Assister à son propre enterrement

Une clef pour comprendre ce qu’il y a de plaisant dans l’expérience des fictions de « fin du monde » se trouve peut-être dans un épisode assez marquant des aventures de Tom Sawyer, par Mark Twain.

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Tom, Huckleberry Finn et Joe Harper, partis seuls depuis une semaine sur un îlot sur le Mississippi avec le projet de devenir pirates, sont tenus pour morts par toute la communauté de Saint Petersburg. Ils ont assisté de loin à une battue organisée pour les retrouver — d’abord sans comprendre qu’ils étaient ceux que l’on recherchait puis en trouvant plutôt plaisant d’être ainsi considérés comme les héros du jour, et attendant leur heure pour signaler qu’ils sont en vie. Rentré à Saint Petersburg, Tom s’est glissé chez lui subrepticement pour entendre sa tante Polly le pleurer — et excuser ses espiègleries.

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Un jour avant l’enterrement, les écoliers, notamment la petite Becky Thatcher, se lamentent sur le sort des trois garçons, et tout particulièrement sur celui de Tom :

Cependant, en ce calme après-midi du samedi, la joie était loin de régner au village de Saint-Petersburg. La famille Harper et celle de tante Polly préparaient leurs vêtements de deuil à grand renfort de larmes et de sanglots. Un silence inhabituel pesait sur toutes les maisons. Les enfants redoutaient le congé du dimanche et n’avaient aucun goût à jouer, aucun entrain.

Au cours de la journée, Becky Thatcher se surprit à errer dans la cour déserte de l’école, mais ne trouva rien pour dissiper sa mélancolie.

« Oh ! si seulement j’avais gardé sa boule de cuivre ! soupira-t-elle. Mais je n’ai rien pour me souvenir de lui ! »

Elle s’arrêta et considéra l’un des angles de la classe.

« C’était ici, fit-elle, poursuivant son monologue intérieur. Si c’était à recommencer, je ne dirai jamais ce que j’ai dit… Non, pour rien au monde. Mais, maintenant, c’est fini. Il est parti. Je ne le reverrai plus jamais, jamais, jamais… »

Cette pensée lui fendit le cœur et les larmes lui inondèrent le visage. Garçons et filles, profitant de leur journée de congé, vinrent à l’école comme on va faire un pieux pèlerinage. Ils se mirent à parler de Tom et de Joe, et chacun désigna l’endroit où il avait vu ses deux camarades pour la dernière fois.

…Tom et ses deux amis n’assistent pas à ces scènes, bien sûr, mais Tom n’est pas qu’un personnage du roman, il est aussi un autoportrait de Mark Twain, et le personnage auquel le lecteur s’identifie.

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On peut donc dire, d’une certaine manière, qu’il assiste à ce deuil, et cela devient encore plus vrai le lendemain, alors que les trois gamins se rendent à l’église où ont lieu leurs funérailles, qu’ils laissent se dérouler sans signaler leur présence :

Le lendemain, après l’école du dimanche, le glas se mit à sonner au lieu du carillon qui conviait d’habitude les fidèles au service. L’air était calme et le son triste de la cloche s’harmonisait parfaitement avec le silence de la nature. Les villageois arrivèrent un à un. Ils s’arrêtaient un instant sous le porche pour échanger à voix basse leurs impressions sur le triste événement. À l’intérieur de l’église, pas un murmure, pas un chuchotement, rien que le frou-frou discret des robes de deuil. Jamais la petite chapelle n’avait contenu tant de monde. Lorsque tante Polly fit son entrée, suivie de Sid, de Mary et de toute la famille Harper, l’assistance entière se leva et attendit debout que les parents éplorés des petits disparus se fussent assis au premier rang. Alors, au milieu du silence recueilli, ponctué de brefs sanglots, le pasteur étendit les deux mains et commença tout haut à prier. Puis l’assemblée chanta une hymne émouvante, suivie du texte : « Je suis la Résurrection et la Vie. »

Le pasteur fit alors un tableau des vertus, de la gentillesse des jeunes disparus, et des promesses exceptionnelles qu’ils laissaient entrevoir. Au point que chaque fidèle présent, conscient de la justesse de ces paroles, se reprocha son aveuglement devant ce qu’il avait pris pour des défauts et des lacunes graves chez ces pauvres garçons. Le révérend rappela mille traits qui prouvaient la bonté et la générosité de leur nature. Et tous, en pensant à ces épisodes, regrettaient d’avoir songé à l’époque que tout cela ne méritait que le fouet. Plus le révérend parlait, plus il devenait lyrique. À la fin, l’assistance émue jusqu’au tréfonds de l’âme se joignit au chœur larmoyant des parents éplorés et laissa libre cours à ses larmes et à ses sanglots. Le pasteur lui-même, gagné par la contagion, mouilla de ses pleurs le rebord de la chaire.

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Si les gens avaient été moins accaparés par leur chagrin, ils eussent distingué comme une sorte de grincement au fond de l’église. Le pasteur releva la tête et regarda à travers ses larmes du côté de la porte. Il parut soudain pétrifié. Quelqu’un se retourna pour voir ce qui le troublait tant. Une autre personne fit de même, et bientôt tous les fidèles, debout et médusés, purent voir Tom qui s’avançait au milieu de la nef, escorté de Joe et de Huck aussi déguenillés que lui. Les trois morts s’étaient cachés dans un recoin et avaient écouté d’un bout à l’autre leur oraison funèbre.

(…) Tout à coup, le pasteur lança à pleins poumons : « Béni soit le Seigneur de qui nous viennent tous nos bienfaits… Chantez, mes amis !… mettez-y toute votre âme ! »

Aussitôt, l’hymne Old Hundred jaillit de toutes les bouches et, tandis que les solives du plafond en tremblaient, Tom le pirate regarda ses camarades béats d’admiration et reconnut que c’était le plus beau jour de sa vie.

Assister à son enterrement est un privilège dont chacun est théoriquement privé, mais qui n’a pas joué à se l’imaginer, à se consoler de ses frustrations du moment en fantasmant la peine de ceux qui portent le deuil ? Je soupçonne même que c’est la motivation principale de bon nombre de tentatives de suicide.

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Penser à la fin du monde, c’est aussi se délecter de l’idée d’un deuil du monde, c’est se demander ce que l’on y aime, ce que l’on y regrettera, c’est porter un regard distancié, peut-être nouveau, oublier les petites rancœurs et se concentrer sur ce qui est véritablement important. Enfin quelque chose de ce genre.
Mais avant tout, avoir assisté à la fin du monde, c’est savoir qu’elle n’a pas eu lieu : tout cela n’était qu’un jeu, le moment n’est pas venu. Voilà peut-être d’où naît ce besoin de prophétiser des dates de fin du monde, comme le 21 décembre prochain. Une fois la date passée, on est un survivant, le sursis a été prolongé.

J’aime particulièrement la conclusion de l’histoire, qui dit peut-être en substance que l’important n’est pas qu’une histoire soit vraie ou fausse, mais qu’elle soit belle :

À la sortie de l’église, les villageois bernés tombèrent d’accord : ils étaient prêts à se laisser couvrir de ridicule une fois de plus, rien que pour entendre encore chanter l’Old Hundred de cette façon-là.

(les photos sont extraites des Aventures de Tom Sawyer, produit en 1938 par David O. Selznick. Les illustrations, réalisées par True Williams, sont tous extraites de la première édition du livre, en 1876)

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Un parfum de déluge

Il fallait s’attendre à voir des publicités sur le thème de la fin du monde. On vient de me signaler cette campagne pour le déodorant Axe « édition finale » qui reprend l’histoire de l’antipathique patriarche biblique Noé, connu pour avoir égoïstement laissé mourir tous les humains à l’exception de sa famille.
Ici, tandis que la fin du monde se prépare, un jeune homme construit patiemment une arche et l’aménage. Lorsque l’orage s’apprête à noyer la Terre, le jeune homme sort son aérosol désodorisant et en asperge son torse glabre. Des jeunes femmes sveltes apparaissent et montent alors dans son arche, en rang deux par deux, irrésistiblement attirées par ce qu’elles sentent. Suffisamment absurde pour s’abriter sous le bouclier de l’humour, ce film publicitaire est bien dans la lignée de tous ceux de la marque.

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Si les adolescents s’aspergent de parfums de supermarché, c’est parce que d’habiles publicitaires leur promettent les succès amoureux dont ils rêvent. Ici, les choses vont plus loin, car ce que l’on promet aux gamins, ce n’est pas seulement la séduction facile, c’est aussi et avant tout la disparition du reste du monde, et plus précisément la disparition de la famille, dont l’existence est rappelée de manière très explicite : avant d’aller bâtir son arche d’amour, le jeune homme croise un père, une mère, et un adolescent qui s’embarquent en catastrophe dans une voiture familiale vieillotte.
Ce spot n’est à mon avis qu’une métaphore du fantasme de l’indépendance du jeune adulte, enfin libre, dans son propre appartement.

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Threads

Le 23 septembre 1984, BBC2 diffusait avec un succès intattendu Threads, un film de fiction qui présente de manière didactique les étapes d’une guerre nucléaire, vécue par des habitants de la ville de Sheffield, notamment un jeune couple qui attend un enfant. Ce téléfilm est disponible en intégralité sur Youtube.
Le scénario est désespérant et sordide : on commence par nous montrer de manière assez tranquille la petite vie des citoyens et le fonctionnement des institutions (l’officier municipal qui doit organiser les choses avant la guerre,…), mais très vite, aucune préparation ne semble suffisante, la société vole en éclat et les autorités en viennent même à tirer sur la foule affamée. Quinze ans après la catastrophe, il ne reste plus grand chose à sauver, le pays est retourné au moyen-âge et la petite fille dont le spectateur avait suivi l’histoire dès avant sa naissance donne le jour à un monstre.

Threads s’inscrit dans ce que certains nomment « la seconde guerre froide » : l’Iran était devenu une république islamique, les britanniques venaient de connaître un bref conflit avec l’Argentine, les États-Unis étaient dirigés par Ronald Reagan, un ultra-conservateur religieux qui disait volontiers être persuadé que la bataille d’Armageddon approchait et qui appelait les soviétiques « l’empire du mal », le tout sur fond de crise des Euromissiles : des deux côtés du mur, l’arsenal des deux camps ennemis était suffisant pour pulvériser plusieurs fois la planète.
Si les gens ne semblent pas se souvenir avoir été obsédés par la bombe à l’époque, les fictions de ce genre connaissaient un regain : The Day After, MalevilWargames, When the wind blows,… Quand à la musique pop, elle était tout aussi focalisée sur le sujet : 99 luftballons de Nena, Two Tribes de Frankie Goes to Hollywood, et des centaines d’autres titres ne parlaient de rien d’autre.

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Calendrier

Quelques rendez-vous en rapport avec mon livre :

  • lundi 10 décembre à 11h00, on pourra m’entendre dans l’émission Vox Libri (Philippe Delaroche), sur Radio Notre-Dame (l’enregistrement a eu lieu aujourd’hui 5/12)
  • mardi 11 décembre à 10h00, je participerai à l’émission Historiquement show (Michel Field) sur la chaîne Histoire.
  • samedi 15 décembre à 15h30, je serai en rencontre/conférence et signature aux Champs Libres, à Rennes.
  • lundi 17 décembre, à 23h00, je participerai à l’émission L’Atelier Intérieur (Aurélie Charron) sur France Culture. -> reporté à une date non déterminée
  • mercredi 19 décembre, de 16h00 à 19h00, je signerai à la librairie Le presse papier, au 28 rue Gabriel Péri à Argenteuil.
  • jeudi 20 décembre, à 12h00 je serai l’invité du journal d’Élise Lucet sur France 2 et à 17h30, je serai invité par Michel Field sur LCI, et le soir, je devrais montrer ma tête au Grand Journal sur Canal+.
  • le vendredi 21 décembre on pourra m’entendre sur le site de France Culture, dans l’émission en ligne Pixel et en direct, à 12h30, sur BFMTV puis à 14h30 sur France 24.
  • le dimanche 30 décembre à 10 heures on pourra m’entendre dans l’émission Les religions du monde (Geneviève Delrue) sur RFI.
  • le jeudi 17 janvier je passerai sur France Inter dans l’émission On va tous y passer à 11h puis je signerai le livre à la librairie La Galerne, au Havre à 18h.
  • le samedi 19 janvier je serai au salon du livre de Melun

Je mettrai à jour ce calendrier en fonction des nouvelles dates…

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Concours sur le thème No Future/New Future

La Maison d’Ailleurs, à Yverdon, qui est le musée de la science-fiction et des utopies, lance un concours international de vidéo sur le thème du futur : radieux ou désespéré.

Les participants au jusqu’au 10 février pour envoyer leurs films, qui ne doivent pas durer plus de trois minutes. Le concours est ouvert à tous. Plus d’informations ici.

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Faut-il craindre ceux qui ont peur de la fin du monde ?

Le numéro « spécial fin du monde » de La Tour de garde — organe d’information et de prosélytisme des Témoins de Jéhovah — n’est pas daté de décembre 2012, comme les numéros que Science et Vie, Ciel et Espace ou encore Historia ont consacré au sujet, mais du 1er janvier 2013. Le message est clair : la fin du monde, pourquoi pas, mais plus tard.

Ces vieux professionnels de l’Apocalypse, dont ils ont si régulièrement annoncé la date (1878, 1881, 1914, 1918, 1925, 1975), voient sans doute d’un mauvais œil que leur fonds de commerce soit investi par un public qui leur échappe : ésotéristes, ufologues, new-ageux divers et variés. Ils ne peuvent pourtant pas en refuser le principe puisque celui-ci est au centre de leurs préoccupations.
Le numéro en question ne donne pas de date pour la fin des temps mais utilise quelques citation bibliques pour rassurer ses lecteurs : l’Apocalypse sera un moment tout à fait agréable pour ceux qui auront donné un pourcentage de leur salaire à la richissime Watchtower Society et qui auront diffusé ses publications (à leur frais) et informé les passants que le nom de Dieu est Jéhovah.

Un encart attendrissant et rusé fait le point sur les prédictions erronées, en se comparant aux météorologues qui, certes, peuvent se tromper en lançant de fausses alertes, mais peuvent aussi sauver des vies.

Je note une déclaration capitale : « (…) l’important n’est pas de savoir quand la fin viendra mais d’être convaincu qu’elle viendra et d’agir en conséquence ».
Croire en la fin du monde et agir en conséquence, c’est ce qu’on fait, en leur temps, les suiveurs de Gherardo Segarelli ou de Fra Dolcino, les Anabaptistes de Münster, et bien d’autres qui, persuadés de l’imminence de l’Apocalypse, ont réussi à se convaincre qu’ils avaient quelque chose à faire, une mission : remettre en cause l’ordre social, sexuel ou économique, mais aussi se suicider (Jonestown, Mouvement pour la Restauration des Dix Commandements de Dieu, Centre holistique Isis, Heaven’s Gate) ou commettre des meurtres eux-mêmes, comme la secte Aum qui se voit en instrument de l’Apocalypse et a préparé de nombreux attentats bactériologiques et chimiques, comme celui du métro de Tokyo en 1995. Notons que les suicides collectifs sectaires sont souvent plus des meurtres déguisés que des suicides volontaires et adviennent souvent lorsque le gourou et ses lieutenants sont acculés à dissoudre leur organisation (et à disparaître dans la nature en ayant tenté de laisser croire qu’ils avaient participé au suicide collectif) par la pression juridique ou fiscale.

Je vois trois menaces concrètes liées au fait d’être convaincu de la date de la fin du monde :

  • L’escroquerie
    Les sectes qui prophétisent la fin des temps ont invariablement de gros besoins financiers et ont un argument imparable pour se montrer gourmandes : puisque dans quelques jours, mois ou années, plus rien ne comptera, à quoi bon s’encombrer d’une vie matérielle ? On a vu des gens vendre leur maison ou s’endetter pour nourrir la secte à laquelle ils adhèrent. Les textes évangéliques soutiennent l’idée que les adeptes doivent se dépouiller de leurs biens… souvent au profit de l’organisation religieuse, comme dans l’incroyable épisode d’Ananias et Saphira, où Saint Pierre assassine un couple d’adeptes qui ne lui avaient donné qu’une partie de leurs biens après les avoir vendus1.
    Moins grave : les gens qui investissent dans des bunkers et de la nourriture lyophilisée ou qui partent vivre à Bugarach, charmant village des Corbières dont on dit qu’il sera l’unique lieu épargné le 21 décembre 2012.
  • Les vagues de suicides
    Une personne effectivement et sincèrement convaincue de l’imminence de la fin du monde peut être saisie par le désespoir et vouloir mourir avant que cela ne lui arrive. Et cela se retrouve même chez les groupes évangélistes qui, tout en annonçant une Apocalypse heureuse font une description terrible du destin de ceux qui ne seront pas « élus », qui seront abandonnés à leur sort, « left behind ».
  • Les meurtres
    Il existe des gens qui ont tellement envie de voir la fin du monde tel que nous l’entendons qu’ils sont prêts à la provoquer, comme Hugo Drax, le milliardaire interprété par Michael Lonsdale dans James Bond: Moonraker, qui veut empoisonner la Terre entière avant de la repeupler à l’aide de gens jeunes et beaux sélectionnés dans ce but (par privilège, il est dispensé d’être jeune et beau). Les fous qui veulent provoquer la fin du monde n’existent malheureusement pas que dans les films de James Bond : il y a eu aussi Shōkō Asahara, le gourou de la secte Aum, mentionnée plus haut, mais aussi les organisateurs des attentats du 11 septembre 2001 qui espéraient sans aucun doute provoquer le chaos2.

Jusqu’ici, j’avais personnellement considéré l’échéance du 21 décembre 2012, inventée en 1987 par un artiste et écrivain, Jose Argüelles, comme un prétexte inoffensif pour méditer sur le thème de la fin des temps, et c’est d’ailleurs ainsi qu’elle est comprise par nombre de ceux qui y consacrent actuellement des ouvrages ou des dossiers journalistiques. Ce que je trouve intéressant avec cette date c’est qu’elle s’est diffusée assez spontanément, elle n’est soutenue ou promue par aucun groupe sectaire particulier, n’est associée à aucune menace vraiment précise (ou plutôt, à tant de menaces de nature totalement différentes qu’elle en est devenue comique), les gens n’y croient pas, ils croient juste que d’autres y croient, et s’en amusent — comme le font les chaînes de télévision qui diffusent des reportages rassurants et railleurs sur les illuminés des prédictions maya et sur ceux qui jurent qu’une planète nommée Nibiru va subitement apparaître dans le ciel3.

Pour mon anniversaire, mes parents qui habitent dans le Sud-Ouest de la France, m’ont envoyé un authentique Tee-shirt de Bugarach, le village de la fin du monde…

Même si je suis persuadé que pour la quasi totalité des gens, la fin du monde en 2012 n’est qu’un jeu, un motif de plaisanterie, il semble que quelques personnes aient fini par y croire vraiment et cela mérite évidemment un peu d’attention de la part des pouvoirs publics et des associations qui luttent contre les dérives sectaires, mais je doute qu’elles aient besoin de moi pour prendre leurs dispositions dans ce sens.

La Nasa fournit des réponses pédagogiques et scientifiques à toutes les questions que le public lui pose sur le sujet. Certains verront évidemment dans ce genre de propos rassurants une preuve qu’ils ont raison de s’inquiéter : pourquoi rassurer le public si la menace est imaginaire ? La théorie du complot est imparable sur ce point : puisque ce que les vérités qui comptent sont dissimulées au public, croire sans preuves à des choses absurdes est plus sensé que croire ce que l’on voit4.
ABC news cite une lettre envoyée par une personne âgée à David Morisson, le scientifique qui répond aux questions sur le 21 décembre sur le site de la Nasa, qui disait : « Mon meilleur ami est mon petit chien, s’il vous plaît dites-moi quand je devrais l’endormir pour qu’il ne souffre pas quand le monde finira ».

Alors en conclusion, et sans paniquer pour autant, oui, il y a lieu de s’inquiéter, non pas de la fin du monde, mais ceux qui y croient réellement, et qui peuvent se montrer dangereux pour eux-mêmes et pour les autres.

  1. Actes 5. 1-10 : « Mais un homme nommé Ananias, avec Saphira sa femme, vendit une propriété, et retint une partie du prix, sa femme le sachant; puis il apporta le reste, et le déposa aux pieds des apôtres. Pierre lui dit: Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton coeur, au point que tu mentes au Saint-Esprit, et que tu aies retenu une partie du prix du champ? S’il n’eût pas été vendu, ne te restait-il pas? Et, après qu’il a été vendu, le prix n’était-il pas à ta disposition? Comment as-tu pu mettre en ton coeur un pareil dessein? Ce n’est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu. Ananias, entendant ces paroles, tomba, et expira. Une grande crainte saisit tous les auditeurs. Les jeunes gens, s’étant levés, l’enveloppèrent, l’emportèrent, et l’ensevelirent. Environ trois heures plus tard, sa femme entra, sans savoir ce qui était arrivé. Pierre lui adressa la parole: Dis-moi, est-ce à un tel prix que vous avez vendu le champ? Oui, répondit-elle, c’est à ce prix-là. Alors Pierre lui dit: Comment vous êtes-vous accordés pour tenter l’Esprit du Seigneur? Voici, ceux qui ont enseveli ton mari sont à la porte, et ils t’emporteront. Au même instant, elle tomba aux pieds de l’apôtre, et expira. Les jeunes gens, étant entrés, la trouvèrent morte; ils l’emportèrent, et l’ensevelirent auprès de son mari ». Officiellement, le meurtre n’est pas perpétré par Saint Pierre mais par Dieu. Je doute qu’un enquêteur de police accepterait cette version sans sourciller. []
  2. Je ne dispose pas d’informations prouvant que les auteurs de ces attentats espéraient provoquer un désastre apocalyptique en s’en prenant au Pentagone et au World Trade Center, mais il me semble que ce n’est pas absurde de le supposer. []
  3. La menace qui vient du ciel n’est pas une idée absurde, et ça arrivera un jour puisque cela est déjà arrivé, mais le choc avec un autre monde dans trois semaines est, pour le coup, totalement impossible : un astéroïde de taille véritablement menaçante peut être repéré et suivi des mois avant de croiser l’orbite de la Terre, alors une planète divaguante serait repérée années, ou sans doute des dizaines d’années avant de nous atteindre []
  4. Croire que le vrai et l’important est ce qui sera éternellement impossible à prouver ou à infirmer est aussi, bien entendu, le fondement de la foi religieuse. []
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La presse

C’est loin d’être exhaustif et plusieurs articles plus fouillés, notamment des interviews, vont paraître dans les jours qui viennent, mais j’ai pour l’instant des « reviews » extrêmement bienveillantes. Entre autres : l’AlsaceLelittéraire, La Recherche, Les Échos, Le Monde, Philosophie Magazine, Lire, Questions de femmes, la-fin-du-monde, FO Hebdo, et bientôt Historia, Le Monde à nouveau, Klaatumag et Télé poche.

J’ai été invité à Ce soir ou jamais (France 3) le 13/11/2012 ; Au cœur de l’histoire (Europe 1), le 30/10/2012 ; Europe 1 midi – Le débat(Europe 1), le 21/11/2012.
Je dois par ailleurs passer dans l’émission de Michel Field sur la chaîne histoire le 11 décembre à 10h00, sur Radio Notre-dame je ne sais quand, sur France Culture le 17 décembre à 23h00, sur France Inter le 21 décembre à 11h00.
Je serai par ailleurs en conférence aux Champs-Libres (Rennes) le 15 décembre.
…Ce qui me fait un emploi du temps inhabituellement chargé, et j’ai l’impression que c’est loin d’être fini.

L’article qui m’a fait franchement plaisir cette semaine, c’est celui qui a été publié sur Nonfinction.fr, sous la plume de Hicham-Stéphane Afeissa, que je remercie au passage d’avoir mieux dit que moi mes propres intentions.

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La fin du monde en vingt films

Jusqu’au 21 décembre prochain, de nombreuses chaînes vont proposer des programmes liés à la fin du monde, notamment les différents canaux de CanalSat (Frisson, National Geographic,…), et sourtout SyFy, qui crée même une chaîne éphémère sur le sujet. Pour ne pas rater les chefs d’oeuvre, je propose une petite liste de vingt films qui méritent à mon avis d’être vus.

J’ignore lesquels seront diffusés à la télévision dans les semaines à venir.
Ma liste est subjective et partielle — je n’ai pas vu Take Shelter, par exemple, dont on m’a dit beaucoup de bien, et je n’ai pas inclus des films que j’adore pourtant et qui peuvent être rattachés au thème tels que Alphaville, Farenheit 451, Rollerball, La Planète des singes, The Omega Man, New York 1997… J’aurais aussi pu évoquer les films de Miyazaki, bien sûr.
Histoire de ne pas avoir l’air de faire un « top » censé donner mes préférences dans l’ordre, je me contente de classer ces films par date de sortie.

Le dernier rivage (On the Beach), Stanley Kramer, 1959.
L’Australie est le dernier endroit au monde où il reste des survivants à une catastrophe nucléaire totale. Mais un nuage radioactif se rapproche, bientôt, chacun devra choisir entre une mort douloureuse et le suicide. Le gouvernement distribue des doses de cyanure.

Beau film mélancolique et désespérant, emblématique des peurs de la guerre froide, avec Gregory Peck, Fred Astaire, Ava Gardner et Anthony Perkins.

Le Monde, la chair et le diable (The World, the flesh and the devil), Ranald MacDougall, 1959.
Un mineur victime d’un effondrement parvient à sortir à l’air libre et découvre que l’humanité a disparu de la surface de la Terre. Il ne tarde pas à rencontrer une jeune femme, elle aussi épargnée. Tout se passe bien jusqu’à l’arrivée d’un troisième survivant…

Un huis-clos qui a pour cadre la ville de New York et qui traite du racisme et du rapport à soi-même et à autrui. Le personnage principal est interprété par Harry Belafonte.

La jetée, Chris Marker, 1962. Court-métrage
Pour échapper à un futur sans espoir, les survivants d’une guerre sont forcés d’aller chercher de l’aide dans le passé et dans le futur.

Ce grand classique a la forme d’un diaporama commenté par une voix-off.
La trame a été reprise par Terry Gilliam pour son Armée des 12 singes.

Docteur Folamour (Dr. Strangelove), Stanley Kubrick, 1964
Un militaire schizophrène déclenche la troisième guerre mondiale entre les pays de l’Otan et l’URSS. Malgré la volonté de paix de presque tous les autres protagonistes, la machine est impossible à arrêter.

Comédie grinçante dans laquelle Peter Sellers, complètement survolté, interprète plusieurs rôles dont celui du docteur Folamour, un scientifique nazi récupéré par les États-Unis.

Point Limite (Fail-Safe), Sidney Lumet 1964
À la suite d’une erreur, un bombardier atomique américain se dirige vers l’Union soviétique. Le président américain doit convaincre son homologue soviétique qu’il ne cherche pas à déclencher une guerre, peut-être au prix du sacrifice de New York.

Semblable à Dr. Strangelove par sa trame, Fail-Safe est un film bien plus sombre, servi notamment par le jeu de Henry Fonda, Larry Hagman et Walter Matthau.

Le cerveau d’acier (Colossus: The Forbin Project), Joseph Sargent, 1970
Le scientifique Charles Forbin met en place un nouveau système automatisé de défense des États-Unis : l’ordinateur Colossus. Quelques minutes après sa mise en service, cet ordinateur surpuissant se met en contact avec Guardian, son homologue soviétique. Pour remplir leur mission, qui est de protéger l’homme de lui-même, les deux machines fusionnent et asservissent l’espèce humaine.

Cette fable assez drôle pointe du doigt l’orgueil de l’homme, persuadé de tout maîtriser malgré l’absurdité de ses actions.

Silent Running, Douglas Trumbull, 1972
Freeman Lowell a la charge d’un vaisseau spatial qui contient les derniers végétaux terrestres. Le jour où, pour réduire les coûts, on lui demande de détruire ce trésor, il décide de s’enfuir, aux commandes de sa serre. Ses seuls compagnons sont des robots à qui il essaie d’apprendre à s’occuper des plantes et à jouer au poker.

Joli conte écologique partiellement inspiré de 2001: l’Odyssée de l’espace, notamment pour son rythme un peu soporifique.

Soleil Vert (Soylent Green), Richard Fleischer, 1973
La surpopulation est devenue un problème insoluble et la famine n’est évitée que grâce à une nourriture synthétisée à base de plancton, de soja et de lentilles, le Soylent. Un policier (Charlton Heston) enquête sur le meurtre d’un administrateur de Soylent.

Dans la droite ligne des inquiétudes du « club de Rome », un des premiers classiques du film d’angoisse écologique, avec Silent Running, déjà cité, et Zero Population Growth (1972).

Stalker, Andrei Tarkovsky, 1979
Les Stalker sont des hommes qui peuvent guider les curieux dans la « zone », un endroit mystérieux aux règles incompréhensibles mais où, dit-on, se trouve une chambre capable d’exaucer les rêves de celui qui y accède.

Sept ans après la sortie de Stalker avait lieu l’accident nucléaire de Tchernobyl, lieu dont les images actuelles rappellent furieusement celles du film de Tarkovsky.

Malevil, Christian De Chalonge, 1981
Quelques habitants d’un petit village français survivent à une explosion atomique. Ils s’organisent comme ils peuvent et doivent se défendre de survivants pillards puis d’une troupe d’homme et de femmes qui se trouvaient dans un tunnel et dans un train au moment de l’explosion et qui sont dirigés par deux hommes à moitié fous.

Rarissime exemple de science-fiction post-apocalyptique française, d’après un roman de Robert Merle et avec des acteurs tels que Michel Serrault, Jacques Dutronc, Jean-Louis Trintignant et Jacques Villeret.

Le dernier survivant (The Quiet Earth), Geoff Murphy, 1985
Un homme se réveille, seul au monde. Il rencontre ensuite une femme, puis un homme. Peu à peu, les trois comprennent qu’ils ont un point commun : ils devraient tous être morts — et peut-être le sont-ils, d’ailleurs. L’un d’eux a peut-être une solution : chercheur, il pense que ce qui arrive est lié à une expérience scientifique à laquelle il est lié.

Film néo-zélandais complètement atypique, inspiré de The World, the flesh and the devil, valable entre autres pour les scènes de solitude du personnage principal.

Jusqu’au bout du monde (Bis ans Ende der Welt), Wim Wenders, 1991
En 1999, poursuivi par la CIA et accompagné d’une fugitive, un homme parcourt le monde avec une machine capable de capter les souvenirs visuels, dans le but de les transmettre à sa mère, aveugle, qui se trouve en Australie, autant dire au bout du monde. Au même moment, un satellite indien s’apprête à tomber sur la Terre.

Jolie réflexion de Wim Wenders sur le souvenir et l’image, avec William Hurt, Solveig Dommartin, Max Von Sydow, Jeanne Moreau, et une foule de visages familiers comme ceux d’Eddy Mitchell, Chick Ortega, David Byrne ou Tom Waits.

Dernier Sacrifice (The Rapture), Michael Tolkin, 1991
Une jeune femme quitte son existence hédoniste et son compagnon échangiste après avoir rencontré la religion, qui lui semble donner un sens à sa vie en lui annonçant que le jour du jugement est imminent. Mariée et mère de famille, sa vie bascule une nouvelle fois lorsque son époux est assassiné. Elle décide de partir avec sa fille attendre leur « rapture », leur enlèvement par Jésus. Fatiguée d’entendre sa fille la supplier de l’emmener vite voir son père, elle la tue, mais n’arrive pas à se tuer à son tour. Lorsque résonnent enfin les trompettes du jugement dernier, elle n’est plus prête à accepter le Dieu qui l’a laissée abattre sa propre fille.

Film servi par le jeu intense de Mimi Rogers. Avec Patrick Bauchau et David Duchovny. Il est intéressant de noter que l’auteur de cette immersion dans la psyché des « born-again christians » obsédés par l’Apocalypse a ensuite été co-scénariste de Deep Impact et de Dawn of the Dead.

L’armée des douze singes (Twelve monkeys), Terry Gilliam, 1995
Un homme est envoyé dans le passé pour enquêter sur la naissance d’une épidémie qui a ravagé l’espèce humaine et contraint les survivants à vivre sous terre. Il s’oriente sur la piste d’un groupuscule de terroristes écologistes, l’armée des douze singes.

Habile reprise du scénario de La Jetée, ce film est servi par les performances de Bruce Willis et de Brad Pitt, notamment.

Last Night, Don McKellar, 1998
La fin du monde, prévue depuis des mois, aura lieu à minuit. Dans la ville de Toronto, diverses personnes se croisent et tentent de faire quelque chose de satisfaisant de cette toute dernière journée qui leur reste à vivre. L’un cherche à épuiser la liste de toutes les personnes à qui il voudrait faire l’amour, d’autres cherchent le grand amour, ou la paix, ou l’affrontement, ou continuent à travailler jusqu’à la dernière minute…

Film canadien au budget modeste, Last Night n’en est pas moins une œuvre très attachante et profonde sur ce que chacun d’entre nous peut essayer de grapiller au cours de sa vie. Pour l’anecdote, on y voit David Cronenberg en homme d’affaires obsédé par l’idée que ses clients soient tous avertis qu’ils seront approvisionnés en gaz jusqu’à la dernière minute.

Les Fils de l’homme (Children of men), Alfonso Cuarón, 2006
L’humanité entière vit dans un profond désespoir : aucun enfant n’est né sur Terre depuis dix-huit ans. L’Angleterre est devenue une dictature militaire obsédée par la régulation de l’immigration. Theo Faron se voit confier une mission : protéger la première femme à être tombée enceinte depuis près de deux décennies.

Adaptation du roman très sombre de P.D. James avec Clive Owen, Julianne Moore et Michael Caine.

Sunshine, Danny Boyle, 2007
Le Soleil s’éteint, la Terre refroidit et va mourir à son tour. L’unique solution est de redémarrer la combustion de l’astre à l’aide d’une bombe. Une première mission a échoué, une seconde expédition est envoyée, elle est la dernière chance de l’humanité. Même en cas de succès, ses chances de pouvoir revenir sur Terre sont minces.

Le film est parcouru par une fascination pour le Soleil, qui représente à la fois la vie pour les habitants de la Terre et une mort presque certaine pour ceux qui tentent de le sauver.

La Route (The Road), John Hillcoat, 2009
Un père et son fils errent dans un monde en train de mourir et dont les survivants pratiquent le cannibalisme. On ignore la nature du cataclysme qui cause la situation : hiver nucléaire, super-volcan ? On devine en tout cas à peine le soleil au travers d’une atmosphère de cendres.

Adaptation du roman éponyme de Cormac McCarthy, avec Viggo Mortensen, Kodi Smit-McPhee, Robert Duvall et Charlize Theron.

Les Derniers jours du monde, Jean-Marie Larrieu et Arnaud Larrieu, 2009
À Biarritz, Robinson (Mathieu Amalric) assiste passivement à la fin du monde. Il finit par tenter de rejoindre Paris où se trouve celle qu’il aime, dans une France totalement désorganisée et où ses compagnons de route cherchent tous et toutes à profiter de lui.

Un film à la fois bouffon et grave, apprécié par la critique mais boudé par le public et qui mérite une nouvelle chance, notamment pour les performances de l’acteur principal, de Catherine Frot, Karin Viard et Sergi López, et pour quelques séquences difficilement oubliables.

Melancholia, Lars von Trier, 2011
Une nouvelle planète, Melancholia, s’approche dangereusement de la terre. Chacun se découvre un nouveau visage en faisant face à la situation : une jeune femme dépressive reprend des forces, sa sœur bien plus solide s’effondre et le mari de cette dernière, un scientifique sûr de lui, perd tout courage lorsqu’il s’aperçoit que sa connaissance ne lui donne aucun contrôle sur les évènements.

Un film d’ambiance visuellement somptueux, avec Charlotte Gainsbourg, Kirsten Dunst et Kiefer Sutherland, mais aussi  Stellan Skarsgård, Charlotte Rampling ou encore John Hurt.

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1816, l’année sans été

En avril 1815, le mont Tambora, situé dans l’actuelle Indonésie, a connu une série d’éruptions très puissantes, entendues jusqu’à plus de 1200 kilomètres de distance. La première, le 5 avril, a produit une colonne éruptive de 33 km de haut. La seconde, cinq jours plus tard, une colonne de 44 km de haut.

Le 15 avril, cette séquence s’est interrompue. On pense à présent qu’elle a été huit fois plus violente que l’éruption du Vésuve en l’an 79 de notre ère, et plusieurs milliers de fois plus puissante que les explosions nucléaires qui ont ravagé Hiroshima et Nagasaki. Entre ses projections et les raz-de-marée qu’elle a provoqué, on pense que cette éruption a causé de manière directe la mort de 60 à 70 000 personnes.
En Grande-Bretagne au même moment, les sulfates et les poussières de l’atmosphère provoquaient des couchers de soleil d’une grande beauté dont William Turner a dit s’être souvenu dix ans plus tard en peignant son Canal de Chichester.

Les dégâts indirects de l’éruption (et de plusieurs autres à peu près contemporaines : la Soufrière de Saint-Vincent des Grenadines en 1812, notamment), ont été très spectaculaires aussi. Les cendres ont encombré la stratosphère et ont eu un effet sur le climat de la Terre entière. La Chine, l’Inde, l’Europe et l’Amérique du Nord ont été particulièrement affectées, jusqu’en 1817 au moins. L’année 1816 est retenue aujourd’hui sous le nom « d’année sans été » : on a vu des gelées, des rivières glacées et de la neige au début de l’été à New York, en Pennsylvanie ou au Québec. Aux États-Unis, les cultures ont été très médiocres, le prix du blé et du maïs a augmenté de manière importante, mais en Irlande ou au Pays de Galles, certaines récoltes n’ont pas pu avoir lieu du tout. Ce qui fut la pire famine généralisée du XIXe siècle a forcé de nombreuses familles de prendre la route et les villes de l’Europe entière ont connu des émeutes et des pillages. Les bêtes, notamment les chevaux, si importants dans l’économie de l’époque, ne pouvaient plus être nourries. Dans de nombreuses régions, la population a fortement décru.

Au mois de juillet 1816, une bande d’écrivains romantiques que les conditions météorologiques contraignait à rester cloîtrés dans la villa Diodati, sur le lac Léman, où ils passaient leurs vacances, s’est lancée dans une compétition amicale d’histoires terrifiantes. Lord Byron a écrit le poème Darkness, mais aussi Fragment of a novel, une histoire de vampire que son médecin personnel John Polidori reprendra trois ans après sous forme de nouvelle sous le titre The Vampyre, et qui inspirera trois quarts de siècles plus tard encore le Dracula de Bram Stoker. Mais l’œuvre la plus célèbre à avoir été écrite — ou en tout cas ébauchée — à cette époque, c’est le Frankenstein de Mary Shelley, sous titré le Promethée moderne, dans lequel un scientifique donne vie à un monstre composé de parties mécaniques et de morceaux de cadavres et animé par l’électricité.
Mary Shelley connaissait les théories en vogue sur le rapport entre l’électricité et la vie, et avait même été vivement impressionnée par les démonstrations inspirées par les travaux de Luigi Galvani, au siècle précédent, qui activait le muscle d’une grenouille disséquée grâce à de l’électricité.

Frankenstein est un peu le premier roman à faire état d’une méfiance envers les prodiges de la science dont il est contemporain. Il est plutôt ironique de savoir que la naissance de ce récit n’a pas été inspirée par une catastrophe technologique mais par un évènement géologique naturel situé de l’autre côté du globe. Certains pensent cependant que de nombreuses inventions relatives à la motricité sans chevaux ou au rendement agricole ont aussi été provoquées par cet épisode particulièrement traumatisant. Le second quart du XIXe siècle sera, il faut s’en rappeler, extrêmement fertile en invention.

En 1823, Mary Shelley publiera un roman dans lequel l’humanité entière s’éteint, The Last Man, inspirée par son deuil de Percy Shelley, son époux, et celui de Byron, leur meilleur ami, mais cela est une autre histoire.

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Fin du monde britannique

Je n’ai pas de théorie culturelle qui expliquerait le fait, mais j’observe très subjectivement que les auteurs britanniques font souvent preuve d’une étonnante décontraction vis à vis du thème de la fin du monde, qui peut être réversible, ou inoffensive, ou revenir régulièrement, et qui peut  même constituer un spectacle distrayant,… Il me semble que c’est un cas récurrent chez Douglas Adams, chez Terry Pratchett, chez Chris Claremont, chez Alan Moore, dans la série Docteur Who, etc. Et je dirais ça même chez Joss Whedon, américain mais très influencé par les auteurs britanniques.

On peut par ailleurs se souvenir que certains des tout premiers récits de fiction de fin du monde non-religieux sont britanniques : Le dernier homme (1823) de Mary Shelley, qui décrit une épidémie qui ravage le monde, ou encore After London (1885), de Richard Jefferies, où la Grande-Bretagne retombe au moyen-âge. On peut aussi citer, bien évidemment, Herbert George Welles ou J.G. Ballard1, qui se sont régulièrement intéressés au sujet aussi — le second ayant par ailleurs durablement marqué la musique pop britannique, notamment dans sa période « New Wave », où le motif de la fin du monde était, une fois encore, étonnamment courant.

  1. Ballard et autres auteurs de science-fiction de sa génération comme Moorcock, Aldiss ou Brunner. []
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Revolution : un monde sans électricité

Revolution est une série télévisée américaine qui a commencé à être diffusée il y a deux mois. Je n’en connais pour l’instant que la bande-annonce.
Comme dans le Ravage de Barjavel, le monde est subitement privé d’électricité.
Les automobiles sont remplacées par des chevaux et la nature reprend ses droits…

L’action commence quinze ans après la catastrophe. Les gens ont remplacé les lampes par des bougies, les États ont disparu et le monde est gouverné par des petits chefs locaux. Un personnage semble disposer d’un secret, d’une clef USB-bijou qui contient des informations apparemment importantes…

Cette série produite par J.J. Abrams (Alias, Lost) et dont l’épisode pilote était réalisé par Jon Favreau (Iron Man) connaîtra-t-elle plus d’une saison ? Je suis en tout cas impatient de la voir, ne serait-ce que pour comprendre comment, après quinze ans de blackout électrique, on peut rester propre, coiffé, et surtout impeccablement bien habillé.

(merci à l’ami Vadim de m’avoir signalé l’existence de cette série)

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