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Pourquoi s’intéresser à ses ancêtres ?

Pour Libé, Émilie Laystary a publié le week-end passé un article intitulé Généalogie, le passé recomposé. Je n’ai pas de légitimité académique particulière pour en parler, mais puisque j’évoque régulièrement cette passion bizarre sur Twitter, je suis tombé sous le radar de la journaliste qui m’a demandé (parmi d’autres) de témoigner.

J’aimerais aller au delà de ce témoignage évidemment anecdotique, car la conversation m’a fait réfléchir un peu à cette pratique : au fond, sauf motivé par des questions de succession — et ce n’est pas du tout mon cas —, pourquoi éprouverait-on le besoin de connaître son ascendance ? Comment ça m’est venu ?
Comme le dit l’article, il y a souvent un événement déclencheur. Dans mon cas, ce fut la mort de mon grand-père paternel, André Lafargue, en 2017. Il est mort à cent ans. Je l’admirais beaucoup, mais je ne peux pas dire qu’il ait été un grand-père-proche puisqu’il était séparé de ma grand-mère (et donc de mon père et de sa sœur) depuis les années 1950, et que nous n’avons commencé à le voir un peu régulièrement (une, deux ou trois fois par an) qu’après le décès de cette dernière, au milieu des années 1980. Les deux parents d’André ont une ascendance qui m’intéressait, l’une pour son relatif prestige et l’autre pour son obscurité : la mère d’André, Florence, était britannique, mais avait un patronyme français car descendante d’un huguenot drômois célèbre ; de la famille du père d’André, d’où je tire mon nom, on ne savait quasiment rien et on se demandait, à tout hasard, si nous étions apparentés au fameux Paul Lafargue, le gendre de Karl Marx1. Du côté de ma grand-mère, issue de la noblesse paysanne limousine, il y avait d’autres mystères, d’autres rumeurs : l’arrière-arrière-grand-père de Font-Réaulx aurait été d’ascendance royale, et, affirmait ma grand-mère, nous descendions de Saint Louis2. Elle aimait bien les histoires, elle aimait bien enchanter ses récits, et faire la part du vrai et de l’affabulation aura constitué une autre motivation pour mes recherches.

Pendant les quelques jours qui ont précédé l’enterrement de mon grand-père, j’étais seul à la maison. J’ai mis la main sur un arbre généalogique existant, celui de sa mère, et j’ai commencé à en faire la saisie. Au fil des ans, ce travail est devenu un peu obsessionnel, et en tout cas de plus en plus sérieux. Je constate à présent que ce sont les rameaux les plus proches de moi — et donc les premiers saisis — qui sont les plus approximatifs, les moins sourcés, les moins vérifiés. Je les revisite systématiquement aujourd’hui.

Vous pensiez que j’allais me retenir de raconter que je suis le cousin de James Bond? Eh bien pas du tout !

Car avec la généalogie, on acquiert une certaine compétence. On apprend à naviguer entre les sources disponibles en ligne (archives départementales3 et équivalents d’autres pays4 ; bases de données en ligne diverses telles que FamilySearch5, roglo6 ou capedia7, ou telles que celles de grands services de généalogie commerciaux — myHeritage, Geni, Ancestry, Filae,… ; Gallica8 ; minutes de procès ; héritages ; recensements ; etc.) ou non (service d’État-civil des mairies pour les personnes récentes, ou encore, enquête auprès des proches). J’imagine que c’est la mise à disposition toujours plus importante de sources en ligne qui explique l’explosion actuelle de la généalogie comme passe-temps, mais on comprend vite que tout ne se trouve pas sur Internet.
Avec le temps on apprend à identifier des bizarreries. On apprend à lire l’écriture manuscrite de curés breton du dix-septième siècle, et à se repérer dans un texte écrit dans une langue qu’on ne parle pas, comme le latin ou le norvégien — important, puisque, de par ma mère, la moitié de mon ascendance est norvégienne. On apprend, à ce sujet, à distinguer les pratiques d’état-civil selon les époques et les lieux : l’absence de patronymes tels que nous l’entendons en Scandinavie avant la seconde moitié du XIXe siècle ; la désignation des épouses sous le seul nom de leur mari chez les anglo-saxons9 ; les mêmes prénoms donnés à plusieurs enfants d’une même fratrie (et pas forcément parce que l’un est décédé), les prénoms qui ont été unisexes à certaines périodes et le sont moins désormais (Philippe, Claude, Marie), les gens qui ont un prénom de naissance et un prénom d’usage distincts ; les noms complétés par un nom de domaine dans la noblesse ; ou encore l’instabilité orthographique des patronymes. Il n’est pas rare non plus de tomber sur des erreurs ou peut-être des mensonges, comme par exemple lorsqu’une femme est notée morte à soixante-cinq ans mais que la seule personne de son nom et de son village est née trois ans plus tôt qu’elle ne le devrait, ou ne semble pas être née dans le village qu’elle croit.
Il y a, avec tout ça, un vrai plaisir de l’enquête, et parfois de la déduction. Voyant sa mort à un jeune âge et la date de naissance de son dernier enfant, on supposera par exemple qu’une femme est morte en couches. Voyant l’âge des époux au mariage et la date de naissance du premier enfant, on supposera que les mariés n’ont commencé à vivre ensemble que des années après la noce. On se pose des questions sur l’époque, les conditions de vie, on essaie d’imaginer l’existence qu’ont eu ces gens… Quand une femme a eu quatorze enfants dont un seul a atteint l’âge adulte, par exemple, ou quand les individus d’une branche de la famille semblent avoir eu, sur des générations, une longévité double de l’espérance de vie commune à leur époque. Et puis les guerres, les batailles célèbres, les catastrophes, mais aussi les voyages10… C’est peut-être de ce plaisir de l’enquête et dans la rêverie — imaginer des biographies, des histoires, des voyages — que vient mon obsession incongrue pour ce travail de généalogiste amateur. Collectionner ces noms d’ancêtres (dont certains, même proches dans le temps, ne sont sans doute absolument pas mes ancêtres11 ) me sert à toucher l’Histoire du doigt, pour m’y relier, pour la rendre vivante, tout comme j’aime visiter les ruines de villas romaines, écouter les guides dans les demeures de la Renaissance, sentir l’odeur d’une maison norvégienne en bois goudronné vieille de quatre siècles, tout comme j’aime lire des journaux anciens : ce ne sont pas que des documents, des indices, ce sont des pierres sur lesquelles quelqu’un a posé le pied, ce sont des lignes que quelqu’un a lues, des réclames que quelqu’un a vues, au moment de leur parution.

Cette semaine mon arbre a dépassé les 43 000 individus. Tous ne sont pas mes ancêtres, loin de là, il y a de nombreux cousins jusques aux 5, 9 ou 12e degré !

Régulièrement, je donne des coups de main à des gens qui veulent en savoir plus sur leur ascendance, et je me fais moi-même beaucoup aider12, notamment sur Twitter où je montre souvent des captures issues de registres paroissiaux que je ne parviens pas à déchiffrer. De temps en temps je reçois aussi des messages incongrus de gens en colère qui veulent absolument que j’ajoute ou que j’ôte telle ou telle mention médiévale de mon arbre généalogique, car de celle-ci dépendra la solidité de leur revendication d’un titre ducal… Mais je reçois (et j’envoie) la plupart du temps des messages bienveillants signalant une possible confusion de date ou de personne. L’entraide est un autre aspect intéressant de la généalogie — mais je m’imagine mal me rendre à des rencontres de généalogistes, par exemple.

Bref bref bref, si je dois répondre à la question posée dans le titre, Pourquoi s’intéresser à ses ancêtres ?, je dirais qu’il y a beaucoup de raisons différentes, et qu’avant tout, j’en tire un plaisir certain13.

  1. Réponse : possiblement, mais alors de manière lointaine. Issu par son père d’une famille sans doute bordelaise (comme ma famille), Paul Lafargue est né à Cuba, avait une grand-mère afro-dominicaine… Des généalogistes ont tenté de creuser la question sans grand succès. []
  2. J’aurai appris que descendre d’un roi capétien n’était pas si improbable, mais que de la famille de ma Grand-mère, ceux qui avaient un nom sans particule (Fressinaud Mas-de-Feix) avaient un arbre généalogique remontant à l’antiquité, tandis que les « de » Font-Réaulx étaient une famille d’aubergistes, les Fontreaux, qui avaient gagné (acheté ?) une particule et un titre de comte à une époque où ces choses ne signifiaient plus rien. []
  3. Chaque département (chacun de ceux qui me concernent en tout cas) met en ligne son état-civil numérisé, et fournit une interface de visualisation plus ou moins pratique à utiliser. []
  4. Les sites de l’État-civil norvégiens, écossais, et ceux des différents États australiens (où la mise à disposition d’actes complets est payante !) sont plutôt bien. En revanche pour certains pays — Croatie notamment —, je cherche. Il y a des lieux très développés et réputés sérieux qui étonnent par le côté foutraque de la mise à disposition de leurs archives — la ville de Genève, par exemple. Et pour d’autres je ne comprends pas ce que je lis. []
  5. Base de données universelle créée par l’Église des saints des derniers jours — les Mormons —, qui entendent baptiser a posteriori la totalité des humains nés depuis Adam et Eve. Malgré son impossibilité, cet œuvre étonnant a fait des Mormons de grands spécialistes de la généalogie : les microfilms des Archives départementales en France ont été gracieusement réalisés par les Mormons il y a quelques décennies, et ce sont eux qui ont défini le format de fichiers généalogiques GED, qui fait autorité. []
  6. Roglo est une base de données associative fondée par Daniel de Rauglaudre et qui contient plus de huit millions d’individus. []
  7. Capedia est la base de données des descendants de Hugues Capet. Elle contient près d’un million d’individus ! []
  8. Gallica contient plusieurs types de sources intéressantes : journaux locaux du XIXe siècle, souvent riches en informations au sujet de personnes, mais aussi ouvrages de généalogie anciens. []
  9. J’ai ainsi une arrière-arrière-grand-mère qui s’appelait Chamier, ayant épousé un monsieur Chamier, mais s’est présentée au mariage sous le nom d’Annie Close, qui n’était pas son nom de jeune fille mais son nom de veuve puisque son premier époux était un dénommé Close. Son nom de jeune fille était Gilchrist. []
  10. Pour certaines époques on peut par exemple connaître la liste de tous les passagers des paquebots qui ont fait le trajet entre l’Angleterre et l’Australie.
    Intéressant aussi, voir une famille italienne ou allemande du XVIIe siècle qui s’établit subitement à Londres ou dans le Limousin : on se demande quelles histoires sont derrière le départ, comment la famille s’est peu à peu intégrée jusqu’à perdre la trace de cette origine, etc. []
  11. Les tests ADN m’ont cependant permis de vérifier de manière très rigoureuse l’exactitude de certaines branches. []
  12. Merci Gwendal Rannou ! []
  13. Une autre question posée était le coût de cette passion. Je dirais environ une centaine d’euros par an, voire un petit peu plus, entre mon abonnement à Geneanet (45 euros), les abonnements ponctuels à des concurrents (Filae, Ancestry) l’achat de certains actes dans des pays où ça se paie, et puis les tests ADN. []

Magna Carta

Depuis la mort de mon grand-père, il y a deux mois, je fais un peu de généalogie. Une amie qui a mon âge me disait qu’elle faisait exactement pareil, et une troisième personne, sur Twitter, de la même génération là encore, en fait autant. Est-ce que l’approche de la cinquantaine donne ce genre de lubies ?
Pour mes recherches, j’ai profité des bases de données disponibles en lignes et des documents qui ont été scannés, comme cet acte de naissance qui m’a permis de relier deux personnes que je supposais père et fils sans avoir pu le vérifier jusqu’ici :

On m’a signalé ce document alors que je parlais de généalogie sur Twitter, où un passionné a découvert que, selon toute vraisemblance, j’ai des ancêtres plus prestigieux que je ne l’imaginais. Ma grand-mère paternelle, Aménaïde, disait souvent que nous descendions de Saint Louis, ce qui, dans la légende familiale, avait fini par faire de nous des descendants de bâtards de Louix XIV, filiation bien peu crédible hors grossesse tout à fait inconnue de tous, puisque la descendance de ce roi est parfaitement répertoriée, d’autant qu’elle est, à une certaine échelle, très récente.
Mais voilà, en remontant les ancêtres de ma grand-mère du côté Fressinaud Mas-de-Feix, indistinctement par les pères ou par les mères, on arrive bel et bien à Louis IX, dit « Saint-Louis », roi Capétien au bilan contrasté (croisades, conversion forcée des juifs, mais à qui on attribue aussi les progrès du pays en matière de justice et de développement économique ou intellectuel). En fait, j’arrive à Louis IX par huit branches différentes de la famille Fressinaud Mas-de-Feix !

Plus surprenant, André, le mari d’Ameyna, descend lui aussi du même monarque par la famille Chamier, dont j’ai déjà parlé ici. Les Chamier, protestants de la Drôme, sans titre de noblesse, se sont réfugiés en Angleterre, où John Ezechiel (mon dernier ancêtre commun avec Daniel Craig !) a épousé Georgina Burnaby, qui est issue d’une série de grandes familles anglaises : Seymour, Wentworth, Percy, Mortimer, et enfin Plantagenêt, puis Valois, jusqu’aux Capétiens1. Ce qui fait tout de même, à vingt-quatre, vingt-cinq ou vingt-six générations2, neuf branches qui me relient à Louis IX et à ses ascendants, souvent par les femmes3 — en perdant le nom et le château — mais de manière traçable, pour peu que toutes les personnes de l’arbre soient bien enfants de leurs pères officiels, ce qui n’est évidemment jamais assuré. N’empêche, J’ai l’impression d’être Audrey Tautou découvrant qu’elle est la petite fille de Jésus et Marie Madeleine dans le film Da Vinci Code.

Si on reprend la branche britannique et qu’on bifurque à Lionel d’Anvers, on remonte cette fois à Jean d’Angleterre, dit « Jean sans terre »4 :

Eh oui, cet arbre fait de moi un descendant du lion pelé5 qui usurpe le trône de Richard-cœur-de-Lion et qui se fait hypnotiser par un serpent dans le Robin des bois de Disney !
Amusant, ce Disney est précisément le premier film que j’ai vu au cinéma de ma vie, j’avais sept ans et c’était au cinéma Rex. J’ai beaucoup aimé. En le revoyant, j’aime toujours le dessin mais je suis plus réservé quant au scénario. D’autant qu’entre temps je me suis un peu renseigné, j’ai appris que Richard était mort blessé en tentant de piller un château 6 et que son frère, de son côté, a signé (un peu contraint je crois) une charte limitant ses propres pouvoirs, la Magna Carta, que l’on considère aujourd’hui l’acte fondateur d’un partage des pouvoirs qui a abouti à la monarchie parlementaire britannique actuelle (au passage, je me suis trouvé moult ancêtres parmi les barons protecteurs et garants de la Magna Carta !).

À quoi ça sert de trouver (ou de vouloir croire que l’on trouve, car tout ça est bien fragile) dans sa généalogie des seigneurs d’Angoulême, des ducs de Bretagne, des comtes de Penthièvre ou d’Ulster, des des rois de France et d’Angleterre ? Des empereurs de Constantinople ? Des Bourbon, des Valois, des Capet, des d’Albret ? Après tout ces gens ne sont pas tous recommandables, souvent guerriers et forcément exploiteurs.
À quoi ça sert, donc ? Très certainement à rien d’utile, mais quelque part, ça permet de rêvasser au temps qui passe, à l’histoire, et aux lieux.

  1. Le maillon faible de cette chaîne me semble être Alice Rodney, pour qui je trouve plusieurs parentèles. []
  2. Rappel : à n générations, chacun de nous a 2 puissance n ancêtres. Si on pouvait suivre absolument toutes ses lignées, on atteindrait, pour vingt-cinq générations, trentre-trois millions d’ancêtres ! À supposer que la filiation que je m’attribue ici soit avérée, je partage 1/33000000e de mon patrimoine génétique avec Louis IX (ou plutôt neuf fois ça puisque je le retrouve par neuf branches). Pas bézèf. []
  3. Chez nous le nom se transmet par les pères, mais d’autres cultures (les Zhaba au Tibet, les Navajos en Amérique du sud, et autres sociétés dites matrilinéaires) croient plus aux mères… et ont bien raison de le faire puisque si la paternité biologique peut être mise en doute, une femme qui a accouché d’un enfant est bien sa mère — en tout cas jusqu’à l’époque assez récente où on a pu faire des dons d’ovocytes. []
  4. misa à jour deux ans plus tard : je me trouve désormais 61 liens de parenté avec Jean Sans Terre… et 247 avec son épouse Isabelle d’Angoulême, grâce aux enfants nés de son autre époux. Hugues de Lusignan. []
  5. Dans le film de Disney, sorti en 1973, le prince Jean n’a pas de crinière, ce qui fait de lui une lionne ! On peut s’interroger sur ce symbole : afin de prouver qu’il n’est pas légitime sur le trône d’Angleterre, qu’il est dénué de noblesse, les auteurs suppriment l’attribut viril du lion; sa crinière ! []
  6. Une autre vision de l’histoire de Robin des Bois et du roi Richard est l’excellent Robin and Marian (La Rose et la flèche) de Richard Lester, sorti en 1976, avec Sean Connery et Audrey Hepburn. []

Le cousin anglais

Cette histoire est trop belle pour me retenir de la poster : je suis cousin avec Daniel Craig. Pas vraiment cousin germain, comme on va le voir, mais nous partageons une partie de nos arbres généalogiques respectifs.

Daniel Craig (1968-…)

J’ai découvert l’affaire par un article du Dauphiné, Je m’appelle Bond, James Bond, et mes ancêtres sont drômois, et un article de Genealogy Reviews, où il était révélé  que Daniel Craig, l’interprète de James Bond depuis le Casino Royale de 2006, descend d’un huguenot du seizième siècle, Daniel Chamier, qui se trouve être un de mes ancêtres à moi aussi.
Daniel Chamier est le fils de Pierre (dit Adrien) Chamier (~1532~1595), pasteur, et le petit fils de Gonet Chamier (1500-1575), peintre religieux en Avignon.
Mon plus ancien ancêtre répertorié dans cette branche est donc un peintre !

Daniel Chamier (1564-1621)

Daniel Chamier, dit « le grand Chamier » est une figure assez connue du protestantisme français. Pasteur, professeur de théologie, d’hébreu, de latin et de grec à la l’académie protestante de Montauban, il a rédigé les clauses secrètes de l’Édit de Nantes (1598) et a négocié ce texte auprès d’Henri IV. Il est mort coupé en deux par un boulet de canon le 17 octobre 1621, lors du siège de Montauban, où il existe d’ailleurs toujours une rue Chamier. Son récit de voyage à la cour d’Henri IV est régulièrement réédité. Une partie de la famille Chamier s’est réfugiée en Angleterre, en Écosse et en Australie.

Antoine Chamier (1655-1683) — portrait a priori douteux, l’habit ne correspondant pas bien à l’époque.

Parmi ceux qui sont restés en France, Antoine Chamier, fils de Jacques Chamier et arrière-petit fils du grand Chamier, est connu pour avoir subi le supplice de la roue, ayant refusé d’embrasser le catholicisme ainsi que le lui avaient imposé les dragons du roi, avant même la révocation de l’Édit de Nantes (1685), ce texte auquel son grand-père avait consacré des années de sa vie. Il est mort écartelé après une agonie de trois jour à l’âge de vingt-huit ans, le 11 septembre 1683. L’historien Théodore Claparède raconte que « Par un raffinement de barbarie, on dressa l’échafaud devant la maison de son propre père ».

Anthony Chamier (1725-1780), l’oncle maternel de John Ezechiel, peint par sir Joshua Reynolds.

Daniel Chamier et son épouse  Antoinette Moisard (1576-1605) ont eu un fils qu’ils ont appelé Adrien (1590-1671), lequel Adrien (prénom de son grand-père) a épousé Madeleine Alard (1610-1670) avec qui il a eu un fils prénommé Daniel (1628-1676) qui de son mariage et Madeleine Tronchin (1628-1709) a eu un fils prénommé lui aussi Daniel (1661-1698) dont le fils unique, avec Anne Francoise Huet, s’est lui encore prénommé Daniel (1696-1741).
Ce Daniel s’est marié avec Suzanne de la Mejanelle,  avec qui il a eu notamment Anthony Chamier (1725-1780), un financier dont Joshua Reynolds a fait le portrait, et Judith Chamier (1721-1801). Judith Chamier s’est mariée à Jean Des Champs (1707-1767). Leur fils, John Ezekiel/Jean Ezechiel Deschamps (1754-1831) est le plus récent ancêtre commun que j’aie avec Daniel Craig.

Jean Ezechiel Chamier (1754-1831)

Par privilège royal, Jean Ezechiel  a obtenu le droit d’utiliser le nom Chamier. Je sais qu’il a été membre de la présidence de le Compagnie des Indes orientales, qu’il a écrit sur la littérature et la philosophie et qu’il est mort à 79 ans dans sa maison de Park Crescent, à Londres. Il est enterré dans le cimetière de l’église St George’s Hanover Square. En 1785, il a épousé à Madras la fille du vice-amiral William Burnaby, Georgia Grace Burnaby, avec qui il a eu onze enfants : cinq filles et six garçons. Parmi eux, le romancier Frederick Chamier (1796-1870), mais aussi William Chamier (1801-1859) et Henry Chamier (1795-1867).

Fort St George à Madras (à présent Chennai, en Inde), au début du XVIIIe siècle.

William Chamier et Emily Crookenden ont eu sept enfants, dont George Chamier (1842–1915), romancier néo-zélandais, Edward Chamier (1892-1881), joueur d’échecs, et Anthony Frederic Chamier (1846-1938), père de Florence Adeline Chamier Deschamps, mon arrière-grand-mère, mère d’André Lafargue, lui-même père de mon père Daniel. Les enfants d’Anthony, dont la mère est décédée assez tôt, ont grandi aux côtés de leurs cousins enfants de George, l’écrivain. Ce dernier avait quant à lui épousé Emily Gardner, dont c’était le second mariage : un premier époux l’avait abandonnée, enceinte, après deux mois de noces. Emily se disait veuve, et la légende familiale veut que les frères d’Emily aient assassiné son époux indélicat, que personne n’a jamais revu.

Florence Chamier (1884-1972)

De son côté, Henry Chamier a eu avec Anne Antoinette Evelina Thursby (1798-1837) un fils nommé Francis Edward Archibald Chamier, futur père de John Adrian Chamier (1883-1974), célèbre pour avoir créé les Air Training Corps de la Royal air Force. Le couple a aussi eu une fille nommée Georgette Grace Chamier (1817-1847), qui a épousé John Chardin Wroughton (1799-1854), union d’où est née Grace Matilda Wroughton (1845-1894), qui avec Charles Mayvore Smith (1837-1882) a eu une fille nommée Rosalind Zeima Smith, qui avec son mari  Howard Edward Jones ( 1884-1952 a eu une fille nommée Rosalinde Maud Jones, qui, avec  William John Gartland Craig, a eu un fils du nom de Timothy John Wroughton Craig, lequel, avec Carol Mary Olivia Craig, a eu deux enfants, dont le célèbre Daniel Craig, né en 1968 comme moi.

Entre moi et John Ezekiel Chamier Deschamps, il y a six générations, et entre ce même John Ezekiel et Daniel Craig, il y en a sept. Cela fait donc treize niveaux de séparation, ce qui signifie que je partage théoriquement 1/8192e (2 puissance 13) de mon patrimoine génétique avec Daniel Craig. Ce n’est pas énorme, c’est sans doute à peu près autant qu’avec n’importe qui. Mes enfants partagent théoriquement 1/16384e de leur patrimoine génétique avec l’acteur anglais.

Florence Chamier-Deschamps et Jean Lafargue

La photo ci-dessous a été prise pendant la grande guerre. On y voit Jean Lafargue (1884-1974), Florence Chamier (1884-1972), et leur enfant Claude, leur fils aîné et frère de mon grand-père André.

Florence était britannique, Jean (qui se prénommait en réalité Pierre) était issu d’une famille charentaise. Je reparlerai de l’un et de l’autre plus tard.
Sur la photo qui suit, Florence et Jean se trouvent dans le jardin de la maison familiale où j’ai grandi et où je vis aujourd’hui encore.

Alors qu’ils approchaient tous deux les quatre vingt dix ans, Florence s’est cassé le col du fémur. Elle n’a pas survécu longtemps, et Jean, pourtant en parfaite santé, l’a suivie dans la tombe un an plus tard : « mort de chagrin ».

La peur d’avoir des enfants

André me disait un jour que lui et son épouse Ameyna ne voulaient pas avoir d’enfants, de peur que ces derniers soient, je le cite « anormaux ». Aucun antécédent familial particulier derrière cette crainte, juste l’air du temps hygiéniste et eugéniste, qui a donné Alexis Carel, les frères Aldous et Julian Huxley, et bien entendu, le Nazisme.

Naîtront tout de même Daniel, mon père, en 1943, et sa sœur Jacqueline, en 1948.

L’enfance d’Ameyna

Marie Andrée (dite Aménaïde ou Ameyna) Fressinaud-Mas de Feix, ma grand-mère paternelle en 1923 et en 1925, donc aux âges de 5 et 7 ans. Sur la première photographie, elle se trouve avec sa mère, Marie-Thérèse de Font-Reaulx (1893-1950), qui a épousé Henri Fressinaud-Mas de Feix (1886-1935) en 1917.

Élevée parmi des cousins dans le Limousin, Ameyna aimait dire qu’elle avait eu une enfance de garçon manqué. Si je ne fais pas d’erreur, c’est un cousin de sa mère, Marcel de Font-Réaulx, qui a hérité du titre de comte. Il semble que ce monsieur fut le premier président d’une association de petits patrons destinée à « consolider la situation légale des acquérieurs de biens juifs » sous l’occupation : pas très glorieux !

Henri Fressinaud-Mas de Feix était entrepreneur. Ma grand-mère me disait qu’il était anticlérical en diable, et qu’il est mort assommé par la chute d’une sculpture de Christ en croix en entrant dans une église. Un destin ironique, mais l’histoire est apocryphe, voire douteuse, ou en tout cas très certainement incomplète.

Son grand père, Théophile de Font-Reaulx (1835-1898), avait eu deux filles d’un premier mariage. L’ânée, Marthe (1861) avait épousé Auguste Merle (1855-1940), qui fut maire de Saint-Junien de 1904 à 1919. Avant son mandat, il avait été médiateur entre grévistes et patrons. Sa ville, très ancrée à gauche, a longtemps détenu le record du plus long « règne » par une majorité communiste, mais ce n’est qu’après son administration. Il a dû compter dans la vie d’Ameyna puisqu’à l’en entendre parler, je pensais qu’il était son grand-père ! (les liens familiaux étaient quelque chose de très difficile à comprendre, avec elle).
Ameyna a été inhumée dans le caveau familial à Saint-Junien.