Le nom « zombie » a été popularisé par des films tels que White Zombie (Victor Halperin 1932) ou le saisissant I Walked with a Zombie (Jacques Tourneur, 1943), qui faisaient explicitement référence à la culture Vaudou haïtienne et à son processus de zombification. Les zombies sont des personnes intentionnellement empoisonnées avec un neurotoxique extrait d’un tétraodon1. Plongées dans un état de catalepsie, elles sont tenues pour mortes et enterrées vives, puis clandestinement déterrées, ranimées, et maintenues par une privation totale de sel dans un état d’hébétement qui leur ôte toute capacité à quitter le statut d’esclave dans lequel ils sont ensuite gardés jusqu’à leur mort. Lentes, complètement abruties, ces personnes ne sont pas transformées en esclaves pour leur force de travail mais dans le cadre de vengeances familiales, par exemple. Aussi incroyable que cela paraisse, il ne s’agit pas d’une légende urbaine, les zombies existent bel et bien en Haïti, mais cela ne fait que quelques décennies qu’ils sont étudiés scientifiquement. La bande dessinée Les Zombies, par Philippe Charlier et Gérard Guérineau à la Petite bédéthèque des savoirs le raconte de manière passionnante.
À côté de ces zombies véritables, qui relèvent de l’anthropologie, le genre fantastique (notamment bande dessinée chez EC comics, puis cinéma de série Z) a proposé plusieurs versions du zombie, présenté comme un authentique mort-vivant capable d’agir tandis que ses chairs sont en pleine décomposition. Généralement, ces zombies récents sont capables de transmettre leur état à d’autres personnes en les mordant. Cette multiplication constitue un péril permanent pour les vivants qui, à chaque instant, savent qu’ils risquent de rejoindre la cohorte des morts-vivants, et qui savent aussi que les zombies peuvent finir par remplacer l’humanité toute entière. Virus, bactérie, champignon, contrôle mental opéré par des parasites extra-terrestres, comète qui passe dans le ciel, ondes ou substances capables de réveiller les morts, conséquences d’un accident sanitaire ou médical, les déclencheurs évoqués sont nombreux, mais il me semble qu’ils ne sont jamais faits pour être pris au sérieux, bien qu’ils puissent s’inspirer faits réels : la rage qui pousse certains mammifères infectés à changer de comportement et à en infecter d’autres ; la manipulation des foules par les régimes totalitaires ; les démonstrations de « lavage de cerveau » pendant la guerre de Corée puis avec le célèbre projet MK-Ultra ; les cas réels de parasites (des vers, notamment) capable de prendre le contrôle de leur hôte afin de les forcer à servir leurs intérêts ; et bien sûr l’effroi qu’ont de tout temps provoqué les personnes déclarées mortes qui reprennent subitement vie ou semblent le faire. Bien qu’il y ait de nombreux précédents, de l’antiquité à H.P. Lovecraft, on fait souvent du film Night of the living dead (George A. Romero, 1968) une sorte de point de départ d’un genre : les zombies modernes. La particularité de ce film, comme de beaucoup de ceux qui ont suivi, c’est que l’on peut considérer les zombies non comme le sujet mais comme un cadre, voire une contingence : ce n’est pas tant eux ou leur raison d’être qui compte, c’est la manière dont les non-zombies vont se comporter, c’est tout ce que l’existence des morts-vivants modifie ou révèle des rapports humains, du rapport au deuil, au groupe, à l’espoir,… On parle souvent d' »Apocalypse zombie », et la locution est bien choisie : le mot Apocalypse signifie littéralement « dévoilement », et on l’a traduit par « révélation ».
Cette « fin du monde » est donc avant tout l’occasion de faire apparaître une réalité.
Pris sous cet angle, le prétexte farfelu que constitue l’idée d’une invasion de morts-vivants se révèle d’une grande richesse. Dans le cas de La Nuit des morts vivants, certains ont cru percevoir un discours sur la guerre du Vietnam ou encore sur le racisme et la ségrégation. Même si l’auteur a toujours nié2 avoir voulu faire autre chose qu’un divertissement, on ne peut qu’être frappé par le fait que le héros, qui est le seul noir et aussi le seul survivant d’une nuit passée à lutter contre des zombies, finit abattu au petit matin par des policiers qui n’ont même pas cherché à vérifier s’il était devenu un zombie ou non.
J’ignore ce qui m’a poussé à passer l’année à le faire, mais j’ai visionné des milliers d’heures de films et de séries reposant sur le thème du zombie. Je compte désormais publier sur le présent blog les réflexions que ces œuvres ont suscité chez moi.
- Les tétraodons sont une famille de poissons à laquelle appartient notamment le célèbre fugu japonais. Ils sont connus pour leur capacité à se gonfler et pour le poison qu’ils contiennent. [↩]
- Les auteurs américains de films de divertissement répugnent souvent à admettre que leurs œuvres ont un propos politique – pensons à James Cameron qui affirmait que son Avatar ne parlait ni de la politique extérieure américaine ni du complexe militaro-industriel, alors que ces thèmes sont flagrants dans le film. On peut supposer que le but de ce genre de dénégations est d’éviter de donner une vocation militante aux films, mais aussi d’éviter de s’aliéner le public non-acquis aux idées que l’on porte. Il vaut parfois mieux faire les choses que de dire qu’on les fait, et c’est ainsi que de nombreux auteurs d’œuvres dites « de masse » parviennent à faire passer des messages forts, avec le tact de ne pas expliquer par avance au public ce qu’il est censé comprendre. [↩]