitlov, Vidov, Blaslov, Grzunov. Cette terminaison en « ov », qui sonne russe ou bulgare, n’est pas du tout typique de la Yougoslavie, où les noms se finissent souvent en « ić » (itch), comme c’était le cas de la grand-mère de Nathalie, Krstina Zelenčić, dont la famille, disait-on, venait d’une île plus reculée de l’archipel, Iž — origine géographique qui daterait alors d’avant les documents d’état-civil auxquels j’ai accès23. Le « ov » bulgare est en tout cas intriguant : les habitants de Kali, qui ont leur propre dialecte du dalmate, distinct de celui de la ville voisine, Preko, viennent-ils de loin ? Il me semble que certains noms ont évolué, perdant leur dernière syllabe en « ov » (je dois enquêter pour vérifier que j’ai bien compris, mais il me semble que c’est le cas des patronymes se terminant par « in » : Perin, Lukin, Gobin, Jurin, Kurtin, Govorčin, Šimin, Šarin. Un des patronymes redondants se détache des autres : Kolega. J’imagine qu’il dérive du mot latin col(l)ega, qui existe au Portugal, en Espagne, en Italie.
On voit le très faible nombre de patronymes différents sur le monument aux morts de Kali. Et il y a plus de variété dans cette liste du XXe siècle que dans les registres du siècle précédent.
Je ne parle ni croate ni italien, et je n’ai jamais été très bon pour lire des documents manuscrits, alors la redondance patronymes mais aussi le faible nombre de prénoms (Šime, Ante, Bože, Josip, Ive, Marija, Mande,…) est une bonne clef de déchiffrage. En revanche c’est aussi une source de confusion potentielle : j’ai dû tomber sur une vingtaine de Šime Mišlov — dont deux sont dans l’ascendance de Nathalie. Il n’est pas rare que la même année trois ou quatre enfants portent le même nom et le même prénom !4 Enfin on se débrouille, et tout allait bien jusqu’à ce que j’ouvre le registre des naissances le plus ancien, celui qui commence en 1683 et s’interrompt en 1825. Là, le texte, pourtant clairement tracé, devient totalement illisible :
Ce n’est pas écrit avec l’alphabet romain, ce n’est pas non plus du cyrillique, ni du grec… De loin, cet alphabet m’a fait penser au georgien, mais ce n’est pas ça non plus, il s’agit de l’alphabet glagolitique. L’alphabet glagolitique, créé par les missionnaires byzantins Cyrille et Méthode pour traduire la bible en vieux slave (langue qui est à l’origine du macédonien et du bulgare), a été accepté par la papauté comme langue liturgique dans les Balkans, et a même été utilisé aussi loin qu’en Hongrie et en Slovaquie5. La Croatie, où on croyait (à tort) que le glagolitique était l’écriture employée par Saint Jérôme pour traduire la Bible, a persisté à utiliser le glagolitique pour la liturgie mais aussi pour les actes administratifs jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, et même un peu après comme on le voit ici. Pour tout arranger, la langue employée n’est pas du croate mais du slavon liturgique, langue employée par les églises orthodoxes et par certaines églises catholiques de rite byzantin.
Le « Notre-père » dans les trois variantes de l’alphabet glagolitique : rond, angulaire, et manuscrit. L’alphabet angulaire est aussi nommé « glagolitique croate ». Le glagolitique croate n’est pas seulement angulaire, il a des variantes qui s’écartent du glagolitique d’origine. On fête le glagolitique croate les 22 février (je n’invente pas cette information incongrue).
Là, les choses commencent à devenir difficiles : j’ai un mal fou à reconnaître les lettres et les chiffres (qui vont au delà de 9 : il y a des signes spécifiques pour les dizaines, les centaines, les milliers… Et pas de zéro) dans une page écrite en glagolitique. Comme me le disait Nathalie, on peut se prendre pour le bibliothécaire Giles et le Scooby-gang de la série Buffy-contre-les-vampires lorsque ceux-ci tentent de déchiffrer des prophéties ou des sorts démoniaques dans des grimoires hors d’âge. J’ai trouvé un logiciel en ligne qui transcrit le glagolitique script, mais j’ai du mal à savoir s’il fonctionne : il faudrait que je connaisse le slavon liturgique pour le dire !
Mais il n’est jamais trop tard pour apprendre de nouvelles langues !
La ville de Zadar elle-même n’est devenue Yougoslave qu’en 1949, ce qui fait que de son vivant, mon beau-père Franko a vu sa ville natale être successivement italienne, yougoslave et croate ! [↩]
On sait que dans les sociétés traditionnelles, on reste souvent « l’étranger » quand c’est un arrière-arrière-arrière grand parent qui est venu s’établir dans un village situé à huit kilomètres de celui où il est né ! [↩]
Mise-à-jour du 16/12/2021 : en fait non, les Zelenčić étaient bien de Kali, c’est d’un autre côté — Govorčin que la famille venait de Iž. [↩]
En revanche, les origines communes des différentes familles du même nom se perdent assez loin et jusqu’ici je ne suis pas tombé sur des « implexes », c’est à dire des ancêtres qui se trouvent dans l’ascendance d’une personne par plusieurs branches. Nathalie me disait que les anciennes de son village veillaient au grain et signalaient aux jeunes gens que tel ou tel était un cousin afin d’éviter des alliances consanguines… [↩]
On m’apprend au passage que le jeu vidéo Witcher 3, produit en Pologne, regorge d’inscriptions en glagolitique, qui devient l’équivalent slave des runes nordiques. [↩]
Pour Libé, Émilie Laystary a publié le week-end passé un article intitulé Généalogie, le passé recomposé. Je n’ai pas de légitimité académique particulière pour en parler, mais puisque j’évoque régulièrement cette passion bizarre sur Twitter, je suis tombé sous le radar de la journaliste qui m’a demandé (parmi d’autres) de témoigner.
J’aimerais aller au delà de ce témoignage évidemment anecdotique, car la conversation m’a fait réfléchir un peu à cette pratique : au fond, sauf motivé par des questions de succession — et ce n’est pas du tout mon cas —, pourquoi éprouverait-on le besoin de connaître son ascendance ? Comment ça m’est venu ? Comme le dit l’article, il y a souvent un événement déclencheur. Dans mon cas, ce fut la mort de mon grand-père paternel, André Lafargue, en 2017. Il est mort à cent ans. Je l’admirais beaucoup, mais je ne peux pas dire qu’il ait été un grand-père-proche puisqu’il était séparé de ma grand-mère (et donc de mon père et de sa sœur) depuis les années 1950, et que nous n’avons commencé à le voir un peu régulièrement (une, deux ou trois fois par an) qu’après le décès de cette dernière, au milieu des années 1980. Les deux parents d’André ont une ascendance qui m’intéressait, l’une pour son relatif prestige et l’autre pour son obscurité : la mère d’André, Florence, était britannique, mais avait un patronyme français car descendante d’un huguenot drômois célèbre ; de la famille du père d’André, d’où je tire mon nom, on ne savait quasiment rien et on se demandait, à tout hasard, si nous étions apparentés au fameux Paul Lafargue, le gendre de Karl Marx1. Du côté de ma grand-mère, issue de la noblesse paysanne limousine, il y avait d’autres mystères, d’autres rumeurs : l’arrière-arrière-grand-père de Font-Réaulx aurait été d’ascendance royale, et, affirmait ma grand-mère, nous descendions de Saint Louis2. Elle aimait bien les histoires, elle aimait bien enchanter ses récits, et faire la part du vrai et de l’affabulation aura constitué une autre motivation pour mes recherches.
Pendant les quelques jours qui ont précédé l’enterrement de mon grand-père, j’étais seul à la maison. J’ai mis la main sur un arbre généalogique existant, celui de sa mère, et j’ai commencé à en faire la saisie. Au fil des ans, ce travail est devenu un peu obsessionnel, et en tout cas de plus en plus sérieux. Je constate à présent que ce sont les rameaux les plus proches de moi — et donc les premiers saisis — qui sont les plus approximatifs, les moins sourcés, les moins vérifiés. Je les revisite systématiquement aujourd’hui.
Vous pensiez que j’allais me retenir de raconter que je suis le cousin de James Bond? Eh bien pas du tout !
Car avec la généalogie, on acquiert une certaine compétence. On apprend à naviguer entre les sources disponibles en ligne (archives départementales3 et équivalents d’autres pays4 ; bases de données en ligne diverses telles que FamilySearch5, roglo6 ou capedia7, ou telles que celles de grands services de généalogie commerciaux — myHeritage, Geni, Ancestry, Filae,… ; Gallica8 ; minutes de procès ; héritages ; recensements ; etc.) ou non (service d’État-civil des mairies pour les personnes récentes, ou encore, enquête auprès des proches). J’imagine que c’est la mise à disposition toujours plus importante de sources en ligne qui explique l’explosion actuelle de la généalogie comme passe-temps, mais on comprend vite que tout ne se trouve pas sur Internet. Avec le temps on apprend à identifier des bizarreries. On apprend à lire l’écriture manuscrite de curés breton du dix-septième siècle, et à se repérer dans un texte écrit dans une langue qu’on ne parle pas, comme le latin ou le norvégien — important, puisque, de par ma mère, la moitié de mon ascendance est norvégienne. On apprend, à ce sujet, à distinguer les pratiques d’état-civil selon les époques et les lieux : l’absence de patronymes tels que nous l’entendons en Scandinavie avant la seconde moitié du XIXe siècle ; la désignation des épouses sous le seul nom de leur mari chez les anglo-saxons9 ; les mêmes prénoms donnés à plusieurs enfants d’une même fratrie (et pas forcément parce que l’un est décédé), les prénoms qui ont été unisexes à certaines périodes et le sont moins désormais (Philippe, Claude, Marie), les gens qui ont un prénom de naissance et un prénom d’usage distincts ; les noms complétés par un nom de domaine dans la noblesse ; ou encore l’instabilité orthographique des patronymes. Il n’est pas rare non plus de tomber sur des erreurs ou peut-être des mensonges, comme par exemple lorsqu’une femme est notée morte à soixante-cinq ans mais que la seule personne de son nom et de son village est née trois ans plus tôt qu’elle ne le devrait, ou ne semble pas être née dans le village qu’elle croit. Il y a, avec tout ça, un vrai plaisir de l’enquête, et parfois de la déduction. Voyant sa mort à un jeune âge et la date de naissance de son dernier enfant, on supposera par exemple qu’une femme est morte en couches. Voyant l’âge des époux au mariage et la date de naissance du premier enfant, on supposera que les mariés n’ont commencé à vivre ensemble que des années après la noce. On se pose des questions sur l’époque, les conditions de vie, on essaie d’imaginer l’existence qu’ont eu ces gens… Quand une femme a eu quatorze enfants dont un seul a atteint l’âge adulte, par exemple, ou quand les individus d’une branche de la famille semblent avoir eu, sur des générations, une longévité double de l’espérance de vie commune à leur époque. Et puis les guerres, les batailles célèbres, les catastrophes, mais aussi les voyages10… C’est peut-être de ce plaisir de l’enquête et dans la rêverie — imaginer des biographies, des histoires, des voyages — que vient mon obsession incongrue pour ce travail de généalogiste amateur. Collectionner ces noms d’ancêtres (dont certains, même proches dans le temps, ne sont sans doute absolument pas mes ancêtres11 ) me sert à toucher l’Histoire du doigt, pour m’y relier, pour la rendre vivante, tout comme j’aime visiter les ruines de villas romaines, écouter les guides dans les demeures de la Renaissance, sentir l’odeur d’une maison norvégienne en bois goudronné vieille de quatre siècles, tout comme j’aime lire des journaux anciens : ce ne sont pas que des documents, des indices, ce sont des pierres sur lesquelles quelqu’un a posé le pied, ce sont des lignes que quelqu’un a lues, des réclames que quelqu’un a vues, au moment de leur parution.
Cette semaine mon arbre a dépassé les 43 000 individus. Tous ne sont pas mes ancêtres, loin de là, il y a de nombreux cousins jusques aux 5, 9 ou 12e degré !
Régulièrement, je donne des coups de main à des gens qui veulent en savoir plus sur leur ascendance, et je me fais moi-même beaucoup aider12, notamment sur Twitter où je montre souvent des captures issues de registres paroissiaux que je ne parviens pas à déchiffrer. De temps en temps je reçois aussi des messages incongrus de gens en colère qui veulent absolument que j’ajoute ou que j’ôte telle ou telle mention médiévale de mon arbre généalogique, car de celle-ci dépendra la solidité de leur revendication d’un titre ducal… Mais je reçois (et j’envoie) la plupart du temps des messages bienveillants signalant une possible confusion de date ou de personne. L’entraide est un autre aspect intéressant de la généalogie — mais je m’imagine mal me rendre à des rencontres de généalogistes, par exemple.
Bref bref bref, si je dois répondre à la question posée dans le titre, Pourquoi s’intéresser à ses ancêtres ?, je dirais qu’il y a beaucoup de raisons différentes, et qu’avant tout, j’en tire un plaisir certain13.
Réponse : possiblement, mais alors de manière lointaine. Issu par son père d’une famille sans doute bordelaise (comme ma famille), Paul Lafargue est né à Cuba, avait une grand-mère afro-dominicaine… Des généalogistes ont tenté de creuser la question sans grand succès. [↩]
J’aurai appris que descendre d’un roi capétien n’était pas si improbable, mais que de la famille de ma Grand-mère, ceux qui avaient un nom sans particule (Fressinaud Mas-de-Feix) avaient un arbre généalogique remontant à l’antiquité, tandis que les « de » Font-Réaulx étaient une famille d’aubergistes, les Fontreaux, qui avaient gagné (acheté ?) une particule et un titre de comte à une époque où ces choses ne signifiaient plus rien. [↩]
Chaque département (chacun de ceux qui me concernent en tout cas) met en ligne son état-civil numérisé, et fournit une interface de visualisation plus ou moins pratique à utiliser. [↩]
Les sites de l’État-civil norvégiens, écossais, et ceux des différents États australiens (où la mise à disposition d’actes complets est payante !) sont plutôt bien. En revanche pour certains pays — Croatie notamment —, je cherche. Il y a des lieux très développés et réputés sérieux qui étonnent par le côté foutraque de la mise à disposition de leurs archives — la ville de Genève, par exemple. Et pour d’autres je ne comprends pas ce que je lis. [↩]
Base de données universelle créée par l’Église des saints des derniers jours — les Mormons —, qui entendent baptiser a posteriori la totalité des humains nés depuis Adam et Eve. Malgré son impossibilité, cet œuvre étonnant a fait des Mormons de grands spécialistes de la généalogie : les microfilms des Archives départementales en France ont été gracieusement réalisés par les Mormons il y a quelques décennies, et ce sont eux qui ont défini le format de fichiers généalogiques GED, qui fait autorité. [↩]
Roglo est une base de données associative fondée par Daniel de Rauglaudre et qui contient plus de huit millions d’individus. [↩]
Capedia est la base de données des descendants de Hugues Capet. Elle contient près d’un million d’individus ! [↩]
Gallica contient plusieurs types de sources intéressantes : journaux locaux du XIXe siècle, souvent riches en informations au sujet de personnes, mais aussi ouvrages de généalogie anciens. [↩]
J’ai ainsi une arrière-arrière-grand-mère qui s’appelait Chamier, ayant épousé un monsieur Chamier, mais s’est présentée au mariage sous le nom d’Annie Close, qui n’était pas son nom de jeune fille mais son nom de veuve puisque son premier époux était un dénommé Close. Son nom de jeune fille était Gilchrist. [↩]
Pour certaines époques on peut par exemple connaître la liste de tous les passagers des paquebots qui ont fait le trajet entre l’Angleterre et l’Australie. Intéressant aussi, voir une famille italienne ou allemande du XVIIe siècle qui s’établit subitement à Londres ou dans le Limousin : on se demande quelles histoires sont derrière le départ, comment la famille s’est peu à peu intégrée jusqu’à perdre la trace de cette origine, etc. [↩]
Les tests ADN m’ont cependant permis de vérifier de manière très rigoureuse l’exactitude de certaines branches. [↩]
Une autre question posée était le coût de cette passion. Je dirais environ une centaine d’euros par an, voire un petit peu plus, entre mon abonnement à Geneanet (45 euros), les abonnements ponctuels à des concurrents (Filae, Ancestry) l’achat de certains actes dans des pays où ça se paie, et puis les tests ADN. [↩]
Cousin d’un de mes lointains ancêtres, Antoine Chamier (~1655-1683) a eu une vie brève et une mort qui reste dans l’Histoire comme une des trois injustices1 qui ont précédé la Révocation de l’Édit de Nantes (1685). Les nombreux ouvrages consacrés à l’Histoire du protestantisme qui le mentionnent ne fournissent pas énormément de détails au sujet de sa vie. On sait qu’il était, comme son père, avocat à Montélimar.
La rue du Lion d’or, à Montélimar, où vivaient Jacques Chamier et Marie Bourserie, les parents d’Antoine Chamier, et où ce dernier a été tué.
L’Édit de Nantes (1598) avait permis un relatif apaisement des guerres de religion, mais tout au long du siècle qui a suivi, sous le règne de Louis XIII puis sous celui de Louis XIV, les droits des Huguenots ont été régulièrement réduits par des lois d’exception. Au cours du dernier quart du XVIIe siècle, le phénomène s’aggrave et les réformés voient interdites leurs assemblées locales ou nationales, voient un temple sur deux être détruit. Dans les temples restants, ils doivent accepter d’être surveillés par un agent catholique qui vérifie le contenu des prêches. Enfin, les établissements d’enseignement secondaire protestants sont fermés afin que les jeunes ne puissent bénéficier que d’une éducation catholique. Ces tracasseries ne sont pas encore des persécutions violents mais la volonté de faire disparaître le calvinisme en France est manifeste. Le pouvoir royal alloue par ailleurs un budget à la Caisse des conversions de l’ancien réformé Paul Pellisson, qui s’est vanté auprès du roi d’avoir obtenu l’abjuration de près de 60 000 protestants, en échange de primes, d’avantages et de faveurs pour eux et leurs familles2.
À partir de 1679, Louis XIV accélère le mouvement, et envoie ses dragons3 aux quatre coins de la France pour convertir « pacifiquement » les protestants. Autorisés à loger chez ces derniers, les dragons se rendent vite coupables de toutes les brutalités et exactions qu’on imagine.
La suppression de temples et la surveillance des autres poussent les Protestants à se regrouper pour assister à des prêches clandestins. Le 29 août 1683, dans la forêt de Saou (Drôme), 300 (ou 200 selon les récits) protestants qui se sont eux-mêmes nommés « camp de l’Éternel » sont assemblés illégalement. On vient les avertir que quatre régiments de dragons commandés par le marquis de Saint Ruth sont entrés dans Bourdeaux et pillent la ville. Les protestants se mettent en route pour défendre la ville, mais ils tombent vite nez-à-nez avec un régiment dont le capitaine leur ordonne de poser les armes et de se rendre s’ils souhaitent garder la vie sauve. Les protestants affirment ne pas être armés, disent que leur religion leur interdit la violence et jurent être fidèles au Roi. En réponse, le capitaine tire alors sur un des protestants, qui meurt sur le coup. Le combat est lancé. Le capitaine sera le premier dragon tué. La bataille qui s’ensuit au lieu-dit « Les Bourelles » où les protestants sont retranchés est meurtrière (120 morts dont un dixième de dragons). Après le combat, les soldats du Roy-très-chrestien s’acharnent sur les visages des protestants qu’ils ont tués pour les défigurer : il ne faut pas qu’on puisse les identifier. Les dragons avaient fait quatre prisonniers, ils leur ont demandé d’abjurer leur religion mais face au refus manifesté, ils ont forcé l’un d’entre eux à pendre ses compagnons. Pour achever de mater la R.P.R. (« religion prétendue réformée ») dans la région, le roi fera raser, aux dépens des protestants, les temples de Bourdeaux et Bézaudun. Des protestants soupçonnés d’avoir assisté à des prêches clandestins du « Camp de l’Éternel » sont envoyés aux galères ou condamnés à l’exil. De nombreux villages protestants des alentours se convertissent alors « spontanément » au Catholicisme, mais on sait que cette conversion était souvent feinte car la religion réformée a tout aussi spontanément réapparu au même endroit par la suite.
Le supplice de la roue
Antoine Chamier, avocat de 28 ans, avait été arrêté dans la forêt de Saou. Assimilé aux fugitifs du « Camp de l’Éternel », il a pour sa part affirmé qu’il s’était trouvé là par le hasard d’une partie de chasse. Peu importe la réalité des faits : son statut de notable protestant de Montélimar, fils de l’avocat Jacques Chamier, petit-fils du pasteur Adrien Chamier4 et arrière-petit fils du grand Chamier5, justifiait qu’il soit puni de façon exemplaire. Il est alors roué devant la porte de la maison de ses parents le 11 septembre 1683. Son agonie durera trois jours. Si ce genre d’histoire poussa des protestants à l’exil, la clandestinité ou le renoncement, elle crée aussi des vocations, comme celle de la jeune Blanche Gomont, qui en entendant le récit du martyre d’Antoine Chamier s’est sentie prête à vivre le même supplice :
Quelque temps après cella on fit roüer M. Chamier à Montélimar pour la religion et je disois à moy même : « Pourrois tu bien souffrir la roue ou le feu si Dieu t’appelloit à cella. Comme la semence de l’Eglise ce sont les martyrs quel bonheur si Dieu te faisoit la grâce d’être du nombre ».
Journal de Blanche Gaumont, dans Une héroïne protestante (Théodore Claparède, Paris 1867)
…Elle sera exaucée, la pauvre, après avoir été confiée à 21 ans à un trouble personnage, d’Hérapine6, qui se chargeait de ramener à la foi catholique les protestants détenus dans l’Hôpital de Valence en les soumettant à des mois de torture dont la cruauté et le raffinement soulèvent le cœur. Tous ne survivaient pas au traitements infligés par les sbires de d’Hérapine et sa terrible adjointe, sœur Marie. Blanche Gomont en est rentrée boiteuse.
Le lien familial…
Après la révocation de l’Édit de Nantes, la plupart des membres de la famille Chamier se sont exilés à Genève, puis à Londres.
J’ignore ce que sont les deux autres injustices, et je ne sais pas qui a décidé de leur nombre et de leur sélection. [↩]
Ce système est rapidement devenu un business douteux : les « acheteurs de conscience », eux-mêmes payés à la pièce, n’étaient pas très regardants et ont accepté la conversion au catholicisme de catholiques mentant sur leur religion, ou accepté que les mêmes personnes abjurent plusieurs fois de suite. On estime que le nombre de conversions véritables tourne plutôt autour de 10 000. [↩]
Les dragons sont des soldats se déplaçant à cheval mais combattant à pied. [↩]
Adrien Chamier, curieusement, était ami du Cardinal de Richelieu. Il est mort à l’âge respectable de 81 ans. [↩]
Daniel Chamier (1565-1621) dit « Le grand Chamier », pasteur célèbre pour avoir négocié l’Édit de Nantes auprès d’Henri IV et pour être mort en martyr lors du siège de Montauban (où les réformés ont pourtant obtenu la victoire, malgré une disproportion des forces en présence). [↩]
Henri Guichard, au passé d’escroc et de criminel avait décidé de se faire appeler d’Hérapine, en écho à son surnom, « la rapine ». L’évèque de Valence, qui l’avait pris en amitié, lui avait confié la direction de l’hôpital de la ville. [↩]
(un retour d’expérience sur le site myTrueAncestry)
L’ADN ancien est toujours détérioré, mais, si j’ai bien compris, on peut reconstituer l’ADN d’une personne en demandant à un programme informatique de recoller les morceaux qui se recoupent. Depuis des années, des archéologues collectent de l’ADN ancien dans des tombeaux et l’analysent — c’est de moins en moins cher à faire —, ce qui permet d’effectuer des rapprochements pertinents avec d’autres ADNs, y compris contemporains. Le site myTrueAncestry s’est spécialisé dans ce domaine, on leur envoie son ADN (de manière totalement anonyme) et ils le comparent à celui trouvé dans des sépultures diverses. La comparaison aboutit à établir un degré de proximité qui va de zéro à l’infini. Zéro, c’est la proximité d’un échantillon ADN avec lui-même. Plus le nombre est élevé et plus on s’éloigne, donc. Ensuite, ils comparent cette proximité avec celle qui concerne tous les autres utilisateurs du service, et peuvent dire à quel point on se démarque du nombre. Ainsi, j’apprends que Nathalie se trouve à une distance génétique du révolutionnaire Jean-Paul Marat de 15.152, ce qui signifie qu’elle partage de l’ADN avec Marat et qu’elle est plus proche de lui génétiquement que 89% des utilisateurs du même site.
résultats selon l’ADN de Nathalie
Et j’apprends pour ma part il n’y a qu’un pour cent des gens inscrits sur le même site qui entretiennent autant de proximité génétique que moi avec un viking tué lors du massacre de la St Brice (13 novembre 1002), quand Æthelred le Malavisé, roi d’Angleterre, avait ordonné le meurtre de tous les vikings danois présents en Angleterre.
Résultats tirés de mon ADN
En comparant aux échantillons de plusieurs individus, le programme permet de rapprocher une personne de divers peuples antiques : Saxons, Francs, Visigoths, etc. Il semble que je sois proche des Saxons, des Francs, des Wisigoths, et des Vikings. Nathalie a en commun avec moi les Francs et les Wisigoths, mais serait aussi d’ascendance scythe1, gauloise (celte, quoi) et thuringe2
à gauche, mon ADN, à droite celui de Nathalie.
Je ne comprends pas vraiment ce que peuvent signifier les doubles appartenances (« Saxon+Franc », par exemple), mais tout ça correspond plutôt à nos arbres généalogiques respectifs, Nathalie étant pour moitié issue d’une famille yougoslave au patronyme bulgarophone — voilà pour les Scythes ; d’une famille toulousaine — ce sont les Wisigoths ; Bretonne — voilà pour les Celtes ; et lotharingienne3 — voilà pour les germains thuringes et francs. De mon côté, je suis nettement scandinave (à cent pour cent par ma mère, norvégienne, et plus lointainement du côté grand-maternel de mon père) — voilà pour les Vikings ; très Sud-Ouest (Limousin, Angoumois, Bordelais) — voilà pour les Wisigoths ; un peu du Dauphiné — les Francs, j’imagine ; et un peu britannique — c’est de là que me viennent les saxons4 je suppose.
De gauche à droite, les résultats d’Hannah, Gabriel et Florence.
En payant (vraiment) très cher on peut comparer son ADN5 à celui de centaines de personnalités décédées il y a des siècles, de rois ou d’individus anonymes dont les restes ont été retrouvés sur des champs de bataille, dans des tumulus ou des nécropoles, mais j’en suis resté à la version gratuite, limitée à quelques échantillons et accessible quelques heures seulement. Il faut dire que ce site, malgré le service étonnant et plutôt sérieux qu’il rend est terriblement confus et avare en explications, ce qui ne donne pas vraiment envie d’y investir une somme importante.
Les Scythes étaient des nomades eurasiens évoluant sur un territoire allant du Nord de l’Inde à l’Est de la Roumanie ou de la Bulgarie, touchant la Perse ou l’Ukraine… [↩]
Les Thuringes sont un peuple de germains de la mer du Nord assez mal connu, allié d’Attila. [↩]
La Lotharingie, royaume du petit fils de Charlemagne Lothaire II, qui avait Metz comme ville principale, couvre l’actuelle Lorraine, le Luxembourg, une partie de la Belgique, des Pays-Bas et de l’Allemagne rhénane. Les ancêtres connus de Nathalie dans cette partie de l’Europe viennent de Meurthe-et-Moselle, du Grand-duché du Luxembourg et du Luxembourg belge. [↩]
Ensemble de peuples germaniques dont certains, les Angles, notamment, ont envahi le Sud de l’actuelle Angleterre. [↩]
myTrueAncestry ne s’occupe pas de la collecte d’ADN, il faut l’avoir fait sur un site tel que myHeritage ou 23andMe. À toutes fins utiles je rappelle que ce genre de service dit « ADN récréatif » est autorisé dans tous les pays du monde à l’exception de la France et peut-être de la Corée du Nord, car l’empreinte d’une personne, en France, peut appartenir à la justice, à la police, à la médecine, mais pas à la personne elle-même. [↩]
Un extrait des mémoires de mon arrière grand-père, Jean Lafargue (1884-1974). En 1905, après avoir échoué au concours de l’école polytechnique et effectué son temps dans l’armée, il décide de passer deux ans en Sorbonne pour intégrer l’école supérieure d’électricité (Supélec) en deuxième année.
La corvée militaire une fois accomplie, je me retrouvais de nouveau confronté à mes anciens problèmes, c’est à dire à mes inquiétudes quant à mes perspectives d’avenir. J’étais seul, sans aucun réconfort et sans aucun conseil. Mais le destin, qui m’avait si souvent déçu, brisant à divers reprises la réalisation de mes aspirations, cette fois me servit. Par un hasard que je ne me suis jamais expliqué, je fis la connaissance d’un ingénieur polytechnicien d’une trentaine d’années, très ouvert et très sympathique. Il se rendit compte, après que je lui eus raconté mes déboires, que j’étais désespéré, sans soutien, et que je ne savais où aller et que faire qui ne me déclasse trop, et il me dit, d’un ton joyeusement affectueux : « — Ne regrettez surtout pas polytechnique. Préparez une licence en sciences et entrez à Supélec . Un de mes amis a fait cela, et il en est très satisfait. Allez donc le voir de ma part ! » . Je vis cet ingénieur, également très sympathique, qui me renseigna sur la marche à suivre. J’allai donc m’inscrire à la Sorbonne pour trois certificats: physique générale, mécanique rationnelle et mathématiques générales.
Paul Painlevé
Quelques jours plus tard, Léante, cet ami intime de mon professeur à l’X, me demanda ce que je devenais. Quand il apprit que j’étais inscrit pour trois certificats, il me dit que c’était absurde, qu’on pouvait préparer un certificat, deux au plus mais jamais trois, au risque de subir un échec général. Mais j’avais repris du poil de la bête et n’en fis qu’à ma tête : voyant que je ne pouvais assister à tous les cours et conférences, je décidai à ne préparer que la physique générale, le morceau le plus dur, et de me contenter d’étudier les autres matières dans les livres qu’avaient publiés mes professeurs. Ainsi, je suivis régulièrement les cours d’électricité et d’optique et pris part à tous les travaux pratiques correspondants.
Gabriel Lippmann
Quand à la thermodynamique et à la mécanique, dont les professeurs ne faisaient que réciter leurs livres, je les travaillais chez moi, allant seulement aux remarquables conférences de Paul Painlevé, qui m’apprenait à raisonner la mécanique presque sans utiliser les mathématiques et que j’écoutais avec ravissement, ainsi qu’aux conférences d’un astronome qui proposait à sa dizaine d’auditeurs des problèmes à résoudre. Comme je faisais toujours ces problèmes, il me prêtait beaucoup d’attention et m’appelait régulièrement au tableau noir pour que j’expose mes solutions. Mon professeur d’optique s’appelait monsieur Lippmann. C’était un charmant vieillard, le type même du savant distrait, qui, absorbé par ses recherches, essuyait le tableau avec son mouchoir ou un pan de son habit (car les professeurs portaient encore l’habit), et s’essuyait la figure avec le torchon du tableau. J’assistais parfois aux cours que madame Curie donnait sur la radiotechnique : c’était une femme terriblement morne, qui semblait toujours donner des recettes de cuisine, sans aucune vue générale1.
Marie Curie donnant son premier cours en Sorbonne, le 5 novembre 1906
En fin d’année, je me présentai donc aux trois certificats. La physique générale fut le premier, et comme j’avais beaucoup travaillé, j’avais une certaine confiance en moi. En thermodynamique (où je n’avais assisté à aucun cours), je résolus convenablement les problèmes et obtint 18/20. Mais en électricité, je m’aperçus, vers la fin du temps imparti, qu’une phrase du texte du très long problème proposé pouvait être comprise de deux manières différentes, et que je m’étais embarqué dans celle des voies qui, après bien des calculs, ne conduisait à aucun résultat valable. Je ne pus malheureusement que l’indiquer sur ma copie car il était trop tard pour recommencer. A nouveau je me trouvais victime de la malchance. Je présentai le texte à trois chargés de cours: tous trois adoptèrent du premier coup d’œil ma propre interprétation, et furent bien surpris d’apprendre que la phrase devait être prise dans un autre sens. Beaucoup d’examinateurs avaient eux aussi abordé le problème comme moi, et il fut question de recommencer l’examen. Les autorités supérieures y renoncèrent, aussi, désespéré, je n’allai pas même voir les résultats affichés. Heureusement, un camarade vint chez moi pour me prévenir que j’étais admissible. Je n’eus que le temps de me précipiter en Sorbonne pour les oraux, et je fus reçu. J’appris par la suite que j’avais eu 3/20 en électricité, et que cette faible note m’aurait fait échouer si un maître de conférence n’avait vigoureusement plaidé ma cause.
mécanique rationnelle
Le
second examen concernait la mécanique rationnelle. J’avais beaucoup
d’inquiétudes car je n’avais assisté à aucun des cours magistraux.
Nous disposions de quatre heures pour résoudre un problème: au bout
d’une heure et demie, j’avais terminé. Ma solution, très courte,
était exposée sur une seule copie tandis qu’autour de moi, les
autres candidats noircissaient de nombreux feuillets. Je ne savais
pas trop quoi faire, pensant qu’il y avait sans doute bien de choses
à dire que je ne soupçonnais même pas.. Néanmoins, au bout de la
deuxième heure, n’y tenant plus, je rapportai mon unique feuille au
surveillant qui me dit sur un ton paternel : »- Vous avez tort de
désespérer! Il vous reste encore deux heures pour réfléchir.
Retournez donc à votre place. Je ne prends pas votre devoir. »
Désabusé, ne voyant vraiment pas ce que j’aurais pu dire de plus,
je sortis en laissant ma copie sur la table et mes camarades à leurs
savants calculs.
Je ne m’attendais bien entendu pas à un succès, or je fus non seulement admissible, mais aussi le premier dans la liste à passer les oraux : l’un avec monsieur Hadamand2, l’autre avec monsieur Painlevé. Un autre candidat, qui n’en était pas à son coup d’essai, me confia qu’il me plaignait, que Hadamand était une peau de vache qui prenait l’air satisfait tandis que vous parliez mais qui, au bout de dix minutes, vous mettait un zéro. Sur ce, je fus appelé à entrer dans la minuscule salle où m’attendaient un tableau noir et monsieur Hadamand. Il me posa une question qui englobait un sujet très vaste. Je me mis à parler et il ne m’interrompit guère que pour me dire de continuer lorsque je m’arrêtais. Toutefois, il vint un moment où, n’ayant plus rien à dire, je me risquai timidement à le lui faire savoir. Il me répondit que dans ces conditions, je n’avais pas à me présenter à monsieur Painlevé et je sortis de la salle sans avoir pu comprendre le sens de ces mots, persuadé que j’étais refusé. Je demandai néanmoins quelques éclaircissements à mes camarades qui m’expliquèrent que cela signifiait au contraire que j’étais reçu, et cela sans même avoir à passer le deuxième examen. Effectivement, j’appris quelques heures plus tard que j’étais reçu avec la mention bien. Il ne me restait donc plus qu’à passer l’examen de mathématiques générales, mais celui là ne m’inquiétait nullement. Je fus reçu avec la mention très bien, là encore sans avoir à me présenter au second oral. J’éprouvais une très grande joie d’avoir réussi à tous mes examens: j’étais donc capable de quelque chose !
Jacques Salomon Hadamard
Quelques jours après, je reçus une lettre de la Sorbonne qui me demandait de passer pour toucher le remboursement de mes frais d’inscription. Cette nouvelle imprévue me fit plaisir car j’avais très peu d’argent. Ma mère, qui estimait ne pas pouvoir me donner de l’argent de poche, payait seulement mes frais de restaurant. Cela représentait la somme d’un franc par repas. Il n’y avait pas de restaurants universitaires à cette époque et pour ce prix je ne pouvais guère que déjeuner dans une de ces pauvres salles où les étudiants misérables trouvaient une nourriture qui n’était pas très abondante mais encore moins ragoûtante. Lorsque je sortis du bureau du comptable, je vis venir vers moi un professeur qui m’était inconnu et semblait très pressé. Il me demanda : « — Etes-vous monsieur Lafargue ? — Oui, c’est bien moi, – lui répondis-je. — Bien. Je vous cherchais… Je suis le professeur Untel et je voulais vous dire que mon laboratoire est à votre disposition, et que si vous n’avez pas d’idée pour un sujet de thèse, je pourrais vous en proposer plusieurs. Venez quand vous le voudrez. Si je ne suis pas là, n’en soyez pas gêné : mes assistants sont prévenus. » Il me quitta tandis qu’ébahi, je le remerciai. Malheureusement, il m’attendit en vain : je tenais à faire Supélec où je pouvais entrer sans examen ni concours ; je n’avais en revanche jamais songé à faire un doctorat.
Cette année de Sorbonne, malgré le travail imposé et les difficultés matérielles que j’avais à surmonter, m’a laissé les plus beaux souvenirs de ma jeunesse et il me semble que c’est aussi l’année d’étude la plus intéressante dont j’ai bénéficié3.
(rédigé en 1966, transcrit par Daniel Lafargue)
Le témoignage date de 1905-1907, c’est donc à la toute premier année de cours de Marie Curie — tragiquement devenue veuve quelques mois plus tôt, et devenue chargée de cours sans l’avoir cherché, en remplacement de son époux —, c’est à dire à la première fois où une femme a donné cours en Sorbonne qu’a assisté le bisaïeul ! Son jugement est très sévère, mais il est vrai que si les cours de Marie Curie ont été un événement historique (et, à l’époque, mondain), elle ne fait pas partie des personnalités académiques de l’époque dont les cours étaient réputés animés et stimulants : de grands scientifiques pour qui enseigner est une corvée, il y en a d’autres ! [↩]
Il est noté Hadamand, mais a priori il s’agit de Jacques Salomon Hadamard (1865-1963), qui tenait alors la chaire de mécanique analytique et mécanique céleste au Collège de France, et qui présidait la Société française de mathématiques. [↩]
L’année suivante, la mère de Jean décède et il rencontre l’amour de sa vie, Florence Chamier. Il s’étend sur ses sujets dans ses mémoires mais ne raconte absolument pas ses études à l’école supérieure d’électricité, dont on sait juste qu’il sort ingénieur diplômé. [↩]
Nouvel extrait des mémoires de mon arrière grand-père, Jean Lafargue (1884-1974). En 1904, dévasté par son échec au concours d’entrée de l’école Polytechnique, il effectue son service militaire.
Ne sachant où me diriger, je décidai de faire mon service militaire. C’était la dernière année du service de trois ans, réduit à une année pour les étudiants munis de certains diplômes, les instituteurs, les fils de veuves, etc… Si j’avais demandé un sursis à l’appel, j’aurais eu à faire deux ans de service au lieu d’un. Je fus envoyé à Angoulême, où habitaient mes grands-parents maternels. Ce fut une année horrible pour moi, bien que j’ai été mis dans le peloton spécial des élèves officiers. Les sous-officiers étaient, pour la plupart, des brutes. Les lieutenants, spécialement choisis pour ce peloton, étaient très élégants et très snobs. Ils faisaient acte de présence pendant deux ou trois heures le martin, ne jetaient qu’un regard désabusé et dégoûté sur les soldats, bavardaient entre eux des réceptions de la marquise de …, de la comtesse de …, de leurs succès auprès de telle ou telle jeune femme. Il ne s’intéressaient à aucun de leurs soldats.
Le capitaine seul était un homme très sympathique. Malheureusement, officier d’état major perdu au milieu de ces officiers mondains, timide et isolé car il n’était dans ce régiment que pour deux ans, il se montrait peu et évitait de faire des observations à ses inférieurs, comme s’il avait ignoré le rôle réel d’un capitaine dans une compagnie. Le hasard me mit un jour en rapport avec lui. Apprenant que j’avais été admissible à l’X, il s’intéressa à moi. Il profitait de toutes occasions pour que nous discutions, me posant de petits problèmes de mathématiques, mais toujours très discrètement, évitant d’attirer l’attention des lieutenants et des sous officiers. Un jour, le pauvre homme se rendit ridicule. Notre peloton tenait la place d’honneur un jour que le général passait les hommes en revue. Lorsque le général arriva, escorté par son colonel, mon capitaine fut le premier à donne des ordres à son peloton. On entendit alors une petite voix aiguë mais très nette crier : « — Baïonnettes… on ! » , commandement désuet qui avait été remplacé par : « — Baïonnette au canon ! ». Le colonel devint très rouge, le général fronça les sourcils ; les soldat sourirent… Mais déjà, le capitaine s’était repris et criait l’ordre exact. La revue une fois passée, l’ordre fût donné de remettre les baïonnettes au fourreaux. Et l’on entendit à nouveau la petite voix de mon capitaine qui criait : « — Remettez…ette ! », au lieu de : « — Remettez la baïonnette ! ». Un fou rire s’est déclenché du côté des troupiers. Mon pauvre capitaine, discrédité, ne reparut plus1.
La vie stupide que je menais avait fait que, dégoûté, j’étais devenu un mauvais soldat, faisant juste le strict minimum, incapable d’apprendre par cœur le manuel du soldat, mais toujours prêt, en revanche, à saisir la moindre occasion de permis de sortie qui se présentait. C’est ainsi que, vers le mois de mai, ayant appris qu’une instruction ministérielle stipulait que des permissions pour aller passer des examens civils étaient accordées aux volontaires qui justifiaient de titres suffisants pour se présenter, je demandai une permission de trois semaines pour aller passer à Paris les examens d’entrée à l’Ecole Centrale, car j’avais constaté que c’étaient les plus longs de tous les examens qui m’étaient offerts. J’obtins la permission, qui ne pouvait d’ailleurs pas m’être refusée, et passais tranquillement mes trois semaines à Paris. Mais quand je revins à la caserne, une surprise m’attendait: quinze jours de salle de police pour avoir demandé et obtenu une permission, alors que j’avais à passer des examens militaires ! Lorsque j’étais parti, la date des examens n’avaient pas encore été fixée et il n’était pas question qu’elle soit prochaine. En tout cas, ce n’était pas à moi de soulever cette question, mais le colonel qui avait autorisé ma permission avait été sévèrement réprimandé par le général qui faisait passe l’examen. Le colonel réprimanda le commandant qui se retourna contre les officiers du peloton auquel j’appartenais, et finalement, ce fut sur moi que fondit la punition. C’était somme tout assez injuste, mais je ne la fis pas car je fis remarquer que toutes les punitions, par ordre ministériel, avaient été levées à l’occasion du quatorze juillet, or, bien que je sois rentré le seize, la punition était antérieure à cette date. Cette question de droit fut soumise au colonel, et je n’en entendis plus parler. Néanmoins, n’ayant pas passé l’examen d’élève-officier, je quittai la caserne comme simple soldat. Lorsque, quelques années plus tard, je fis une période militaire, mon lieutenant fut surpris que je n’aie aucun galon. Il me dit qu’il ferait le nécessaire pour que je passe au moins sous-officier, mais je lui demandais de n’en rien faire… En effet, les officiers devaient, tous les deux ans, faire une période militaire, alors qu’en tant que simple soldat je n’avais à en faire que deux au total !
Les années de service de Théodore Tiroflant, dans l’Épatant.
Un souvenir amusant me revient, concernant mon service militaire. Parmi mes camarades de peloton, il en était un dont la maladresse était extrême, invraisemblable… Nous devînmes amis. Il était licencié ès lettres. C’était un garçon charmant, très intelligent, mais qui savait remarquablement faire l’idiot dès qu’il avait franchi les portes d’entrée de la caserne. Nous sortions chaque soir ensemble, et il me disait : « — Ils sont tellement bêtes dans l’armée que j’arriverai bien à me faire réformer pour inaptitude absolue ». Je doutais qu’il obtienne un tel résultat, et cependant il montrait beaucoup de bonne volonté à faire l’imbécile et le maladroit, avec un naturel et une continuité admirables! Les sous-officiers constatèrent bientôt que ce conscrit était incapable de tenir un fusil, d’apprendre à marcher au pas, à faire le salut militaire, etc… Ils en parlèrent entre eux et estimèrent qu’il était dangereux de mettre entre ses mains une baïonnette ou un fusil, car il pouvait les casser malgré sa bonne volonté. Mon camarade, à la requête de nos chefs, dut alors passer devant un conseil de médecins militaires qui devaient l’examiner d’un point de vue mental. Peu de temps après, il m’annonça la décision du conseil : il était reconnu inapte pour faiblesse d’esprit. Je le félicitai de son succès, mais c’est à regret que je le vis partir. Je ne sais ce qu’il devint par la suite, car il s’était empressé de quitter Angoulême. C’était un esprit fin et un comédien remarquable ! Il avait réussi à berner les militaires, même ceux étant censés être quelque peu psychologues. (suite)
(rédigé en 1966, transcrit par Daniel Lafargue)
Si quelqu’un comprend cette anecdote, ça m’intéresse ! [↩]
Un extrait des mémoires de mon arrière grand-père, Jean Lafargue (1884-1974). En 1897, il devient orphelin de son père. Jean Fernand Lafargue , ingénieur formé à Polytechique. La situation financière de la famille a été durement affectée par ce décès, mais Jean poursuit ses études avec pour but d’intégrer l’X. Tout ça se passe entre 1901 et 1904.
J’entrai en mathématiques spéciales en octobre 1901. J’avais alors dix-sept ans et paraissais destiné, ou du moins c’était là l’opinion de mon professeur de mathématiques, à entrer à l’X. Pour ma part, entouré de polytechniciens comme je l’avais été depuis l’enfance, je n’envisageais pas d’autre vie pour moi. Hélas, le destin veillait et s’est opposé avec une ténacité qui me paraît aujourd’hui extraordinaire, à la réalisation de ce qui me semblait indispensable pour me faire une place dans la vie. Au cours de ma première année de préparation, je tombai malade, d’une grippe probablement, mais notre médecin qui avait vu mourir mon père d’une endocardite, en déduisit que j’avais le cœur malade et que je devais cesser toute activité physique pendant au moins deux mois. Ainsi, je dus vivre étendu sur mon lit, ou sur une chaise longue, me distrayant en faisant des réussites ou en lisant des romans d’aventure. C’est ainsi que je lus presque tous les ouvrages d’Alexandre Dumas père, mais du point de vue de mes études, cette année là fut perdue.
L’année suivante, tout alla bien jusqu’à Pâques mais au retour des vacances, c’est la fièvre typhoïde qui cette fois se déclara et elle fut extrêmement grave car à cette époque, il n’y avait ni vaccin, ni sérum. On attendait la fin de la maladie en essayant de nourrir le malade avec un peu de lait. Mes intestins furent malmenés et je m’en suis ressenti toute ma vie. Le cœur et le cerveau furent également touchés. La fièvre finit par tomber et ma convalescence commença. Elle ne devait pas durer longtemps : la fièvre recommença à monter et ce fut une rechute plus redoutable encore que la première atteinte. Mon cas paraissait désespéré : rares étaient les typhiques qui, à cette époque, résistaient à la maladie, et moins encore à une rechute. Le médecin venait me voir deux fois par jour; une infirmière me plongeait dans des bains froids. L’agitation de mon esprit était incroyable: je résolvais des problèmes mathématiques dont je n’avais pu trouver la solution avant ma maladie, j’étais insupportable pour mon entourage, exigeant qu’on me lise à voix haute les contes d’Anatole France dont je donnais les titres et qui étaient particulièrement osés, je n’admettais pas une minute de retard dans la présentation des drogues ou de la nourriture que je devais absorber toutes les trois heures, je n’avais pourtant pas de montre et on avait éloigné de moi les pendules.
Comment la bactérie responsable du typhus peut contaminer un puits (illustration danoise de 1939).
La fièvre baissa enfin, mais je n’étais plus qu’un squelette, incapable de me tenir debout quand je fus autorisé à sortir de mon lit. La convalescence fut très longue. J’appris un jour que mon professeur de mathématiques venait de mourir. Comme je commençais à pouvoir marcher seul et que le temps était magnifique, je tins à aller à l’église. On ne me contraria point. Je fus mis en voiture et déposé à l’église. Mes camarades y étaient. Je m’avançai vers eux mais aucun ne me reconnut, et pourtant beaucoup d’entre eux me connaissaient depuis des années. Je remontai en voiture, épuisé. Il me fallut près de six mois pour être en état de reprendre mes études. Mais l’année scolaire était perdue pour moi, d’autant plus que ma mémoire, qui n’avait jamais été bonne, avait été diminuée par la maladie.
Toutefois, l’année suivante, le pus enfin faire des études à peu près normales et je fus admissible à l’Ecole Polytechnique. N’ayant pas encore atteint la limite d’âge, je me présentai donc aux examens d’admission, après une année encore assez bouleversée par quelques maladies. Le médecin, me voyant très fatigué, me donna plusieurs pilules de caféine que je devais prendre si je me sentais trop las.
A mon premier examen de mathématiques, l’examinateur que je n’aimais guère et qui était considéré comme très dur, me donna un 17/20, ce qui était une note exceptionnelle et me donnait beaucoup d’espoir. Je passai les examens de physique, de chimie et d’allemand et obtins des notes convenables, sauf en allemand où j’eus 3/20. Ce fut enfin le dernier examen de mathématiques. La température, ce jour là, était très élevée. Je comptais passer à trois heures de l’après-midi, mais on ne m’appela que vers six heures du soir. J’étais à bout de forces, à bout de nerfs… Je pris une pilule de caféine. Aussitôt, mon cœur se mit à battre follement. Je m’avançai vers le tableau noir. L’examinateur, qui m’était très sympathique, me posa une question. Je ne répondis rien : j’en eus été incapable. Il vit mon trouble, me fit asseoir et me dit qu’il sentait lui aussi le besoin de se reposer un peu. Au bout d’un quart d’heure de repos, l’interrogation reprit mais j’étais toujours dans le même état, incapable d’articuler un seul mot. Après un certain temps, l’examinateur, qui était bienveillant, m’exprima son regret de ne pouvoir attendre plus. Je me retirai ; tout était fini pour moi.
Mon désespoir fut grand : j’étais un malchanceux ; il était inutile de lutter contre le destin. Du côté des amis de mon père, je ne trouvai aucun appui, aucune suggestion… Je ne les intéressais plus. Ils me laissaient entendre qu’en dehors de Polytechnique, il n’y avait aucune voie permettant d’arriver à une situation intéressante dans l’industrie ou comme fonctionnaire. Mon subrogé tuteur, brave homme cependant mais polytechnicien, me suggéra d’entrer aux PTT comme commis ! Ne voyant plus aucun avenir, je me renfermais sur moi-même. J’avais eu une enfance et une adolescence tristes. Du fait de mon complexe d’infériorité, je n’avais jamais eu grande confiance en moi, mais je pouvais tout au moins espérer en des jours meilleurs. Maintenant, tout était fini… Je tombai malade. Tous les ressorts étaient brisés en moi, physiquement et moralement. (Suite)
La mère de mon arrière-grand’mère Florence Chamier est morte subitement, d’une congestion cérébrale alors que sa fille n’avait que douze ans. J’ai longtemps eu du mal à l’identifier. L’arbre généalogique de la famille Chamier que nous nous transmettons et qui nous amène au théologien Daniel Chamier, lui donne le nom Annie Gilchrist, mais ne signale ni sa date de naissance ni aucun détail quant à ses origines. Je savais juste, par les mémoires de sa fille, qu’elle était morte en 1896. En fouillant les bases généalogiques australiennes, je suis tombé sur un mystère : sur sa tombe, elle est nommée Annie Chamier et est réputée âgée de 53 ans, mais lors de son mariage avec Anthony Frederick Chamier le 29 mai 1878 à Melbourne, elle s’appelait Annie Close.
En me procurant l’acte de mariage, je vois qu’Anthony Frederick Chamier n’a pas de profession, mais un état, « bachelor » (célibataire), tandis qu’Annie Close est notée « widow » (veuve) depuis le 26 novembre 1865. Ce mariage était donc son second. J’ai retrouvé son époux, Charles Samuel Clowes, né en janvier 1832 dans le Gloucestershire, et mort le 26 novembre 1865 à Carlisle, en Angleterre.
Avant d’être veuve, Annie/Anne Gilchrist a eu deux fils, Charles Alexander Granville Close et Francis Archibald Close. Je découvre donc avec surprise que Florence a eu deux frères (dont elle ne parlait jamais), deux demi-frères par sa mère, et deux demi-frères du côté de son père, dont Francis Arden, « l’oncle Arden », dont on disait qu’il avait fait partie de l’Intelligence service pendant la guerre, et pour qui Florence avait beaucoup d’affection.
L’église Kilarrow, à Argyll, construite en 1767 et connue pour son étrange plan circulaire, qui interdisait au diable de trouver des recoins où se tapir.
Grâce à l’acte de premier mariage d’Annie Gilchrist, j’apprends que son père se prénommait James et était brasseur, et que son épouse s’appelait Barbara McNab. L’un et l’autre étaient écossais et s’étaient mariés en 1837 dans la paroisse Kilarrow, à Argyll. De manière assez inexplicable, l’acte de mariage de Florence (1909) indique que sa mère s’appelait Annie McKinnon, nom dont j’ai du mal à comprendre l’apparition !
Francis Close (1797-1882)
On apprend par ailleurs que Charles Samuel Close, éleveur de moutons et premier époux d’Annie, était le fils du révérend Francis Close, un religieux anglican célèbre pour ses pamphlets contre l’alcool, le tabac et le jeu.
(merci à Gwendal Rannou qui m’a aidé à relier des points)
Les archives Arolsen viennent de mettre en ligne plus de 850 000 documents administratifs concernant dix millions de personnes persécutées par le régime nazi. Cette incroyable masse documentaire peut se consulter ici : collections.arolsen-archives.org J’y suis allé chercher des documents concernant André, mon grand-père, successivement déporté à Buchenwald, Mauthausen et Ebensee. Et il y en a beaucoup. Je ne lis pas l’Allemand, mais beaucoup d’indications sont intelligibles malgré tout. Je comprends qu’il y a notamment une liste d’effets personnels. Je rassemble sur cette page tous les documents numérisés sur le site des archives Arolsen, y compris les simples dos d’enveloppes ou les documents (un, en fait), qui semblent concerner une autre personne.
J’apprends au passage les dates exactes de déportation : entré le 24 janvier 1944 à Buchenwald, il y est resté un peu moins d’un mois et a été redirigé vers Mauthausen le 22 février 19441. Je remarque que sa profession est Bankbeamter (employé de banque), et que l’adresse de la personne à contacter en France est celle de son père Jean, au château de Lerse, où mes arrière-grands parents ont effectivement vécu pendant les deux dernières années de la guerre. Je remarque que la mention est « Lerse par Blanzac (Charente) ». Or Lerse ne se situe pas à Blanzac mais sur le territoire d’une commune voisine, Pérignac. Je me demande si André ignorait la commune sur laquelle se trouvait le château familial, que son père avait cédé à son demi-frère quarante ans plus tôt et qui n’était désormais plus pour la famille qu’un lieu très occasionnel de villégiature, ou bien s’il avait intentionnellement fourni une adresse qui serait intelligible pour un postier de la région mais serait un peu plus difficile à localiser avec un annuaire ou une carte d’État-major.
Toujours sur le même site, j’ai aussi récolté les images concernant Claude, le frère aîné d’André, déporté lui aussi, mais à Dachau, ce qui m’a permis (enfin) de connaître sa date de naissance exacte, le 20 janvier 1913, à Montmorency :
Cette semaine, j’ai par ailleurs appris que José Cabrero Arnal, le créateur du personnage Pif-le-chien, avait été lui aussi déporté à Mauthausen. Je l’ai su par l’auteur de bande dessinée Gwen de Bonneval, dont j’ai appris en même temps que le grand père, Gaston, était lui aussi passé par Mauthausen. Or Gaston de Bonneval et mon grand-père André étaient sans le savoir cousins au quinzième degré, puisqu’ils ont des ancêtres communs à partir du XVe siècle2. Et toujours à cette occasion, j’ai découvert que Julien Gentil, le grand-père de Cédric Gentil (conducteur de RER, auteur d’un livre sur son métier, que j’ai le plaisir de fréquenter sur Twitter), avait lui aussi été déporté à Mauthausen puis à Ebensee3 où il est resté, comme André, jusqu’à ce que ce komando soit libéré, le 6 mai 1945.
Cédric Gentil me signale cette fiche du site Monument-Mauthausen, qui précise les dates : lieu de départ, Compiègne, le 22 janvier 1944. Arrivée à Buchenwald le 24 janvier 1944, puis à Mauthausen le 25 février 1944 (trois après y avoir été affecté, donc),. À Mauthausen, il est affecté aux annexes de Steyr le 8 mars 1944 ; Camp central le 17 juin 1944 ; et enfin, affecté à Ebensee le 24 juillet 1944, jusqu’à la libération du camp le 6 mai 1945. Ensuite rapatrié par Sarreguemines le 24 mai 1945. [↩]
Mais Aménaïde, l’épouse d’André, est bien plus proche, elle est cousine de Gaston de Bonneval au douzième degré, avec des ancêtres communs au XVIe siècle. [↩]
Komando (annexe) de Mauthausen, Ebensee a été un des derniers camps à être libérés. Ses commandants successifs, Georg Bachmayer, Otto Riemer et Anton Ganz étaient des brutes sadiques, et vers la fin de la guerre, les prisonniers mourraient de faim ou exécutés à la cadence de trois-cent cinquante par jour, ce qui avait conduit à l’édification d’un four crématoire et fait désormais qualifier Ebensee de « camp d’extermination par le travail ». Le dernier commandant du camp, voyant approcher les troupes alliées, a annoncé aux prisonniers qu’ils allaient passer sous administration américaine, leur demandant d’attendre dans les mines qu’ils avaient eux-mêmes creusées. Les prisonniers ont refusé de quitter leurs baraques, et ils ont eu raison : c’était un ultime piège, les galeries avaient été garnies d’explosifs afin de faire disparaître les quelque 8000 survivants. [↩]